Avis n° 87 (1996-1997) de M. Jean-Paul HUGOT , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 4 décembre 1996

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N° 87

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1996.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 1997, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME X

COMMUNICATION AUDIOVISUELLE

Par M. Jean-Paul HUGOT,

Sénateur.

1 Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Ivan Renar, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Philippe Arnaud, Honoré Bailet, Jean Bernadaux, Jean Bernard, Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Charmant, Marcel Daunay, Jean Delaneau, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Alain Gérard, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Jean-Pierre Lafond, Henri Le Breton, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin, François Mathieu, Philippe Nachbar, Sosefo Makapé Papilio, Michel Pelchat, Louis Philibert, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal, Henri Weber.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ.) : 2993, 3030 à 3035 et T.A. 590.

Sénat : 85 et 86 (annexe n° 8) (1996-1997).

Lois de finances.

Mesdames, Messieurs,

C'est en quelque sorte à un retour sur soi que le projet de budget invite l'audiovisuel public en mettant en place un plan ambitieux, parfois volontariste, d'économies préparant le terrain aux restructurations qu'annonce le projet de loi sur la communication audiovisuelle récemment déposé au Sénat.

C'est aussi à une sorte de retour sur soi que voudrait le conduire votre rapporteur, en compagnie de ses autorités de tutelle, en tirant, dans la seconde partie de son rapport pour avis, quelques leçons de la crise qui a affecté France Télévision au printemps dernier.

I. LES CRÉDITS DES ORGANISMES DU SECTEUR PUBLIC EN 1997

A. LES RESSOURCES ET LES CHARGES

Le projet de budget de l'audiovisuel public est en augmentation de 1,19 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1996 et s'établira ainsi à 17 milliards de francs.

Cette progression modérée résulte de quatre mouvements : la stabilisation du taux de la redevance et l'augmentation légère du produit de son recouvrement, la diminution sensible des dotations budgétaires, l'augmentation des objectifs de recettes publicitaires et enfin la réalisation d'un important train d'économies partiellement compensé par un assez faible montant de mesures nouvelles.

Il convient de présenter ces quatre points avant d'évoquer leurs conséquences pour le budget prévisionnel de quelques organismes de l'audiovisuel public.

1. La redevance

Son taux restera fixé à 449 F pour les téléviseurs en noir et blanc et à 700 F pour les téléviseurs en couleur. Cette stabilisation contraste avec les augmentations des années précédentes, comme le montre le tableau suivant.

Votre rapporteur estime que la stabilisation de ces taux en 1997 n'est pas fondamentalement critiquable compte tenu des hausses de ces dernières années et de l'objectif de stabiliser les prélèvements obligatoires auquel il paraît naturel que l'audiovisuel public contribue.

Le produit à répartir entre les organismes augmentera en revanche de 1,7% pour atteindre 10,9 milliards de francs. Cette perspective paraît vraisemblable dans la mesure où le nombre des comptes exonérés a tendance à diminuer en raison du relèvement progressif de la conduite d'âge, dans la mesure aussi où les contrôles opérés par le service de la redevance font progresser significativement d'année en année les encaissements au-delà de l'augmentation des taux de la taxe.

L'expérience des années passées confirme ce pronostic. Il convient ainsi d'observer que l'ensemble des recettes collectées sur l'année 1995 a été de 10.918,4 millions de francs, soit un accroissement de 827 millions de francs par rapport au montant atteint en 1994 (10.091,5 MF), conduisant à un excédent de 3,8 millions de francs, par rapport au montant de 10.914,6 millions de francs autorisé par la loi de finances.

En ce qui concerne les prévisions d'exécution de 1996, sur les sept premiers mois de l'année, les encaissements de redevance sont conformes à l'échéancier annuel d'encaissement établi sur la base des prévisions de recettes retenues dans la loi de finances.

Le service de la redevance devrait donc à nouveau réaliser son objectif d'encaissement pour l'année 1996, attestant ainsi une nouvelle fois du caractère sûr et régulier de cette source de financement.

Néanmoins, les actions menées par le service seront encore déterminantes pour faire progresser les encaissements annuels au-delà de l'effet d'augmentation de la taxe, comme cela s'est produit au cours des dernières années.

Les sommes versées par le service de la redevance depuis 1994 se répartissent de la façon suivante :

La répartition de la redevance en 1997 sera effectuée comme l'indique le tableau ci-dessous :

2. Les dotations budgétaires

Au sein des ressources de l'audiovisuel public, les ressources provenant de la redevance sont complétées par des dotations budgétaires dont plus de la moitié est constituée de remboursement des exonérations de redevance consenties à certains redevables.

Ces remboursements diminueront en 1997 de 52 % pour s'établir à 69 millions de francs. Si les exonérations se maintiennent en 1997 au montant de 1996, c'est-à-dire 2,5 milliards de francs, les remboursements n'en représenteront plus que 26,4 % contre 55 % en 1996.

Par ailleurs, ces remboursements représenteront en 1997 6,6% du budget de l'audiovisuel public contre 10,7 % en 1996.

Lors de son audition par votre commission, le ministre de la culture a estimé ce repli justifié par l'effort de réduction des charges de l'État. Votre rapporteur, tout en souscrivant à cet objectif, s'interroge sur son application aux remboursements d'exonération de redevance. Ceux-ci devraient être considérés comme un dû, la politique audiovisuelle de l'État, financée par une taxe spécifique, ne devant pas souffrir des mesures prises au titre de sa politique sociale.

Les autres concours budgétaires de l'État s'élèvent à 447 millions de francs. Il s'agit des contributions du ministère des affaires étrangères et du ministère de la coopération à RFI, à raison de respectivement 442,8 millions de francs et 4,2 millions de francs.

Ils progressent de 60,4 millions de francs par rapport à 1996, ce qui correspond d'une part à un effort supplémentaire du ministère de la coopération pour 2,9 millions de francs, d'autre part, au rétablissement de la subvention du ministère des affaires étrangères à RFI à un niveau proche de celui de 1995. En effet, ce ministère, qui avait réduit sa contribution de 64 millions de francs en 1996, la reconstitue à hauteur de 57,5 millions de francs dans le projet de budget.

3. Les ressources propres des organismes

Composées pour l'essentiel de recettes publicitaires, complétées par des recettes de parrainages et quelques recettes commerciales, elles devront progresser en 1997 de 14,35 %, l'objectif assigné à la seule publicité étant en progression de 19,11 %.

Votre rapporteur évoquera, en abordant le budget des organismes les plus concernés, les conséquences de ces évolutions.

Sur un plan général, il convient de signaler que la publicité et le parrainage, qui représentent en 1995, 19,3 % du financement de l'audiovisuel public, passeront à 25 % en 1997, la part des ressources publiques reculant dans le même temps de 75,5 % à 70,8 %.

Pour justifier cette évolution, le ministre de la culture a expliqué qu'aux prévisions de réalisation pour 1996 (3.790 millions de francs pour l'ensemble du secteur) un taux de progression de 5,5 % a été appliqué, cohérent avec l'évolution du marché, ce qui a permis de fixer le montant de la publicité à 4.000 millions de francs dans le projet de budget.

Quant au parrainage, le montant a dû être légèrement ajusté à la baisse (- 26,1 millions de francs) entre les deux lois de finances pour tenir compte d'un contexte moins favorable.

Les autres ressources propres, y compris les services rendus aux administrations, s'élèvent à 714 millions de francs, en diminution de 45,9 millions de francs par rapport à la loi de finances initiale de 96, mais de 24,5 millions de francs par rapport aux budgets votés en conseil d'administration.

Cette diminution résulte pour une moitié d'un réajustement du niveau des produits financiers par rapport aux prévisions de recettes pour 1996. Elle est liée d'une part à la diminution des taux d'intérêt et d'autre part au resserrement des trésoreries. Elle permet, pour l'autre moitié, de rétablir un niveau plus réaliste de recettes commerciales.

4. Le train d'économies

La fixation des dépenses des organismes de l'audiovisuel public à un montant de 17 milliards de francs de francs, en augmentation de 1,19 % par rapport à 1996, résulte en ce qui concerne les dépenses de trois évolutions conjuguées.

Tout d'abord ont été évalués les ajustements nécessaires à la couverture des besoins à activité inchangée. Leur montant est fixé à 420,2 millions de francs résultant pour l'essentiel de l'évolution des charges de personnel, de celles des charges de diffusion et de l'augmentation des versements aux sociétés d'auteurs et au COSIP.

Entrent ensuite en ligne de compte les mesures nouvelles. Elles sont modestes en 1997 : 65,1 millions de francs, correspondant à un montant de 15 millions de francs destiné au lancement d'une radio pour les jeunes à Radio France, à l'achèvement du plan de développement des émetteurs à ondes courtes de RFI, pour 10,1 millions de francs et à l'entrée de France 2 et de France 3 dans le numérique pour 40 millions de francs.

Enfin, un plan d'économies de 616,6 millions de francs est inséré dans le projet de budget pour 1997.

Sur ce montant, 72,2 millions de francs résulteront automatiquement du plan social mis en oeuvre à RFO en 1996, et de la disparition des charges de diffusion des Jeux Olympiques, de la renégociation des contrats de France 2 et France 3 avec les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteurs.

Il reste encore à réaliser un montant de 544,4 millions de francs d'économies. Leur répartition a été fixée d'après les propositions du rapport d'audit du secteur public présenté l'été dernier au Premier ministre par M. Jean-Michel Bloch-Lainé.

A partir de ces propositions a donc été élaboré un catalogue d'économies ciblées ou forfaitaires que les chaînes doivent réaliser en 1997.

Ainsi, la fusion de la Sept/Arte et de la Cinquième devrait permettre une économie de l'ordre de 140 millions de francs. Une grande partie d'entre elle devrait provenir d'un supplément d'échanges de programmes et de coproductions entre la Cinquième et Arte, mais également entre ces deux sociétés et France Télévision.

Les économies à dégager sur le budget de programme de France 2 s'élèvent à 205 millions de francs. Elles proviendraient de la renégociation des contrats avec les animateurs producteurs et d'une meilleure gestion des stocks de programme et de droits détenus par l'entreprise.

La réduction des effectifs des présidences et des services de communication (20 millions de francs), l'abandon par Radio-France de la diffusion en ondes moyennes de France Inter (40 millions de francs), et le gel de l'extension du cinquième réseau (10 millions de francs) participent du même effort de rigueur dont le principe paraît très positif et dont le montant ne représente que 3,2 % des charges totales du secteur public.

Il faut cependant s'interroger sur le réalisme, l'opportunité, les conséquences prévisibles de certaines économies ciblées.

Votre rapporteur a tenté de poser sur ce point quelques jalons d'une réflexion en évoquant particulièrement, avec les budgets prévisionnels des organismes publics, l'évolution conjuguée des objectifs de recettes publicitaires et les mesures d'économies prescrites.

B. LES BUDGETS PRÉVISIONNELS DES ORGANISMES

1. France Télévision

a) Panorama budgétaire de 1997


• Le budget de France 2 sera stabilisé par rapport aux chiffres de la loi de finances initiale de 1996. Il passera de 4 milliards 880 millions de francs à 4 milliards 882 millions de francs. Les objectifs de recette publicitaire et de parrainage sont en progression de 14,5 % par rapport à l'objectif fixé par la loi de finances initiale de 1996, de 6 % par rapport aux dernières estimations de réalisation, et représenteraient en 1997 49,4% du financement de la chaîne contre 46 % pour 1996 en prévision d'exécution.

BUDGET D'EXPLOITATION PRÉVISIONNEL DE FRANCE 2 (RECETTES)

(en millions de francs TVA)

En ce qui concerne les charges, France 2 devra réaliser 205 millions de francs d'économies sur son budget de programmes, et devrait disposer de 20 millions de francs afin de financer son entrée dans la diffusion numérique en participant au lancement du bouquet satellitaire TPS.

Le budget de France 3 passera de 5 milliards 180 millions de francs dans la loi de finances initiale pour 1996 à 5 milliards 413 millions de francs, comme le montre le tableau suivant :

BUDGET D'EXPLOITATION PREVISIONNEL DE FRANCE 3 (RECETTES)

(en millions de francs TVA)

On constate que les recettes de publicité progresseront de 1 milliard 25 millions de francs en loi de finances initiale à 1 milliard 584 millions de francs. Cette progression, considérable, optiquement sera en réalité plus modeste compte tenu des excédents de recettes publicitaires réalisées ces deux dernières années par rapport aux prévisions. En 1995, l'excédent constaté a été de 557 millions de francs par rapport à l'objectif de la loi de finances initiale (+ 63 %). On attend en 1996 de nouveaux dépassements d'objectifs compte tenu d'une certaine sous-évaluation des objectifs inscrits dans la loi de finances initiale.

Il n'en demeure pas moins que les objectifs fixés pour 1997 portent sur la part des recettes publicitaires et de parrainage dans le budget de France 3 à 31 % des recettes de la chaîne contre 19 % en 1993.

En ce qui concerne les charges, France 3 ne devra réaliser que 25 millions de francs d'économies.

Outre un abaissement de ses charges de diffusion de l'ordre de 10 millions de francs sur un total de 550 millions de francs, France 3 devra rationaliser sa filière de production afin de dégager une économie d'un montant de 15 millions de francs.

La chaîne bénéficiera en outre d'une enveloppe de 20 millions de francs pour financer son entrée dans la diffusion numérique.

b) Quelques questions

Les prévisions budgétaires de France 2 et France 3 pour 1997 soulèvent quelques questions de fond :

- on ne peut que craindre que les objectifs de recettes publicitaires assignés aux deux chaînes ne soient difficiles à atteindre compte tenu de l'amorce d'un ralentissement du marché publicitaire que l'on constate aujourd'hui, compte tenu aussi des conséquences pour le secteur public de la possibilité accordée en juillet dernier à TF1 de diffuser deux minutes de publicité supplémentaire au cours des films. Cet état de fait que le CSA n'a pas su empêcher n'atteint pas seulement la presse écrite mais aussi le secteur public avec une incidence évaluée à 200 millions de francs par M. Xavier Gouyou-Beauchamps, si ce nouveau régime entre en vigueur en avril 1997 comme il est prévu.

Il faut aussi observer, en ce qui concerne France 3, dont les objectifs publicitaires sont les plus ambitieux, un début de tassement de l'audience réalisée sur certains créneaux, qui pourrait accentuer la difficulté d'exécuter le budget prévisionnel présenté au Parlement. Rappelons en effet que France 3 a enregistré au cours de l'année 1995 une augmentation importante de sa part d'audience, qui est passée de 15,7% en moyenne en 1994 à 17,6% en moyenne sur 1995. On ne peut cependant extrapoler sur ces bases jusqu'en 1997. La chaîne a conservé une bonne position au premier semestre 1996 avec des points forts comme « Thalassa » et « Faut pas rêver » ; les actualités régionales de 19 h 10 - 19 h 30, qui remportaient 46,6 % des parts de marché sur le dernier quadrimestre 1995, ont perdu 7 points de part d'audience de janvier à juin 1996, tandis que l'émission « Les titres » et le jeu musical « Fa si la chanter » connaissaient une perte de vitesse sur la même période.

Si ces différents éléments se conjuguent pour démentir l'optimisme des objectifs de recettes publicitaires, quel cours la gestion budgétaire, spécialement celle de France 3 suivra-t-elle ? Comment les ajustements nécessaires seront-ils opérés ?

- N'est-il pas par ailleurs inopportun de fixer aux chaînes publiques des objectifs publicitaires aussi ambitieux alors que la presse, toujours largement dépendante des investissements publicitaires, en reçoit une part continuellement décroissante ? Les différentes autorités intéressées ont manifesté leur préoccupation : M. Philippe Douste-Blazy a proposé à la presse une réflexion d'ensemble, et M. Hervé Bourges lui a proposé la mise en place d'un observatoire commun. L'absence de propositions concrètes à ce stade laisse cependant mal augurer de l'évolution de ce dossier.

- La dernière question à résoudre intéresse les conséquences des choix budgétaires sur la programmation. Il convient d'insister sur ce point fondamental du point de vue de l'exécution par les chaînes publiques de leur mission d'intérêt général. On admet généralement que la hausse des recettes publicitaires passe par la recherche d'un meilleur taux d'audience et provoque la dégradation de la qualité des programmes. L'exemple de France 3 relativise cette analyse dans la mesure où la part des recettes publicitaires de la chaîne a augmenté de 19% à 28% entre 1993 et 1995 sans que la qualité de la programmation en soit affectée.

Pour mettre en jeu des interrelations plus complexes, le problème du lien entre la programmation et le niveau des recettes publicitaires ne s'en pose pas moins avec acuité.

Il existe pour la télévision comme en macro-économie une sorte de « triangle magique » à trois variables rétroagissant l'une sur l'autre dans des conditions que tout l'art du président de chaîne est de maîtriser en fonction du but à atteindre. Ces variables sont l'audience (dont les recettes publicitaires dépendent), le coût de la grille des programmes, l'orientation de la grille des programmes. On ne peut analyser les implications de l'augmentation des objectifs publicitaires sur la programmation sans prendre en compte le coût de la grille.

Ainsi considère-t-on que sur France 3 une diminution de 70 millions de francs du coût de la grille (hypothèse d'école) provoquerait, à nature de programme inchangée, des pertes d'audience aboutissant à la diminution des recettes publicitaires de 280 millions de francs. En agissant sur la nature des programmes, sans modifier le coût de la grille, on obtient d'autres résultats en termes d'audience et de publicité.

C'est à ce type de problème que les dirigeants de France Télévision sont actuellement confrontés avec un projet de budget qui, sur France 3, prévoit des recettes publicitaires sans doute surévaluées mais sans grandes conséquences sur la ligne éditoriale puisque le budget des programmes n'est pas substantiellement touché 1 ( * ) , alors qu'en revanche, le budget de France 2, tout en reposant aussi sur une augmentation sensible des recettes publicitaires, comprend une économie de 203 millions de francs sur les programmes. Il apparaît en théorie tout à fait possible de diminuer le coût de la grille des programmes tout en augmentant l'audience et les recettes de publicité, mais en modifiant sensiblement la grille des programmes de façon à la rapprocher de celle de TF1.

Est-il possible de prévenir cette perspective en effectuant l'économie de 205 millions de francs sans toucher le coeur de la grille des programmes ? La révision des contrats des animateurs producteurs n'a permis de dégager que 70 millions de francs pour 1997 2 ( * ) . La seconde source d'économies serait une meilleure gestion des stocks de programme et de droits audiovisuels. Le rapport Bloch-Lainé a mis en effet l'accent sur les dépréciations comptables excessives (6 % du coût de la grille) qui résultent de l'acquisition par France 2 de programmes jamais diffusés. Des efforts doivent certes être réalisés pour rationaliser la politique d'achat et de diffusion de programmes de stock, mais il apparaît manifestement illusoire d'espérer en tirer l'économie de 60 millions de francs préconisée en 1997 sachant que la politique des programmes ne peut être infléchie que progressivement, sachant aussi que tous les diffuseurs connaissent le problème de la dépréciation comptable des programmes non diffusés ou non rediffusés, dans des proportions équivalentes à celles de France 2 en ce qui concerne TF1.

France 2 travaille en ce moment sur des hypothèses d'économies n'affectant pas trop le coût de la grille des programmes, permettant de réaliser les recettes publicitaires fixées et limitant le probable déficit du budget de 1997. Dans quelles conditions, en vue de quels objectifs ?

En attendant de constater de visu les résultats des réflexions des dirigeants de France 2, votre rapporteur ne peut que noter, et regretter, le hiatus qui existe manifestement entre ce qui est demandé à la chaîne et ce qu'il lui est possible de réaliser, l'indifférence ou la méconnaissance que cette situation paraît traduire de la part de l'État, les conséquences qui en découleront inévitablement : ajustements comptables approximatifs, évolution aléatoire de la ligne éditoriale, abandon aux dirigeants de France Télévision de l'initiative sur des questions qui mettent en cause la politique de l'audiovisuel public et l'exécution de ses missions.

2. Arte et La Cinquième

Il ne paraît pas illogique de traiter ensemble d'Arte et de la La Cinquième, promises à la fusion dans les prochains mois et invitées à réaliser dans ce cadre une économie de 142,2 millions de francs dès 1997. Sur ce montant, le budget de la La Cinquième supporterait 76,4 millions de francs, ce qui représente 9,5 % de son budget de 1996, et la Sept-Arte supporterait 65,8 millions de francs, soit 6,6 % de son budget 1996.

La disproportion de la charge supportée par chaque chaîne peut surprendre, compte tenu de la gestion « vertueuse » que le rapport Bloch-Lainé reconnaît à la La Cinquième : la chaîne a fait mieux que tenir ses budgets prévisionnels grâce à la multiplicité des partenaires contactés pour assurer la fabrication des programmes et grâce à la stricte limitation des risques pris sur les volumes commandés (aucun contrat ne dépasse l'échéance d'une grille), ce qui permet d'éviter les dépréciations comptables de stocks de programmes reprochées à France Télévision.

La Cinquième apparaît ainsi dans une certaine mesure victime de sa rigueur, mais la Sept-Arte n'a-t-elle pas été antérieurement victime d'une diminution (16 % de 1993 à 1996) de son budget de programmes ? Cette évolution a réduit excessivement le stock des programmes, comme le relève le rapport Bloch-Lainé en notant que la valeur du stock de programmes à l'actif du bilan s'établit à 378 millions de francs à la fin de 1995 contre 471 millions de francs à la fin 1992.

Il est apparu difficile de faire subir à Arte un effort d'économies accentué, certaines pistes suggérées par le rapport Bloch-Lainé n'ayant pas été jugées suffisamment productives (malgré des taux de rediffusion élevés, 50 % pour la fiction, 30 % pour les spectacles et documentaires, 15 % pour les soirées thématiques, la chaîne est loin d'utiliser l'intégralité de ses droits de diffusion, relève le rapport).

Le programme d'économies prévoit en outre l'arrêt de la diffusion des deux chaînes sur le satellite Eutelsat, pour un gain de 14,2 millions de francs et la suspension de l'extension du cinquième réseau hertzien pour un gain de 10 millions de francs. Votre rapporteur note à cet égard que l'achèvement de la couverture du territoire par ce réseau représenterait de tels coûts d'investissement que l'excellent argument de l'égalité devant la diffusion hertzienne ne paraît pas devoir être retenu dans l'état actuel des finances publiques. Le coût moyen des extensions est en effet croissant dans la mesure où la population desservie par chaque nouvel émetteur est de plus en plus faible. Le taux de couverture du cinquième réseau restera donc pour le moment fixé à 86 % de la population.

Il convient de citer enfin une économie de 6 millions de francs pour la Sept-Arte et de 4 millions de francs pour La Cinquième, demandée sur les frais de structure des présidences et des services de communication.

Le rapport Bloch-Lainé présente de cette économie légère mais morale une justification éclairante : « Tant pour La Cinquième que pour l'ensemble Arte/Sept, c'est une personne sur cinq qui, au sein de la chaîne, travaille soit à la présidence, soit à la direction de la communication. Les effectifs des présidences comprennent d'ailleurs pour ces deux antennes des chefs de cabinet, ce qui paraît relativement étonnant pour des unités qui comprennent moins de 250 personnes. Les budgets consacrés à la communication sont élevés, tant en moyens humains (plus de 40 personnes pour la Sept plus Arte) que financiers : La Cinquième et la Sept/Arte réunies dépensent plus que France Télévision en actions de communication et relations publiques, alors que leur budget total est cinq fois plus faible. Ce déséquilibre peut en partie s'expliquer par des dépenses de lancement pour La Cinquième ou par la faible audience d'Arte, qui l'oblige à acheter des espaces publicitaires pour promouvoir ses émissions. Mais il ne peut guère se justifier dans des proportions aussi élevées. »

Dans ces conditions, les budgets fonctionnels des deux organismes seront établis en 1997 comme le montrent les tableaux suivants :

SOCIÉTÉ NATIONALE DE PROGRAMME LA CINQUIÈME

(en millions de francs hors TVA)

SEPT-ARTE

3. Radio-France

Le budget de Radio-France devrait passer de 2 milliards 646 millions de francs dans la loi de finances pour 1996 à 2 milliards 684 millions de francs en 1997, les ressources publiques augmentant de 2 milliards 466 millions de francs à 2 milliards 491 millions de francs.

La station est bénéficiaire d'une des rares mesures nouvelles du budget de 1997 : 15 millions de francs destinés à permettre le lancement d'une radio pour la jeunesse. Ce montant est jugé notoirement insuffisant pour un projet dont le coût en année pleine se situerait aux alentours de 40 millions de francs. Il convient cependant de l'apprécier au regard d'un jugement porté par le rapport Bloch-Lainé sur le fonctionnement de la radio publique : « les principales initiatives innovantes de Radio-France - radios locales ; Radio-bleue ; France Info - qu'il ne s'agit pas de dénigrer, ont été plaquées sur l'existant, sans réévaluation ou remise en cause de la trajectoire générale de l'ensemble. Personne ne s'est risqué à définir la vocation de France Culture, à envisager l'éventuel réaménagement de son format d'antenne. La direction générale et les directeurs centraux tiennent pour acquis, intangible, le fait de s'abstenir d'exercer toute autorité sur les directeurs de chaînes s'agissant des objectifs d'audience et des programmes diffusés. »

Si ce commentaire n'est peut-être pas entièrement justifié à l'égard de France-Info, créé en 1987 grâce aux moyens dégagés par la suppression de Radio 7, première station publique destinée aux jeunes, il convient d'en retenir une judicieuse invitation, entérinée par les choix budgétaires du Gouvernement, au renouvellement de Radio-France dans une continuité bien comprise.

Ce renouvellement doit-il obligatoirement passer par la création d'une nouvelle chaîne thématique ? Les remarques présentées dans le rapport Bloch-Lainé incitent à s'interroger sur l'opportunité d'opérer le rajeunissement, nécessaire il est vrai, de Radio-France, par l'adaptation des programmes de France Inter. Il conviendrait à tout le moins que cette possibilité reste explorée. Au demeurant, si le groupe Radio-France s'étend, n'aurait-il pas été tout aussi souhaitable de créer une radio musicale francophone axée sur la recherche et la promotion des jeunes talents ?

Il faut noter par ailleurs qu'une économie de 40 millions de francs a été demandée à Radio France par l'abandon de la diffusion en ondes moyennes. Outre le fait que l'opération coûtera en 1997 à la station un dédit de 60 à 70 millions de francs versé à TDF en contrepartie de la rupture du contrat de diffusion en ondes moyennes et de la perte des investissements réalisés ces dernières années afin d'améliorer celle-ci, l'abandon de la diffusion en ondes moyennes privera certaines zones périphériques, dont la Côte-d'Azur, non couvertes par la diffusion en ondes longues, des programmes de France-Inter non disponibles localement en modulation de fréquence.

II. LA TUTELLE DES ORGANISMES DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC

A. UN CAS D'ÉCOLE

1. L'affaire des contrats des animateurs producteurs

Qualifiée de « dérive exacerbée » par le rapport d'étape de la mission d'audit de l'audiovisuel public publié le 31 mai 1996 sous la direction de l'inspecteur général des finances Jean-Michel Bloch-Lainé, l'affaire des contrats des animateurs producteurs de France Télévision est riche d'enseignements sur le fonctionnement du groupe et n'accuse le trait que pour mieux dévoiler la fruste logique qui préside trop souvent à la marche de la télévision publique. En ce sens, il convient de considérer cette affaire comme un cas d'école et d'en tirer, au-delà de la remise en ordre effectuée depuis l'été, des leçons utiles pour l'avenir.

Il est intéressant de présenter brièvement l'affaire des contrats à partir de l'analyse qu'en a faite la mission d'audit.

« On a offert à certains professionnels (qui n'imaginaient sans doute pas que la négociation serait aussi facile) l'occasion de réaliser des « profits d'aubaine » ; l'occasion, en deux ou trois ans, de faire fortune, de parfaire leur apprentissage professionnel de grandes vedettes sans obligations de résultats, de se créer une notoriété et d'accroître fortement les valeurs d'actif de leurs sociétés. On note que dans l'ordre de l'empressement et de l'avidité, ils ne se sont pas tous comportés de la même façon.

La lecture de plusieurs des contrats donne l'impression que la démarche a consisté à déterminer, en premier lieu, des chiffres d'affaires garantis et à usiner, ensuite, des conventions permettant d'atteindre les chiffres globaux d'objectifs promis.

Les contrats examinés comportent -inégalement- les anomalies suivantes : coûts démesurés ; facilités (avances ; modalités de paiement) inhabituelles : engagements trop longs ; indifférence à l'égard des prix de revient ; absence d'obligations de résultats ; clauses de résiliation et clauses pénales confondues et déséquilibrées ; recours injustifié au mécanisme de l'achat de droits ; contournent, neutralisation autocratiques des procédures normales en vigueur à France 2 et France 3. »

Le rapport de la mission d'audit évoque, parmi les causes de cette affaire, « l'émulation obsessionnelle de la présidence commune et de France 2 vis-à-vis de la première chaîne », l'objectif majeur étant en 1994 et certainement avant, votre rapporteur croit bon de le préciser, de faire passer l'audience de France Télévision avant celle de TF1. De fait, les responsables de France Télévision ont rarement manqué de se prévaloir, lors de leurs auditions régulières par votre commission des affaires culturelles, des résultats d'audience des deux chaînes. Le 6 décembre 1995, M. Jean-Pierre Elkabbach notait ainsi, en introduction d'un exposé sur la situation de France Télévision, que les chaînes attiraient 42 % des téléspectateurs en moyenne, audience s'élevant aux alentours de 15 % lors de la diffusion de productions françaises telles que « l'instit ». Il précisait que France 2 avait stabilisé son audience et que France 3 « marquait des points ».

Plus clairement encore, dans son audition du 14 mai 1996 devant les commissions des affaires culturelles et des finances, M. Jean-Pierre Elkabbach resituant les contrats des animateurs producteurs dans la stratégie globale France Télévision, notait que celle-ci avait, depuis 1994, brisé l'hégémonie de TF1 en passant de 37 à 41 % de parts de marchés, et estimait que le succès des émissions populaires permettaient d'attirer un très large public sur des programmes plus ambitieux et plus exigeants qui ne connaîtraient pas une aussi large audience s'ils étaient diffusés sur une chaîne exclusivement culturelle.

Ces propos résument bien l'idée directrice d'une stratégie de concurrence avec le secteur commercial, dont les méthodes ont provoqué la crise du printemps dernier.

Par quels détours, la poursuite de ces objectifs a-t-elle conduit à de tels résultats ?

Le rapport d'étape de la mission d'audit estime qu' « il y a eu volonté méthodique délibérée de quelques personnes de la présidence commune de négocier et signer certains contrats, de ne pas consulter les services juridiques des chaînes, d'en confier l'établissement à un consultant extérieur, de contourner, dans la discrétion, les circuits et procédés normaux. Les contrats n'ont été portés à la connaissance de l'ensemble de l'état major de la présidence commune qu'après avoir été décidés en fait. Ils n'ont été portés à la connaissance des mandataires sociaux des deux chaînes qu'après décision (très longtemps après pour France 3). »

Et encore :

« C'est après signature que certains de ces contrats --les plus problématiques-- ont été transmis, via la direction des finances et du contrôle de gestion, à la direction de la production de France 2. »

2. Un incident de parcours ?

Le rapport d'étape estime que France 2 et France 3 sont des entreprises « très sérieusement gérées ».

Le rapport final de la mission d'audit constate aussi, à quelques réserves près, la bonne maîtrise des coûts et le caractère performant des outils de gestion de France 2 et France 3.

Auditionné par votre commission le 26 juin dernier, M. Xavier Gouyou-Beauchamps, nouveau président de France-Télévision, jugeait de son côté bien établies les procédures de décision propres à chaque entreprise, notait qu'un principe de double signature était en vigueur à France 2 et à France 3 et précisait que le nombre des signatures nécessaires avant la présentation d'un dossier au directeur général pouvait s'élever jusqu'à neuf ou dix.

Dans ces conditions, les circuits normaux de décision rétablis, faut-il considérer l'affaire des contrats comme un incident de parcours dépourvu de signification profonde ?

Votre rapporteur ne le croit pas. Cette affaire illustre l'inefficacité du contrôle de la gestion des présidents, maladie endémique du secteur public dans son ensemble, que l'arrivée à France Télévision d'une équipe dirigeante soucieuse du respect des procédures ne permet pas de considérer comme éradiquée. C'est la faiblesse du contrôle de tutelle des sociétés qui a permis les « dérives exacerbées » analysées dans le rapport Bloch-Lainé. C'est avec le renforcement des contrôles, dont le préalable est une claire définition des missions et des objectifs des organismes de l'audiovisuel public, que l'on peut espérer prévenir le renouvellement des dérives sous une forme ou sous une autre.

B. LES LACUNES DE LA TUTELLE

1. Légitimité de l'exercice de la tutelle

Il est difficile d'aborder le problème du contrôle sans évoquer au préalable les problèmes que pose, dans les entreprises publiques, l'équilibre entre l'autonomie de gestion reconnue aux dirigeants à des fins d'efficacité et la tutelle.

S'il est difficile de définir l'équilibre souhaitable entre autonomie de gestion et contrôle dans le cas des entreprises publiques fonctionnant en régime concurrentiel et ne poursuivant pas d'objectif de service public, la situation est profondément différente en ce qui concerne l'audiovisuel public dont la logique de fonctionnement est tout à fait différente.

Les dispositions de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication éclairent cette spécificité :

- le Parlement autorise chaque année la perception de la redevance et approuve la répartition de son produit entre les sociétés nationales de programmes et l'Institut national de l'audiovisuel et de Télédiffusion de France (auxquels s'ajoutent la Sept-Arte et la Cinquième) ;

- le Parlement approuve les prévisions de recettes publicitaires ;

- la répartition de la redevance est consentie au vu du projet de budget de chaque organisme, de l'évolution de ses activités et de ses ressources propres, de son effort en faveur de la création, de ses obligations de service public.

D'une part les ressources, y compris publicitaires, des sociétés de l'audiovisuel public sont fixées par la puissance publique et d'autre part il est fait clairement mention des obligations de service public qui leur incombent.

Dans ces conditions, les organismes de l'audiovisuel public apparaissent pour le moins comme des entreprises d'un type particulier.

Quelles que soient les contraintes que le contexte extrêmement concurrentiel du secteur audiovisuel et la part croissante du financement publicitaire font peser sur elles, le principe d'autonomie de gestion ne peut ainsi recevoir dans leur cas qu'une interprétation restrictive.

Financées selon des modalités fixées par le Parlement, larges consommatrices des deniers publics, les sociétés de l'audiovisuel public ne sauraient être dispensées des procédures qui garantissent le bon emploi de l'argent public. Ces contraintes peuvent sembler inadéquates dans un secteur où la « réactivité », la capacité de décision rapide, peut apparaître comme un facteur d'efficacité. Bien au contraire, et l'affaire des contrats vient de le démontrer, l'audiovisuel public, qui n'est pas soumis aux mêmes contraintes de rentabilité que le privé, à la même pression de la part de son actionnaire, et dont les dirigeants sont largement irresponsables, au sens institutionnel du terme, ne peut sans graves dommages s'affranchir des contraintes inhérentes à sa propre logique de fonctionnement.

Le rapport Bloch-Lainé plaide en ce sens : « l'apanage du secteur public -grâce à la sécurité que lui confère la redevance- est de disposer du temps ; de pouvoir adopter une cadence plus lente, afin d'apprivoiser, d'initier, d'intéresser, de convaincre, de fidéliser. Davantage que le secteur privé, il lui est loisible d'expérimenter, d'investir, d'inventer, en vue de donner envie, à la longue. »

Travailler dans la durée est une des pierres de touche du secteur public, insiste le rapport : « La redevance, répétons-le, confère au secteur public une maîtrise du temps mieux assise que celle dont dispose le secteur privé.

Dans notre société, le changement, la nouveauté sont des valeurs demandées. Mais il y a aussi un fort besoin, un cruel déficit de permanence, de points de repères stables, d'intangibilité, de respiration. Il y a un fort besoin d'accoutumance, d'apprentissage, de mise en confiance, d'accession à autre chose que les paillettes, le voyeurisme, l'ersatz de « débats de société » et la démagogie. Faire progresser les audiences sur des programmes de divertissement et de culture de qualité, sans céder aux modes d'une saison, ce pourrait être une des pierres de touche du secteur public. »

Ces différents éléments de réflexion apportent un premier éclairage sur la spécificité des organismes publics au sein du secteur audiovisuel. Cette spécificité devrait culminer dans la définition des missions et des objectifs des chaînes. L'examen du fonctionnement de France Télévision montre l'existence, à cet égard, de lacunes qui expliquent largement des dérives comme celles qu'illustre l'affaire des contrats des animateurs-producteurs.

2. Point de repères

a) L'insuffisante identification des missions et des objectifs

Les cahiers des missions et des charges de France 2 et de France 3, ambigus et parfois contradictoires, présentent des formulations trop générales pour constituer de véritables axes d'actions. Il est de fait que le préambule commun aux deux cahiers énonce une série assez peu opérationnelle de principes généraux : rassembler le public le plus large, apporter au public information, enrichissement culturel et divertissement, aborder tous les genres, proposer une programmation particulièrement riche et diversifiée dans le domaine culturel et à l'intention de la jeunesse, porter systématiquement attention à l'écriture... En outre, France 2 doit offrir une gamme diversifiée et équilibrée de programmes tandis que France 3 doit affirmer sa vocation particulière de chaîne régionale et locale en fonction d'une liste extrêmement fournie, une nouvelle fois, de propositions : privilégier l'information décentralisée, accorder une place importante aux journaux régionaux d'information, faire connaître les régions de France et d'Europe ...

Comme le relève avec une ironie appuyée le rapport final de la mission d'audit à propos du cahier des charges de La Cinquième, « soit ; et puis quoi encore ? Pourquoi pas, au-delà de la paix civile en Europe, réaliser la paix du monde ? »

Des contrats d'objectifs pourraient transformer en orientations concrètes ce que les cahiers des charges ont d'excessivement littéraire. La loi du 17 janvier 1989 prévoyait en son article 21 la faculté, pour l'État et les organismes de l'audiovisuel public, de conclure de tels contrats annuels ou pluriannuels. L'expérience a été tentée pendant la période 1990-1992. Mais, comme le relève un rapport de la Cour des comptes sur les comptes et la gestion d'Antenne 2 (1985-1989 avec actualisation à 1990) : « le contrat d'objectifs paraît être d'un intérêt limité. En effet, il ne définit que des orientations stratégiques vagues, ne prévoit aucune sanction, ne comporte que des clauses très sommaires sur la gestion (productivité, effectifs, modernisation), mentionne des indicateurs peu nombreux et peu contraignants (« faire, en 1992, au moins aussi bien qu'en 1989 »), garde le silence sur les moyens, notamment financiers, à mettre en oeuvre : l'absence de signature de ce document par le ministre des Finances est, à ce dernier égard, significatif. Le contrat ne renforce pas l'autonomie de l'entreprise et n'incite guère ses dirigeants à moderniser leur gestion. Tout au plus reflète-t-il un consensus sur les objectifs les moins contestables »...

L'utilité potentielle des contrats d'objectifs comme instruments d'orientation de l'audiovisuel public fait pourtant l'objet d'une remarquable unanimité. Dans son rapport publié en septembre 1993, la commission sur l'avenir de la télévision publique, présidée par M. Jacques Campet, préconise, avec l'élagage des cahiers des charges, la conclusion de contrats d'objectifs soumis à renouvellement périodique selon des modalités que votre rapporteur rappellera ci-dessous.

Si l'on quitte les textes pour examiner la pratique, les cas symptomatiques de l' » absence » de l'État ne manquent pas. Les conditions de l'engagement de France Télévision dans la diffusion satellitaire numérique, avec le lancement du bouquet satellitaire numérique TPS, illustrent ainsi de façon moins « dramatique » mais plus inquiétante que l'affaire des contrats, car il s'agit de la stratégie à long terme d'évolution de l'audiovisuel public, la difficulté qu'éprouve l'État à assumer ses responsabilités. Cette affaire a été engagée et continue d'évoluer sans que soient clairement posés et résolus par les autorités compétentes un certain nombre de problèmes cruciaux : les engagements financiers que l'État est disposé à assumer pour assurer le lancement du bouquet, l'opportunité de créer des chaînes thématiques susceptibles d'entrer dans sa composition, la gratuité de l'accès au numérique public ou le recours à l'abonnement, les modalités d'établissement de partenariats avec des diffuseurs ou éditeurs de programmes privés, les domaines dans lesquels la création de chaînes thématiques publiques peut être légitimement envisagée, le choix des systèmes de décodage.

Or, il faut constater l'obscurité des critères qui ont présidé à la décision de faire participer France Télévision au bouquet satellitaire TPS. Les déclarations ne font pas défaut, mais leur caractère lacunaire et contradictoire surprend.

M. Elkabbach a indiqué, lors de sa dernière audition, par votre commission, en mai dernier, que l'engagement de France Télévision sur le marché des nouvelles technologies de l'audiovisuel était conforme à sa mission et que la présence de France Télévision à hauteur de 25 % au capital de la société TPS permettrait au secteur public de peser sur les choix stratégiques de ce bouquet numérique. L'explication paraît courte compte tenu des enjeux financiers de la démarche.

Un peu plus tard, à la fin de juillet dernier, le rapport d'audit de M. Bloch-Lainé, notant que les pouvoirs publics n'avaient pas encore annoncé le cap, et que les chaînes publiques, en attendant des consignes plus claires, avaient abordé le problème en ordre dispersé, approuvait néanmoins cette démarche comme s'inscrivant dans une logique d'entreprise, sans s'inquiéter cependant de la possibilité d'articuler la « logique d'entreprise » dont on ne trouve la définition dans aucun document officiel applicable à France Télévision, avec les missions de service public des chaînes.

Entre-temps, le nouveau président de France Télévision avait réduit la part du groupe dans TPS à 8,5 % tout en maintenant la décision d'apporter au bouquet plusieurs programmes thématiques en cours de constitution. Pour M. Xavier Gouyou-Beauchamps, c'est le postulat de l'utilité de l'offre audiovisuelle publique qui justifie sa présence sur les supports numériques. Cette explication est plus précise que celle de son prédécesseur, mais n'implique pas forcément la participation de France Télévision au capital d'un opérateur de bouquet.

Autre auteur, autre explication, une annexe du rapport Bloch-Lainé estime que si elles ne sont pas présentes sur les bons supports aux meilleures conditions technologiques du moment, les chaînes publiques perdront progressivement leur légitimité et qu'en outre, l'État a pour mission de « montrer la voie, s'agissant de technologies nouvelles susceptibles d'avoir un tel impact sur les comportements audiovisuels. »

L'État est enfin évoqué, une mission lui est assignée par un des auteurs du rapport Bloch-Lainé. Il surgit ainsi dans le dossier TPS par un chemin de traverse alors que l'on aurait été en droit de l'attendre, l'État actionnaire, au point de départ de l'affaire pour en identifier les objectifs, en délimiter les conditions, en garantir le financement. Rien de tel, au contraire, les initiatives menant à une nouvelle diversification du secteur public de l'audiovisuel paraissent abandonnées à la sagacité aléatoire des dirigeants successifs de France Télévision.

Que conclure de ces développements ? Il paraît établi qu'en l'absence d'un énoncé suffisamment explicite de ses missions et de ses objectifs, l'audiovisuel public fait figure de « bateau ivre » dérivant ou tenant un cap arbitraire au gré de l'inspiration de ses dirigeants. Ce n'est assurément pas le meilleur moyen de le préparer à affronter les bouleversements qui se profilent. Quand des centaines de chaînes numériques seront proposées gratuitement aux téléspectateurs, seule l'existence d'une mission d'intérêt général bien définie justifiera le maintien d'un secteur public fort et son financement par la redevance. Il importe que l'État se préoccupe de définir cette mission et se donne les moyens d'en contrôler l'exécution.

b) L'insuffisance des contrôles

Le fonctionnement du contrôle constitue le second volet de la problématique des relations entre les chaînes et leur actionnaire.

L'affaire des contrats des producteurs-animateurs n'a pas démenti, c'est le moins que l'on puisse dire, l'adage selon lequel trop de contrôles tuent le contrôle ni le traditionnel diagnostic d'inefficacité porté sur le contrôle étatique des entreprises publiques.

- les conseils d'administration

Dans son audition du 26 juin 1996, M. Xavier Gouyou-Beauchamps qualifiait les conseils d'administration d'organes principaux des sociétés, dont le président n'est que le délégué. Ils font en fait surtout figure d'organes de contrôle du président, sans qu'on leur reconnaisse habituellement une grande efficacité dans ce rôle. Le rapport sur le Crédit lyonnais que l'Assemblée nationale publiait en juillet 1994, au moment où certains des contrats les plus généreux étaient conclus par France Télévision, présente à cet égard une analyse pessimiste aisément transposable aux autres entreprises publiques, spécialement celles de l'audiovisuel :

« A l'instar de celui de l'ensemble des entreprises du secteur public concurrentiel, le conseil d'administration du Crédit lyonnais est une étrange chimère résultant de la combinaison des dispositions de la loi sur les sociétés de 1966 et de la loi de démocratisation du secteur public de 1983. (...) L'impression d'ensemble qui se dégage de l'examen systématique des travaux du conseil d'administration du Crédit lyonnais, est qu'il a globalement fait preuve de passivité et d'une étrange absence de curiosité. Cette impression a été confirmée par le témoignage de certains de ses membres devant la Commission. L'un d'entre eux l'a qualifié de lieu d'enregistrement de décisions prises ailleurs. (...) Un premier élément d'explication de cette attitude résulte du statut atypique de ce conseil. Dans le droit des sociétés, l'équilibre des pouvoirs est organisé au sein du conseil d'administration selon deux principes simples : le président détient l'essentiel des pouvoirs, mais il est désigné par le conseil devant lequel il est responsable. Dans le cas présent, seul le premier principe subsiste. Le président exerce la réalité du pouvoir mais, et c'est tout à fait essentiel, il est nommé et révoqué par décret. »

On peut appliquer cette analyse au fonctionnement des conseils d'administration de France 2 et France 3 à la différence près que le président commun est désigné par le CSA, ce qui ajoute un facteur de complexité supplémentaire à la chaîne du contrôle tout en renforçant la position du président vis-à-vis des conseils d'administration.

Les pouvoirs de ceux-ci sont en théorie importants.

Les statuts de chaque chaîne (article 17 pour France 2 et article 16 pour France 3) prévoient que les conseils définissent les lignes générales de l'action de chaque société dans le respect des cahiers des charges et approuvent en particulier l'orientation générale des programmes, le programme d'investissements, l'état prévisionnel des recettes et des dépenses d'exploitation et d'investissement, les prises, extensions et cessions de participations financières et, sous réserve des délégations qu'ils consentent au président, les conditions générales de passation des contrats, conventions et marchés.

Les cahiers des charges prévoient de leur côté que les conseils d'administration sont régulièrement consultés sur la politique de programmation et sur les modifications substantielles de la grille des programmes (article 21 du cahier de France 2 et 22 de celui de France 3), sont informés des contrats pluriannuels passés avec les organismes sportifs (article 30 du cahier de France 2 et 32 de celui de France 3), reçoivent des comptes rendus réguliers des contrats pluriannuels passés avec les producteurs indépendants (article 34 du cahier de France 2 et 36 de celui de France 3), ainsi que de l'utilisation des moyens propres de production (article 33 du cahier des charges de France 2 et 35 de celui de France 3).

Il apparaît que malgré ces amples pouvoirs, les conseils d'administration encadrent peu l'action du président : l'annexe 4 du rapport de la mission Bloch-Lainé estime que « le conseil d'administration est une simple chambre d'enregistrement », précise que « le conseil d'administration a délégué l'ensemble de ses pouvoirs au président lors des premiers conseils à l'arrivée de M. Jean-Pierre Elkabbach. Notons que cette délégation est identique à celle de ses prédécesseurs et à celle dont bénéficient les présidents des autres organismes du secteur public », et cite les procès-verbaux du conseil d'administration du 7 janvier 1994 : « En application de l'article 17 des statuts de la société, le conseil d'administration de la Société nationale de télévision France 2, réuni le 7 janvier 1994, confère à son président, M. Jean-Pierre Elkabbach, spécialement de façon énonciative et non limitative, les pouvoirs suivants : conclure, modifier et résilier tous contrats, conventions et accords relatifs à l'élaboration et à la fabrication des programmes notamment ceux qui ont trait à la production, la coproduction, la commande d'émissions, la fourniture de prestations et l'achat de films ou d'émissions et ce, sans limitation de montant : passer tous marchés de travaux, fournitures et services sans limitation de montant. »

Partant de telles prémices, il était naturel que les conseils d'administration ne manifestent pas un activisme particulier dans l'exercice de leur tâche de contrôle, à l'égard des contrats des animateurs-producteurs.

Dans son audition du 26 juin dernier par votre commission, M. Xavier Gouyou-Beauchamps relevait ainsi que le cahier des charges de chaque chaîne imposait d'informer le conseil d'administration des contrats pluriannuels conclus avec des producteurs indépendants, ce qui n'avait pas été fait à France 2 et ce qui s'était traduit par une information sommaire du conseil d'administration de France 3.

M. Xavier Gouyou-Beauchamps concluait que le président pouvait utiliser ses pouvoirs dans des conditions ne permettant pas l'exercice du contrôle normal des conseils d'administration.

Quelles leçons tirer de ces constatations ?

Le rapport final de la mission d'audit demande un renforcement des pouvoirs du conseil d'administration en marquant une préférence pour des modalités de contrôle ne dépossédant pas le président de toute marge de manoeuvre : « il semble préférable que le conseil d'administration fixe au président de manière plus précise que par des axes stratégiques très vagues, une sorte de mandat d'action ou de négociation pour chacun de ses domaines d'activité. C'est ensuite de la mise en oeuvre de ce mandat que le président devrait rendre compte aussi rapidement et fréquemment que possible à son conseil ».

De son côté, le rapport d'étape, un peu plus directif, tout en notant la nécessité de ne pas enserrer les sociétés publiques dans des procédures paralysantes, suggère de renforcer le rôle des conseils d'administration en créant en leur sein un comité financier restreint qui serait associé à l'élaboration des accords, conventions et contrats d'un montant supérieur à 10 millions de francs, et propose de renforcer le rôle du contrôle d'État sans étendre le champ des questions soumises au contrôle préalable.

Aucun de ces documents ne pose cependant la question de la crédibilité d'un renforcement des pouvoirs de contrôle des conseils d'administration disjoint du nécessaire travail préalable de définition des missions et d'identification des objectifs des organismes publics à l'aube de l'ère numérique.

Cette question n'est pas sans portée pratique. Pour reprendre le cas des contrats des animateurs-producteurs, en vertu de quel critère des conseils d'administration bien informés du contenu des contrats et dotés de pouvoirs renforcés auraient-ils jugé inopportunes les conditions consenties aux cocontractants des chaînes ? Si l'objectif légitime était de rattraper TF1 en termes d'audience, les contrats n'étaient pas indéfendables.

Or l'ambiguïté qui pèse sur les missions et les objectifs des organismes audiovisuels publics ne permettait pas, et ne permet toujours pas aux conseils d'administration d'apprécier la légitimité des stratégies définies par les présidents.

Votre rapporteur est conscient de la difficulté d'identifier ces critères dans des cahiers des charges moins verbeux et dans des contrats d'objectifs véritablement opérationnels. L'effort doit néanmoins être fait.

- le contrôle économique et financier

Il est organisé par le décret du 9 août 1953 qui prévoit l'approbation préalable du ministre de l'économie et du ministre en charge du secteur pour l'adoption des budgets et comptes, les cessions prises ou extensions de participations financières, les rémunérations des dirigeants.

Des arrêtés interministériels peuvent prévoir des modalités de contrôle particulières ; c'est ainsi qu'ont été soumis au visa du contrôleur d'État les salaires, les seuils de rémunération, les indemnités de licenciement.

Par ailleurs, un décret du 26 mai 1955 dispose que le contrôle porte sur l'activité économique et la gestion financière de l'entreprise et que les contrôleurs d'État ont à cet égard tous pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place. Ils doivent faire connaître leurs avis aux ministres chargés des finances et du budget sur les projets de délibération ou de décision soumis à approbation et leur rendent compte périodiquement de leur activité par un rapport annuel sur la situation économique et financière des organismes placés sous leur contrôle.

Comme le note l'annexe 4 du rapport Bloch-Lainé dans son analyse de l'affaire des contrats, « l'actualité a montré des limitations à ces pouvoirs d'investigation ce qui correspond à une conception restrictive de son rôle. Le contrôleur d'État n'a ainsi pas eu accès aux contrats commerciaux. »

- le contrôle technique par le service juridique et technique de
l'information.

La tutelle technique est exercée par le SJTI qui coordonne la représentation de l'État dans les conseils d'administration. Les positions exprimées par les représentants de l'État sont arrêtées, le cas échéant après instruction des ministres représentés dans les conseils d'administration.

Le SJTI assure en outre le suivi de l'activité de l'administration générale et de la situation financière des organismes. Il prépare les arbitrages ministériels et interministériels et veille à leur exécution.

- Le contrôle du Parlement

Le Parlement approuve, par la loi de finances, le taux de la redevance et les crédits budgétaires alloués au secteur public audiovisuel, et prend connaissance des prévisions de ressources commerciales de chaque organisme.

Lui sont présentées à cette occasion l'allocation des ressources publiques entre les différents organismes, et les informations utiles sur la gestion, les perspectives économiques et financières et les principaux objectifs des sociétés dans le cadre de la politique gouvernementale.

La situation de l'audiovisuel du secteur public et de chaque société fait ainsi l'objet d'un débat parlementaire préparé par les rapports des rapporteurs des commissions des Finances et des Affaires Culturelles de chaque assemblée sur la base de questionnaires adressés à l'administration et ventilés en tant que de besoin entre les organismes publics concernés.

Ce contrôle n'est pas sans efficacité, puisque les informations précises sur le contenu des contrats des animateurs-producteurs, à l'origine du lancement de l'affaire, ont été diffusées dans le rapport de la commission des Finances de l'Assemblée nationale sur le projet de budget de l'audiovisuel pour 1996. Il n'est pas non plus sans difficulté puisque le rapporteur de la commission, faute de réponse précise à ses questions écrites, a dû recourir à ses pouvoirs de rapporteur spécial et procéder à une vérification sur pièce et sur place des contrats afin de prendre une connaissance exacte des montants et des dispositifs.

De façon générale, les réponses aux questionnaires des commissions parlementaires sont d'un remarquable laconisme. Votre rapporteur en donnera pour exemple la réponse transmise, pour la préparation de la présente discussion budgétaire, à une question demandant de décrire la stratégie des sociétés nationales de programmes en matière de télévision numérique :

RÉPONSE

Stratégie de France 2 et France 3

L'introduction du numérique a engagé le groupe France Télévision vers deux types de diversifications toutefois corrélées. La première porte sur sa participation à hauteur de 8 % environ dans le projet de télévision par satellite TPS, en partenariat avec France Télécom, TF1, CLT et Lyonnaise Communications. La seconde concerne le développement en partenariat de nouvelles chaînes thématiques comme Festival, Histoire, Chaîne des Régions, France Supervision, etc., celles-ci devant figurer dans l'offre finale de TPS. Les premières diffusions commerciales devraient s'effectuer à la fin de l'année 1996.

A l'image de la quasi totalité des chaînes hertziennes terrestres, la diversification du groupe vers la diffusion numérique terrestre semble exclue pour le moment, à l'exception de France 3, partenaire actif du projet d'expérimentation de diffusion MMDS dans le département de la Vienne.

Stratégie de RFO :

L'introduction du numérique à RFO a principalement porté sur le transport satellite des programmes audiovisuels à destination des DOM TOM. Progressivement depuis deux ans, RFO a généralisé la numérisation du transport quelle que soit la destination dans le monde. On peut rappeler que ce service est assuré par Télécom 2 pour le premier bond satellite, puis par Intelsat lorsque la destination nécessite un deuxième bond comme en Polynésie française.

Ces développements ne sont guère de nature à nourrir la réflexion du Parlement sur la stratégie de développement des chaînes.

- Le CSA

Le CSA ne dispose pas, à l'égard de l'audiovisuel public, de pouvoirs de régulation sensiblement différents de ceux qu'il exerce à l'égard du secteur privé.

Il est consulté sur les cahiers des charges, mais pas sur les projets de budgets des chaînes, ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de faire connaître son avis sous forme de communiqué : le communiqué n° 235 publié le 31 octobre dernier mentionnait sans aménité le point de vue du CSA sur le projet de budget de 1997.

Il dispose de quelques pouvoirs particuliers en matière de contrôle des programmes du secteur public : il garantit l'indépendance et l'impartialité de ce dernier et à cette fin, assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes et fixe les règles de la campagne officielle sur les chaînes publiques.

Le principal pouvoir dont le CSA dispose à l'égard du secteur public est lié à l'objectif d'indépendance et d'impartialité énoncé à l'article premier de la loi du 30 septembre 1986. C'est en vue de cet objectif qu'a été confié au CSA le pouvoir de nommer les présidents des sociétés nationales de programme : Radio France, France 2 et France 3, RFO, RFI (parmi les membres du conseil d'administration désignés par l'État dans ce dernier cas).

Le pouvoir de nomination est complété par un pouvoir de révocation qui appartient exclusivement au CSA.

Quelle est la portée de ces pouvoirs qui sont ceux de l'actionnaire dans le droit de l'entreprise, privée comme publique ? Leur exercice ne doit aucunement amener le CSA à se substituer à l'État dans l'exercice des autres responsabilités de l'actionnaire. L'absence d'intervention du CSA dans la procédure budgétaire et le caractère incongru de son éventuelle implication le montrent bien. C'est donc à l'État, propriétaire du capital des organismes, apporteur de financements, responsable de la définition des missions de l'audiovisuel public, qu'appartiennent la responsabilité essentielle du contrôle des organismes et la sanction des fautes et insuffisances des dirigeants. L'impossibilité de révoquer les présidents le prive naturellement d'un instrument essentiel à l'exercice de cette dernière responsabilité.

Le CSA, de son côté, n'a manifestement pas à utiliser son pouvoir de révocation pour sanctionner des erreurs stratégiques ou l'échec de la gestion d'un président. C'est ce qu'il a compris avant le dénouement de l'affaire des contrats des animateurs- producteurs. Son pouvoir de révocation ne peut en bonne logique être exercé qu'au regard des motifs qui ont justifié l'attribution du pouvoir de nomination : l'impératif d'indépendance et d'impartialité.

En l'état des textes, il n'existe pas de véritable possibilité de sanctionner l'échec de la gestion d'un président d'organisme public. Cette lacune est dommageable au bon fonctionnement du secteur public qui oscille entre la « présidence impériale » de dirigeants libres de toute sujétion et l'atmosphère un peu délétère précédant de temps en temps la démission d'un président en qui son actionnaire a perdu confiance.

La difficulté de trouver une solution permettant d'assurer sur des bases juridiques solides l'indépendance et l'impartialité du secteur public tout en rendant à l'État actionnaire la plénitude de ses responsabilités, ne manquera pas de susciter la réapparition périodique de ces situations regrettables.

C. QUE FAIRE ?

1. Points de repère

On se sera rendu compte, à la lecture des développements précédents, que le contrôle des organismes de l'audiovisuel public est exercé essentiellement à l'occasion de la procédure budgétaire. Initiée par le SJTI dans le cadre de la concertation interministérielle, suivie par les conseils d'administration, clôturée par le Parlement, celle-ci permet de poser l'ensemble des problèmes et des perspectives de l'audiovisuel public, mais dans une logique moins économique et « missionnaire » qu'étroitement financière, et dans des conditions invariablement perturbées par la régulation budgétaire.

Ce sont en fait de véritables points de repères exprimés sous la forme de missions bien sériées et d'objectifs définis, qui manquent à l'exercice d'un contrôle efficace. Toutes les analyses présentées ci-dessus par votre rapporteur le démontrent.

Il conviendrait donc d'émonder les cahiers des charges des chaînes afin d'identifier quelques missions essentielles traduisant la notion de mission d'intérêt général du secteur public et servant de critère de référence pour apprécier les conditions dans lesquelles sont abordées un certain nombre de questions majeures, l'investissement dans le numérique, par exemple, que l'on ne peut traiter, contrairement à ce que le rapport Bloch-Lainé paraît affirmer, dans le cadre d'une « logique d'entreprise » dont, du reste, aucun texte officiel ne définit le contenu.

Il ne suffit pas d'énoncer sous une forme plus ramassée les missions du secteur public, pour donner prise à un contrôle plus efficace des politiques menées par les responsables des chaînes.

En dépit de l'échec de l'expérience menée au début de la décennie, votre rapporteur ne voit guère que les contrats d'objectifs pour obliger l'État à se donner une doctrine opérante, la formuler en objectifs, la traduire en engagements à moyen terme, y compris financiers, à partir desquels les dirigeants du secteur public pourront bâtir leurs propres stratégies, se prévaloir de leurs réussites, rendre compte de leurs échecs. Il semble essentiel, en l'occurrence, de sortir du non-dit qui fait du taux d'audience la loi et les prophètes des dirigeants du secteur public, le seul critère d'évaluation de leur gestion. Votre rapporteur est conscient de la difficile position à cet égard d'un président de France télévision avec lequel l'État n'aurait pas négocié un « paquet contractuel » comportant simultanément l'infléchissement de la programmation des chaînes dans un sens plus conforme à l'exécution des missions d'intérêt général, la prévision d'un tassement éventuel des taux d'audience, quelques axes de développement, la garantie de disposer sur une base pluriannuelle des moyens financiers correspondants à ces orientations.

Voilà pourquoi la conclusion de contrats d'objectifs entre les responsables des chaînes et les tutelles concernées, y compris le ministère des finances, paraît à votre rapporteur le préalable indispensable à toute restauration du contrôle des organismes de l'audiovisuel public.

2. Clarifications

Le second préalable à l'amélioration du contrôle serait la clarification des responsabilités du CSA, dont on a évoqué ci-dessus la difficulté, et la clarification des responsabilités relatives des présidents et des conseils d'administration.

La bonne marche des sociétés publiques comme privées suppose qu'un président de conseil d'administration soit pleinement responsable de la gestion de l'entreprise sur la base d'un mandat défini par les actionnaires. Il ne convient pas que les présidents des organismes de l'audiovisuel public soient exclus de ce schéma.

Ce principe n'implique toutefois pas que les conseils d'administration restent cantonnés dans le rôle qui semble avoir été le leur jusqu'à présent.

C'est au nom de l'autonomie de la direction des chaînes qu'a été repoussée en juillet 1994, lors de la refonte des cahiers des charges de France 2 et de France 3, une tentative d'accentuer les pouvoirs des conseils d'administration. Il avait été proposé, comme le révèle le rapport Bloch-Lainé, d'une part de rendre obligatoire leur consultation sur la politique de programmation et sur toute modification de la grille afin qu'ils puissent s'assurer de la conformité de celle-ci avec les obligations imposées aux sociétés, et d'autre part de leur donner un pouvoir d'autorisation des contrats pluriannuels sportifs et des contrats passés avec les producteurs indépendants.

Le rapport Bloch-Lainé précise que la réunion interministérielle du 8 juillet 1994 a adopté à cet égard les conclusions suivantes :

« Une information préalable du CA avant la signature des contrats pluriannuels n'est pas possible, compte tenu des impératifs de confidentialité qui s'imposent pour les négociations de ces accords » et :

« Les relations entre la direction des chaînes et la tutelle reposent essentiellement sur la confiance ».

Tel était le point de vue défendu par le cabinet du ministre de la communication.

Votre rapporteur considère plutôt qu'en matière de gestion des deniers publics, la confiance vient avec le contrôle, aussi regrette-t-il la modestie des mesures prises récemment pour renforcer les pouvoirs des conseils d'administration de France 2 et de France 3.

Une limitation de la délégation de pouvoir du président de France Télévision en matière d'engagement de dépenses vient en effet d'être décidée : la délégation de signature s'établit à France 2 à 100 millions de francs pour le président et 50 millions de francs pour le directeur général ; elle est respectivement de 50 et 30 millions de francs pour le président et le directeur général de France 3. Par ailleurs, les informations que les chaînes doivent donner aux conseils d'administration sur les contrats pluriannuels sportifs ou avec les producteurs indépendants, ont été précisées.

Votre rapporteur estime ces mesures très insuffisantes et suggère de revoir ce dossier dans le sens préconisé en juillet 1994.

Il est un point sur lequel votre rapporteur suggère en revanche d'augmenter le plus sensiblement possible l'autonomie des présidents, c'est l'évolution des relations de travail dans les entreprises, singulièrement figées par la convention collective de l'audiovisuel public. On ne peut que rappeler à cet égard la pertinente analyse qui clôt le rapport Bloch-Lainé : « En contrepartie de la responsabilisation accrue dont bénéficieraient les dirigeants, ceux-ci devraient mettre en place une gestion de leur société fondée sur un contrat d'entreprise. Plutôt que de laisser jouer les mécanismes automatiques de la convention collective ou de se contenter de gérer des filières et des métiers figés alors que les changements technologiques périment très rapidement les définitions de poste traditionnelles, il est nécessaire d'introduire une souplesse plus importante dans la gestion des ressources humaines. Cette évolution ne peut être que négociée, entreprise par entreprise, sur la base d'un contrat entre la direction et les représentants du personnel : le développement de la polyvalence des salariés pourrait avoir pour contrepartie des perspectives de progression de carrière élargies grâce à la fin de la séparation rigide entre les métiers. »

3. Sanctions

Votre rapporteur cite pour mémoire le caractère peu réaliste d'un renforcement du rôle de l'actionnaire ne s'accompagnant pas d'un système de sanctions. On a vu ci-dessus qu'en l'état des choses, il n'est possible de sanctionner la gestion du président d'un organisme public que par des moyens biaisés absolument insatisfaisants. Aussi longtemps que ne sera pas trouvée pour assurer l'indépendance et l'impartialité du secteur public une solution meilleure que la nomination et la révocation des présidents par le CSA, ce problème restera en l'état.

III. L'ÉTHIQUE DES PROGRAMMES

Le dernier rapport public du Conseil d'État constate une « montée de la demande d'éthique dans les rapports entre les médias et la société » 3 ( * ) . Les programmes de télévision du secteur public comme du secteur privé illustrent bien cette nécessité dans deux domaines en particulier : le traitement de l'information et la protection de la jeunesse.

A. LE TRAITEMENT DE L'INFORMATION

Le traitement de l'information audiovisuelle est soumis à des logiques contradictoires.

D'une part, l'influence sociale des médias audiovisuels et la rareté persistante des supports de diffusion, qui justifient la spécificité de l'ensemble du droit de la communication audiovisuelle, légitiment l'intervention de l'État pour assurer le pluralisme de l'information et le respect de principes éthiques dans la présentation de celle-ci.

Cette mission est confiée au CSA par la loi du 30 septembre 1986.

D'autre part, les principes de liberté d'opinion, de liberté d'expression et de liberté de la presse rendent malaisée la détermination d'un cadre législatif et réglementaire assurant le respect du pluralisme et de l'honnêteté dans le traitement de l'information.

1. Le cadre législatif

Les dispositions consacrées au traitement de l'information dans la loi du 30 septembre 1986, disparates, traduisent les hésitations du législateur en la matière. Les deux aspects majeurs du traitement de l'information, le pluralisme et l'honnêteté, sont traités différemment.

a) Le pluralisme

L'article 1er de la loi mentionne le respect du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion parmi les motifs permettant de limiter la liberté proclamée de la communication audiovisuelle.

Au troisième alinéa du même article, qui énonce les missions générales du CSA ce dernier n'est cependant chargé, à cet égard, que de garantir l'indépendance et l'impartialité du secteur public de l'audiovisuel. Cette formulation paraît couvrir aussi bien le pluralisme que l'éthique de l'information. Cependant, les dispositions subséquentes de la loi sont essentiellement consacrées au respect du pluralisme :

- art. 13 : le CSA assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des sociétés nationales. Il communique à différents responsables politiques le relevé mensuel des temps d'intervention des personnalités politiques dans les différentes catégories d'émissions (il contrôle dans ce cadre le respect de la règle coutumière des trois-tiers -gouvernement, majorité, opposition- sur les chaînes nationales publiques et privées) ;

- art. 16 : le CSA organise les campagnes électorales officielles sur les chaînes publiques et adresse des recommandations aux chaînes privées sur le traitement de l'information en période électorale ;

- art. 55 : le CSA organise les modalités de fonctionnement des émissions d'expression directe qui donnent aux formations politiques et aux organisations syndicales représentatives l'accès à l'antenne des sociétés nationales de programme ;

- art. 28 : les conventions conclues avec les services autorisés de radio ou de télévision diffusées par voie hertzienne doivent être élaborées dans le respect de l'honnêteté et du pluralisme de l'information.

b) L'éthique de l'information

Le principe d'honnêteté de l'information, second volet de la problématique de l'information ne figure dans la loi de 1986 qu'à l'article 28 sous la forme peu directive rappelée ci-dessus, et dans l'article 62 qui prévoit la fixation par décret d'un cahier des charges de TF1 contenant, entre autre, des obligations minimales sur l'honnêteté et le pluralisme de l'information.

L'essentiel des obligations incombant aux chaînes en matière d'honnêteté de l'information figure dans des textes d'application :

- le décret n° 47-43 du 30 janvier 1987 fixant le cahier des charges de TF1 lors de sa privatisation, fait obligation à la chaîne d'assurer l'honnêteté de l'information et lui impose de réaliser les émissions d'information dans un esprit de stricte objectivité ;

- les cahiers des charges de France 2 et France 3, approuvés par le décret n° 94-813 du 16 septembre 1994, prévoient (art. 2) pour chaque chaîne obligation d'assurer l'honnêteté, l'indépendance, le pluralisme de l'information ;

- la décision n° 87-13 du 26 février 1987 de la CNCL autorisant M6 prévoit que la société assure l'honnêteté et le pluralisme de l'information (art. 16).

2. Problèmes spécifiques de l'éthique de l'information

a) Un cadre juridique très souple

Globalement satisfaisant en ce qui concerne le pluralisme, sous réserve de l'évolution de la règle des trois-tiers rendue obsolète par l'évolution de notre système politique, le dispositif législatif qui régit le traitement de l'information audiovisuelle est insuffisamment efficace en ce qui concerne l'éthique de l'information.

Certes, le CSA s'est estimé « pleinement compétent pour veiller au respect par les chaînes de l'honnêteté de l'information et, le cas échéant, pour sanctionner les manquements dont elles se rendraient coupables à cet égard » (3e rapport annuel p. 221), il n'en reste pas moins que ni l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986, qui énonce les missions générales de l'institution, ni les articles 13 à 16 de la même loi, qui précisent son champ de compétence privilégié en matière de contrôle des programmes, ne font référence à l'honnêteté de l'information.

Il s'agit donc d'une compétence résiduelle pour laquelle le CSA ne peut prétendre à une marge de manoeuvre aussi importante que celle dont il dispose par exemple en matière de protection de l'enfance et de l'adolescence.

En dépit de la pétition de principe mentionnée ci-dessus, le CSA n'a d'ailleurs pas adopté une démarche véritablement « dirigiste » en la matière. Il s'est jusqu'à présent contenté d'adresser des observations aux chaînes, d'émettre des recommandations, de mettre en place, à l'occasion d'événements comme la guerre du Golf ou les attentats de l'été 1995, un dispositif de concertation avec les responsables des chaînes.

De leur côté, ceux-ci ne paraissent pas disposés à reconnaître une véritable compétence au CSA dans ce domaine puisque TF1 a refusé de participer à une réflexion collective organisée sous son égide en janvier 1991 et que la même chaîne a montré un manque manifeste de coopération dans la rectification de la présentation erronée d'un massacre perpétré sur le marché de Sarajevo en février 1994, comme le relève le rapport d'activité pour 1994. Cependant les dirigeants des chaînes semblent s'être soumis de bonne grâce à l'exercice de réflexion organisé par le CSA à la suite des attentats de l'été 1995, dont il est vrai que le traitement médiatique avait suscité la désapprobation du président de la République.

b) Des problèmes persistants

La faiblesse des moyens dont le CSA dispose pour favoriser l'éthique de l'information joue sans doute un rôle dans la multiplication de dérapages dont le citoyen et le consommateur de programmes audiovisuels seraient en droit d'attendre la correction.

Il faut distinguer d'une part les pratiques qui mettent en cause la notion- même d'honnêteté de l'information, et d'autre part les facilités auxquelles conduit l'attrait de l'information-spectacle.

En ce qui concerne l'honnêteté de l'information, les rapports annuels du CSA relèvent des manquements réguliers qui mettent en cause l'exactitude de l'information (présentation d'hypothèses hasardeuses, interprétations fantaisistes, informations insuffisamment vérifiées) et l'utilisation des images (images truquées, images tronquées, utilisation non signalée d'images d'archives, utilisation d'images ne correspondant pas au fait traité).

Ces manquements sont particulièrement accentués durant les périodes de crise, comme le traitement des attentats de l'été 1995 l'a abondamment illustré, donnant lieu à plusieurs mises au point du président du CSA. En période ordinaire se produisent aussi des dérapages choquants : fausse information sur le traitement du Sida, truquage d'un reportage sur les banlieues à l'émission « la Preuve par l'Image » à la mi-septembre 1995...

Relève aussi de l'éthique de l'information le phénomène du « pilori médiatique » qui mobilise en vue de véritables lynchages moraux les procédés les plus divers, dont l'émission « Envoyé spécial » n° 288 sur les « Croisés de l'Ordre moral » a donné une anthologie démonstrative : juxtaposition suggestive de séquences dépourvues de tout véritable lien, appel à un adversaire retourné pour confirmer l'interprétation suggérée, droit de conclure donné systématiquement aux représentants de l'accusation à l'issue de dialogues factices, choix de ne pas donner la parole, sur les commandos, à un représentant autorisé de l'Eglise, emploi d'un vocabulaire partisan, l'objectif poursuivi étant manifestement de présenter le souverain pontife comme le chef d'un complot mondial contre le droit d'avorter impliquant un ancien SS, plusieurs soutiens de Klaus Barbie, une secte brésilienne, l'assassin d'un médecin américain pratiquant des avortements, les associations familiales catholiques et plusieurs membres du Sénat et de l'Assemblée nationale 4 ( * ) .

L'information-spectacle donne lieu à des pratiques tout aussi discutables sur le plan déontologique : présentation complaisante d'images insoutenables ou portant atteinte à la dignité des personnes, dramatisation de l'information avec la diffusion lancinante, au cours des attentats de l'été 1995, de séquences sanglantes à l'occasion de « flashs » n'apportant aucun élément d'information nouveau, pratique intensive des micro-trottoirs, tentations diverses de mettre l'information en scène en recourant aux procédés relevés ci-dessus (cf. le reportage de « la Preuve par l'Image » en septembre 1995).

c) Quelques pistes possibles

Une solution pourrait consister à confier la surveillance de la déontologie à des instances professionnelles, n'était la répugnance des professionnels de l'information à prendre cette tâche collectivement en charge. Du reste, l'exemple britannique montre le laxisme des systèmes de régulation à base professionnelle.

Force est donc de se tourner vers le CSA et d'envisager les moyens d'accentuer son rôle en matière de régulation du traitement de l'information sans donner prise au soupçon de viser une mise sous tutelle de l'information audiovisuelle.

Il ne paraît pas opportun de lui confier le soin de fixer un corps de règles déontologiques.

Sans doute serait-il en revanche utile de confier au CSA en la matière une mission d'animation qui lui permettrait de développer les initiatives qu'il a prises jusqu'à présent, et d'assurer le respect de règles définies sous son impulsion et acceptées par la profession.

Il pourrait être envisagé de lui confier expressément la mission d'assurer le respect de l'honnêteté de l'information soit en modifiant en ce sens le dernier alinéa de l'article premier, soit en ajoutant l'honnêteté de l'information à la liste des objectifs, énumérés à l'article 13, dont le CSA assure le respect.

Ainsi deviendrait-il véritablement compétent pour veiller au respect par les chaînes de l'honnêteté de l'information et pour sanctionner le cas échéant les manquements qu'il constaterait.

Une réflexion pourrait être engagée sur ces problèmes à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la communication audiovisuelle déposé au Sénat.

B. LA PROTECTION DE LA JEUNESSE CONTRE LA VIOLENCE DANS LES PROGRAMMES

Votre rapporteur tient à relever le progrès que constitue, en matière d'éthique des programmes, la mise en place d'une signalisation des programmes susceptibles de heurter la sensibilité, au sein d'un ensemble assez cohérent de mesures destinées à freiner l'étalage de violence aux heures les moins appropriées.

Une concertation engagée par le CSA avec les diffuseurs à la fin de 1995, après la parution d'un rapport mettant en évidence la fréquence des scènes de violence dans les programmes diffusés, a abouti en juillet dernier à l'élaboration d'un ensemble de dispositions qui ont été intégrées dans les conventions signées avec TF1 et M6 le 31 juillet, devraient être insérées dans les cahiers des charges des chaînes publiques, et seront étendues à Canal Plus par avenant à la convention de cette chaîne.

L'entrée en vigueur pour les grandes chaînes hertziennes, a été fixée au 15 novembre (l'accord initial prévoyait une application au 1er janvier 1997, concordant avec l'entrée en vigueur des conventions de TF1 et de M6).

Ce dispositif comporte quatre points principaux :

l'engagement de veiller au caractère familial des programmes diffusés entre 6 heures du matin et 22 heures ;

l'engagement, pour chaque chaîne de procéder à une classification systématique de ses programmes de fiction et documentaires.

Cette classification comprend cinq catégories :

I - Tous publics.

II - Programme comportant certaines scènes susceptibles de heurter le jeune public.

III - Films interdits aux moins de douze ans et programmes pouvant heurter le jeune public notamment lorsque le scénario recourt de façon systématique et répétée à la violence physique ou psychologique.

IV - Les films interdits aux moins de seize ans ainsi que les programmes érotiques ou de grande violence susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de 16 ans.

V - Les programmes à caractère pornographique ou d'extrême violence susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs.

Un comité de visionnage interne à chaque chaîne est chargé d'établir cette classification pour tous les programmes concernés.

l'engagement de mettre en place une signalétique commune permettant l'identification par les téléspectateurs des émissions selon la catégorie dans laquelle elles sont classées.

Cette signalétique a été mise au point par les quatre principales chaînes hertziennes en clair. Canal Plus utilise pour l'instant sa propre signalétique.

l'engagement de respecter certains horaires de programmation selon la catégorie de chaque émission :

- pour les émissions de catégorie I : programmation libre ;

- pour les émissions de catégorie II : pas de programmation dans les tranches horaires des émissions jeunesse ;

- pour les émissions de catégorie III : pas de programmation avant 22 heures (sauf à titre exceptionnel et avec une signalétique permanente) ;

- pour les émissions de catégorie IV : pas de programmation avant 22 heures 30.

Les émissions de catégorie V sont interdites sur les chaînes en clair. Par ailleurs, deux autres engagements concernent :

- les bandes annonces contenant des scènes de violence que les chaînes s'engagent à ne pas diffuser à proximité des émissions pour enfants, et pour certaines bandes annonces, pas avant 20 heures 30 ;

- les images violentes ou pénibles qui pourraient être diffusées dans les émissions d'information et qui doivent faire l'objet d'avertissements préalables.

L'ensemble de ce dispositif mise sur la responsabilité partagée :

- des diffuseurs, primordiale, mais pas exclusive : ils devront désormais organiser ou renforcer le contrôle des programmes qu'ils diffusent et mettre en place des comités de visionnage afin de respecter l'horaire de programmation approprié pour chaque catégorie de programmes ;

- des familles, qui seront mieux averties du contenu des programmes, grâce à la signalétique, et pourront exercer un contrôle parental en toute connaissance de cause ;

- du CSA à qui il appartiendra de sanctionner tout abus et manquement, les règles étant maintenant fixées avec précision, et de contrôler la bonne application du système en étroite liaison avec les diffuseurs.

Le projet de loi sur la communication audiovisuelle en instance d'examen par le Sénat prévoit en matière de déontologie des programmes un renforcement des pouvoirs du CSA qui devra donner tout son sens à cette démarche.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le rapport pour avis de M. Jean-Paul Hugot sur les crédits de l'audiovisuel inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997 au cours d'une séance tenue le mercredi 20 novembre 1996, sous la présidence de son président M. Adrien Gouteyron.

Un débat s'est alors engagé.

Mme Danièle Pourtaud a estimé à son tour nécessaire de préciser une vision stratégique des missions de l'audiovisuel public. Elle a jugé possible la réalisation des objectifs publicitaires de France 2 et a exprimé sa crainte que n'en résultent des conséquences inopportunes sur la ligne éditoriale de la chaîne : le dépassement du pourcentage de 50 % de ressources publicitaires implique un changement de nature dans la grille de programmes.

Elle a aussi mis en doute la justification d'une participation de France Télévision au capital de TPS et a estimé que les chaînes publiques devaient se comporter comme fournisseurs de programmes plutôt que comme apporteurs de capitaux. La loi pourrait leur faciliter l'accès aux bouquets satellitaires.

Elle s'est déclarée favorable au développement de synergies entre Arte et La Cinquième et à la diffusion la plus large possible des programmes d'Arte.

Elle a enfin évoqué les conséquences de la suppression de la diffusion de France Inter en ondes moyennes : une grande partie des auditeurs ne pourront plus recevoir les programmes dans des zones périphériques comme la Côte-d'Azur alors que l'économie attendue sera annulée par l'indemnité contractuelle due à Télédiffusion de France (TDF), évaluée à 70 millions de francs.

M. Pierre Laffîtte a proposé le lancement d'une réflexion sur l'avenir des chaînes généralistes, thématiques et de proximité et a approuvé l'idée que France Télévision devait apporter un concours privilégié à la production de programmes audiovisuels. Il a estimé que les sacrifices financiers demandés à Arte et à La Cinquième en 1997 ne correspondaient pas à sa vision du service public à la française.

Il a lancé l'idée d'un rassemblement de l'audiovisuel public, intégrant l'Institut national de l'audiovisuel (INA), autour de France Télévision, au terme d'un examen service par service des synergies à établir. Il a aussi approuvé la diminution de la part du capital de TPS souscrite par France Télévision et a estimé anormal que l'audiovisuel public soit pénalisé par la diminution des remboursements d'exonérations de redevance. Il a préconisé le couplage du prélèvement de la redevance et de la taxe d'habitation.

M. Ivan Renar a souhaité que la commission débatte des missions et des stratégies de la télévision publique, estimant que celle-ci devait apporter un « supplément d'âmes » à la multitude des programmes qui seront diffusés par des procédés numériques. Il a jugé que la diminution des dotations budgétaires et l'augmentation des objectifs de recettes publicitaires allaient provoquer une dégradation des programmes. Il a aussi regretté la difficile affirmation de la vocation régionale de France 3.

Il a enfin exprimé la crainte que le marquage des films n'encourage les chaînes à s'exonérer de leurs responsabilités, faute d'autres mesures encadrant la diffusion d'émissions susceptibles de porter atteinte à l'enfance.

M. Jean-Paul Hugot, rapporteur pour avis, en réponse à ces interventions, a souhaité que la commission continue de réfléchir à la façon dont le secteur public pourrait mieux répondre à sa mission de favoriser la production française de programmes. Il a noté que des effets de seuils se manifestaient vraisemblablement avec l'augmentation de la part des recettes publicitaires dans le financement des chaînes publiques. Il a enfin estimé que l'État ne devait pas être trop directif en ce qui concerne la répartition des économies imposées à Radio France, dans la mesure où la suppression de la diffusion en ondes moyennes paraissait poser un certain nombre de problèmes. Il a estimé qu'il faudrait examiner l'évolution des structures de l'audiovisuel public dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la communication audiovisuelle et s'est rallié à l'idée que le marquage des films violents ne constituait qu'une première étape.

La commission a ensuite donné un avis favorable à l'adoption du projet de budget de l'audiovisuel public pour 1997.

* 1 Il apparaît en revanche que la politique de développement régional devra être ralentie.

* 2 Au lieu des 140 millions de francs escomptés, en raison de la nécessité de financer des programmes de remplacement.

* 3 Etudes et documents du conseil d'État n° 47, p. 157.

* 4 cf aussi l'analyse de cette émission présentée dans le 7ème rapport d'activité (1995) du CSA, p. 91.

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