D. AUDITION DE M. BERNARD CARON, PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE L'AGENCE CENTRALE DES ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE (ACOSS)

Réunie le mercredi 18 octobre 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l'audition de M. Bernard Caron, président du Conseil d'administration de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) .

M. Bernard Caron a tout d'abord observé que les recettes de la sécurité sociale représentaient désormais 1.970 milliards de francs, soit un montant supérieur à celles de l'Etat. Il a ajouté que leur complexité croissait encore plus vite que leur volume. Il a estimé que les " croisements " entre loi de finances et loi de financement finissaient par rendre la lecture des comptes sociaux " particulièrement opaque ". Il a rappelé, en outre, que le champ des objectifs de dépenses et celui des prévisions de recettes votés par le Parlement ne coïncidaient pas. Evoquant le taux d'évolution des recettes affectées à la sécurité sociale (5,7 %), il a considéré que le discours sur la baisse des prélèvements obligatoires apparaissait en conséquence " douteux ".

M. Bernard Caron a estimé que les dépenses de la sécurité sociale avaient une tendance naturelle à la hausse et constaté que si cette évolution se poursuivait, l'intégralité du produit intérieur brut ne suffirait pas à couvrir ces dépenses. Aussi a-t-il plaidé pour la nécessité de " rendre des arbitrages ". Il a considéré que la France était arrivée à la limite de " l'exercice consistant à chercher l'intérêt général sans toucher à un seul intérêt particulier ".

M. Charles Descours, rapporteur, a souhaité connaître la teneur de l'avis du conseil d'administration de l'ACOSS sur l'avant-projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. Il s'est interrogé sur la manière dont l'ACOSS avait été associée à l'élaboration du dispositif du projet de loi créant un mécanisme de " ristourne dégressive " de la CSG sur les revenus d'activité. Il a souhaité connaître le chiffrage de cette mesure, ainsi que les conséquences de cette mesure sur les entreprises. Il s'est interrogé également sur le financement du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) et sur la manière dont étaient traités les déficits cumulés de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

M. Bernard Caron a indiqué que le vote du conseil d'administration de l'ACOSS avait été très majoritairement négatif, comme dans les autres branches du régime général. Il a rappelé qu'une délégation syndicale ne prenait pas part traditionnellement au " vote " (Force ouvrière - FO) tandis qu'une délégation syndicale s'était abstenue (Confédération générale du travail - CGT). Il a estimé que la complexité croissante et le changement de logique du financement de la sécurité sociale étaient le dénominateur commun des opinions négatives. Rappelant que les réformes législatives récentes en matière de sécurité sociale avaient visé à séparer les branches de la sécurité sociale, il a considéré que les " opérations de tuyauterie ", modifiant de manière permanente les affectations de recettes et de dépenses, aboutissaient à un " immense bazar " et ne permettaient pas d'effectuer des comparaisons pertinentes d'une année sur l'autre. Il a considéré que le conseil d'administration de l'ACOSS n'arrivait plus à distinguer la finalité des prélèvements affectés aux différentes branches de la sécurité sociale.

M. Bernard Caron a précisé que l'ACOSS n'avait été associée en aucune façon à l'élaboration du mécanisme de ristourne dégressive de la contribution sociale généralisée (CSG). Rappelant que cette imposition avait pour objectif de créer un prélèvement universel et à la source sur tous les revenus, il a considéré que la démarche visant à instaurer une réduction sur la CSG sur les revenus d'activité des personnes à " faibles revenus " tendait à réinventer un impôt progressif sur le revenu. Il a estimé qu'il était de plus en plus difficile d'expliquer aux citoyens la finalité des prélèvements et que cette évolution mettait en cause le débat démocratique.

S'agissant des difficultés d'application de la " ristourne dégressive ", il a observé que l'ACOSS appliquerait scrupuleusement la loi votée et tenterait de " faire face ". Il a indiqué que les moyens informatiques de l'ACOSS étaient en perpétuel chantier et que les investissements informatiques de la branche du recouvrement s'élevaient déjà à 200 millions de francs pour permettre le passage du système national de production sur le système d'exploitation Unix. Il a considéré que le bulletin de paie devenait de plus en plus illisible et que le mécanisme de ristourne dégressive créerait une ligne supplémentaire sur le bulletin de paie, dont le fondement et le calcul seraient incompréhensibles pour le salarié. Il a indiqué que la branche du recouvrement essaierait d'expliquer l'application de la mesure aux entreprises et que celles-ci devraient modifier de manière considérable leurs logiciels de paie, " faisant la fortune des producteurs de ces logiciels ". Il a considéré que cette mesure renforcerait l'insécurité juridique des entreprises et que, dans le cas d'un redressement social portant sur les trois années précédentes, cette insécurité juridique pourrait remettre en cause la survie même des entreprises redressées. Il a estimé que la branche du recouvrement arriverait probablement à s'adapter, mais que des questions très importantes restaient en suspens. Il a rappelé que la prise en compte des revenus globaux, dans le cadre des pluriactifs, était très difficile. Il a considéré que l'ACOSS était pour le moment incapable de préciser comment la mesure serait applicable aux personnes payées par le mode du chèque emploi-service. Il a observé en outre qu'un des effets pervers de la mesure serait de désinciter à la majoration des salaires. Il a enfin constaté que cette mesure, décidée sans concertation technique, était applicable dès le 1 er janvier 2001.

Concernant le chiffrage de la mesure, il a confirmé qu'elle était estimée initialement à 7 milliards de francs en 2001, 16 milliards de francs en 2002 et 25 milliards de francs en 2003.

M. Bernard Caron a indiqué que les dépenses prises en charge par le FOREC devraient atteindre 67 milliards de francs en 2000 et 85 milliards de francs en 2001. Il a estimé que le financement de la réduction du temps de travail n'était pas assuré. Rappelant que les branches de la sécurité sociale devaient à l'origine financer les trente-cinq heures par des contributions, il a considéré que le Gouvernement avait " réinventé " un autre type de contributions, " moins visibles ", par des réaffectations de recettes. Il a ajouté que le résultat était " calamiteux " et qu'il n'y avait aucune logique à financer le FOREC par les droits sur les alcools et les droits sur les tabacs. Il a rappelé que le principe d'un équilibre branche par branche était la première des conditions pour assurer une véritable politique de redressement des comptes sociaux.

Concernant l'exonération de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), non compensée pour la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), il a rappelé que cette caisse avait été créée pour " faire payer aux générations futures les insuffisances des générations passées ". Il a considéré que si cette Caisse était en avance sur son plan de remboursement, le plus simple aurait été de diminuer sa durée de vie, et non de diminuer le produit du prélèvement qui lui est affecté.

Estimant que la pérennité des régimes de sécurité sociale, " appartenant au patrimoine français ", était une nécessité absolue, il a considéré qu'il fallait éviter de prélever toujours davantage sur les actifs. Il a observé que la construction européenne et la mondialisation rendaient nécessaire une comparaison des différents systèmes de protection sociale, afin d'éviter une fuite des capitaux et des actifs les plus qualifiés, " épouvantail " qui pourrait finir par se concrétiser.

Répondant à la question de M. Charles Descours sur les déficits de la CNAMTS, il a indiqué que ces déficits étaient " escamotés " et que le régime général était revenu à une situation où les branches excédentaires permettaient de financer les pertes des branches déficitaires.

M. Jean Delaneau, président, a observé que chaque caisse du régime général devait normalement bénéficier de produits financiers ou supporter des frais financiers en conséquence de ses excédents ou de ses déficits.

M. Bernard Caron a indiqué que les déficits de la CNAMTS n'avaient pas de conséquence réelle. Il a constaté que le dépassement de l'ONDAM n'était assorti d'aucune sanction, en raison du " rebasage " consistant à anticiper le dépassement de l'année en cours dans la prévision de l'année suivante. Il a observé qu'il n'y avait pas de mécanisme de régulation des dépenses. Il a estimé que " les dérapages ne cesseraient pas tout seuls " et qu'il fallait " cesser de dire qu'ils allaient s'arrêter tout seuls ".

M. Jean Delaneau, président, a rappelé que, pour cette raison mais également suite à la mise en oeuvre d'une " nouvelle étape " pour la politique hospitalière et au refus de la conformité, à la Constitution, par le Conseil constitutionnel de la taxation des heures supplémentaires, la commission des affaires sociales avait demandé la discussion d'une loi de financement rectificative.

M. Marcel Lesbros a évoqué Mme Nicole Questiaux, qui, dans ses cours professés à l'Institut d'études politiques de Grenoble, indiquait que la notion de déficit de la sécurité sociale était contestable et qu'il fallait parler d'un simple " besoin de financement ". Il a estimé qu'il était nécessaire de tenir compte des besoins de santé.

M. Charles Descours a rappelé l'évolution des dépenses d'assurance maladie depuis 1996 et s'est interrogé sur les réels " progrès " en matière de satisfaction des besoins de santé.

M. Francis Giraud a considéré que si l'aspect financier n'était pas unique, les sommes injectées dans le financement de l'assurance maladie pourraient certainement mieux être employées.

M. Bernard Caron a considéré que les besoins de santé étaient " incommensurables ", de même que ceux liés à la dépendance, et qu'il était désormais nécessaire de rendre des arbitrages.

M. Jean-Louis Lorrain a indiqué qu'il participait aux travaux du Conseil de transparence des statistiques de l'assurance maladie, présidé par M. Claude Thélot. Il a observé qu'il était très difficile de développer des outils d'analyse convaincants. Il a regretté qu'une approche exclusivement comptable ne permette pas d'associer les professionnels de santé. Il s'est déclaré partisan d'une véritable maîtrise médicalisée des dépenses de santé, permettant de transformer les professionnels en " acteurs " du système.

M. Bernard Caron a rappelé qu'il était également membre du conseil d'administration de la CNAMTS. Il a considéré qu'il ne s'agissait pas uniquement de la responsabilité des médecins, mais d'une responsabilité politique. Il a évoqué trois questions, montrant que peu de progrès avaient été enregistrés depuis plusieurs années : l'allocation des ressources (certaines régions ayant des dépenses de santé infiniment supérieures à d'autres régions), l'accréditation (les travaux de l'ANAES n'ayant pas avancé) et la tarification par pathologie, restant au stade des balbutiements. Il a estimé que d'autres pays, comparables à la France, affichaient de meilleurs résultats. Il a ajouté que l'objectif n'était pas de " moins soigner ", mais au contraire de " mieux soigner ", à travers une optimisation des ressources.

M. Bernard Cazeau a dénoncé une vision excessivement technocratique de la maîtrise des dépenses de santé. Il a considéré qu'il n'était pas recevable de rejeter sur les " politiques " la responsabilité d'un éventuel échec du système d'assurance maladie. Il a indiqué que les organismes de sécurité sociale disposaient de pouvoirs de contrôle. Il a appelé à un dialogue positif avec l'ensemble des organisations professionnelles.

M. Bernard Caron a répondu qu'il n'entendait pas mettre en cause la responsabilité des " politiques ", mais qu'il appartenait à la collectivité, à travers des choix " politiques au sens noble ", de décider d'affecter des ressources à des besoins. Il a indiqué que la CNAMTS ne disposait d'aucune marge de manoeuvre concernant ses recettes et ses dépenses, à part celles de sa gestion administrative. Il a expliqué que certaines erreurs avaient été faites, comme de ne pas rendre obligatoire le système SESAM-VITALE.

M. Bernard Cazeau a demandé à M. Bernard Caron s'il rencontrait des professionnels de santé et s'il leur tenait le même discours.

M. Bernard Caron a répondu qu'il intervenait fréquemment dans des réunions organisées par les professionnels de santé et qu'il tenait le même discours. Il a indiqué que le mécanisme même de l'assurance maladie n'incitait pas en France à la rationalité. Il a considéré que les professionnels de santé étaient certes des " professions libérales ", mais dont le chiffre d'affaires était assuré par la collectivité. Il a estimé que leurs prestations devaient relever en conséquence d'un cahier des charges.

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