III. FRANCE TÉLÉCOM, UN OPÉRATEUR EN MUTATION

A. L'ADAPTATION DU STATUT DE FRANCE TÉLÉCOM

Votre commission des Affaires économiques 11 ( * ) a appelé de ses voeux, au printemps dernier, une réforme du statut de l'opérateur public afin de le mettre en position d'affronter la concurrence.

1. Le changement de forme sociale de l'opérateur

Le Gouvernement s'est engagé dans cette voie à la suite d'une large concertation.

Les 18 mars et 29 avril derniers, le Premier ministre confirmait les garanties apportées au personnel. Le projet de loi était adopté en Conseil des ministres, le 29 mai. La loi du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom, déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel 12 ( * ) , change la forme juridique de France Télécom en préservant le statut des personnels et les missions de service public de l'opérateur.

PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA LOI RELATIVE À L'ENTREPRISE
NATIONALE FRANCE TÉLÉCOM

La loi prévoit la transformation, à compter du 31 décembre 1996, de France Télécom en « une entreprise nationale dont l'État détient directement plus de la moitié du capital ».

Les dispositions permettant d'assurer et de garantir les missions de service public de l'opérateur et la situation des personnels :

La loi portant création de l'entreprise nationale France Télécom prévoit trois garanties essentielles :

- la propriété directe et majoritaire du capital par l'État ;

- le maintien du statut des fonctionnaires et du régime de retraite associé ;

- la continuité du service public, grâce à un droit d'opposition de l'État à la cession ou à l'apport d'actifs nécessaires à la continuité du service public.

Les dispositions de nature à faciliter les conditions de fonctionnement de l'entreprise dans un cadre concurrentiel

Le cadre juridique applicable à l'entreprise nationale France Télécom est rapproché de celui de ses concurrents : France Télécom est. en partie, soumis aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes, les règles relatives à la composition et aux pouvoirs du conseil d'administration sont celles prévues par la loi n° 83-675 relative à la démocratisation du secteur public.

Les conditions de recrutement et de financement des retraites de France Télécom sont également rapprochées de celles des entreprises de droit commun :

- l'entreprise est libre de recruter du personnel employé sous le régime des conventions collectives ; des fonctionnaires pourront toutefois être recrutés jusqu'au 1 er janvier 2002 ;

- l'entreprise est soumise, pour le financement des charges sociales et fiscales obligatoires pesant sur les salaires, à un système de taux de contribution libératoire permettant d'obtenir un niveau de charges comparable à celui des autres entreprises du secteur des télécommunications.

Les dispositions favorisant la réforme interne de l'entreprise

- En vue de favoriser le dialogue social entre la direction social entre la direction et les personnels de l'entreprise nationale, il est créé un comité paritaire en charge d'assurer l'expression collective des intérêts du personnel ; la loi prévoit explicitement la conclusion d'accords collectifs dans différents domaines. Des dispositions relatives au congé de fin de carrière sont de nature à accélérer le rééquilibrage de la pyramide des âges de l'opérateur.

- La loi permet de mettre en oeuvre, auprès de l'ensemble des personnels, un régime de participation aux résultats de l'entreprise et prévoit également la mise en place d'un actionnariat salarié, instrument de motivation à long terme des personnels.

Dans le cadre de la politique de rajeunissement des personnels de France Télécom (la moyenne d'âge dans l'entreprise est de 43 ans actuellement), M. Michel Bon a annoncé au mois de septembre 1996 le recrutement de 6.000 jeunes.

Votre rapporteur se félicite de cette initiative qui correspond tout à fait au souhait exprimé par votre commission des Affaires économiques que la politique de l'emploi à France Télécom permette à la fois d'insérer de jeunes arrivants sur le marché du travail et de remédier au problème spécifique de la nécessité de rajeunissement de l'opérateur.

2. Le règlement du problème des retraites

Comme l'ont déjà largement montré tant les travaux de votre Commission 13 ( * ) que l'ensemble des débats parlementaires du mois de juin dernier, les charges de retraite supportées par France Télécom avant la réforme de son statut étaient, à terme, insoutenables. Le texte adopté permet de remédier au problème qui, votre rapporteur pour avis le soulignait il y a un an déjà, hypothéquait gravement l'avenir de l'entreprise.

LE FINANCEMENT DES RETRAITES DES AGENTS DE FRANCE TÉLÉCOM :

Les éléments du problème : les fonctionnaires relèvent du régime spécial de retraites de la fonction publique défini par le code des pensions civiles et militaires.

Dans l'ancien système, les pensions étaient versées directement par l'État, France Télécom remboursant chaque année à l'État, à due concurrence, le montant des charges de retraites de ses agents fonctionnaires grâce à une retenue sur leur traitement au taux de 7,85 % et à une contribution complémentaire de France Télécom qui permettait la prise en charge intégrale des pensions des agents fonctionnaires retraités de France Télécom.

Le régime des pensions civiles et militaires étant un régime à prestations définies et non à cotisations libératoires comme l'est le régime général, France Télécom s'engageait sur le futur pour assurer le financement, en tant que de besoin, des retraites de ses fonctionnaires. Compte tenu des hypothèses faites sur l'emploi et la répartition par âges du personnel de France Télécom, le maintien du système conduisait à une augmentation sensible de ces charges, pouvant atteindre 13 milliards de francs en 2007 -soit près d'une fois et demi le bénéfice 1995-25 milliards de francs en 2017 et 34 milliards de francs en 2027.

Les solutions apportées par le texte de loi

Ce texte adopté affirme la prise en charge par l'État de la charge de paiement des pensions des anciens agents des télécommunications.

En contrepartie. France Télécom versera à l'État :

a) une contribution « employeur » à caractère libératoire dont le taux est calculé afin d'égaliser, entre France Télécom et les autres entreprises du secteur des télécommunications, les niveaux de charges sociales et fiscales obligatoires pesant sur les salaires , pour les risques communs aux salariés de droit commun et aux fonctionnaires (c'est-à-dire en excluant la cotisation chômage).

b) une contribution forfaitaire exceptionnelle -ou « soulte »- versée une fois pour toutes en 1997. Le transfert d'une partie des charges de retraites des fonctionnaires de France Télécom au budget général crée, sans conteste, une charge nouvelle pour l'État. Afin d'en diminuer l'importance, il est prévu que France Télécom verse à l'État une contribution forfaitaire exceptionnelle de 37,5 milliards de francs (voir chapitre premier).

Un tel mécanisme n'a pas d'effet sur le niveau des prestations perçues par les agents de France Télécom.

Votre rapporteur pour avis tient à souligner l'importance que revêt à ses yeux l'entrée de la France dans la monnaie unique. À ce titre, il se félicite que le budget de l'État proposé pour 1997 permette, grâce à la contribution de France Télécom, de respecter les critères de convergence fixés par le Traité sur l'Union européenne.

B. LA SITUATION FINANCIÈRE DE FRANCE TÉLÉCOM

1. Les principaux résultats financiers


• En 1995, le chiffre d'affaires
de France Télécom s'établit à 133 milliards de francs, en légère progression. L'excédent brut d'exploitation est de 63 milliards de francs, en hausse de 3,3 %. Le résultat net de l'exercice s'élève à 9,7 milliards de francs, en progression de 5,1 %.


• Le chiffre d'affaires total estimé pour 1996
-hors prise en compte des éléments exceptionnels liés au changement de statut de France Télécom- est de 134,6 milliards de francs, soit une augmentation de 1,2 % par rapport au chiffre d'affaires réalisé en 1995.

En ce qui concerne le chiffre d'affaires relatif au seul trafic téléphonique, il est estimé pour 1996 à 85,4 milliards de francs, soit une baisse 1,7 % par rapport au chiffre d'affaires de 1995. Cette diminution est due aux baisses importantes des tarifs relatives aux liaisons louées, intervenues le 1 er janvier 1996 et aux baisses des tarifs des communications internationales et nationales longue distance, intervenues le 2 mars et le 9 juillet 1996. Ces baisses importantes ne seront probablement pas entièrement compensées par 1 augmentation volume et l'augmentation du prix des abonnements.


• L'endettement,
s'il reste élevé, poursuit sa pente décroissante. En conséquence, les frais financiers devraient représenter en 1996 4,9 % du chiffre d'affaires, contre 5,1 % en 1995.

ÉVOLUTION DE LA DETTE FINANCIÈRE DE FRA,CE TÉLÉCOM

1991

1992

1993

1994

1995

1996 (prévision)

120,6

111,6

105,6

95,0

84,3

74,6

(en milliards de francs)

La nécessité de verser 37,5 milliards de francs à l'État en 1997 va néanmoins probablement inverser cette tendance et causer une hausse de l'endettement de France Télécom.

En ce qui concerne le programme d'investissement de l'opérateur, le total des investissements programmés en 1996 se monte à 39 milliards de francs, en augmentation de 39 % par rapport à 1995.

Pour 1997, les investissements, au-delà des programmes classiques liés à la croissance ou à l'amélioration de la qualité de service, devraient concerner la modernisation du réseau et le développement de l'offre de services autour de six axes :

- le développement de la radiotéléphonie mobile, avec en particulier la poursuite du déploiement et de la densification de la couverture du radiotéléphone numérique Itinéris :

- la modernisation du système d'information, notamment dans le domaine commercial ;

- le renouvellement des équipements de commutation anciens avec la mise en service de commutateurs électroniques de troisième génération et la généralisation de nouvelles versions du logiciel des commutateurs, permettant l'ouverture de nouveaux services aux abonnées ;

- l'utilisation massive de la fibre optique dans le réseau de transmission (au total 2 millions de kilomètres de fibre optique devant être installés d'ici à l'an 2000) ;

- le développement de nouveaux services numériques pour les entreprises (Numéris, raccordements optiques et réseaux privés) ;

- l'expérimentation de nouveaux services multimédia sur les autoroutes de l'information. Votre rapporteur pour avis, qui, en sa qualité de rapporteur de la mission commune d'information du Sénat sur les nouvelles technologies de l'information, mesure l'enjeu essentiel que représentent, pour notre société, les autoroutes de l'information, ne peut que se réjouir de cette orientation.

2. L'évolution tarifaire

a) La loi a posé le principe d'un réajustement des tarifs de France Télécom pour lui permettre de faire face à la concurrence

La situation de départ

Traditionnellement, France Télécom demandait des prix relativement élevés pour les communications à longue distance et des prix en deçà des autres pays -et inférieurs aux coûts- pour l'abonnement résidentiel et -dans une moindre mesure- les appels locaux. Un tel déséquilibre tarifaire résultait largement de l'histoire et de la situation de monopole.

L'obligation de résorption de ce déséquilibre historique

Les engagements européens 14 ( * ) de la France, mais surtout l'ouverture à la concurrence rendaient indispensable un rééquilibrage des tarifs qui les rapproche des coûts réels. Sinon, un autre opérateur aurait pu déstabiliser l'opérateur public en captant les segments les plus rentables du marché par des offres de prix avantageuses (surtout s'il n'a pas à supporter les coûts fixes liés à l'accomplissement du service public et au raccordement des réseaux locaux).

Aussi, la loi de réglementation des télécommunications, votée en juin dernier, a-t-elle posé le principe d'une résorption du déséquilibre tarifaire de France Télécom.

LOI DE RÉGLEMENTATION DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

Article L.35-3 II. 3° du code des postes et télécommunications

« Le déséquilibre résultant de la structure actuelle des tarifs téléphoniques au regard du fonctionnement normal du marché sera résorbé progressivement par opérateur public avant le 31 décembre 2000, dans le cadre de baisses globales des tarifs pour l'ensemble des catégories d'utilisateurs ».

b) Les baisses de tarif intervenues en 1996

Cette année, deux baisses successives de tarif sont intervenues, comme le retrace le tableau suivant :

ÉVOLUTION DES TARIFS TÉLÉPHONIQUES DE FRANCE TÉLÉCOM

(en francs, toutes taxes comprises)

1994

1995

1996

2 mars 1996

1996

9 juillet 1996

ÉVOLUTION

de 1994 à 1996

Abonnement résidentiel

45,76

45,76

52,80

52,80

+ 15,4 %

Communications locales (3 minutes)

0,73

0,74

0,74

0,74

+ 1,3 %

Communications nationales (exemple 1 minute Paris-Marseille)

2,43

2,23

1,98

1,73

- 28,8 %

Communications internationales (exemple Paris-New-York 1 minute)

6,69

5,93

4,94

4,45

- 33,5 %

(source : France Télécom)

La dernière baisse, qui a pris effet le 9 juillet 1996 à 8 heures, est destinée, dans l'optique de l'ouverture à la concurrence, à « dynamiser véritablement le marché de la communication [...]. Avec cette baisse de tarifs, France Télécom souhaite donc développer l'utilisation du téléphone » 15 ( * ) .

3. La reprise par la Cour des Comptes des observations du Sénat sur les impayés téléphoniques de l'État

Votre rapporteur pour avis a déjà, à de maintes reprises, attiré l'attention de votre Haute assemblée et interpellé le Gouvernement au sujet du scandale que constituent les retards de paiement de l'État à France Télécom.

Cette vigilance n'a pas empêché cette regrettable situation de perdurer.

La Cour des Comptes, dans son rapport annuel remis cet automne, reprend à son compte les critiques que formulait votre Commission. La haute juridiction financière estime à 2 milliards de francs, soit le quart du total des arriérés de paiement à France Télécom, la somme que doit l'État à l'opérateur public, principalement du fait des ministères de l'Intérieur, de l'Équipement et des Affaires étrangères.

Le Gouvernement a assuré à votre rapporteur pour avis que ces arriérés seraient réglés avant la fin de l'année. Aussi votre rapporteur pour avis souhaite-t-il que le Gouvernement précise, lors des débats budgétaires, les moyens concrets qu'il entend prendre pour que cesse au plus vite cette regrettable situation.

C. LA PERSPECTIVE DE L'OUVERTURE DU CAPITAL EN AVRIL 1997

Comme en ont déjà posé le principe les débats parlementaires relatifs à la loi sur l'entreprise nationale France Télécom. l'État, qui restera majoritairement directement propriétaire de France Télécom, devrait en 1997 ouvrir le capital de l'entreprise à des financeurs extérieurs . Le cadre législatif permet que jusqu'à 49.9 % du capital puisse être vendu.

Les estimations moyennes de la valeur de France Télécom chiffrent à 75 milliards de francs la somme que représentent 49 % du capital de l'entreprise, ce qui constitue pour les marchés financiers un montant trop considérable pour être réalisé en une seule opération D'autant que la mise sur le marché d'une partie du capital de Deutsche Telekom fin 1996 va provoquer un phénomène « d'assèchement » des capitaux internationaux susceptibles Placer dans les télécommunications.

En conséquence, seule une partie des 49,9 % possibles devrait être vendue en 1997, vraisemblablement autour de 20 % du capital, comme l'a affirmé M. Fillon. qui a également indiqué que l'offre publique de vente pourrait avoir lieu pendant la deuxième quinzaine d avril.

Rappelons que cette ouverture du capital devra, aux termes de la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom, comprendre des conditions particulières pour les salariés de l'entreprise, permettant une très large association des personnels qui le souhaiteront au développement futur de l'opérateur.

* 11 Voir le rapport d'information n° 260 « L `avenir de France Télécom : un défi national », de M. Gérard Larcher.

* 12 Voir décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1996, Journal officiel du 27 juillet 1996..

* 13 Voir notamment « L avenir de France Télécom : un défi national », rapport de M. Gérard Larcher, Sénat n° 260, 1995/1996.

* 14 Directive n° 96/19/CEE du 13 mars 1996 qui fixe comme objectif la résorption des déséquilibres tarifaires non justifiés.

* 15 Communiqué Je presse Je France Télécom. 8 juillet 1996

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