Avis n° 91 (1996-1997) de M. Georges OTHILY , fait au nom de la commission des lois, déposé le 30 novembre 1996

Disponible au format Acrobat (2,3 Moctets)

N° 91

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1996.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 1997, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME V

JUSTICE :

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Georges OTHILY,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pages, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2993, 3030 à 3035 et TA. 590 .

Sénat : 85 et 86 (annexe n° 31 ) (1996-1997).

Lois de finances

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 27 novembre 1996 sous la présidence de M. Pierre Fauchon, vice-président, la commission des Lois a procédé, sur le rapport de M. Georges Othily, à l'examen pour avis des crédits de l'administration pénitentiaire dans le projet de loi de finances pour 1997, dont la commission des Finances est saisie au fond.

M. Georges Othily a mis l'accent sur les modifications réglementaires intervenues en 1996 dans le domaine de l'exécution des peines.

Il a notamment insisté sur le décret du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus dont il a présenté les apports, à savoir :

- l'énumération, pour la première fois, des comportements susceptibles de constituer une faute disciplinaire ;

- la mise en place d'une procédure disciplinaire préservant les droits du détenu ;

- la modernisation des sanctions disciplinaires, dont le champ a été élargi et qui donnent à présent lieu à une distinction entre les sanctions générales -susceptibles d'être prononcées qu'elle que soit la faute disciplinaire- et les sanctions spécifiques -prononcées en fonction des circonstances de la faute- ;

- la consécration d'un droit de recours juridictionnel du détenu contre une sanction disciplinaire. Ce droit, que le Conseil d'Etat avait admis en 1995, est cependant subordonné à un recours hiérarchique préalable destiné à permettre une solution amiable.

Sur la proposition de son rapporteur, la commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997.

Mesdames, Messieurs,

L'année 1996 aura été fertile en réformes ou propositions de réformes, tant législatives que réglementaires, concernant l'administration pénitentiaire.

Les débats sur le projet de loi relatif à la détention provisoire et sur la proposition de loi du Président Guy Cabanel concernant le placement sous surveillance électronique ont permis à notre Assemblée d'aborder des thèmes variés : surpopulation carcérale, réinsertion et prévention de la récidive, alternatives à l'incarcération...

Aussi votre rapporteur pour avis n'estime-t-il pas nécessaire de revenir dès à présent sur ces sujets. Il ne juge pas non plus indispensable de présenter dans le détail les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire, cette présentation relevant prioritairement de la compétence de notre commission des finances.

C'est pourquoi, après une présentation des principales orientations budgétaires pour 1997 (I), le présent avis sera essentiellement consacré aux réformes décidées cette année par le pouvoir réglementaire. Il apparaît en effet souhaitable -ne serait-ce que pour un bon exercice de sa mission de contrôle- que le Parlement soit régulièrement informé des décisions réglementaires. L'examen du projet de loi de finances lui en donne l'occasion.

S'agissant de l'administration pénitentiaire, le pouvoir réglementaire est intervenu cette année dans deux domaines : l'individualisation des peines (II) et le droit disciplinaire applicable aux détenus (III).

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES CRÉDITS

Les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire par le projet de loi de finances pour 1997 s'élèveront à 6,777 milliards de francs. Il sera donc en diminution de 1,83 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1996. Cette évolution, qui contraste avec l'augmentation de 7 % décidée lors du précédent budget, ne saurait cependant conduire à considérer que l'administration pénitentiaire est passée au second plan des priorités du Gouvernement. Elle s'explique en fait dans une large mesure par l'achèvement des prisons de Baie-Mahaut et de Ducos, intervenu cette année.

S'agissant des effectifs, le projet de loi de finances prévoit la création de 167 créations nettes d'emplois :

- 127 d'entre elles sont destinées à l'ouverture de la prison de Rémiré-Montjoly afin de mettre fin à l'excessif taux d'occupation de la prison de Cayenne, évalué à 290 % ;

- 37 emplois seront consacrés au renforcement du milieu ouvert, afin de développer le recours aux mesures dites alternatives à l'incarcération ;

- s'y ajouteront deux emplois de sous-directeur des services pénitentiaires et un emploi de professeur technique de l'enseignement professionnel.

S'agissant du fonctionnement, les efforts porteront sur l'informatisation des services pénitentiaires (+ 27,7 millions de francs) et l'entretien et la santé des détenus (+ 66 millions).

S'agissant de l'équipement. 337 millions de francs en autorisations de programme permettront notamment :

- de préparer la construction des 4 390 places de prison prévues par le programme pluriannuel pour la Justice (129 millions) ;

- de poursuivre le programme d'ouverture de 1 200 places supplémentaires de semi-liberté (29 millions).

II. L'INDIVIDUALISATIOIN DES PEINES PRIVATIVES DE LIBERTÉ

Les mesures d'individualisation des peines (placement à l'extérieur, semi-liberté, libération conditionnelle, auxquels on peut ajouter les permissions de sortie) permettent d'assurer une sortie de prison progressive. Ce faisant, elles contribuent à la prévention de la récidive en aidant le condamné à se réadapter par étapes à la liberté.

Force est cependant de constater que, en dépit de leur indéniable utilité, le prononcé de ces mesures connaît actuellement une certaine stagnation voire, tout particulièrement pour la libération conditionnelle, une véritable régression. L'année 1996 aura cependant été marquée par des initiatives des pouvoirs publics pour relancer leur prononcé.

A. UNE ÉVOLUTION CONTRASTÉE

1. Les mesures en stagnation : la semi-liberté et le placement à l'extérieur

Sur la période 1986-1995, les ordonnances de placement à l'extérieur et les décisions de semi-liberté ont connu une augmentation significative : + 34 % pour les premières ; + 30 % pour les secondes.

Cette tendance de long terme recouvre bien entendu des évolutions différentes selon les années. Ainsi, le nombre des ordonnances de placement à l'extérieur a baissé de 5 % en 1995 (3.299 ordonnances) alors qu'il avait augmenté de 6,2 % en 1994 (3.477 ordonnances). Quant au nombre de décisions de semi-liberté, il a augmenté de 1 % en 1995 (6 437 décisions) après avoir connu une hausse de 5,4 % en 1994.

Mais surtout, l'accroissement en valeur absolue marque une diminution relative du nombre de ces décisions par rapport au nombre de condamnés incarcérés, lequel s'est élevé de 50 % depuis 1986.

2. Le déclin du recours à la libération conditionnelle

La libération conditionnelle peut être accordée aux condamnés présentant des gages sérieux de réadaptation sociale. L'autorité compétente pour prendre une telle décision est :

- soit le juge de l'application des peines (JAP) après avis de la commission de l'application des peines, lorsque le condamné doit subir une durée de détention n'excédant pas cinq années à compter du jour de l'incarcération ;

- soit le ministre de la justice, sur proposition du JAP et après avis de la commission de l'application des peines, lorsque le condamné doit subir une durée de détention supérieure à cinq ans.

Après avoir donné lieu à un nombre d'utilisations limité, le recours à la libération conditionnelle a connu une évolution contrastée de 1973 à 1987 : alors que le nombre de décisions annuelles prises par les JAP passait d'environ 3.000 à plus de 8.000, celui des libérations conditionnelles accordées par le Garde des Sceaux passait d'environ 1.600 à 520.

Depuis huit ans, quelle que soit l'autorité compétente, le recours à la libération conditionnelle est en constante diminution comme le soulignent les tableaux ci-après :

Libérations conditionnelles accordées par les JAP

Année

Nombre de condamnés

remplissant les

conditions (!)

Nombre de

condamnés

admis

Pourcentage

1987

34.474

8.357

24,24

1988

30.940

8.167

26,40

1989

26.587

5.474

20,59

1990

27.764

5.756

20,73

1991

31.321

5.589

17,84

1992

34.373

4.166

12,12

1993

35.909

5.469

15,23

1994

40.914

5.554

13,60

1995

40.500

5.292

13,10

(1) L'augmentation constatée à partir de 1993 doit s'apprécier compte tenu de la loi du 4 janvier 1993 ; celle-ci a confié au JAP les décisions de libération conditionnelle concernant les condamnés à 5 ans ou moins (contre 3 ans auparavant).

Libérations conditionnelles accordées par le Garde des Sceaux

Année

Nombre

de propositions

examinées (1)

Arrêtés d'admission

Pourcentage

1988

1.508

704

46,68

1989

1.510

742

49,14

1990

1.255

605

48,21

1991

1.150

589

51,21

1992

1.149

513

45,00

1993

589

276

47,00

1994

615

259

42,1 1

1995

568

199

35,03

(1) La diminution observée à partir de 1993 doit s'apprécier compte tenu de la loi du 4 janvier 1993. Auparavant le Garde des Sceaux était compétent pour accorder la libération conditionnelle aux condamnés à plus de 3 ans ; depuis lors, ce quantum a été porté à 5 ans

Parmi les facteurs expliquant le déclin de la libération conditionnelle, on peut citer :

- la tendance à une sévérité accrue à l'égard de certains délinquants (tels que ceux condamnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants ou les délinquants sexuels) qui représentent une part importante des bénéficiaires potentiels ;

- le recours chaque année à une mesure de grâce collective qui, tout au moins pour les condamnés à une courte peine, réduit l'intérêt d'une libération conditionnelle ;

- et surtout la précarisation grandissante des détenus dans un contexte économique difficile, qui rend sensiblement plus délicate la constitution de projets de sortie.

B. LES RÉPONSES APPORTÉES EN 1996

L'année 1996 a été marquée par deux initiatives pour relancer les mesures d'individualisation des peines. Elles s'ajoutent aux décisions intervenues en 1995, notamment à la suite de la loi du 8 février relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, que votre rapporteur pour avis avait rappelées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1996 (libération conditionnelle des condamnés étrangers, conversion des courtes peines d'emprisonnement en sursis assorti d'un travail d'intérêt général...).

Votre commission constate que ces deux initiatives reprennent des propositions formulées par notre excellent collègue Guy Cabanel dans son rapport de mission au Premier Ministre, « Pour une meilleure prévention de la récidive ».

1. Le placement sous surveillance électronique

Dans son précédent avis budgétaire, votre rapporteur avait mis en avant l'attention toute particulière portée par votre commission à la réflexion sur les perspectives offertes par la surveillance électronique comme substitut à l'incarcération.

De larges débats ont été consacrés cette année à ce procédé au sein des deux assemblées notamment dans le cadre du projet de loi relatif à la détention provisoire. Même si ces discussions n'ont pas jusqu'à présent abouti à l'adoption d'un texte définitif, elles ont permis de dégager un large consensus :

- sur le principe même du recours au placement sous surveillance électronique (PSE) comme substitut à l'incarcération, que l'Assemblée nationale a d'ailleurs souhaité inscrire dans le rapport annexé à la loi de programme pour la justice du 6 janvier 1995 ;

- sur l'opportunité d'appliquer prioritairement le PSE à des personnes condamnées (sans que le principe de son application comme substitut à la détention provisoire ait été pour autant définitivement écarté).

Sur ce point, le Sénat aura joué un rôle moteur en adoptant à une large majorité (seul le groupe communiste, républicain et citoyen votant contre) une proposition de loi déposée par le Président Guy Cabanel. Ce texte, auquel le Gouvernement a réservé le meilleur accueil, prévoit l'application du PSE à des personnes condamnées à une peine de prison n'excédant pas une année ou n'ayant plus à subir qu'un reliquat de peine inférieur ou égal à un an. Votre rapporteur pour avis ne croit pas utile de revenir dans le détail sur les modalités retenues par le Sénat. Il tient toutefois à souligner que l'adoption définitive de cette proposition de loi permettrait de relancer le prononcé des mesures d'individualisation des peines privatives de liberté :

- d'une part, en offrant au JAP un nouveau mode d'individualisation ;

- d'autre part, en préparant la libération conditionnelle. Votre commission des Lois avait particulièrement insisté sur ce second point, considérant que le PSE permettrait une réadaptation progressive à la liberté qui pourrait s'effectuer en trois temps : PSE, libération conditionnelle, libération définitive. M. le Garde des Sceaux a partagé cette analyse et a même défendu un amendement (voté par notre assemblée) aux termes duquel le PSE serait également possible à titre probatoire de la libération conditionnelle.

2. L'extension des compétences du JAP : la modification de l'article D. 49-1 du code de procédure pénale

A l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1996, votre commission des Lois avait appelé de ses voeux une extension du champ d'application des dispositions permettant de recourir à des mesures dites alternatives à l'incarcération. Elle avait insisté sur l'article D 49-1 du code de procédure pénale prévoyant la communication par le ministère public au JAP d'un extrait de la décision de condamnation à six mois ou moins d'emprisonnement ferme frappant une personne non incarcérée. Le JAP ainsi informé détermine les modalités d'exécution de la peine en considération de la situation du condamné. Ce magistrat est alors à même de prononcer une mesure d'individualisation de la peine, par exemple en décidant que celle-ci s'exécutera sous le régime de la semi-liberté.

Dans son rapport de mission précité, le Président Cabanel avait proposé de « porter de six mois à un an le quantum de peine prononcée prévu par l'article D 49- 1 (...) pour la transmission d'une décision de condamnation au JAP » (proposition n° 12).

Le décret n° 96-651 du 22 juillet 1996 a donné suite à cette proposition. Lors de son audition par votre commission des Lois, le 19 novembre 1996, M. le Garde des Sceaux a rappelé que, en 1995, 4.116 personnes avaient été condamnées à une peine comprise entre 6 mois et un an ce qui donne un ordre de grandeur de l'impact attendu du décret -même si ne pourront en bénéficier que les personnes libres au moment de leur condamnation-.

Ledit décret a par ailleurs permis au JAP de charger le comité de probation et d'assistance aux libérés « de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée et de proposer les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé ».

Enfin, le même décret a porté de un à deux mois le délai imparti au JAP pour décider des modalités d'exécution de la peine.

Votre commission des Lois approuve cette modification réglementaire laquelle, en étendant le champ d'intervention du JAP et en lui permettant de mieux connaître le condamné, lui paraît de nature à favoriser le prononcé de mesures d'individualisation des peines privatives de liberté.

III. UN NOUVEAU RÉGIME DISCIPLINAIRE DES DÉTENUS

A l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 1996, votre rapporteur pour avis avait insisté sur les efforts entrepris en 1994 dans la prise en charge des détenus. Il avait notamment insisté sur leur accès à l'enseignement, aux loisirs et aux soins. Ces efforts ont été poursuivis en 1995 et 1996, tout particulièrement dans le domaine sanitaire : sur les 144 établissements pénitentiaires concernés par la réforme du dispositif de soins en milieu pénitentiaire, 141 ont signé des protocoles avec un hôpital. Tous ces protocoles sont entrés en vigueur. Restent à signer les protocoles des maisons d'arrêt de Fresnes et de la Santé (qui cependant, par anticipation, ont commencé à fonctionner progressivement depuis le 1er juin 1996), de Cahors (pour lequel le retard est dû à la démission du conseil d'administration de l'hôpital).

Mais votre rapporteur tient présentement à insister sur le décret n° 96-287 du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus. Par son objet, ce décret concerne une matière à laquelle votre commission des Lois porte une attention particulière. Par sa portée, il revêt une importance telle qu'un auteur aussi éminent que le professeur Jean Pradel a pu parler de « révolution en droit pénitentiaire ».

Avec l'arrêt « Marie » rendu par le Conseil d'État le 17 février 1995, le droit disciplinaire des détenus avait déjà connu une avancée significative puisque, pour la première fois, le juge administratif avait admis la recevabilité d'un recours pour excès de pouvoir contre une sanction disciplinaire.

Jusqu'alors. en effet, une telle décision était considérée comme une mesure d'ordre intérieur et ce en dépit de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui estimait qu'une sanction grave prononcée à l'encontre d'un détenu revêtait un caractère pénal et devait pouvoir être contestée devant une juridiction.

Un an après, le décret du 2 avril 1996 est allé bien au-delà de l'apport, pourtant essentiel, de l'arrêt « Marie ». En effet, outre la reconnaissance d'un droit de recours au profit du détenu contre une sanction disciplinaire (D), ce texte a, pour la première fois, énuméré les comportements susceptibles de constituer une faute disciplinaire (A) et prévu une procédure disciplinaire de nature à préserver les droits de l'intéressé (B). Il a en outre opéré une modernisation des sanctions susceptibles d'être prononcées (C).

A. L'ÉNUMÉRATION DES COMPORTEMENTS CONSTITUTIFS D'UNE FAUTE DISCIPLINAIRE

Jusqu'en avril dernier, la notion de faute disciplinaire commise par un détenu n'était pas définie. En soi, cette situation n'avait rien d'exorbitante en ce que le droit pénitentiaire n'était pas la seule matière où la faute était laissée à l'appréciation de l'autorité chargée de prononcer la sanction. Il en va en particulier également ainsi en droit du travail.

Mais l'absence de définition de la faute disciplinaire conférait un pouvoir considérable au chef d'établissement dès lors que, contrairement à une sanction prononcée par un employeur, la sanction ne pouvait (tout au moins jusqu'à l'arrêt « Marie ») être contestée devant un juge.

En énumérant les comportements susceptibles de constituer une faute disciplinaire, le décret précité a, comme l'a fait observer M. le Professeur Pradel, consacré en droit pénitentiaire le principe nullum crimen sine lege.

Aux termes des nouveaux articles D 249-1 à D. 249-3 du code de procédure pénale, les fautes disciplinaires sont classées en trois catégories selon leur gravité :


• Parmi les fautes disciplinaires du premier degré, les plus graves, on citera notamment le fait, pour un détenu :

- « d'exercer des violences physiques à l'encontre d'un membre du personnel de l'établissement ou d'une personne en mission ou en visite dans l'établissement pénitentiaire » ;

- « de participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l'établissement » ;

- « de détenir des stupéfiants » ou d'en faire le trafic ;

- « d'exercer des violences physiques à l'encontre d'un codétenu » ;

- « de causer délibérément de graves dommages aux locaux ou au matériel affecté ».


• Parmi les fautes disciplinaires du deuxième degré, signalons le fait, pour un détenu :

- « de proférer des insultes ou des menaces à l'égard d'un membre du personnel de l'établissement ou d'une personne en mission ou en visite au sein de l'établissement pénitentiaire » ;

- « de commettre ou tenter de commettre des vols » ;

- « de se soustraire à une sanction disciplinaire à son encontre » ;

- « de tenter d'obtenir d'un membre du personnel de l'établissement ou d'une personne en mission au sein de l'établissement, un avantage quelconque par des offres, des promesses, des dons ou des présents ».


• Enfin, les fautes disciplinaires du troisième degré comprennent notamment le fait, pour un détenu :

- « de proférer des insultes ou des menaces à l'encontre d'un codétenu » ;

- « de refuser d'obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l'établissement » ;

- « de ne pas respecter les dispositions du règlement intérieur de l'établissement ou les instructions particulières arrêtées par le chef de l'établissement » ;

- « de négliger de préserver ou d'entretenir la propreté de sa cellule ou des locaux communs » ;

- « d'entraver ou de tenter d'entraver les activités de travail, de formation, culturelles ou de loisirs » ;

- « de jeter des détritus ou tout autre objet par les fenêtres de l'établissement ».

Cette classification en trois catégories a -comme il le sera précisé plus loin- des conséquences sur le plan de la procédure disciplinaire et des sanctions susceptibles d'être prononcées. Elle a en outre un intérêt pédagogique puisque l'édiction d'une hiérarchie dans la gravité des actes est de nature à mieux faire comprendre au détenu la portée de sa faute.

On observera que ces fautes disciplinaires constituent également pour la plupart des infractions pénales. Leurs auteurs peuvent donc faire l'objet d'une double poursuite, l'une de nature disciplinaire, l'autre de nature pénale.

Enfin, le nouvel article D. 249-4 du code de procédure pénale précise que les faits énumérés par les articles D. 248-1 à D. 249-3 constituent des fautes disciplinaires même lorsqu'ils sont commis à l'extérieur de l'établissement pénitentiaire.

B. LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE

1. La procédure préalable à l'audience

a) L'engagement de la procédure

Aux termes du nouvel article D. 250-1 du code de procédure pénale, un rapport d'incident doit être établi en cas de comportement de nature à justifier une sanction disciplinaire. La circulaire d'application du décret, également datée du 2 avril 1996, précise que « si le ou les détenus, objets du compte-rendu d'incident, doivent être avertis de la rédaction par l'agent d'un rapport à son propos, il n'y a pas, à ce stade de la procédure, nécessité d'en notifier au détenu la teneur, les suites données au compte-rendu n'étant pas nécessairement de nature disciplinaire ».

En effet, à la suite de ce compte-rendu, un chef de service ou un premier surveillant adresse au chef d'établissement un rapport comportant « tout élément d'information utile sur les circonstances des faits reprochés au détenu et la personnalité de celui-ci ».

C'est au chef d'établissement qu'il appartient d'apprécier l'opportunité de la poursuite : à l'instar du procureur de la République en procédure pénale, le chef d'établissement peut classer sans suite la procédure disciplinaire ou décider de poursuivre. Il peut également demander un supplément d'enquête.

b) Les droits du détenu poursuivi

1.- La préservation des droits de la défense

Avant le décret n° 96-287, le détenu devait simplement être informé par écrit avant sa comparution des faits qui lui étaient reprochés et mis en mesure de présenter ses explications. Le décret a précisé que la convocation à comparaître à l'audience doit indiquer le délai dont dispose le détenu pour préparer sa défense et que ce délai ne peut être inférieur à trois heures.

2.- L'encadrement du placement préventif en cellule disciplinaire

Avant le décret du 2 avril 1996 « en cas d'urgence, l'auteur d'une infraction grave à la discipline (pouvait) être conduit au quartier disciplinaire à titre de prévention, en attente de la décision à intervenir ».

Le décret a strictement encadré ce qui est désormais appelé le « placement préventif en cellule disciplinaire » en le soumettant à des conditions qui ne sont pas sans rappeler celles du placement en détention provisoire : le placement en cellule disciplinaire n'est en effet possible que « si les faits constituent une faute du premier ou du deuxième degré et si la mesure est l'unique moyen de mettre fin à la faute ou de préserver l'ordre à l'intérieur de l'établissement ». En outre, il n'est pas applicable aux mineurs de seize ans.

Par ailleurs, la durée du placement préventif en cellule disciplinaire « est limitée au strict nécessaire et ne peut excéder deux jours à compter de la date à laquelle les faits ont été portés à la connaissance du chef d'établissement ». Cette durée s'impute sur la sanction à subir lorsque le détenu est condamné au confinement en cellule individuelle ou à la mise en cellule disciplinaire.

2. L'audience : l'institution d'une commission de discipline

Le décret du 2 avril 1996 a transféré du chef d'établissement à une commission de discipline le pouvoir de décision en matière disciplinaire. Cette commission comprend « outre le chef d'établissement ou son délégué, président, deux membres du personnel de surveillance dont un appartenant au grade de surveillant ». On observera toutefois que les membres du personnel, désignés par le chef d'établissement, n'ont qu'une voix consultative.

Lors de sa comparution, le détenu présente en principe ses observations en personne. Un interprète peut cependant servir d'intermédiaire dans certaines hypothèses, notamment si le détenu ne comprend pas le français. La décision sur la sanction disciplinaire doit être motivée et rappeler au détenu sa faculté qui lui est reconnue de la contester.

C. LES SANCTIONS DISCIPLINAIRES

Le décret du 2 avril 1996 a élargi la panoplie des sanctions disciplinaires et opéré une distinction entre celles qui peuvent être prononcées « quelle que soit la faute disciplinaire » (article D. 251 du code de procédure pénale) et celles qui peuvent être prononcées « en fonction des circonstances de la faute disciplinaire » (article D. 251-1). La circulaire d'application appelle les premières « sanctions générales » et les secondes « sanctions spécifiques ».

1. Les sanctions générales

Elles sont au nombre de cinq :

- l'avertissement ;

- l'interdiction de recevoir des subsides de l'extérieur pendant une période maximum de deux mois ;

- la privation pendant une période maximum de deux mois d'effectuer certains achats en cantine ;

- le confinement en cellule individuelle ordinaire . Cette sanction, qui ne peut être prononcée à l'encontre des mineurs de seize ans, emporte privation de cantine ainsi que privation de toutes les activités à l'exception de la promenade et de l'assistance aux offices religieux. La durée maximum du confinement varie en fonction de la gravité de la faute et de l'âge de son auteur :

Durée maximum du confinement

en cellule individuelle ordinaire (en jours)

Faute

du premier

degré

faute

du deuxième

degré

faute

du troisième

degré

Majeurs

45

30

15

Mineurs de plus de seize ans

15

8

4

- la mise en cellule disciplinaire : elle consiste dans le placement individuel du détenu dans l'une des cellules spécialement aménagées du quartier disciplinaire. Elle comporte la privation d'achats en cantine ainsi que la privation des visites et de toutes les activités, sous réserve d'une heure de promenade par jour. Comme pour le confinement, la durée maximum de la mise en cellule disciplinaire varie selon la faute et l'âge du détenu :

Durée maximum de la mise

en cellule disciplinaire (en jours)

Faute

du premier

degré

faute

du deuxième

degré

faute

du troisième

degré

Majeurs

45

30

15

Mineurs de plus de seize ans

15 ou 8

(selon que la

faute a été ou non

accompagnée de

violences contre

les personnes)

8 ou 5

(selon que la

faute a été ou non

accompagnée de

violences)

3

Mineurs de seize ans

Mise en cellule disciplinaire impossible

Il convient de souligner que ces sanctions dites générales ne sont pas cumulables entre elles. Elles peuvent en revanche aller de pair avec le prononcé d'une sanction dite spécifique.

2. Les sanctions spécifiques

Ainsi nommées par la circulaire d'interprétation parce « qu'elles ne peuvent être prononcées que si elles sont en lien avec l'infraction commise », ces sanctions peuvent être prononcées à titre principal ou à titre complémentaire aux sanctions générales.

Ladite circulaire classe ces sanctions spécifiques en trois catégories.

a) Les sanctions entraînant la remise en cause temporaire ou définitive du bénéfice d'une activité.

Il s'agit de :

- la mise à pied d'un emploi pour une durée maximum de huit jours lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l'occasion du travail :

- le déclassement d'un emploi ou d'une formation, lorsque la faute a été commise au cours ou à l'occasion de l'activité considérée ;

- la privation d'activités de formation, culturelles, sportives et de loisir pour une période maximum d'un mois lorsque la faute a été commise au cours de ces activités.

b) Les sanctions entraînant l'exécution d'un travail

Instaurées « dans le but pédagogique de faire réparer au détenu les dégradations qu'il a pu volontairement faire subir aux locaux de l'administration pénitentiaire », ces sanctions supposent l'accord du détenu. Elles ne peuvent être prononcées que comme substituts aux sanctions de confinement en cellule individuelle ou de mise en cellule disciplinaire. C'est pourquoi les sanctions impliquant l'exécution d'un travail sont inapplicables aux mineurs de moins de seize ans, ceux-ci ne pouvant se voir infliger une sanction de mise en cellule.

Ces sanctions, au nombre de deux, sont :

- l'exécution d'un travail de nettoyage des locaux pour une durée globale n'excédant pas quarante heures lorsque la faute disciplinaire est en relation avec un manquement aux règles d'hygiène ;

- l'exécution de travaux de réparation lorsque la faute est en relation avec la commission de dommages ou de dégradations.

c) Les sanctions entraînant la privation temporaire d'un avantage

Il s'agit de :

- la privation pendant une durée maximum d'un mois de tout appareil acheté ou loué par l'intermédiaire de l'administration lorsque la faute disciplinaire a été commise à l'occasion de l'utilisation de ce matériel ou lorsque la sanction accompagne une décision de confinement en cellule individuelle ordinaire ;

- la suppression de l'accès au parloir sans dispositif de séparation pour une période maximum de quatre mois lorsque la faute a été commise au cours ou à l'occasion d'une visite.

D. LES VOIES DE RECOURS OUVERTES A U DÉTENU

Le principe d'un recours contre une sanction disciplinaire avait, comme il a été indiqué précédemment, été admis en 1995 par le Conseil d'État. Le nouvel article D. 250-5 du code de procédure pénale confirme cette faculté mais la subordonne à un recours hiérarchique préalable.

1. La nécessité d'un recours hiérarchique préalable

Selon l'article D. 250-5 précité, « le détenu qui entend contester la sanction disciplinaire dont il est l'objet doit, dans le délai de quinze jours à compter (...) de la notification de la décision, la déférer au directeur régional des services pénitentiaires préalablement à tout autre recours ».

Il s'agit donc d'une exception au principe du caractère facultatif d'un recours administratif préalable à un recours juridictionnel. La circulaire d'interprétation justifie cette exception en ces termes :

« Il est intéressant que, sans perdre le droit de s'adresser à la justice, les détenus puissent faire valoir devant l'autorité administrative hiérarchique des considérations d'opportunité ou d'équité.

En outre, cette procédure crée une chance d'obtenir satisfaction à l'amiable. Elle peut dès lors épargner au justiciable un procès inutile, lorsque l'argumentation que l'administration a pu s'attacher à présenter fait apparaître le mal-fondé des réclamations ou lorsque satisfaction peut être donnée à l'intéressé.

Le recours administratif préalable constitue donc un filtrage des recours juridictionnels éventuels. »

Ce recours n'est pas suspensif.

Par ailleurs, compte tenu de son caractère obligatoire, ce recours préalable est-' une condition de la recevabilité d'un éventuel recours juridictionnel. Celui-ci ne saurait notamment avoir un champ plus large que le recours administratif (ainsi, un détenu ayant fait l'objet de deux sanctions et n'en ayant soumis qu'une au directeur régional ne pourra soumettre que cette dernière sanction au juge).

Le directeur régional saisi d'un recours contre une sanction disciplinaire dispose d'un délai d'un mois pour répondre par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet.

2. Le recours juridictionnel

Il vise la décision -implicite ou explicite- du directeur régional qui se substitue à la décision initiale de la commission de discipline. Il obéit aux règles du droit commun du recours pour excès de pouvoir et notamment à la nécessité de saisir le juge dans un délai de deux mois.

*

D'une manière générale, votre rapporteur pour avis juge satisfaisant le bilan de l'action de l'administration pénitentiaire en 1996. Son attention a cependant été attirée sur certains faits qu'il considère personnellement comme des anomalies.

Tout d'abord, les nouveaux centres pénitentiaires, notamment ceux de Remire-Montjoly (Guyane), de Baie-Mahault (Guadeloupe) et de Ducos (Martinique), paraissent loin d'avoir un nombre suffisant d'effectifs pour être à la hauteur des ambitions de l'administration pénitentiaire.

Ensuite, il y a lieu de s'interroger sur le refus du ministère d'accorder aux personnels guyanais l'indemnité exceptionnelle de 20.000 F versée à l'occasion de la fermeture d'établissements pénitentiaires. Votre rapporteur pour avis ne comprend en effet pas les raisons de ce qu'il considère comme une atteinte à l'égalité, ladite indemnité ayant été octroyée aux personnels dans les autres départements, qu'il s'agisse de la Corse, de la Guadeloupe ou de la Martinique.

* *

*

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable aux crédits de l'administration pénitentiaire inscrits au projet de loi de finances pour 1997.

ANNEXE - Eléments d'information sur l'administration pénitentiaire


• Coût quotidien d'une place de prison (intégrant les personnels d'État) en 1995

Parc 13 000

314,32 F

Parc classique

272,47 F


• Evaluation de la charge budgétaire de l'extension aux personnels de surveillance de la « bonification du cinquième » (millions de francs)

1996

5,58

1997

10,91

1998

18,59

1999

22,20

2000

27.48


• Effectifs de l'administration pénitentiaire

Effectifs au réel 01.07.1996

Total effectif budgétaire

Milieu fermé

Milieu ouvert

Vacances

Personnel de direction

311

305

-6

Personnel administratif

(y compris le personnel de service)

2 146

2 035

52

-59

Personnel technique

667

611

-56

Personnel socio-éducatif (personnel d'insertion et de probation et assistants sociaux)

1 742

775

782

- 185

Personnel de surveillance

19 622

19 424

- 198

Contractuels

129

87

23

- 19

Infirmiers et Kinésie

2

18

16

TOTAL

24 619

23 255

857

-507

24 112


• Evolution de la population carcérale (métropole et DOM) au 1er janvier

Année

Population carcérale

Taux de prévenus

1986

44 029

49,4 %

1991

49 083

40,5 %

1996

55 062

39,8 %


• Taux d'occupation des prisons métropolitaines au 1er janvier 1996 : 111 % (47 365 places pour 52 658 personnes)


• Flux.annuel (métropole et DOM)

1994  : 88 754 entrées ; 87 337 sorties

1995  : 85 604 entrées ; 84 467 sorties


• Durée moyenne de détention

1980 : 4,6 mois (dont 2,9 mois pour la détention provisoire) 1995 : 7,6 mois (dont 4,1 mois pour la détention provisoire)

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page