CHAPITRE II - UNE POLITIQUE DE LA RECHERCHE AUX PRIORITÉS REDÉFINIES

La recherche française souffre de fragilités persistantes.

Pour y faire face, le Premier ministre a pris l'initiative de réunir, le 3 octobre 1996, le Comité interministériel de la Recherche scientifique et technique (CIRST). Cette structure, mise en place par le Général de Gaulle en 1958, n'avait pas fonctionné depuis 1982. Le CIRST du 3 octobre, comprenant 23 membres du Gouvernement sous la présidence de M. Alain Juppé, a redéfini les grands axes de la politique de recherche française.

I. LES FRAGILITÉS DE LA RECHERCHE FRANÇAISE

A. L'EFFORT NATIONAL DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT...

La France réalise un effort absolu important en matière de recherche et développement qui la place, en volume, au quatrième rang des pays développés, derrière les États-Unis, le Japon et l'Allemagne. Cette situation est conforme à son poids économique.

Cependant certains pays de plus petite taille (Suisse, Suède...) consacrent à la recherche une part de leur PIB plus grande (2,7 et 3,3 %) que celle de la France (2,38 %), qui de ce point de vue, se situe en 1994 au même niveau que l'Allemagne réunifiée (2,3 %), mais en dessous des États-Unis (2,54 %) et du Japon (2,9 % en 1995).

La tendance actuelle est à la diminution du poids des dépenses de recherche dans le PIB dans les différents pays. Cette tendance s'est manifestée tardivement en France, la baisse ne commençant qu'en 1994 alors qu'elle avait été observée dès 1990 aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni et en Allemagne.

B. ...CACHE DES FRAGILITÉS SPÉCIFIQUEMENT FRANÇAISES...

1. Une part traditionnellement faible du financement privé de la recherche

Les entreprises françaises financent moins de la moitié (46 % en 1993) des travaux de recherche effectués en France.

Ce pourcentage est généralement supérieur dans les autres pays industriels : 53 % dans l'Union européenne, 57 % en Amérique du Nord, 68 % au Japon. Même si on tient compte de l'existence de grands programmes industriels (programmes électronucléaire, aéronautiques et spatiaux) financés sur crédits publics et qui sont une particularité française, le concours financier apporté par les entreprises françaises est plus faible que celui de beaucoup d'autres pays. Cette constatation est évidente lorsqu'on compare les efforts individuels des entreprises françaises et étrangères. La part du chiffre d'affaires consacré à la recherche est souvent plus faible en France qu'à l'étranger.

De plus, les grandes entreprises françaises auraient réduit leurs investissements de recherche et développement en 1995.

L'enquête du journal « Le Monde » publiée le 25 août 1996 sur les budgets consacrés en 1995 à la recherche par les grands groupes français fait apparaître deux faits saillants :

- d'une part, certains groupes ont choisi en 1995 de baisser leur budget recherche (par exemple Bull, Lagardère groupe et Aérospatiale) tandis que d'autres ne faisaient que reconduire l'enveloppe de leurs dépenses ;

- d'autre part, l'effort de recherche s'est concentré sur l'innovation et les nouveaux produits, au détriment de la recherche fondamentale.

Le tableau suivant résume les résultats du classement opéré par le journal « Le Monde » pour les budgets les plus importants consacrés par les groupes français à la recherche en 1995.

LES VINGT-CINQ PREMIERS BUDGETS PRIVÉS DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT ( ( * )4)

Cependant, le nombre d'entreprises déclarant mener des activités de recherche et développement est en augmentation depuis 1983, sous l'effet notamment de mesures incitatives comme le crédit d'impôt-recherche 1 .

2. Une forte dépendance des entreprises françaises par rapport aux programmes publics civils et militaires

Les grands programmes de développement technologique civils et militaires structurent la recherche française et fragilisent les entreprises travaillant sur commande publique lorsque les programmes voient leurs crédits réduits (dans la défense ou l'aviation civile par exemple).

Les entreprises concernées doivent se réorienter ou réduire à leur tour leur activité.

3. Une mauvaise valorisation des découvertes de la recherche française par les industries de haute technologie

L'étude sur les « technologies clés » menée par le ministère chargé de l'Industrie a montré que dans le domaine des technologies émergentes, l'industrie française est généralement moins bien placée qu'on ne pourrait s'y attendre au vu de l'importance des résultats scientifiques acquis. La France valorise mal les découvertes de sa recherche qui sont souvent récupérées par ses concurrents. Sur les 66 technologies où notre pays est fort sur le plan scientifique, seules 24 correspondent à une position forte sur le plan industriel (tandis que l'industrie européenne en maîtrise 47).

4. Un mauvais ciblage des efforts d'innovation

La France n'investit pas dans les secteurs les plus porteurs d'avenir : si on examine les brevets déposés, on constate que notre pays se place sur des technologies traditionnelles (transport, BTP), alors que le Japon et les États-Unis investissent dans les technologies émergentes (informatique, pharmacie, biotechnologies).

Ces défauts se répercutent lors de la mise sur le marché international des produits issus de la recherche et développement. Les industries françaises de biens d'équipement de haute technologie, malgré l'importance des ressources qu'elles consomment en recherche, avaient au début des années 1990 une position compétitive plus faible que celles des autres grands pays, dont les industries allemande et britannique.

On arrive à la même conclusion à partir d'autres indicateurs, comme le solde du commerce extérieur des industries françaises à forte intensité en recherche et développement qui était, en 1991, la moitié de celui du Royaume-Uni.

C. ...MÊME SI L'INSUFFISANCE EN MATIÈRE DE RECHERCHE EST UNE FAIBLESSE PARTAGÉE AU NIVEAU EUROPÉEN

1. Le constat du « Livre vert sur l'innovation » dans l'Union européenne

Dans le « Livre vert sur l'innovation » mis en chantier par Mme Edith Cresson, Commissaire européen en charge de la recherche, la Commission européenne regrette l'insuffisance de l'effort de recherche consenti par les pays de l'Union européenne.

« La part du PIB que l'Union européenne consacre à la recherche et développement technologique était de 2 % en 1993, contre 2,7% pour les États-Unis et le Japon (...). Le total des aides publiques à la recherche a été de 24,7 milliards de dollars aux États-Unis, contre seulement 9,3 milliards en Europe ».

Cruel constat des chiffres : l'Europe se révèle avoir une politique moins offensive que les États-Unis et le Japon en matière de recherche.

2. La prédominance américaine s'explique par une forte implication des entreprises privées dans l'effort de recherche

Les États-Unis restent le premier pays pour la somme consacrée à la recherche, qui a atteint 171 milliards de dollars en 1995 (fonds privés et publics confondus). D'après l'OCDE, en 1994, 43 % de la recherche mondiale était le fait des Américains.

La recherche privée est majoritaire et augmente relativement au financement public depuis le début des années 1990.

Les groupes industriels américains restent très innovants, comme en témoignent les statistiques sur le nombre de brevets déposés en 1995 par les plus grandes entreprises mondiales, détaillées ci-dessous :

PRINCIPALES ENTREPRISES AYANT DÉPOSÉ DES BREVETS EN 1995

Le premier européen, Philips, n'occupe que la dix-huitième place avec 504 brevets déposés en 1995.

3. Le Japon fait de la recherche un outil majeur de son développement économique

Le Japon est aujourd'hui le pays qui consacre la plus importante part de son Produit intérieur brut (2,9 %) à la recherche. S'il n'arrive qu'au deuxième rang derrière les États-Unis en valeur absolue, le Japon est cependant le pays où la continuité dans l'effort de recherche a été la plus marquée puisqu'en dix ans, la croissance des crédits consacrés à la recherche aura été de 50 %.

Le financement privé est largement prédominant mais les pouvoirs publics ont adopté un plan quinquennal visant à renforcer l'effort de recherche public.

LE PLAN QUINQUENNAL POUR LA RECHERCHE DU GOUVERNEMENT JAPONAIS

Le gouvernement japonais a adopté en juillet 1996 un plan visant à consacrer 17.000 milliards de yens de fonds publics (820 milliards de francs) à la recherche sur cinq ans.

Cet effort suppose un accroissement annuel de 12 % de l'effort public de recherche jusqu'à l'an 2000. L'accent est mis sur la recherche fondamentale.

Cette décision fait suite à la publication d'un livre blanc sur la recherche.

Le constat des fragilités de la recherche française a amené le Gouvernement à redéfinir la politique de recherche.

* (4) Ce classement a été établi en fonction des réponses faites par les groupes à un questionnaire envoyé auprès d'une centaine d'entreprises par « Le Monde ».

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