B. LES LIMITES DU DISPOSITIF CONSTITUTIONNEL RELATIF À LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Une définition assez elliptique...

a) Une reconnaissance constitutionnelle tardive

Tout en énonçant le principe de la libre administration des collectivités territoriales, le Constituant est resté assez elliptique sur le contenu que doit revêtir ce principe.

Le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution - qui fixe le principe de la libre administration - se borne, en effet, à préciser que " les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ".

Peut-être faut-il voir dans cet énoncé sommaire de la libre administration des collectivités territoriales la conséquence de l'émergence difficile de l'idée de décentralisation dans notre organisation institutionnelle ?

Sur le plan constitutionnel, la Loi fondamentale a, dès la Constitution du 3 septembre 1791, traduit la confrontation permanente entre les idées d'unité et de pluralité dans la structure de l'Etat.

L'article 1 er du titre II de la Constitution de 1791 proclamait ainsi que " le Royaume est un et indivisible : son territoire est distribué en 83 départements, chaque département en districts, chaque district en cantons ". Il n'était donc pas question de " division " mais de " distribution " du Royaume.

Le même terme fut repris par la Constitution du 24 juin 1793 qui disposait que " Le peuple français est distribué, pour l'exercice de sa souveraineté, en assemblées primaires de cantons " (article 2) et qu'il " est distribué , pour l'administration et pour la justice, en départements, districts et municipalités " (article 3).

Le concept de " division " du territoire figura en revanche dans la Constitution de 5 fructidor an III qui précisait que " La France est divisée en (...) départements " (article 3) mais que " chaque département est distribué en cantons, chaque canton en communes " (article 5). Mais il n'existait pas d'entités juridiques correspondant à ces circonscriptions : les administrations municipales étaient subordonnées aux administrations de département et celles-ci aux ministres (article 193).

Du même système politico-administratif s'inspira la Constitution du 22 frimaire an VIII qui affirmait que " La République française est une et indivisible. Son territoire européen est distribué en départements et arrondissements communaux ".

Les lois fondamentales des régimes monarchiques de la première moitié du XIXè siècle ne comprenaient aucune disposition relative aux circonscriptions territoriales.

Les Constitutions républicaines ont par la suite été peu prolixes sur cette question jusqu'au milieu du XXè siècle, même si cette période fut marquée par des réformes majeures avec l'adoption des lois du 10 août 1871 et du 5 avril 1884, relatives respectivement au département et à la commune.

Il fallut, en effet, attendre le débat constitutionnel à la Libération pour que soit posée la question de la formulation de la place des collectivités territoriales dans l'organisation institutionnelle.

Le projet de Constitution du 19 avril 1946 comprenait un titre VIII " Des collectivités locales " qui affirmait que " La République française, une et indivisible, reconnaît l'existence de collectivités territoriales. Ces collectivités sont les communes et départements, les territoires et fédérations d'outre mer. Elles s'administrent librement, conformément à la loi nationale ".

La Constitution du 27 octobre 1946 -qui consacra son titre X (" Des collectivités territoriales ") à cette question- affirmait notamment que " La République française, une et indivisible, reconnaît l'existence de collectivités territoriales " (article 85) et que " les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus au suffrage universel " (article 87). Elle consacrait par ailleurs le rôle des délégués du Gouvernement pour la " coordination de l'activité des fonctionnaires de l'Etat, la représentation des intérêts nationaux et le contrôle administratif des collectivités territoriales " (article 88).

Au total, le texte de l'article 72 de la Constitution de la Vè République -qui ouvre le titre XII " Des collectivités territoriales "- n'est pas très éloigné, au moins dans son esprit, des dispositions correspondantes de la Constitution de 1946.

b) L'établissement d'une règle de procédure

En dehors de la règle de fond essentielle qui établit l'administration par des conseils élus, cette disposition constitutionnelle ne pose néanmoins qu'une règle de procédure , en faisant prévaloir la compétence législative.

Le champ de cette compétence législative est déterminé à l'article 34 qui classe dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux " de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ".

L'affirmation de la compétence législative n'est pas sans intérêt quant à la portée du principe de libre administration.

Faute que le contenu de celui-ci soit directement précisé par le texte constitutionnel, les règles qui permettent sa mise en oeuvre doivent être définies à un niveau suffisant pour qu'il ne puisse pas lui être porté atteinte.

Cette définition du contenu de la libre administration des collectivités territoriales par le législateur ordinaire doit elle-même concilier deux principes.

En vertu de la Constitution, la souveraineté nationale appartient au peuple dans son ensemble. Expression et garant de la souveraineté, l'Etat dispose d'un droit d'évocation qui pourrait s'opposer à toute limitation de ses pouvoirs.

La France est un Etat unitaire. L'indivisibilité de la République est consacrée par l'article 1 er de la Constitution. On a vu combien ce principe a été prédominant dans notre histoire constitutionnelle.

L'article 72 affirme ainsi le rôle du délégué du Gouvernement dans les départements et les territoires en lui confiant " la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ". Le Conseil constitutionnel a veillé au respect de ces prérogatives de l'Etat ( décision n° 82-137 DC du 25 février 1982 ).

Nos institutions restent fondées sur l'article 3 de la Déclaration de 1789 qui dispose que " le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ".

Ce principe est repris à l'article 3 de la Constitution qui affirme que " la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice (...) ".

On sait que le Conseil constitutionnel en a tiré toutes les conséquences, en déclarant non conforme à la Constitution la notion de " peuple corse " ( décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 ).

D'un autre côté, bien que cette reconnaissance dans la Loi fondamentale fût tardive, la Constitution reconnaît l'existence des collectivités territoriales.

Tout en affirmant le caractère unitaire de l'Etat, elle admet parallèlement que les collectivités peuvent exister indépendamment de ce dernier en s'administrant librement.

En consacrant le principe de la libre administration et en renvoyant à la loi ordinaire le soin d'en définir le contenu, la Constitution tente d'opérer une synthèse entre deux principes.

La souveraineté nationale appartient au peuple dans son ensemble, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Il revient donc à la représentation nationale et -sauf recours au référendum dans les cas prévus par la Constitution- à elle seule , de fixer les règles applicables sur tout le territoire national.

L'article 34 de la Constitution exprime cette exigence en affirmant la compétence du législateur pour déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. De même, c'est au législateur qu'il revient de fixer les règles concernant l'assiette , le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature.

Mais tout en veillant à ne pas remettre en cause les principes d'unité et d'invisibilité de la République, il revient également au législateur de permettre un exercice effectif de la libre administration.

Or cette simple règle de procédure ne pouvant s'appuyer sur un " socle " constitutionnel qui définirait le contenu de la libre administration, n'a pas permis, à l'expérience, de garantir les collectivités territoriales contre les mises en cause de leur autonomie fiscale et financière.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page