CHAPITRE II -
LES QUESTIONS NUCLÉAIRES

Au cours des années 1998 et 1999, les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire ont été affectés plus que d'autres par les abattements opérés sur les crédits d'équipement de la défense, leur part diminuant dans un titre V lui-même réduit par rapport aux objectifs de la loi de programmation nucléaire.

S'agissant des crédits de paiement, cette tendance se confirme dans le projet de budget 2000 puisqu'ils régressent de 4,6 % et s'établissent à 15,8 milliards de francs.

Avec 18,4 milliards de francs, soit 38 % de plus que l'an passé, les autorisations de programme s'inscrivent en revanche en net redressement, après deux années de très forte diminution. Cette augmentation est liée, sans toutefois la couvrir en totalité, à la commande globale, l'année prochaine, de deux ans de développement du missile M51.

Le déroulement des programmes nucléaires continuera donc à s'opérer dans un contexte budgétaire tendu, à l'heure où la modernisation de notre force de dissuasion paraît plus que jamais impérative, compte tenu d'un environnement international moins favorable au désarmement nucléaire et toujours marqué par la persistance des risques liés à la prolifération.

I. UN ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL MOINS PROPICE AU DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE

Les deux années qui viennent de s'écouler ont été marquées par une série d'événements plutôt négatifs au regard des objectifs de désarmement nucléaire et de lutte contre la prolifération.

Les négociations internationales, qu'elles soient multilatérales ou bilatérales russo-américaines semblent aujourd'hui au point mort alors que l'entrée en vigueur du traité d'interdiction complète des essais nucléaires est compromise.

Les initiatives américaines relatives à la défense antimissiles relancent les interrogations sur une reprise de la course aux armements.

Le regain d'activité constaté sur les programmes nucléaires militaires et les missiles balistiques dans certains pays, notamment sur le continent asiatique, constitue incontestablement un facteur d'inquiétude et de risque pour l'avenir.

A. L'AFFAIBLISSEMENT DES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX DE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE ET DE NON PROLIFÉRATION

La période récente n'a enregistré aucun progrès, bien au contraire, des instruments internationaux de désarmement et de non prolifération nucléaire.

1. L'entrée en vigueur du traité d'interdiction complète des essais nucléaires compromise

Comme on pouvait s'y attendre, la condition requise pour l'entrée en vigueur du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, à savoir sa ratification par les 44 Etats membres de la Conférence du désarmement possédant des capacités nucléaires de recherche ou de production d'énergie, n'est toujours pas remplie.

L'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord demeurent les trois seuls Etats, parmi les 44 dont la ratification est requise, à n'avoir pas signé le traité.

Après la campagne d'essais nucléaires du printemps 1998, une certaine évolution était perceptible en Inde et au Pakistan, mais celle-ci a été gelée par les changements politiques intérieurs dans ces deux pays et par le conflit qui les a opposés au Cachemire.

Quant à la Corée du Nord, si elle s'est peu exprimée sur le sujet, elle semble toujours aussi déterminée dans son refus de signer le traité.

A ce premier facteur de blocage vient s'ajouter le refus du Sénat américain, le 13 octobre dernier, de ratifier le traité.

Il s'agit là à l'évidence d'un coup très rude pour l'avenir du traité. En effet, quelles que soient les motivations réelles qui ont influé sur ce vote, il compromet gravement les perspectives d'entrée en vigueur d'un régime d'interdiction complète des essais nucléaires, et ce pour trois raisons :

- le traité ne peut entrer en vigueur sans la ratification des Etats-Unis,

- le refus américain pourrait entraîner celui d'autres Etats signataires qui n'avaient pas ratifié le texte et qui pourront notamment s'appuyer sur les arguments développés à Washington quant à l'absence de fiabilité du système de surveillance ou aux impératifs de sécurité nationale,

- enfin, face à un régime d'interdiction hypothétique, certains Etats pourraient être tentés de reprendre les essais nucléaires.

2. Les négociations sur un traité d'interdiction de production des matières fissiles enlisées

La négociation d'un traité universel, vérifiable et non discriminatoire d'interdiction de production de matières fissiles pour les armes nucléaires (fissile material cut-off treaty ou " cut-off ") , correspondait à un engagement politique pris en 1995 lors de la prorogation du traité de non-prolifération. Bien qu'inscrite à l'ordre du jour de la Conférence du désarmement, cette négociation n'a toujours pas pu démarrer, faute d'accord sur le mandat de négociation.

Des divergences sont en effet apparues, notamment entre les puissances nucléaires reconnues et le groupe des pays non alignés, sur la prise en compte ou non des stocks de matières fissiles déjà constituées, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni souhaitant l'ouverture d'une négociation selon les termes du mandat Shannon, agréé en 1995, qui n'inclut pas les stocks de matières fissiles.

Par ailleurs, plusieurs Etats souhaitent lier l'ouverture de la négociation à la création d'enceintes multilatérales sur le désarmement nucléaire et sur la course aux armements dans l'espace.

3. Le blocage du processus russo-américain START

La poursuite de la mise en oeuvre des accords américano-russes START de réduction des arsenaux stratégiques reste toujours suspendue à la ratification par la Douma russe de l'accord START II, déjà ratifié par le Congrès américain en 1996.

Rappelons que l'accord START I, signé en 1991, avait prévu de ramener en sept ans les arsenaux stratégiques des deux pays à 6 000 têtes nucléaires. Ces objectifs sont en passe d'être atteints puisque, de source officielle, le nombre de têtes nucléaires au début de l'année s'établissait à 6 454 pour la Russie et 6 227 pour les Etats-Unis, l'objectif de 6 000 têtes étant envisagé pour 2001.

Signé en 1993, l'accord START II prévoit une nouvelle réduction, de l'ordre de la moitié par rapport à START I, du nombre d'armes stratégiques. Le retard pris dans la ratification de START II a d'ores et déjà entraîné une modification du calendrier lors du sommet d'Helsinki en mars 1997. Les échéances de mise en oeuvre ont été reculées. La première phase, au cours de laquelle le plafond du nombre total de têtes déployées doit être ramené à 4 250, s'achèverait en 2004, la seconde phase s'achevant en 2007 avec un abaissement des plafonds à 3 000 têtes pour la Russie et à 3 500 pour les Etats-Unis. Toutefois, les deux pays se sont engagés à désactiver avant le 31 décembre 2003 l'ensemble des têtes nucléaires des missiles stratégiques devant être éliminés avant la fin 2007.

L'examen de START II par la Douma russe a été repoussé à maintes reprises, en dernier lieu à la suite du conflit du Kosovo, et semble encore moins à l'ordre du jour à la suite de l'attitude des Etats-Unis sur le traité d'interdiction complète des essais et surtout sur la question de la défense anti-missiles.

Bien évidemment, le blocage de START II handicape la négociation d'un nouvel accord START III destiné à fixer le niveau des arsenaux à un total, pour chaque partie, de 2 000 à 2 500 têtes nucléaires déployées sur des vecteurs stratégiques.

4. Le traité ABM en question

Signé en 1972 par l'URSS et les Etats-Unis, puis ratifié, après la dissolution de l'URSS par la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, le traité ABM ( Anti-balistic missile ) limite les capacités des systèmes antimissiles des pays signataires afin d'éviter une course aux armements et la tentation pour le pays le moins bien protégé de procéder à une frappe nucléaire en premier. Il est à ce titre considéré comme un élément fondamental de l'équilibre stratégique entre les deux pays.

Les essais effectués par les Etats-Unis dans le cadre d'un programme anti-missiles de défense du territoire national (National missile defense - NMD) , illustrés par la réussite, le 3 octobre dernier, de l'interception dans l'espace d'un missile intercontinental, conduisent bien entendu à poser la question d'une révision du traité ABM qui serait nécessaire si les autorités américaines décidaient finalement d'autoriser le déploiement d'un nombre d'intercepteurs beaucoup plus important que celui envisagé par le traité, sur une pluralité de sites.

Rappelons que les initiatives américaines résultent de la perception nouvelle de la menace directe que pouvait faire peser sur le territoire des Etats-Unis par l'intermédiaire de missiles balistiques un Etat proliférant ou un tir accidentel ou non autorisé.

Le programme NMD, qui repose sur des missiles de défense, des satellites de surveillance avancée et des radars au sol, a été conforté par l'adoption à la quasi unanimité du Sénat le 17 mars dernier du " Missile defense act " demandant qu'un système de défense antimissiles du territoire américain soit déployé " aussitôt que techniquement possible ". L'administration a toutefois obtenu l'inclusion d'un amendement stipulant que le déploiement de la NMD ne devait pas nuire aux négociations de désarmement avec la Russie.

Celle-ci invoque en effet très fermement le risque de rupture des équilibres stratégiques qui résulterait d'une révision du traité ABM et a fortiori d'un retrait unilatéral des Etats-Unis.

Le programme NMD suscite également des inquiétudes chez les alliés des Etats-Unis, qui craignent un " découplage " entre leur protection face à la menace balistique et celle du territoire américain. D'autre part, il pourrait encourager la volonté des puissances nucléaires de maintenir la capacité dissuasive de leur arsenal, ou celle d'autres pays de se doter d'une telle capacité, et relancer ainsi une course aux armements nucléaires.

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