CHAPITRE II -

QUEL AVENIR
POUR L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ?

I. L'APPLICATION DE LA LOI DU 4 FÉVRIER 1995 : UN PRÉALABLE INDISPENSABLE À TOUTE REMISE EN CAUSE

A. UN EFFORT D'APPLICATION INTERROMPU

La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, n° 95-115, supposait, pour être totalement appliquée, l'intervention ultérieure de 6 projets de loi et de 31 décrets d'application. Elle prévoyait également l'intervention de 7 rapports.

1. Un effort important pour faire entrer la loi en vigueur (1995-1997)

Comme votre commission des affaires économiques le détaillait dans son avis budgétaire pour 1998 sur l'aménagement du territoire 16( * ) , le travail accompli par le précédent Gouvernement pour l'appliquer la loi d'orientation est important : malgré un retard initial, 43 décrets, 51 arrêtés, circulaires et instructions d'application ont en effet été pris entre 1995 et 1997, tandis qu'un projet de schéma national d'aménagement du territoire (SNADT) était présenté au comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) d'Auch, le 10 avril 1997.

2. Une oeuvre interrompue, à de décevantes exceptions près

Depuis l'alternance de 1997, ce chantier réglementaire n'a pas beaucoup avancé. Un décret n° 97-1146 du 12 décembre 1997 relatif au fonctionnement du fonds de péréquation des transports aériens pour la collectivité territoriale de Saint-Pierre et Miquelon, est toutefois paru.

La principale mesure d'application de la loi d'orientation prise depuis juillet 1997 est la dotation du Fonds national de développement des entreprises (FNDE) créé par son article 43. Comme indiqué supra, le FNDE a reçu 200 millions de francs de crédits à la suite du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 15 décembre 1997, chiffre très inférieur aux montants évoqués lors de la discussion de la loi.

L'élaboration des directives territoriales d'aménagement (DTA) sur les cinq sites expérimentaux (Côte d'Azur, Estuaire de la Seine, Alpes du Nord, Marseille, Estuaire de la Loire) a été poursuivie tandis que l'élaboration d'une sixième DTA couvrant l'aire métropolitaine lyonnaise était décidée. Il convient néanmoins de souligner que les cinq premiers projets de DTA sont désormais sur le métier depuis près de 3 ans. Même si l'élaboration de ces documents est nécessairement ardue, on regrettera la lenteur des travaux préparatoires à leur publication.

Le faible nombre de textes d'application publiés en 1998 s'explique largement par le changement d'orientation de la politique d'aménagement du territoire annoncé par la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Ainsi la loi d'orientation serait-elle caduque avant d'être appliquée, démarche que réfute absolument votre commission !

3. Des textes d'application dans les limbes

a) Les rapports et propositions

Le législateur avait prévu en 1995 que des rapports seraient remis à la représentation nationale, suivant un calendrier fixé par ses soins.

Or, trois ans après la promulgation du texte, nombre d'entre eux n'ont toujours pas été remis par le Gouvernement, malgré les échéances fixées.

Il s'agit des documents suivants :

- rapport sur les modalités de développement de la polyvalence des services publics (article 31) ;

- propositions visant à réduire les entraves à la mobilité économique des personnes (article 48) ;

- rapport sur la péréquation et les finances locales (article 68) ;

- propositions de réforme du financement des collectivités locales (article 74) ;

- propositions sur le développement local (article 78) ;

b) Les textes législatifs et réglementaires

La ministre de l'aménagement du territoire a annoncé, lors du CIADT du 15 décembre 1997, une révision de la loi d'orientation, bien que cette dernière n'ait pas encore été totalement appliquée et que nombre de textes de loi et de décrets soient encore attendus.

Le Conseil des ministres du 29 juillet 1998 a adopté le projet de loi d'aménagement durable du territoire déposé le même jour à l'Assemblée nationale.

Compte tenu des modifications que l'adoption du projet de loi serait susceptible d'apporter au texte de la loi d'orientation, un nombre relativement important de dispositions, pourtant adoptées en termes identiques par les deux chambres du Parlement, et promulguées par le Président de la République, ne recevront vraisemblablement pas de texte d'application.

Tel est le cas des articles 61, 65 et 68 , qui prévoient respectivement le dépôt de projets de loi relatifs aux zones rurales, à la clarification des compétences et à la révision des évaluations cadastrales.

Il en va également ainsi en matière réglementaire des articles suivants :

- article 9 (création d'un groupement d'intérêt public d'observation et d'évaluation de l'aménagement du territoire), la commission permanente du CNADT devant exercer, dans le nouveau projet gouvernemental, certaines compétences du GIP,

- article 2 (schéma national d'aménagement et de développement du territoire qui aurait dû être présenté au Parlement dans un délai d'un an à compter de la publication de la loi et approuvé par une loi). Le projet de loi du Gouvernement propose de réviser cet article en substituant au SNADT des choix stratégiques et des schémas de services collectifs ;

- articles 11, 16, 17-II-1 et 2, 20 et 21 , relatifs aux schémas sectoriels consécutifs à l'adoption du schéma national d'aménagement et de développement du territoire (schémas de l'enseignement supérieur et de la recherche ; des équipements culturels ; révision du schéma directeur routier national et du schéma directeur des voies navigables ; schéma du réseau ferroviaire, schéma des ports maritimes et schéma des infrastructures aéroportuaires). Huit schémas de services collectifs seraient substitués, dans les projets gouvernementaux, aux schémas sectoriels.

Il en va de même des articles suivants :

- article 29 (décret relatif aux modalités de maintien des services publics sur le territoire). Une modification de cet article est envisagée par le Gouvernement ;

- articles 30-IV-1 et 2 (possibilité d'extension d'ouverture d'une officine de pharmacie dans les communes de moins de 2.000 habitants) ;

- article 68 V (composition d'une commission d'élus, chargée d'émettre un avis sur la péréquation des finances locales) ;

- article 86 (déclaration auprès de la mairie des locations touristiques).

B. UNE VOLONTÉ POLITIQUE À L'ENCONTRE DES DISPOSITIONS DE LA LOI ADOPTÉE EN 1995

Sans revenir trop largement sur un sujet analysé par la commission d'enquête du Sénat chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire, dans une perspective de développement et d'insertion dans l'Union européenne 17( * ) , présidée par M. Jean François-Poncet, et dont le rapporteur était M. Gérard Larcher, votre rapporteur pour avis rappellera toutefois brièvement un exemple particulièrement parlant du sort réservé à certaines dispositions de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 : celui du canal à grand gabarit Rhin-Rhône :

Par un décret du 30 octobre 1997, le premier ministre a en effet abrogé la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet de canal " Saône-Rhin ", datant de 1978, qui avait été renouvelée en 1988.

Le canal " Rhin-Rhône " devait être financé dans les conditions prévues par l'article 36 de la loi d'orientation n° 95-115, qui dispose expressément que " l'ensemble des travaux devra être achevé au plus tard en l'an 2010 ".

Depuis la publication du décret portant abrogation de la DUP, le texte de l'article 36 précité est devenu lettre morte, alors même qu'il demeure formellement en vigueur faute d'avoir été abrogé.

Seule une modification du texte de l'article 36 de la loi aurait permis d'éviter cette contrariété dans la hiérarchie des normes entre un décret et une loi.

Une telle modification aurait nécessité un débat devant le Parlement. Le Gouvernement a choisi de modifier " a posteriori " le texte de l'article 36 à l'occasion de la discussion du projet de loi d'aménagement durable du territoire précité dont l'exposé des motifs précise que :

" en application de la décision prise par le Gouvernement d'abandonner le projet de canal à grand gabarit Rhin-Rhône, les articles [de la loi de février 1995] sont abrogés ".

Tout comme la commission d'enquête, votre commission émet les plus vives réserves sur l'opportunité de publier un décret avant d'abroger une loi dont il contredit l'esprit et la lettre.

Elle renouvelle son opposition à ce que les dispositions de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 soient considérées comme lettre morte avant même d'avoir été abrogées.

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