B. LES CONSÉQUENCES DE L'AMENDEMENT MODIFIANT LE RÉGIME FISCAL DES SOFICA ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. Une remise en cause du mécanisme des SOFICA

Au cours de la discussion de la première partie du projet de loi de finances, l'Assemblée nationale a, après un large débat, adopté un amendement présenté par le président de la commission des finances, M. Pierre Méhaignerie, visant à plafonner à 50.000 francs la déduction fiscale consentie aux personnes physiques qui investissent dans la production cinématographique et audiovisuelle par l'intermédiaire des sociétés de financement des industries cinématographiques et audiovisuelles (SOFICA).


• Le mécanisme des SOFICA destiné à encourager l'investissement des particuliers et des entreprises dans la production cinématographique et audiovisuelle a été instauré par l'article 40 de la loi n° 85-695 du 11 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

Cette loi dispose que les apports en numéraire, effectués à l'occasion de la constitution ou de l'augmentation en capital de ces sociétés, ouvrent droit :

- pour les particuliers : à une déduction de leur revenu net imposable, plafonnée à 25 % de ce revenu, à condition que les actions soient conservées cinq ans ;

- pour les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés : à un amortissement exceptionnel de 50 % du montant de leurs souscriptions autorisé, dès la première année de leur versement.

La loi précise, par ailleurs, que chaque SOFICA doit recevoir l'agrément du ministre de l'économie et des finances. Les oeuvres financées par les SOFICA doivent être également agréées par le directeur du Centre national de la cinématographie. Un commissaire du Gouvernement est en outre nommé auprès de chacune de ces sociétés privées.


• L'objectif recherché à travers ce dispositif est double : drainer vers la production cinématographique et audiovisuelle, qui est avant tout une industrie de prototypes ou aucune recette ne permet de garantir le succès d'un film, des capitaux de long terme et assurer la diversité des financements nécessaires à une création pluraliste.

Dans ce cadre, les SOFICA assurent un rôle d'intermédiaire financier. Elles collectent des fonds pour les investir dans la production à travers la souscription au capital de sociétés dont l'activité exclusive est la réalisation d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles ou sous la forme de versement en numéraire réalisé par contrat d'association à la production d'un film. En contrepartie, les investisseurs acquièrent un droit sur les recettes d'exploitation de l'oeuvre.

Ce mécanisme de soutien à l'industrie cinématographique qui s'inspire des dispositifs en vigueur au Canada et en Australie notamment permet de drainer près de 260 millions de francs par an de financement privé vers l'industrie cinématographique nationale. Il repose exclusivement sur un dispositif de déduction fiscale qui bénéficie aux contribuables les plus fortunés (environ 2.500 bénéficiaires dont le taux marginal d'imposition est en moyenne de 52 %), l'avantage fiscal n'étant réellement intéressant que pour les contribuables imposés au taux marginal le plus élevé.


• Plafonner la déduction fiscale liée aux SOFICA à 50.000 francs reviendrait à remettre en cause l'existence même des SOFICA. En effet, selon les informations dont dispose votre rapporteur, 41,5 % des souscripteurs investissent plus de 50.000 francs par an dans les SOFICA, et leurs apports représentent plus de 75 % des montants investis. Ainsi le plafonnement devrait-il toucher plus des deux tiers des fonds collectés par les SOFICA. C'est dire que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale revient en fait à une suppression du mécanisme des SOFICA. Il convient donc de rappeler l'utilité globale des SOFICA qui milite en faveur du maintien de ce dispositif fiscal.

2. Un dispositif de soutien au cinéma français qui a fait la preuve de son efficacité


• Depuis la mise en place de ce dispositif, le montant total des fonds collectés s'est élevé à 2.594,5 millions de francs
pour 69 SOFICA ou augmentation de capital agréées, soit en moyenne 260 millions de francs par an. Sur ce total, environ 150 millions de francs sont consacrés exclusivement au financement de la production cinématographique de films d'initiative française. Les SOFICA participent chaque année à la réalisation de 30 à 50 films soit 30 à 50 % de la production annuelle de films d'initiative française, comme l'illustre le tableau suivant :

Pour les trois années considérées, le nombre total de films éligibles à l'intervention des SOFICA a été respectivement de 152, 115, 141. Même si une tendance à la concentration des financements semble s'affirmer, on peut considérer que les SOFICA interviennent sur une part significative du nombre total de films éligibles. Une plus grande dispersion -qui aurait pour conséquence une diminution de la moyenne unitaire des investissements- ne serait pas forcément souhaitable.


• En outre, la contribution des SOFICA à chaque film représente un investissement moyen de l'ordre de 4 millions de francs, soit près de 10 % des budgets des films concernés ce qui s'avère parfois déterminant. Autrement dit, l'apport global des SOFICA au financement du cinéma français est relativement limité ; en 1995 sur 2,7 milliards de francs investis dans des films d'initiative française, les SOFICA ont contribué à hauteur de 153 millions de francs soit 5,3 %. Mais la contribution des SOFICA joue, pour près de 40 % des films français produits, un rôle important.


• Enfin, conformément à leur vocation, les SOFICA apportent une contribution importante à la production indépendante. Ainsi, en 1995, 61 % des investissements réalisés par les SOFICA l'ont été dans des films initiés et produits par des producteurs délégués indépendants.


• Maintes fois dénoncées comme un privilège fiscal, les SOFICA ont fait l'objet de deux évaluations. M. Patrick Careil, chargé en 1990 d'une mission de réflexion sur le financement du cinéma et l'avenir des SOFICA, a conclu à l'utilité du système et a recommandé son maintien sous réserve de quelques améliorations.

Chargés par MM. Philippe Douste-Blazy et Alain Lamassoure d'une mission de réflexion sur l'efficacité du mécanisme des SOFICA, MM. Jean-Michel Bloch-Lainé et Gérard Calderon ont confirmé, six ans après, ce jugement également partagé par les représentants des professions du cinéma que votre rapporteur a rencontrés. Le rapport souligne en effet, sous réserve de certaines critiques, que « l'outil, dans l'ensemble, est bien géré, beaucoup mieux, en tout cas, qu'il ne le fût dans sa phase de rodage. Il est utile au secteur et, à moins de considérer comme immuable -ce serait imprudent- la répartition actuelle des autres sources de fonds, on aurait tort de tarir celle-là » .

Le rapport observe en outre que les SOFICA ont bien participé à l'instauration d'une puissante industrie française de programmes : « elles ont permis et permettent aux groupes français de production :

- de bénéficier de relais de trésorerie peu coûteux ;

- d'actualiser, de concentrer, entre leurs mains, des portefeuilles de droits, assis sur leurs productions propres et sur d'autres productions ; et, à des coûts de ressources inférieurs aux taux d'intérêt des marchés monétaires et financiers. Faut-il le regretter ? non, sauf à vouloir une chose et son contraire.

Sans les SOFICA de la première génération, un film français sur cinq n'aurait pas été produit. Faut-il s'en féliciter ou s'en attrister ? C'est une question qui sera évoquée plus loin. Mais le résultat quantitatif souhaité a été obtenu.

Les SOFICA ont correctement apporté leur contribution à la diversité, au renouvellement des productions françaises. Reprocher à cette source de financement, qui ne représente que 6 % du total des apports et qui, à l'origine n'était pas garantie, de n'avoir pas bouleversé le système serait injuste. »

Les auteurs de ce rapport constatent ainsi que « le système est donc en équilibre. Son maintien est largement souhaité, sous réserve des critiques que lui adressent les producteurs dits « indépendants » et des questions légitimes que se posent les responsables de notre système fiscal » .

3. La suppression de fait du mécanisme des SOFICA ne serait pas sans conséquence sur la structure du financement et la nature de la production cinématographique française


• Si l'on considère les 260 millions de francs que drainent chaque année les SOFICA comparés aux 2,7 milliards d'investissements annuels dans la production cinématographique, on pourrait estimer que la suppression de ce mécanisme envisagée par la commission des finances de l'Assemblée nationale n'affecterait pas outre mesure l'industrie cinématographique.

Cette analyse, purement quantitative, ne saurait être partagée par votre rapporteur. La production française ne souffre pas d'une pénurie de capitaux, comme on aurait pu le craindre il y a quelques années, lorsque, sous l'effet de la crise de la fréquentation, la contribution des distributeurs s'est effondrée. Cette évolution a, en effet, été plus que compensée par la part croissante prise par les sociétés de télévision dans la production cinématographique.

En revanche, la production française risque de souffrir à terme d'une excessive concentration des sources de financement. En effet, la croissance continue de la part des télévisions dans le financement du cinéma français, qui est passée de 11,7 % à 36,9 % des investissements annuels, comporte à terme le risque de rapprocher excessivement la production cinématographique de la production télévisuelle. Or une telle évolution aurait des conséquences néfastes non seulement sur la qualité et la diversité de la production mais également à terme, comme on a pu l'observer en Italie, sur la fréquentation du cinéma en salle.

Aussi tous les mécanismes qui peuvent favoriser la diversité des financements sont-ils aujourd'hui plus que jamais nécessaires à la richesse et au pluralisme du cinéma français. Or, de ce point de vue les SOFICA jouent un rôle important. Avec plus de 150 millions investis en 1995 dans des films d'initiative française, elles consacrent des sommes supérieures à celles qu'investissent dans ces films TF1 et France Télévision soit respectivement 149 et 133 millions de francs en 1995. C'est dire si leur rôle peut être décisif.


• Ce rôle pourrait-il être assumé par d'autres mécanismes existants ? Certains font valoir en effet que la contribution des SOFICA à la production nationale pourrait avantageusement être assumée par le compte de soutien qui gère déjà des crédits autrement plus importants que les SOFICA. Votre rapporteur ne peut souscrire à ce point de vue qui consiste à assimiler le compte de soutien à une subvention d'Etat au même titre que les dotations du ministère ou les diminutions de recettes fiscales occasionnées par les SOFICA, alors qu'il s'analyse dans les faits comme une « épargne forcée » prélevée sur les recettes des industries cinématographiques et audiovisuelles.

Aussi les SOFICA s'apparentent plus volontiers aux subventions du ministère qui s'élèvent cette année à près de 300 millions de francs soit un montant comparable aux sommes mobilisées par les SOFICA. Elles présentent cependant par rapport à ces dernières l'avantage, grâce à une dépense fiscale de près de 150 millions de francs, de drainer chaque année environ 300 millions là où une subvention supposerait la mobilisation de fonds publics équivalents, et de laisser à l'initiative privée le choix des investissements, là où l'utilisation de fonds publics exigerait le recours à des commissions d'attribution.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur est favorable au maintien des mécanismes des SOFICA. Pour autant, une réforme des modalités de fonctionnement des SOFICA paraît nécessaire.

Les SOFICA présentent en effet aujourd'hui des dysfonctionnements qui tiennent essentiellement à l'évolution des modalités de fonctionnement des SOFICA observée depuis 1990. Depuis cette date, la grande majorité des SOFICA se sont adossées à des groupes audiovisuels ou financiers puissants offrant aux souscripteurs des garanties de rachat.

Or l'instauration des garanties de rachat a profondément transformé le système originel en créant plusieurs catégories de SOFICA.

La typologie actuelle des SOFICA relève de ce fait d'un classement à double entrée. On peut en effet distinguer d'une part les SOFICA garanties, qui sont les plus nombreuses, des SOFICA non garanties (Sofinergie pour l'essentiel), et, d'autre part, les SOFICA liées selon des modes divers à des groupes audiovisuels, qui sont également les plus nombreuses, des SOFICA dites pluralistes selon la terminologie du CNC c'est-à-dire non liées à des groupes audiovisuels.

Le Gouvernement a pris acte de ces transformations et a progressivement établi de nouvelles obligations encadrant l'activité des différents types de SOFICA.

Par un échange de lettres d'octobre/novembre 1993, le ministre du budget et le ministre de la culture ont fixé les règles d'encadrement suivantes :

- les garanties de rachat susceptibles d'être offertes, « à l'entrée », aux souscripteurs de titres de SOFICA ne peuvent jouer qu'à la fin de la huitième année ;

- les établissements qui rachèteront les actions doivent s'engager à ce que les SOFICA concernées restent soumises aux contraintes de leur statut jusqu'au terme des 10 ans statutaires ;

- afin de disposer d'une rentabilité minimale, ces SOFICA peuvent placer jusqu'à 20 % de leurs fonds, en comptes productifs d'intérêts ;

- les SOFICA non garanties peuvent cependant être dissoutes au terme de cinq ans (c'est-à-dire la durée minimale de conservation des titres) et ne pourront, par ailleurs, placer que 10 % de leur capital en comptes productifs d'intérêts.

En outre, pour favoriser le financement du cinéma indépendant, le ministère de la culture a imposé des obligations en matière d'investissement.

Depuis 1994, obligation avait été faite aux SOFICA liées à des groupes de consacrer 35 % de leurs investissements à des productions « hors groupe » pour les SOFICA garanties et 25 % pour les SOFICA non garanties.

Or en dépit de ces nouvelles obligations, le mode de fonctionnement des SOFICA présente deux types d'inconvénients :

Comme le souligne le rapport de M. Jean-Michel Bloch-Lainé, les garanties de rachat, en supprimant quasiment les risques pris par les souscripteurs, ont enlevé aux SOFICA une des justifications du dispositif fiscal et ont ainsi ouvert la voie à sa remise en cause.

Enfin et surtout, l'adossement d'une majorité de SOFICA à des groupes audiovisuels favorise la concentration des investissements des SOFICA sur les productions de ces groupes au détriment des producteurs indépendants. A cet égard, le rapport Bloch-Lainé souligne que les obligations imposées par le CNC en matière d'investissement ne semblent guère appliquées et surtout peu contrôlées. Aussi est-il probable que le dispositif SOFICA n'apporte pas la contribution qu'il pourrait au financement du cinéma indépendant.

Il importe donc de réformer au plus tôt le fonctionnement des SOFICA afin de renouer avec leur raison d'être originelle, comme le réclament depuis 1992 les producteurs par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales.

Votre rapporteur vous propose donc de maintenir l'existence des SOFICA en supprimant le plafond excessivement bas institué par l'Assemblée nationale mais aussi de demander au Gouvernement de mettre en oeuvre avec les principaux acteurs concernés une réforme susceptible d'assurer la pérennité et l'efficacité de ce dispositif.

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