III. UNE PRIORITÉ : AFFIRMER LA POSITION DE LA FRANCE DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

Il ne s'agit pas, précisons-le, d'affirmer que ce domaine est le seul qui nécessite un effort de recherche. Bien entendu les recherches dans les domaines des biotechnologies, de la santé, de l'environnement, de l'énergie sont importantes. Mais le secteur de l'informatique et de la communication, par son caractère transversal, recouvre tous les autres et les progrès y sont à la fois fulgurants et déterminants pour l'avenir.

A. UN DÉFI À RELEVER

1. Une condition de la croissance économique pour les années à venir

Un potentiel de croissance

Depuis longtemps déjà, les travaux du Sénat et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques soulignent que dans les années à venir la croissance économique de la France dépendra du succès de son entrée dans la société de l'information 8( * ) .

En effet, il importe que notre pays ne soit pas réduit au statut de consommateur de nouvelles technologies mais qu'il participe en tant qu'acteur à la croissance industrielle qui découlera du développement de la société de l'information.

La maîtrise de ces technologies constitue désormais un enjeu stratégique majeur . Elle déterminera, en effet, pour une large part la compétitivité des économies, la qualité des réseaux de communication, l'efficacité administrative et donc l'attractivité du territoire national pour les investisseurs étrangers. Il s'agit donc de déjouer un risque de sujétion non seulement économique mais également scientifique et culturelle .

Il n'est plus un secteur de l'ingénierie ou de la production, des plus traditionnels aux industries de pointe, où les technologies de l'information n'aient pas pénétré de manière massive, transformant les processus de conception et de fabrication et ouvrant de nouveaux marchés. On estime par exemple que 40 à 50 % de la valeur d'un avion moderne est faite d'électronique et de logiciel, et certaines voitures de série actuelles contiennent plus d'informatique que le module lunaire utilisé par Neil Amstrong en 1969. La pénétration des ordinateurs personnels, la combinaison de la micro-informatique et des télécommunications modifient l'organisation des rapports commerciaux comme les relations entre les individus ou les rapports entre les citoyens et les services publics.

Le rythme de l'innovation technologique qui dicte ces mutations est de plus en plus rapide et suscite une demande économique et sociale extrêmement forte. Le marché mondial des technologies de l'information et de la communication croit de 10 % par an et le nombre des ménages reliés aux réseaux électroniques triplera dans les cinq ans à venir. Plus largement, les technologies utilisant l'informatique, l'automatique et le calcul scientifique ouvrent des perspectives d'innovation considérables dans presque tous les secteurs qu'il s'agisse de l'ingénierie, de l'éducation, de la médecine, des transports ou encore du commerce ou de la finance.

Un colloque tenu au Sénat les 16 et 17 novembre dernier sous l'égide du groupe d'études " Innovation et entreprises ", auquel ont participé plus de 200 personnes, dont les plus grands spécialistes internationaux, sous le titre " Forum global : donner forme à l'avenir ", a confirmé que le mouvement mondial en la matière s'accélérait.

Les secteurs impliqués dans ces évolutions représentent un important potentiel de création d'emplois. Aux Etats-Unis, on estime que l'essor des technologies de l'information et de la communication a contribué à créer directement le tiers des nouveaux emplois. Un constat analogue peut être fait en Europe : une étude récente de la Commission européenne indique que le nombre d'emplois créés dans les services est directement lié au volume des investissements dans les nouvelles technologies.

La France et l'Europe ont des atouts non négligeables pour réussir leur entrée dans la société de l'information et s'affirmer dans la compétition économique et technologique qu'elle entraîne. Outre l'expérience du Minitel, qui a permis à un très large public d'avoir accès à une gamme étendue de téléservices, la France dispose d'atouts technologiques comme la carte à puce. Par ailleurs, elle compte plusieurs grands acteurs industriels très bien placés au niveau international qu'il s'agisse d'opérateurs de télécommunications, de constructeurs ou d'équipementiers. Enfin, elle bénéficie de la qualité de son dispositif de recherche.

2. Une prise de conscience salutaire

Un programme d'action gouvernemental

Annoncé en août 1997 à Hourtin par le Premier ministre, le programme d'action gouvernemental pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information a été rendu public le 16 janvier 1998 à l'issue du comité interministériel pour la société de l'information. Il détermine pour les années à venir les grandes orientations de l'action publique à conduire dans ce domaine.

L'affirmation du caractère prioritaire de cet enjeu, que votre rapporteur ne peut que soutenir, est nette. En effet, il y a deux ans déjà, il avait observé que " tant qu'il n'y aura pas des programmes d'une ampleur comparable au programme nucléaire et au programme spatial, programmes intégrant la sensibilisation des usagers et le financement massif des expérimentations, la France ne pourra prendre le leadership auquel la pratique du Minitel lui permet de prétendre ".

Force est de constater une nouvelle fois que s'il y a des infléchissements, ils ne semblent pas encore suffisants.

Le programme gouvernemental, qui comprend à la fois des orientations et des propositions, s'articule autour de six priorités :

1. renforcer le rôle des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement ;

2. définir une politique culturelle pour les nouveaux réseaux ;

3. mettre les technologies de l'information au service de la modernisation des services publics ;

4. faire des technologies de l'information un outil primordial pour les entreprises ;

5. encourager l'innovation industrielle et technologique ;

6.  instituer une régulation efficace et un cadre protecteur pour l'information.

Un suivi budgétaire difficile

Le programme présenté par le gouvernement se veut plus incitatif que directif. Il tend à créer les conditions favorables au développement de la demande de nouvelles technologies, rompant ainsi avec la logique des politiques sectorielles et des commandes publiques massives. Il intéresse l'ensemble des ministères bien que certains soient plus particulièrement concernés, tels le ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ou le ministère de l'économie et des finances. Par ailleurs, il met en jeu des crédits incitatifs mais comporte également des mesures financées sur le budget des établissements de recherche.

Mais en l'absence de présentation synthétique, le contrôle du Parlement sur les modalités budgétaires de la mise en oeuvre de ce programme ne peut que dépendre des informations communiquées par le gouvernement.

D'après les indications fournies par le BCRD, 2,7 milliards de francs ont été engagés en 1998 pour les recherches conduites dans le domaine des technologies de l'information et de la communication, principalement par le biais de soutiens incitatifs du ministère chargé de l'industrie (1,5 milliard de francs), de l'ANVAR (400 millions de francs) et du ministère chargé de la recherche (200 millions de francs)

B. DES INCERTITUDES SUR LES PROGRAMMES DE RECHERCHE NÉCESSAIRES

Si votre rapporteur approuve les propositions destinées à créer un cadre favorable au développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, notamment en incitant les entreprises à tirer profit des opportunités qu'elles offrent, il considère comme encore trop incertaines les orientations données en la matière à la politique de la recherche.

1. Le nécessaire développement de l'effort de recherche

La plupart des succès technologiques de ces dernières années résultent d'une heureuse combinaison entre la recherche fondamentale, les compétences nécessaires à la mise au point de prototypes convaincants, l'esprit d'entreprise et le soutien massif des pouvoirs publics.

Ainsi, la commutation par paquets, qui est à l'origine d'Internet, a été initiée vers la fin des années 60 par des universitaires puis soutenue par les pouvoirs publics américains avant de connaître le succès. De même, le succès de SGS-Thomson a été fondé sur des acquis de la recherche publique, en particulier du laboratoire d'électronique et des technologies de l'instrumentation (LETI), qui ont ensuite fait l'objet de programmes européens et nationaux massifs.

Dans le secteur des technologies de l'information, le succès économique repose sur l'efficacité du transfert des connaissances entre la recherche et l'industrie . En effet, dans ce secteur plus que dans beaucoup d'autres, le cercle " vertueux " liant la recherche de base et ses applications trouve à s'appliquer. En effet, des entreprises comme Digital Equipment Corporation ou Hewlett-Packard ou encore Cisco n'existeraient pas sans le MIT 9( * ) , Berkeley ou Stanford.

Les recherches menées dans les laboratoires publics, et dans certains cas les plus fondamentales d'entre elles, sont utilisées pour développer de nouveaux produits tandis que les perspectives et les marchés ouverts par les nouvelles technologies renouvellent, très souvent, les problématiques de recherche.

Ce processus est d'autant plus nécessaire que les recherches fondamentales permettant la mise au point des nouvelles technologies ne peuvent être conduites par les seules entreprises, ces dernières ayant tendance à externaliser leurs activités de recherche et développement au profit des laboratoires publics, qui développent des travaux dont le champ est suffisamment large pour répondre à long terme aux demandes du marché.

Par ailleurs, il faut souligner que le développement des recherches dans d'autres domaines scientifiques (physique, chimie, mécanique, mais aussi biologie ou sciences sociales) implique des recherches nouvelles en informatique et en modélisation.

Il est donc certain que la recherche dans les domaines des technologies de l'information et de la communication revêtira dans les prochaines décennies un rôle stratégique.

Le succès de l'entrée de la France dans la société de l'information dépend donc de deux conditions :

- la première réside dans la capacité des entreprises à innover : une action a été engagée et doit être poursuivie en ce sens ;

- la seconde, qui apparaît largement comme un préalable à la première, tient dans la conduite d'une politique de la recherche appropriée, qui pour l'heure n'est pas encore mise en oeuvre.

2. Des orientations encore incertaines

La recherche en télécommunications

La dérégulation des télécommunications conduit France Télécom, malgré son rôle spécifique lié au service public à réorienter les activités de recherche du Centre national d'études en télécommunication(CNET). La recherche fondamentale dans le domaine des télécommunications et de leurs applications perd à la fois son financement et pour une grande part son maître d'ouvrage. Les recherches effectuées au sein de l'opérateur historique s'orienteront vers la seule satisfaction de ses besoins propres. Dans ce contexte, votre rappporteur se demande si les autres activités du CNET seront poursuivies et si c'est le cas par quel organisme.

La proposition formulée l'an dernier par votre rapporteur de créer une agence chargée d'orienter la recherche fondamentale en télécommunications, de coordonner les actions conduites en ce domaine et d'assurer le financement des activités de recherche correspondantes par des moyens budgétaires ou contractuels n'a pas été retenue.

La décision prise par le gouvernement de créer un Réseau National de recherche en télécommunication n'y répond que partiellement.

Préconisé par le rapport de MM. Lombard et Kahn sur " la recherche et développement, clé d'un nouvel essor des télécommunications en France ", le Réseau national de recherche en télécommunications (RNRT) a été mis en place le 1er janvier 1998 pour une durée de cinq ans. Il a pour vocation de coordonner les efforts des laboratoires publics existants (CNET, INRIA, CNRS, écoles et universités...) en associant à leurs travaux les industriels du secteur et les opérateurs de télécommunications.

L'organisation du RNRT comporte trois niveaux : le comité d'orientation, un bureau exécutif dont les membres sont nommés par le gouvernement et qui est chargé de préparer les travaux du comité d'orientation et, enfin, cinq commissions thématiques regroupant plus de 70 experts qui assistent le bureau exécutif dans la définition des priorités, l'évaluation des dossiers présentés et le suivi des projets financés. Pour 1998, les crédits affectés au RNRT s'élevaient à 260 millions de francs, 200 millions de francs provenant du budget du ministère de l'industrie et 60 millions du budget du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie (chapitre 66-04 - Fonds de la recherche et de la technologie).

Les grands thèmes du premier appel à candidatures, ouvert du 20 avril au 21 septembre 1998, devaient susciter deux types de projets coopératifs :

- d'une part, des projets exploratoires (à échéance de 3 à 5 ans avant pré-industrialisation), visant à remédier à des " verrous " technologiques et démontrant de nouvelles fonctionnalités pour les télécommunications ;

- et d'autre part, des projets précompétitifs (à échéance de 2 à 3 ans avant pré-industrialisation) intégrant des technologies pluridisciplinaires pour aboutir à des modèles de démonstration préparant l'émergence de nouveaux services de télécommunications.

Une enveloppe de 210 millions de francs a été affectée en 1998 au financement de ces projets.

Par ailleurs, devaient être également soutenus des projets compétitifs, issus de PME, dans le cadre des procédures d'instruction de l'ANVAR. Un appel à projets spécifiques a été ouvert le 21 septembre dernier ; 50 millions de francs devaient leur être consacrés en 1998.

L'efficacité de ce dispositif pour gérer une telle priorité reste incertaine. Un comité et un réseau aux contours et à la composition flous pour piloter de façon continue des actions décisives et fédératrices ne seraient crédibles que si cette structure disposait de crédits très importants. Or, les crédits mis à sa disposition, eu égard aux besoins exprimés par le marché, sont insuffisants.

Par ailleurs, il faut bien savoir que la culture interne d'une organisation est moins dynamisée par l'éventualité d'obtenir des subsides à la suite d'un appel à proposition que par la volonté d'aboutir à réaliser un projet pluriannuel clair et doté de moyens.

La recherche en informatique

Parmi les organismes qui concourent à la recherche dans ce secteur, il importe de souligner le rôle déterminant joué par l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA).

Par ailleurs, au delà de sa mission de recherche, l'INRIA mène une politique active de valorisation en prenant part au transfert de technologies vers les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises. Faisant figure d'exception parmi les EPST, il a mené une politique réussie d'essaimage. Au cours des dix dernières années, 30 entreprises ont été créées par des chercheurs issus de cet organisme, 25 d'entre elles sont toujours en activité, représentant 850 salariés et 600 millions de francs de chiffre d'affaires. Le rôle joué en ce domaine par l'INRIA a été reconnu par le gouvernement, qui en novembre 1997 a autorisé la création d'INRIA-Transfert, premier fonds d'amorçage à être constitué au sein d'un EPST.

Votre rapporteur s'est déjà, à diverses reprises, étonné que la qualité des recherches effectuées au sein de cet organisme comme le succès de sa politique de valorisation, désormais unanimement reconnus, ne conduisent pas à décider une augmentation massive, de l'ordre de 30 à 50 %, de ses moyens budgétaires.

Les moyens de fonctionnement de cet organisme s'établissent pour 1999 à 331,96 millions de francs, en progression de 3,23 %. Les subventions d'investissement s'élèvent en crédits de paiement à 161,83 millions de francs (soit + 1,9 %) et à 164,46 millions de francs en autorisations de programme (soit + 0,48 %). Au sein des subventions d'équipement, sont prévus au titre des soutiens de programme 81,16 millions de francs contre 80,36 millions de francs en 1998.

En ce qui concerne les créations d'emplois, l'INRIA bénéficiera de 5 créations d'emplois de chercheurs sur les 86 créés dans les EPST en 1999.

A l'évidence, la priorité affirmée par le gouvernement en faveur des recherches nécessaires au développement des technologies de la société de l'information ne se traduit pas dans les crédits qui leur sont affectés. Les redéploiements nécessaires au sein du budget de la recherche n'ont pas encore été effectués.

Les programmes conduits au sein de l'INRIA, notamment en ce qui concerne les domaines du développement logiciel, de la modélisation et du calcul haute performance s'avèrent, pour bon nombre d'entre eux déterminants pour le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il faut rappeler qu'aujourd'hui, le développement des télécommunications repose désormais à 80 % sur le logiciel.

Un seul des nouveaux programmes lancés par l'INRIA qui consiste dans l'utilisation d'une artère montante partagée en protocole IP pour la diffusion de téléservices à plusieurs mégabits sur un canal satellitaire nécessiterait 6 créations de postes et 5 millions de francs. Il s'agit là d'une technique de grand avenir où la France n'est pas en retard... Comment parler de priorité si elle n'est pas financée initialement par l'organisme qui dispose d'une avance mondiale ? Espérons qu'elle le sera dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres du ministère de l'industrie ou du RNRT.

C. LES TÉLÉCOMMUNICATIONS SPATIALES : UN ENJEU STRATÉGIQUE NÉGLIGÉ

1. Le développement exponentiel des technologies spatiales : un enjeu géopolitique majeur.

Le secteur spatial a connu, au cours des dernières années, des mutations qui modifient profondément ses enjeux stratégiques.

Le développement des télécommunications

Perçu à l'origine comme un mode d'expression de la puissance stratégique et militaire, l'espace est devenu aujourd'hui un instrument de domination économique et culturelle.

L'élément déterminant ayant participé à cette évolution est sans conteste le recours de plus en plus fréquent à l'espace pour les télécommunications et l'audiovisuel grâce aux nouvelles possibilités techniques offertes par les satellites.

De nombreux progrès technologiques ont, en effet, amélioré les performances des satellites, leur permettant de prendre une place déterminante dans les télécommunications mondiales.

Ces évolutions technologiques ont concerné tant les satellites eux-mêmes, dont la masse a été allégée et la puissance augmentée, que les modes d'acheminement des données grâce à la numérisation de l'information.

En effet, en matière de diffusion directe de programmes de télévision, les satellites -en particulier les satellites géostationnaires- prennent une importance croissante à côté des moyens de diffusion terrestre, réseaux hertziens ou réseaux câblés. D'ores et déjà, 6 % des habitants munis d'un récepteur TV dans le monde reçoivent celle-ci au moyen d'antennes paraboliques, et 25 % des programmes câblés utilisent les programmes diffusés par satellites.

Dans le domaine de la téléphonie mobile, les satellites offrent de multiples services grâce au développement des systèmes personnels de communication. Ces systèmes, capables d'offrir des services de téléphonie, fax et transmissions de données à bas débit, sont proposés par les premières constellations de satellites à orbite basse ou moyenne, à l'image de celles mises en oeuvre par Motorola (système Iridium) et Loral (système Globalstar).

Enfin, les constellations de satellites de la seconde génération permettant d'acheminer des communications interactives multimédia (c'est-à-dire la transmission simultanée, sur un même canal et à grande vitesse, d'un nombre considérable de signaux transportant la voix, les données et les images) répondent aux importants besoins liés à l'entrée dans la société de l'information, avant que les câbles à fibre optique ne puissent remplacer les câbles téléphoniques classiques.

L'ouverture à la concurrence du marché mondial des télécommunications confère à ces progrès technologiques une importance économique déterminante, dans un contexte d'explosion des nouveaux services qui a conduit entre 1990 et 1995 à un doublement des opérations de télécommunications dans le monde, et d'émergence de nouveaux marchés, en particulier en Asie et en Amérique latine.

Le marché des télécommunications spatiales devrait en effet connaître, au cours des années à venir, un développement considérable.

Selon les estimations de la banque Meryll Lynch, le secteur qui connaîtra l'augmentation la plus forte sera celui de la diffusion audiovisuelle.

Les abonnés à des services de télévision devraient en effet être, dans dix ans, 62 millions contre 37 millions aujourd'hui et le chiffre d'affaires dégagé par ce secteur devrait passer de 60 milliards à 150 milliards.

Les services multimédia (infrastructure Internet et accès à Internet) qui n'en sont qu'à leur début devraient avoisiner un chiffre d'affaires de 7 milliards de francs d'ici 2002, contre 600 millions de francs aujourd'hui. La demande est en ce domaine exponentielle, les analyses de marché indiquant que 200 millions d'utilisateurs pourraient être concernés, en 2000, leur nombre pouvant atteindre 400 à 500 millions en 2005.

Les télécommunications mobiles, secteur encore assez modeste, représenteraient un chiffre d'affaires de 84 milliards de francs.

Il importe de souligner que, pour ces deux derniers secteurs, l'accroissement de l'activité résultera en partie de la mise en service des systèmes satellitaires en orbite basse.

Votre rapporteur estime que ces chiffres sont sous-évalués car les évolutions seront plus rapides pour les services multimédia interactifs (télé-enseignement, téléformation, télécommerce, télé-tourisme, télémédecine)

Une relative faiblesse des projets français et européens, à l'exception de Skybridge

Si les européens conservent une position relativement satisfaisante dans le domaine des satellites géostationnaires, celle-ci apparaît nettement plus fragile en ce qui concerne les systèmes satellitaires multimédia en orbite basse qui sont appelés à jouer un rôle déterminant dans le développement des télécommunications mondiales.

En effet, à côté du projet américain Teledesic, fortement appuyé par Motorola, Boeing et les programmes de recherche duale du Pentagone, il n'existe qu'un seul projet européen, le programme Skybridge, mis en oeuvre par une société composée de neuf actionnaires : Alcatel, qui en est principal actionnaire, Sharp, Mitsubishi, Toshiba, Loral, Spar, SRIW, le CNES et l'Aérospatiale. La mise en place de ce programme représente un investissement de l'ordre de 4,2 milliards de francs, pour un nombre estimé de 20 millions d'utilisateurs.

Ce projet a eu de très grandes difficultés à obtenir l'affectation des fréquences nécessaires lors des débats internationaux au sein de l'UIT, agence spécialisée chargée de gérer la répartition des fréquences, du fait de la pression exercée par les Etats-Unis qui s'est révélée à la limite de la courtoisie d'usage.

Par ailleurs, son financement, comme sa réalisation technique, comportent encore de nombreuses incertitudes.

Or, la concurrence est en ce domaine particulièrement vive et le projet américain Teledesic constitue une menace de monopole mondial.

En effet, ayant vocation à couvrir l'ensemble du globe, cette constellation composée de 196 satellites se caractérise par un système de routage entièrement intersatellite et adaptatif sur la constellation ainsi qu'un accès direct à Internet sans passer par une quelconque station terrestre. Ce programme, du fait de ses caractéristiques techniques, permettrait de construire un réseau mondial autonome totalement indépendant des opérateurs nationaux.

Rappelons ici qu'il s'agit d'un domaine qui concerne à terme 50 % du PIB mondial. Il est inconcevable que l'Europe ne prenne pas en ce domaine des initiatives alors qu'une stratégie efficace et déterminée est soutenue par la puissance publique américaine. En effet, l'essentiel des dépenses liées aux logiciels du projet Télédesic est financé par des contrats militaires et les retombées civiles des projets liés au programme désigné sous l'appellation " guerre des étoiles ".

Face à de tels projets, une politique d'expérimentation et de veille technologique ne peut suffire. Une initiative politique forte de la France au Conseil européen s'impose pour qu'un programme stratégique doté d'un budget de plusieurs milliards d'euros soit mis en place.

2. Un effort de recherche notoirement insuffisant

Il est heureux qu'une réorientation de la politique spatiale française permette de concentrer les moyens budgétaires sur les applications au sol. Néanmoins, l'effort de recherche français demeure encore notoirement insuffisant.

Une insuffisance du soutien public

La mise en oeuvre des nouveaux systèmes de télécommunications spatiales exige d'importants programmes de recherche, notamment dans le domaine des logiciels, dont le financement ne peut être assuré par les seuls opérateurs privés.

Aux Etats-Unis, la recherche est financée pour une large part par le gouvernement fédéral, le secteur spatial bénéficiant massivement des crédits militaires et de leurs retombées civiles. En Europe, les Etats n'ont pas relayé l'effort qui était auparavant consenti par les opérateurs publics désormais privatisés. Dans un domaine aussi évolutif et en forte croissance, il conviendrait de consacrer plus de 5 % du chiffre d'affaires de l'industrie des télécommunications au financement d'activités de recherche fondamentale et notamment dans le domaine du logiciel.

Pour l'heure, les crédits consacrés à la politique spatiale ne connaissent pas une évolution de nature à permettre à la France de relever ce nouveau défi technologique.

Les crédits du Centre national d'études spatiales, après la forte diminution enregistrée en 1998, ne connaissent en 1999 qu'une faible progression. Ils s'élèvent, en dépenses ordinaires et crédits de paiement à 9 135 millions de francs (soit + 0,8 %).

Les crédits d'intervention inscrits au budget du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie bénéficiant à l'industrie spatiale (chapitre 66-01) enregistrent en 1999 une diminution de 31,5 % en crédits de paiement et de 14,5 % en autorisations de programme.

Considérant par ailleurs la progression très modeste des crédits consacrés aux recherches dans le domaine des télécommunications et des logiciels, votre rapporteur ne peut que conclure à l'insuffisance de l'effort de recherche publique en ce domaine.

Il est clair qu'il s'agit là d'une critique qui est adressée moins aux ministères concernés qu'à l'ensemble du corps social. En effet ni les milieux politiques, ni les médias, ni les industriels concernés, ni les structures européennes ne semblent avoir pris conscience de l'importance des enjeux.

La nécessité d'une prise de conscience politique

Le groupe d'études " Innovation et entreprises ", présidé par votre rapporteur, a organisé, le 17 juin dernier, un colloque sur le thème " satellites et télécommunications ". Les interventions des industriels et des représentants des organismes publics de recherche ont appelé à une prise de conscience politique concernant la nécessité de dégager un financement significatif en faveur des recherches liées aux télécommunications spatiales.

Ces recherches revêtent un caractère stratégique. En effet, les projets industriels -compte tenu de leur complexité technique et des inconnues scientifiques qui subsistent encore- ne pourront voir le jour sans un soutien public substantiel. A cet égard, il importe de combattre le libéralisme dogmatique prôné en matière de politique industrielle par la Commission européenne, au mépris de la réalité des politiques industrielles conduites par les gouvernements américain et japonais.

Une présence dans les organismes internationaux de régulation

Votre rapporteur souhaite aussi insister sur la nécessité pour la France d'être présente dans les instances internationales de régulation des télécommunications.

En effet, seule une présence active des pays européens au sein de l'UIT leur permettra de bénéficier des fréquences nécessaires à la mise en oeuvre des projets européens de constellation de satellites.

Par ailleurs, la France se doit de participer aux travaux des instances de standardisation, en particulier celles gérant les processus Internet à l'image de l'IAB (Internet architecture Board) ou du W3C (World Wide Wels Consortium). Ces organismes ont un rôle considérable dans la mesure où l'existence de standards ouverts constitue une exigence essentielle du marché des nouvelles technologies et où il est nécessaire pour les entreprises de traduire le plus rapidement possible leurs innovations technologiques en standard. Or, malgré la mobilisation de certains acteurs comme l'INRIA, la contribution française aux travaux de ces instances demeure encore trop faible.

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