EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Adopté par le conseil des ministres le 26 février 1996 et examiné en première lecture par l'Assemblée nationale, les 20, 21 et 28 mars, le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, initialement constitué de cinq articles seulement, en comporte désormais seize.

Avec pour objectif d'endiguer le développement des pratiques restrictives de la concurrence résultant d'un rapport de forces particulièrement favorable au secteur de la distribution, le projet de loi présenté par le Gouvernement propose de réformer le titre IV de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence afin de tenter de rééquilibrer les relations entre producteurs et distributeurs.

Par une clarification des règles de facturation et une aggravation des peines sanctionnant la revente à perte de produits en l'état, les deux premiers articles du projet initial s'efforcent d'accroître l'efficacité de cette interdiction.

L'article 3 introduit une nouvelle prohibition : celle des pratiques de prix de vente abusivement bas pour des produits fabriqués ou transformés puis commercialisés directement par le distributeur. Le Conseil de la concurrence est chargé de veiller au respect de ces dispositions.

Opérant un renversement de la charge de la preuve en matière de refus de vente, l'article 4 complète et modernise le dispositif de l'article 36 de l'ordonnance en définissant de nouveaux comportements susceptibles d'engager la responsabilité civile de leur auteur (chantage au « référencement » ou au « déréférencement », rupture brutale et injustifiée des relations commerciales).

Le dernier article du projet de loi initial améliore enfin les moyens permettant de lutter contre « les ventes à la sauvette » sur le domaine public.

Ce projet constitue l'aboutissement d'un long processus de réflexion ayant donné lieu à la consultation de quelque soixante-dix associations de professionnels et d'une vingtaine d'associations de consommateurs et, à la demande du ministre de l'Économie, à l'établissement d'un rapport sur les relations entre l'industrie et la grande distribution (rapport Villain du mois de janvier 1995).

Pour la première fois depuis la Libération, une réforme du droit de la concurrence est soumise au Parlement : les textes fondateurs en la matière avaient jusqu'à présent été adoptés par voie d'ordonnance (ordonnance du 30 juin 1945, ordonnance du 1er décembre 1986) et le législateur n'avait eu à connaître que de réformes ponctuelles depuis 1992. La loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992 a ainsi introduit au sein du titre IV des dispositions relatives aux délais de paiement entre les entreprises, assorties de sanctions pénales. La loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 sur la prévention de la corruption a imposé aux acteurs du secteur commercial des obligations tendant à garantir la transparence des opérations (communication du barème de prix et des conditions de vente, nécessité d'un contrat écrit pour tout accord de coopération commerciale) tout en aggravant les sanctions encourues en cas de non respect des règles de facturation et en prévoyant l'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales pour certaines infractions.

La présentation au Parlement d'une réforme globale des règles de concurrence dans les relations commerciales entre professionnels est donc une initiative novatrice.

Ce doit être l'occasion pour le législateur de procéder à un contrôle de cohérence de l'ensemble du dispositif et à des harmonisations rédactionnelles, afin d'assurer une meilleure lisibilité de l'ordonnance et d'éviter les difficultés d'interprétation qui nuisent à la sécurité juridique. Cette nécessaire clarification des textes en la matière est d'autant plus importante que de nombreuses interdictions sont sanctionnées pénalement : les peines d'amende délictuelles encourues par les dirigeants ou la personne morale peuvent être, en effet, d'un montant élevé et assorties de peines complémentaires (publication de la condamnation, peine d'exclusion des marchés publics).

La place occupée par la responsabilité pénale dans le régime juridique de la concurrence, qui constitue d'ailleurs une spécificité française, justifierait de rassembler ces dispositions au sein d'une division spécifique dans le livre V du nouveau code pénal.

Considérant qu'il lui incombe de veiller à la correction et à la cohérence juridique de telles dispositions, la commission des Lois s'est saisie pour avis de ce projet de loi.

Le texte soumis à l'examen du Sénat comporte désormais seize articles qui modifient les dispositions du titre IV, mais également des articles figurant aux titres II (« Du Conseil de la concurrence ») et III (« Des pratiques anticoncurrentielles ») de l'ordonnance du 1er décembre 1986. De nombreuses modifications ainsi que plusieurs dispositions nouvelles ont été introduites par l'Assemblée nationale.

Considérant comme nécessaire de garantir la présence d'un représentant de la Cour de Cassation au sein de la commission permanente, le nombre de membres du Conseil de la concurrence a été porté à dix-sept pour tenir compte de la nomination d'un troisième vice-président. Le Gouvernement s'est en outre engagé à renforcer les moyens du Conseil de la concurrence en désignant des rapporteurs supplémentaires afin de lui permettre d'assumer ses nouvelles attributions, en particulier le contrôle des pratiques de prix abusivement bas. Les dispositions prohibant ce type de pratique ont logiquement été transférées du titre IV au titre III qui répertorie l'ensemble des pratiques anticoncurrentielles dont le contrôle relève de la compétence du Conseil. La prohibition des prix abusivement bas concerne les seuls produits revendus en l'état, à l'exception de la vente de carburants au détail. La saisine automatique de la commission permanente du Conseil de la concurrence est prévue.

Le projet de loi supprime par ailleurs la possibilité pour les parties (article 22) de demander « le renvoi au Conseil » : ainsi le président de cette institution exerce-t-il pleinement désormais son pouvoir de décision en matière de répartition des affaires entre la formation plénière et la formation restreinte constituée par la commission permanente.

Au titre IV, le texte adopté par l'Assemblée nationale introduit une disposition réglementant les opérations promotionnelles et les annonces publicitaires correspondantes : il s'agit d'assurer une meilleure transparence des publicités relatives aux produits périssables et d'éviter que certaines opérations, par leur ampleur ou leur fréquence, ne désorganisent toute une filière de production. Un arrêté préfectoral doit définir la périodicité et la durée de telles opérations.

Les règles de facturation sont clarifiées afin de faciliter la détermination du seuil de la revente à parte : sont ainsi exclues du prix d'achat effectif figurant sur la facture et correspondant à ce seuil à la fois les sur-remises quantitatives accordées en cours d'exercice et les remises conditionnelles non directement liées à l'opération de vente ou de prestation de service.

Le dispositif répressif relatif à la revente à perte est renforcé : l'annonce de la revente à perte d'un produit en l'état est interdite au même titre que la revente à perte elle-même. En outre, la peine d'amende encourue est aggravée : elle passe de 100 000 F à 500 000 F et peut être portée à un montant équivalent à la moitié des dépenses de publicité. Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables. Les exceptions prévues par l'ordonnance sont toutefois maintenues : seule l'exception d'alignement du prix de revente à perte est désormais réservée aux seules entreprises de moins de 300 mètres carrés.

La liste des produits pour lesquels l'article 35 de l'ordonnance impose des délais de paiement spécifiques dont le non-respect est constitutif d'un délit est par ailleurs complétée par la mention des achats de « viandes congelées ou surgelées ainsi que de poissons surgelés ».

À l'article 36 de l'ordonnance qui énumère les pratiques déloyales susceptibles d'engager la responsabilité civile de leur auteur, les dispositions relatives à l'interdiction du refus de vente sont abrogées. Le refus de vente devient donc licite en principe, sauf lorsqu'il est la manifestation de l'exploitation abusive d'une position dominante sur un marché tendant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence (article 8 de l'ordonnance).

Les autres pratiques prohibées dont la mention est ajoutée à l'article 36 sont :

- le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage sans contrepartie réelle, qu'il s'agisse d'un engagement sur l'achat d'un volume proportionné de produits ou sur la réalisation d'une prestation de service demandée par le fournisseur ;

- le fait d'obtenir des avantages « manifestement exorbitants des conditions générales de vente », ou de tenter de les obtenir sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales ;

- la rupture brutale de relations commerciales établies, sans préavis écrit respectant un délai raisonnable.

S'agissant de l'interdiction des ventes à la sauvette sur le domaine public, le texte adopté par l'Assemblée nationale reprend, moyennant quelques modifications rédactionnelles, le dispositif du projet de loi initial.

Les quatre dernières dispositions du projet de loi sont en revanche tout à fait nouvelles :

- l'article 6 étend aux organisations consulaires ou représentatives des consommateurs la possibilité, offerte par la loi du 1er février 1995 (art. 56 ter de l'ordonnance) aux organisations professionnelles, d'introduire une action devant la juridiction civile ou commerciale sur le fondement des dispositions de l'ordonnance ;

- l'article 7 élargit la mission de contrôle des commissaires aux comptes définie par l'article 228 de la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;

- l'article 8 diffère l'entrée en vigueur des nouvelles règles applicables en matière de facturation et de revente à perte : il offre aux entreprises un délai de six mois pour procéder aux adaptations requises ;

- l'article 9 prévoit l'élaboration d'un rapport du Gouvernement sur les activités concurrentielles des entreprises du secteur public et les possibilités de coopération avec celles du secteur privé.

Tout en procédant à un certain nombre d'améliorations rédactionnelles tendant soit à clarifier ou préciser les dispositions de l'ordonnance, soit à harmoniser leur libellé avec les termes du nouveau code pénal ou du code de la consommation auxquels il est fait référence, votre commission propose :

- de garantir la présence d'un représentant du secteur économique au sein de la commission permanente du Conseil de la concurrence ;

- de supprimer la saisine automatique de la commission permanente en matière de prix de vente abusivement bas ;

- de restaurer la procédure de l'arrêté interministériel pour réglementer la périodicité et la durée des opérations promotionnelles relatives à des produits périssables et susceptibles de désorganiser un marché ;

- de supprimer à l'article 33 la mention de la peine d'exclusion des marchés publics qui peut actuellement être prononcée à l'encontre des personnes morales déclarées pénalement responsables ;

- de ne prohiber, à l'article 36, l'obtention d'un avantage manifestement dérogatoire aux conditions générales de vente que lorsqu'elle résulte de l'exercice d'une menace de rupture des relations commerciales ;

- d'actualiser l'article 55 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relatif à la peine complémentaire de publication de la décision de justice et aux sanctions applicables en matière de récidive ;

- de supprimer les dispositions introduites par l'Assemblée nationale tendant, à l'article 6, à étendre aux organisations consulaires ou représentatives des consommateurs la possibilité d'introduire une action devant les juridictions civiles et commerciales, et à l'article 7, à charger les commissaires aux comptes de veiller au respect des règles applicables en matière de facturation et de délais de paiement. Il ne semble pas souhaitable en effet de modifier ainsi, de façon incidente, la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, sans réflexion d'ensemble et sans concertation préalable.

Votre commission s'est en outre interrogée sur l'applicabilité de certaines dispositions du projet de loi. Elle a en particulier considéré que le contrôle des prix de vente abusivement bas prohibés par l'article premier D serait difficile à mettre en oeuvre.

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Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous propose, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi.

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