TITRE PREMIER L'ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE FAMILIALE DEPUIS CINQUANTE ANS.

La politique familiale s'est profondément modifiée depuis son instauration il y a cinquante ans, du fait d'éléments extérieurs mais aussi de profondes évolutions sociologiques.

A. LES PRINCIPES FONDATEURS DE LA POLITIQUE FAMILIALE

Certes, la politique familiale n'est pas née au sortir de la deuxième guerre mondiale. Elle a été initiée à partir d'initiatives patronales dès la fin du XlXème siècle (Léon Harmel en 1891 avec la «Caisse de famille», les établissements Klein de Vizille en 1884) et s'est développée, à partir de 1916, sous l'impulsion de l'ingénieur grenoblois Romaret, à partir de l'institution de caisses de compensation des charges de familles. Celles-ci se fédèrent en un comité central des allocations familiales en 1921. Ce mécanisme devient une obligation légale pour les employeurs par la loi du 11 mars 1932. Ceux-ci doivent désormais cotiser pour leurs salariés à une caisse d'allocations familiales.

Mais l'Etat n'entreprend une véritable politique familiale qu'avec le décret-loi du 12 novembre 1938 et le décret-loi du 29 juillet 1939 portant création du code de la famille. Le décret-loi du 12 novembre 1938 modifie, en fait, la nature des sommes accordées pour frais de famille, et comme telles incluses dans les négociations salariales. Elles deviennent véritablement des « allocations familiales » indépendantes du salaire mais la condition d'activité professionnelle subsiste. Elles sont fixées par référence à un salaire moyen mensuel départemental. De plus, le montant de l'allocation varie suivant le rang de l'enfant : 5 % du salaire de référence pour le premier enfant, 10 % pour le second, 15 % pour le troisième et chacun des enfants suivants.

Avec le code de la famille, compte tenu de la faiblesse démographique du pays où depuis plus de quatre ans les décès l'emportent sur les naissances face à la montée des périls (41,9 millions d'habitants face à 70 millions d'Allemands augmentés de 15 millions d'Autrichiens), cette politique prend un tour plus résolument nataliste. La progressivité des allocations est renforcée. L'allocation pour le premier enfant est supprimée et l'aide passe à 20 % pour le troisième enfant et les suivants afin d'inciter à la création de familles nombreuses. Enfin, grande originalité, afin d'encourager les jeunes mariés à avoir un enfant rapidement, elle institue une prime à la naissance de deux fois le salaire de référence si la naissance a lieu dans les deux premières années du mariage.

Toutefois, la politique familiale instituée dans l'immédiat après guerre est d'une autre ampleur puisqu'elle concerne de nombreux domaines de la politique familiale. Elle s'articule autour de cinq textes principaux : l'ordonnance du 4 octobre 1945 en ce qui concerne l'organisation des caisses d'allocations familiales, la loi du 20 mai 1946 qui instaure la règle, fugace, « des 225 fois » -le salaire moyen mensuel départemental des allocations familiales devait être fixé à 225 fois le salaire horaire minimum du manoeuvre de l'Industrie des métaux de la région parisienne-, la loi du 22 août 1946 fixant le régime des prestations familiales, sur laquelle votre rapporteur reviendra, la loi de finances pour 1946 (loi du 31 décembre 1945) instituant, dans son article 119 le quotient familial, et, enfin, la loi du 1er septembre 1948 instituant une allocation de logement. A ce dispositif fondateur et très complet qui a survécu, dans ses grandes lignes, jusqu'à maintenant, votre rapporteur souhaite ajouter l'ordonnance du 3 mars 1945 qui institue l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et ses relais départementaux les UDAF, et leur confère le monopole de la représentation légale des familles. Les cinquante ans de l'UNAF viennent, d'ailleurs, d'être célébrés.

Le contexte dans lequel ces textes ont été adoptés était tout à fait spécifique : la nécessité de reconstruire le pays et aussi l'idée particulièrement présente chez M. Adolphe Landry, rapporteur au fond du projet de loi qui allait devenir la loi du 22 août 1946 et qui avait fait partie du Haut comité de la population qui avait inspiré le code de la famille de 1939, de ne pas recommencer les mêmes erreurs sur le plan démographique.

Par ailleurs, la France possédait un empire colonial étendu. Fondées sur le lien professionnel, les prestations familiales étaient accordées aux travailleurs étrangers. Les nationalités de ces travailleurs immigrés en France étaient d'ailleurs très différentes d'aujourd'hui. Les 507.602 Italiens, 288.269 Espagnols et 269.269 Polonais présents en France en 1954, même s'il n'est pas question de nier les difficultés de ces populations, connaissaient relativement peu de problèmes d'intégration.

Parallèlement, les moyens d'information se résumaient à la presse écrite et à la radio. L'audiovisuel qui a désormais tant d'influence, notamment sur les très jeunes, n'en était qu'à ses premiers balbutiements.

Comme votre rapporteur l'a déjà mentionné, outre sur le lien qui existe entre la profession et l'accès aux prestations familiales, les principes fondateurs de la politique familiale reposent sur une conception démographique et la volonté de compenser les charges de familles pour les ménages qui font l'effort d'avoir de nombreux enfants et qui, de ce fait, ne Peuvent épargner. Ceci apparaît très clairement dans le préambule de la Constitution de 1946 1 , comme dans les interventions du Ministre du travail et de la sécurité sociale, et des différents rapporteurs du texte qui a donné lieu à la loi du 22 août 1946, à l'Assemblée nationale constituante.

Ainsi, M. Ambroise Croizat, ministre en charge du dossier, déclarait-il lors des débats du 6 août 1946, « C'est une vérité évidente qu'un plan de sécurité sociale ne peut être efficace sans un redressement de la natalité, sans un effort de tous les instants pour donner au pays une jeunesse vigoureuse et nombreuse ». Comme en écho, lui répondent M. Landry, dont on a déjà souligné le rôle éminent, qui est que le texte est « une contribution à ce relèvement démographique de la France que tous les Français quelque peu clairvoyants considèrent comme nécessaire » et que cette « cause est à la fois celle de la famille et de la France », M. Bouxom, rapporteur pour avis de la commission de la famille, de la population et de la santé publique, qui déclare que « le pays est en danger de mort par suite de la dénatalité et qu'il ne sera sauvé qu'en ayant de nombreux enfants forts et sains » et M. Ramette, rapporteur pour avis de la commission des finances et du contrôle budgétaire qui se félicite que « le Gouvernement, reconnaissant que seule la mise en oeuvre d'une vigoureuse politique de la natalité peut rendre à la France la jeunesse et les forces indispensables à sa prospérité et à sa grandeur » a proposé l'examen de ce texte qui a « pour premier et principal objet de réaliser un relèvement général et substantiel des principales prestations familiales ».

Le fondement de la politique familiale de la France qui, si longtemps, depuis la deuxième partie du XVIIIème siècle jusqu'à la deuxième guerre mondiale, a été peu nataliste, est clairement démographique. Et force est de constater que cette option a réussi puisque le baby boom s'est prolongé jusqu'en 1964, alors même que les autres pays européens s'avéraient moins dynamiques dans ce domaine.

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