II. PERSISTANCE DE CARENCES RÉDHIBITOIRES :

Les bons exemples précédemment évoqués demeurent trop rares. Partout ailleurs, les errements du pouvoir réglementaire traduisent une très insuffisante rigueur pour assurer un suivi réglementaire pourtant indispensable à l'application, pleine et entière, de la loi votée par le Parlement.

Les causes de ces dysfonctionnements traditionnels sont multiples et le cumul de chacun de leurs effets aboutit à allonger d'autant les délais de publication. Pourtant clairement identifiées, elles persistent, sans même recevoir un traitement approprié pour les éteindre.

Comme à l'accoutumée, la commission des affaires économiques insiste tout particulièrement sur cette question de l'origine des difficultés rencontrées.

Elle réitère son énumération :

- les exigences de la concertation avec les professionnels , dans la mesure où aucune solution d'ordre consensuel ne peut se dégager (tel est le cas du décret attendu depuis... 14 ans, pour appliquer l'article 34 de la loi du 22 juin 1989, complétant certaines dispositions des codes rural et de la santé publique, au sujet des conditions d'intervention de non vétérinaires ; tel est encore le cas du décret attendu depuis... 4 ans, pour appliquer l'article 7 de la loi du 8 juin 1999, visant à protéger les acquéreurs et les propriétaires d'immeubles contre les termites, au sujet du contenu de la réglementation des locaux ; tel est enfin le cas du décret attendu depuis... 2 ans, pour appliquer l'article 5 de la loi du 4 janvier 2001, concernant le réseau sanitaire et la circulation des bovins, au sujet des modalités de l'évaluation des cheptels) ;

- les conséquences d'un plausible « enlisement administratif », en évoquant, d'abord, certains décrets, qui sont, au dire des services sollicités, « en cours de rédaction », « en cours de signature », « en attente d'arbitrage ministériel »..., et ce depuis plusieurs années, sans qu'aucune difficulté particulière soit alléguée : décret prévu par la loi du 9 juillet 1999, sur l'identification des ovins et des caprins (article 93), ou décret prévu par la loi du 17 juin 1998 sur les conditions de stockage ou de destruction des armes chimiques (article 83) ; puis d'autres projets en butte à un défaut de coordination administrative : les directions générales des douanes et du transport maritime se rejetant mutuellement la responsabilité pour l'enlisement des décrets prévus par la loi du 16 janvier 2001, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports (articles 8 et 10).

- les effets d'un éventuel « moindre empressement » pour appliquer les dispositions issues du Sénat : ainsi l'article 21 de la loi du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie, relatif aux conditions dans lesquelles les carburants doivent comporter un taux maximal d'oxygène, introduit par le Sénat, n'est toujours pas appliqué ; pas plus que son article 24, faisant obligation aux transports publics d'utiliser des carburants oxygénés, introduit en commission mixte paritaire...

Qui plus est, la commission des affaires économiques mentionne, cette année, l'affirmation d'une volonté de substituer, à l'exercice normal du pouvoir réglementaire, la recherche de solutions d'ordre contractuel .

Elle en fournit les trois exemples suivants :

« - Concernant l'application de l'article 46 de la loi du 18 novembre 1997 relatif au repos hebdomadaire de l'équipage, le Gouvernement a privilégié la voie de la négociation pour parvenir à un accord. Le décret en Conseil d'Etat attendu n'est donc, dans ces conditions, plus nécessaire.

- De même, pour l'application de l'article 12 de la loi du 26 juillet 1996 sur les caractéristiques des servitudes dont peuvent bénéficier les opérateurs mobiles, la voie contractuelle a été choisie de préférence à la rédaction des décrets attendus.

- Enfin, le décret attendu par la loi sur l'application de la procédure « d'extrême urgence » pour les expropriations nécessaires à la construction du l'itinéraire à très grand gabarit Bordeaux-Toulouse, n'a pas été utile, car ladite procédure a pu être évitée au profit d'acquisitions réalisées à l'amiable ».


La commission des affaires économiques signale enfin que le projet de décret rédigé en application de l'article 2 de la loi du 3 janvier 2002, visant à fixer des règles spécifiques pour les travaux de construction de certains ouvrages routiers présentant des risques particuliers n'ayant pas été approuvé par le Conseil d'Etat, un nouveau projet est en cours de rédaction.

La commission des affaires économiques poursuit sa réflexion en évaluant les conséquences des retards de suivi réglementaire.

Elle note ainsi :

« Ces retards récurrents, quasi structurels de l'application des lois, compromettent à la fois l'image et le bon fonctionnement de nos institutions :

- c'est ainsi que nombre de problèmes demeurent en suspens, dans l'attente d'une solution promise mais non effective, et que des pans entiers de l'économie française (filière « bois », secteurs agricoles, chasseurs...) doivent subir, outre l'inquiétude liée à la fragilité de leur situation, les affres de l'attente et de l'incertitude ;

- ce décalage entre l'annonce de la mesure et sa mise en oeuvre donne une piètre image de l'efficacité du travail parlementaire et gouvernemental, et ne peut qu'aggraver, à terme, la désaffection de l'opinion pour la vie publique ;

- quant aux parlementaires, ils se trouvent, de plus en plus fréquemment, en situation de devoir modifier des lois non encore applicables (loi relative à la SRU, loi relative à la chasse, loi  relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité...), ce qui, en les privant du retour d'expérience nécessaire à l'évaluation du droit existant, nuit à la qualité et à la sérénité de leur réflexion ;

- au sein de l'Union européenne enfin, la non-application de directives transposées dans le droit français (loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports ; loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire en matière de santé des animaux et de qualité sanitaire des denrées, et modifiant le code rural) pose pour la France un problème de crédibilité et peut aboutir à des sanctions.

Au total, même s'il est impossible de chiffrer le coût de ce déficit réglementaire, qui se traduit, tant en termes économiques que psychologiques, par des conséquences très négatives, il est clair que les ministères devront tout mettre en oeuvre pour le combler : le prochain défi du Gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin sera celui de l'application des lois, et le rôle du Parlement devra être de lui rappeler, en permanence, les enjeux de ce défi ».


La commission des finances évoque la nature du différend opposant la Chancellerie et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, sur le contenu et la durée du stage requis pour le diplôme de commissaire aux comptes pour expliquer l'absence de publication du texte d'application de l'article 39 de la loi du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier. Elle note pourtant que, sur les lois votées en 2002-2003, « aucun blocage n'a pu être mis en évidence au travers des réponses obtenues auprès des administrations ».

D'une manière plus générale, la commission des finances note :

« Aucune des lois votées depuis le dernier contrôle, et nécessitant des textes réglementaires d'application, ne peut être considérée comme entièrement applicable. La moitié de ces lois, promulguées durant l'été, n'a reçu aucun des textes nécessaires à leur application. L'approche statistique semble en conséquence très aléatoire, particulièrement en prenant en compte la loi de sécurité financière, pour laquelle 76 textes ont été recensés pour son application. En ne considérant que les lois promulguées dans la première moitié de l'année parlementaire le taux d'application s'élève à 38% (10 sur 26). Ce taux reste faible mais peut être modulé par les annonces de parution prochaine formulées par les administrations concernées ».

La commission des lois constate que la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure n'a été suivie que d'un seul décret, pour un total de 45 mesures prévues. Elle relève, toutefois, l'expression d'une volonté forte pour en accélérer l'entrée en application : le 24 mars, le ministre de l'Intérieur a adressé un télégramme aux préfets, attirant notamment leur attention sur les nombreuses dispositions de la loi dont l'entrée en vigueur n'est subordonnée à aucun texte d'application et le 3 juin, le garde des Sceaux a adressé une circulaire aux procureurs généraux et aux procureurs relative aux dispositions de droit pénal de la loi.

La commission des lois note également l'absence de publication d'un décret général d'application de la loi du 3 janvier 2003 modifiant le livre VIII du Code de commerce. Un seul décret a été pris, pour un total de 13 mesures prévues.

La commission des affaires culturelles recense, sur la loi du 1 er août 2003, relative à l'archéologie préventive , la publication, le 4 juillet 2003, d'un seul décret ; toujours au sujet d'une loi du 1 er août 2003, le texte relatif à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives , elle constate l'absence de publications de l'un quelconque des décrets prévus, tout en appréhendant les futures conditions de la construction du suivi réglementaire, compte tenu de l'existence de décrets antérieurs, pris pour l'application de la loi du 17 janvier 2001, modifiée par la loi précitée du 1 er août 2003 :

« D'après les indications fournies par les services du ministère de la culture et de la communication, les mesures réglementaires nécessaires à l'application de la loi devraient prendre la forme d'un décret modifiant les décrets pris en vertu de la loi du 17 janvier 2001, solution qui ne devrait guère contribuer à garantir la lisibilité du dispositif relatif aux opérations d'archéologie préventive » .

La commission des affaires sociales note l'existence d'une réelle difficulté sur la réforme, de grande ampleur, des retraites , car les principales dispositions de la loi du 21 août 2003 entrent en vigueur au 1 er janvier 2004 : son application est conditionnée par le strict respect, d'ici à la fin de l'année 2003, et donc, dans des délais très brefs, de la publication des 133 mesures réglementaires prescrites ; au 30 septembre 2003, aucune d'entre elles n'a pourtant été édictée.

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