II. DES SITUATIONS LOCALES TOUJOURS PRÉOCCUPANTES

Contrastant avec ces évolutions globalement positives, les situations locales restent préoccupantes au plan social comme le souligne le dernier rapport de l'Institut d'émission des département d'outre-mer en 1994 « la situation de l'emploi s'est très nettement dégradée à la Réunion, à la Guadeloupe, à la Martinique et en Guyane. Les effectifs des bénéficiaires du RMI ont enregistré parallèlement une forte croissance sauf à la Guadeloupe ».

Dans les territoires d'outre-mer, le taux de chômage reste mal appréhendé. Mais les troubles qui ont été constatés cette année en particulier en Polynésie ne sont évidemment pas sans lien avec l'ampleur du nombre de personnes sans emploi, notamment parmi les jeunes.

A. LE CHÔMAGE RESTE PARTOUT ÉLEVÉ

Les taux de chômage restent partout élevés et n'ont été que peu entamés par les mesures adoptées au cours des derniers mois, notamment dans le cadre de la loi Perben.

1. La situation du chômage

Contrairement aux espoirs suscités par l'adoption de la loi Perben, les données fournies tant par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) que par l'Institut national des Statistiques et des études économiques (INSEE), montrent que le chômage continue à progresser dans les DOM.

a) Dans les départements d'outre-mer

Selon l'ANPE, dans les départements d'outre-mer le nombre de chômeurs a progressé de 9,8 % en un an. Fin avril 1995, 184.910 demandeurs d'emploi sont inscrits dans les agences locales.

Le tableau ci-dessous retrace pour chaque département l'évolution constatée :

(1) Demandeurs d'emploi en fin de mois

Par rapport à la population active, le taux de chômage s'établit ainsi :

On observe que :

- la part des femmes (51,8 %) est maintenant très proche de celle observée en métropole (50,6 %) ;

- les jeunes de moins de 25 ans ne représentent plus qu'à peine le quart du stock de l'ensemble des demandeurs (20,5 % en mai 1995). Une tendance à la baisse est constatée dans l'ensemble des DOM (33,3 % en 1990 ; 30,8 % en 1991 ; 25,8 % en 1992, 23,1 % en 1993, 22,3 % en 1994 et 20,5 % en mai 1995). Cette diminution de la part des jeunes de moins de 25 ans dans la structure de la DEFM (nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois) n'a pas la même proportion pour chacun des DOM comme le montre le tableau ci-après. Toutefois le chômage des jeunes dans les départements d'outre-mer reste préoccupant et demeure supérieur à celui de la métropole (18,6 %).

-le nombre de demandeurs inscrits depuis plus d'un an reste supérieur avec 47,1 % dans les DOM contre 37,4 % en métropole. Le nombre de chômeurs de longue durée s'élève en mars 1995 à 87.114 dans les DOM, soit + 14,3 % par rapport à avril 1993. Cette catégorie de chômeurs a fortement augmenté en cinq ans pour les départements des Antilles-Guyane. Pour la Réunion, si une baisse avait été constatée, l'année 1994 et 1995 est marquée par une très forte augmentation des chômeurs de longue durée comme pour l'ensemble des autres DOM.

- le rapprochement avec l'évolution du nombre de bénéficiaires du RMI sur la même période est très révélateur. A l'accroissement global du taux de chômage de 9,8 % répond l'évolution du nombre de bénéficiaires du RMI de 9 %.

Évolution du nombre de bénéficiaires du RMI (l)

b) Dans les territoires d'outre-mer

S'agissant des territoires d'outre-mer, les situations sont plus contrastées :

- Nouvelle-Calédonie

Le dernier recensement (1989) fait apparaître une population active de 66.945 personnes pour une population totale de 164.173 habitants. Le nombre de demandeurs d'emploi était de 6.268 à fin décembre 1994.

La structure de la demande d'emploi en fin de mois par âge, sexe et catégorie socioprofessionnelle est la suivante :

- Wallis et Futuna

En 1990, l'Institut territorial de statistiques et d'études économiques recensait les données suivantes :

- actifs occupés 1.808

- chômeurs 1.198

- militaires 146

Il convient, cependant, de souligner qu'une fraction très importante de la population active qualifiée de « chômeurs » par l'Institut territorial de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie exerce des fonctions productives vivrières ou traditionnelles (pêche, agriculture, artisanat).

Au 30 juin 1995, le nombre de demandeurs d'emploi était de 207 personnes pour une population active estimée à 8.000 personnes.

- Polynésie française

Les seules données statistiques disponibles et fiables, issues du recensement de 1988, font état d'un taux de chômage de 9,8 %.

Sur ce total les femmes représentent 3.376 personnes et les hommes 3.310 personnes : ceci porte le taux de chômage féminin à 12,9 %, très supérieur au taux masculin de 6,2 %. Le chômage touche essentiellement les jeunes (les moins de 30 ans représentent 76,5 % du total et ceux de moins de 25 ans, 60,2 %).

L'évaluation du taux de chômage réel est de 20 % soit environ 18.000 personnes, fin 1992 (sur une population active de 54.000 personnes). Sur ce total, 7.294 personnes étaient inscrites à l'Agence pour l'emploi et la formation professionnelle (AEFP).

La structure de la demande d'emploi par âge et catégorie socioprofessionnelle est la suivante :

L'arrivée sur le marché du travail d'environ 2.500 jeunes par an, dont plus de 55 % ont un niveau de formation inférieur au certificat d'études primaires élémentaires et qui sont le plus souvent sans qualification professionnelle, demeure un des problèmes essentiels que doit résoudre ce Territoire.

- Mayotte

La population active est estimée à 33.000 personnes fin juin 1995. Sur ce total, le nombre de demandeurs d'emploi inscrits est de 9.779 soit un taux de chômage de 29,6 %.

La structure de la demande d'emploi par âge et catégorie socioprofessionnelle est la suivante :

2. Les effets encore limités de la loi Perben

Les conséquences de l'ampleur de ce chômage sont bien connues.

a) Sur le RMI

Les dernières données disponibles concernant l'évolution du nombre de bénéficiaires de RMI font état d'une progression parallèle du taux de chômage. Toutefois en 1995, les statistiques font apparaître une stabilisation du nombre de Rmistes. Elles sont toutefois à prendre avec précaution en raison des retards dans la mise en place du nouveau dispositif prévu par la loi Perben.

Évolution du nombre de bénéficiaires du RMI (1)

-37-

L'augmentation en 1994 est d'autant plus sensible qu'elle fait suite à une quasi stagnation entre 1993 et 1994.

La forte évolution constatée à la Réunion résulte principalement du retour au dispositif du RMI des bénéficiaires de contrats emploi-solidarité signés en 1991 et 1992 et dont les droits aux allocations chômage sont désormais épuisés. Par ailleurs, on note l'inscription d'un nombre croissant de jeunes de plus de 25 ans.

Au total, on estime que la population concernée de façon directe ou indirecte par le RMI à la Réunion à près de 130.000 personnes. Le phénomène dit de « décohabitation » observé à la Réunion depuis plusieurs années se traduit notamment par la proportion croissante de personnes isolées et de familles monoparentales au sein de cette population au détriment des couples dont la part dans le total est passée de 37,3 % en 1989 à 33,7 % en 1994.

Parallèlement à l'augmentation des allocataires, le nombre de contrats d'insertion a progressé de 10 % au cours des douze derniers mois, mais à un rythme moins rapide que l'effectif des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion. La proportion des bénéficiaires du RMI touchés par les différents dispositifs d'insertion a diminué, passant de 47 % à la fin de 1993 à près de 44 % en décembre 1994 (soit 21.242 allocataires sur 48.753).

En développement très marqué depuis plusieurs années (+ 21,7 % par rapport à 1993, multiplication par 4,2 depuis 1990), les opérations d'insertion à caractère social sont désormais majoritaires (55,1 % du total) au sein du dispositif d'insertion des bénéficiaires du RMI dans ce département. Cette évolution s'accompagne d'une régression des actions d'insertion professionnelle (44,9 % du total en 1994 contre 50,2 % en 1993), dont le nombre a légèrement baissé au cours des douze derniers mois (- 1,8 %).

A la Martinique , on note le développement important des contrôles. En 1994, 7.944 personnes ont été radiées et les contrôles a priori de la caisse d'allocations familiales se sont accrus.

Si le nombre de contrats d'insertion reste modeste (40 % environ), il n'en demeure pas moins honorable, étant donne la situation de l'emploi dans ce département. Les allocations souffrent de plus d'un faible niveau de formation et d'une image de marque négative auprès des chefs d'entreprise.

A la Guadeloupe , les procédures de contrôle sont également devenues plus efficaces. 9.175 allocataires ont aussi été radiés en 1994. Mais le nombre de contrats d'insertion avoisine seulement 6.000, soit un quart de l'effectif des allocataires.

En Guyane, les effectifs paraissent stables. Toutefois, on note d'importantes difficultés d'application du dispositif. Ces difficultés résultent notamment sur le volet insertion de la délégation trop tardive des crédits de la créance de proratisation et de l'hétérogénéité de la population Rmiste (analphabétisme, instabilité).

L'année 1995 a été une année de transition marquée par l'élaboration des textes réglementaires nécessaires à la mise en place des agences d'insertion. Celles-ci sont ouvertes depuis le 1er octobre 1995. Elles vont bénéficier du reliquat de la créance de proratisation 1994 hors la part logement conformément à la loi « Perben » et de la participation de l'État aux contrats d'insertion par l'activité pour assurer leur démarrage dans de bonnes conditions.

Elles recevront également en 1996 « l'économie » réalisée sur le volume des allocations du RMI concernant les bénéficiaires remis en activité au moyen des contrats d'insertion par l'activité, la part de la créance de proratisation pour l'insertion (hors le logement) et les crédits obligatoires du département.

Les agences auront de ce fait les moyens financiers de mettre en oeuvre le programme départemental d'insertion, de créer un secteur de tâches d'utilité sociale et d'offrir aux allocataires du RMI une activité d'insertion.

Votre commission admet que l'année 1995 doit être considérée comme une année de transition pour laquelle aucune statistique, notamment en matière d'insertion, ne peut être significative.

L'année 1996 sera par contre importante pour la réussite du nouveau dispositif d'insertion.

b) Sur la situation de l'emploi

La fin de l'année 1994 et le premier semestre de l'année 1995 ont été consacrés à l'élaboration des différents décrets d'application de la loi Perben. Les quatre dispositifs majeurs d'aide à l'emploi et à l'insertion (agence d'insertion et contrat d'insertion par l'activité, contrat d'accès à l'emploi, exonérations des charges sociales et primes à la création d'emploi) n'ont donc été mis en oeuvre qu'au milieu de l'année.

- Le contrat d'accès à l'emploi

Le décret relatif au contrat d'accès à l'emploi a été publié le 29 mars 1995 permettant ainsi l'application de ce nouveau dispositif. Jusqu'à la fin août, 3.487 contrats ont été réalisés sur une enveloppe prévisionnelle pour 1995 de 10.000 contrats. Pour 1996, les moyens nécessaires au financement de 17.500 contrats ont été dégagés sur le FEDOM.

Dans le cadre de la mise en place du plan national pour l'emploi, le Gouvernement a créé un nouveau dispositif, le contrat initiative-emploi. Pour ne pas pénaliser le démarrage du CAE, il a décidé de ne pas appliquer le CIE aux départements d'outre-mer mais au contraire de l'aligner sur le CIE. Ainsi, le contrat d'accès à l'emploi peut être un contrat à durée déterminée d'au moins un an ou un contrat à durée indéterminée.

L'alignement sur la durée déterminée du contrat répond à une initiative des élus d'outre-mer, parmi lesquels figure notamment votre rapporteur. En outre, l'aide forfaitaire est désormais de 2.000 francs par mois pour la durée du contrat dans une limite de deux ans. L'accès à la formation est maintenu dans le cadre du CAE, ce qui constitue un avantage certain. Un décret de modification est actuellement en cours de préparation et devrait être publié au cours du mois d'octobre 1995.

- L'agence et le contrat d'insertion par l'activité

La réforme en profondeur de la gestion du revenu minimum d'insertion (RMI), vise à doter la politique de l'insertion dans chacun des DOM d'un instrument, l'agence départementale d'insertion (ADI) qui, pour plus d'efficacité, concentre les compétences et les moyens financiers (créance de proratisation et crédits départementaux).

L'activité de l'agence s'articule autour de trois axes : coordonner l'action des commissions locales d'insertion, élaborer un plan départemental d'insertion et un programme de tâches d'utilité sociale qu'elle proposera aux bénéficiaires du RMI, avec qui elle signera un véritable contrat de travail, le contrat d'insertion par l'activité (CIA). Ce contrat emprunte le régime juridique du contrat emploi-solidarité. L'agence est l'employeur de l'ensemble des CIA sur le département.

Le décret de création des agences et du contrat d'insertion par l'activité a été publié le 9 mai 1995. Le décret de financement a été publié le 2 septembre 1995.

Mais, du fait de la parution tardive des textes réglementaires mettant en oeuvre le nouveau dispositif d'insertion dans les DOM, aucun contrat d'insertion par l'activité n'a pu être conclu pendant les trois premiers trimestres de l'année 1995. Une enveloppe de 4.000 CIA est prévue pour les deux derniers mois de l'année 1995. Toutefois, leur dispositif devrait être, selon le ministère, entièrement opérationnel pour l'exercice 1996, pour laquelle 10.000 CIA sont prévus.

A l'égard de ce volet de la loi Perben sur laquelle elle a été saisie en 1994, votre commission des Affaires sociales s'était interrogée sur trois points précis :

- premièrement, la création de l'agence instituant une séparation entre l'employeur juridique -l'agence- et la personne morale utilisatrice lui avait paru entraîner une dilution des responsabilités, dont on voyait mal aujourd'hui la répartition (par exemple, quelle sera l'autorité de l'utilisateur qui n'est pas l'employeur ?) puisque celles-ci seront fixées dans la convention. Il s'agira donc d'une convention d'une autre nature que celle signée entre l'État et les employeurs de CES, et qui se rapproche du contrat de mise à disposition des entreprises de travail temporaire. Or, si les règles n'étaient pas suffisamment précises et rigoureuses, votre commission craint de constater ultérieurement de graves dérives, préjudiciables au dispositif d'insertion lui-même, mais également à l'économie déjà fragile de ces départements ;

- deuxièmement, le secteur d'utilité sociale, dont il a été dit qu'il concernerait principalement le domaine de l'environnement, risquerait, s'il se développait trop et à défaut d'un contrôle suffisant, de venir concurrencer le secteur privé, au détriment des emplois de droit commun. Les agences, comme on le constate avec les associations intermédiaires, pourraient être accusées de concurrence déloyale. Mais des conflits avec l'employeur de plusieurs milliers de personnes risqueraient de déstabiliser durablement le département concerné ;

- enfin, s'il apparaissait que ce secteur d'utilité sociale prenait une trop grande importance, on pourrait constater un effet d'éviction au détriment des dispositifs d'insertion réservés aux non Rmistes. Pour avoir une chance de se réinsérer ou de s'insérer, il faudrait d'abord être Rmiste : cette dérive serait évidemment beaucoup plus coûteuse pour les finances de l'État.

Votre commission avait accepté toutefois d'adopter le dispositif gouvernemental en restant très attentive aux conséquences qui en résulteraient.

Le délai constaté dans sa mise en oeuvre ne lui permet pas cette année encore de porter d'autres appréciations sur celui-ci.

- Les exonérations

Les articles 3, 4 et 5 de la loi du 25 juillet 1994 mettent en oeuvre, pour une durée de trois ans, l'exonération totale des cotisations à la charge des employeurs des secteurs de production au titre des assurances sociales, des allocations familiales et des accidents du travail.

Les secteurs concernés sont les secteurs de l'industrie, de l'hôtellerie, de la restauration, de la production audiovisuelle, de la presse, de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture. Suite aux arbitrages sont également concernées les coopératives agricoles, quelle que soit leur activité, et les entreprises d'exploitation forestière.

En outre, il est prévu un programme d'apurement des dettes pour les entreprises qui ne sont pas à jour de leurs cotisations et qui entrent dans le champ d'application du présent décret.

Le décret sur les exonérations des secteurs de production a été publié le 1 er mars 1995 Le décret concernant l'exonération des contributions patronales de sécurité sociale dues par les entreprises de pêche maritime et celui concernant les exploitants agricoles exerçant leur activité sur des exploitations de moins de 20 hectares ont été publiés le 31 décembre 1994.

Le seul bilan disponible est celui concernant l'article 4 relatif aux exonérations sociales en faveur de certaines entreprises et peut être ainsi résumé :

Impact des mesures d'exonération au 31 août 1995

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- Les primes à la création d'emploi

Le décret du 2 mai 1995 prévoit la mise en oeuvre d'un nouveau dispositif, la prime à la création d'emploi destinée aux entreprises dont les activités sont tournées vers les marchés extérieurs. Cette aide prend la forme d'une prime à la création d'emplois résultant soit d'une extension des activités de l'entreprise, soit de l'implantation d'un établissement nouveau dans le département ou la collectivité territoriale.

Elle se substitue à la prime d'équipement et à la prime d'emploi, excepté à Mayotte ou l'ancien dispositif perdure. Le dispositif est mis en place pour une durée de trois ans. La prime est versée selon un barème dégressif et pour un montant moyen de 20.100 francs par an et par emploi créé, aussi longtemps que l'emploi subsiste et pendant une durée maximale de dix ans. Aucune prime n'est prévue au titre de l'année 1995, 1.000 sont dégagées pour 1996, pour un montant de 24 millions de francs.

Dans l'ensemble, votre commission espère que ces mesures, complétées par celles annoncées par le nouveau Gouvernement, porteront rapidement leurs effets, et sera attentive à l'adaptation du dispositif aux situations locales très préoccupantes.

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