EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 novembre 2000, sous la présidence de M. Alain Lambert, la commission a procédé à l'examen des crédits d'aide au développement , sur le rapport de M. Michel Charasse, rapporteur spécial .

Résumant les principales observations issues de l'analyse des crédits, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a d'abord souligné la baisse, depuis 1982, de l'aide française aux pays en développement et aux organismes multilatéraux, revenue de près de 2 % à moins de 0,6 % du PIB en 1998.

Surtout considérable à partir de 1996, cette évolution résulte, certes, en grande partie, du retrait massif des capitaux privés. Mais elle recouvre également une sensible diminution de la seule aide publique puisqu'entre 1996 et 1998, celle-ci est amputée de près d'un tiers. Dans ce domaine, la France est, parmi les pays de l'OCDE, un de ceux qui a le plus régressé (- 6 % par an en moyenne). L'aide publique française se caractérise en outre par un apport relativement important et croissant aux pays à niveau élevé et à revenu intermédiaire, au détriment des pays les moins avancés. De fait, la prééminence accordée en principe à l'Afrique subsaharienne diminue clairement, alors même que le " monopole " français y est aujourd'hui de plus en plus vivement concurrencé.

L'aide française apparaît enfin caractérisée par le maintien de la priorité historique accordée à l'enseignement, tandis que la France est relativement peu présente, par rapport à ses partenaires, dans les secteurs de la santé et du développement économique (eau, assainissement, transports, télécommunications, énergie).

Analysant ensuite l'évolution la plus récente, M. Michel Charasse a indiqué qu'en 2001, le total des crédits d'aide publique française s'élevait à 32,5 milliards de francs, non comprise l'aide destinée aux territoires d'outre-mer. La diminution globale près de 3 milliards de francs de l'aide publique entre 1999 et 2001 recouvre en réalité une sensible progression de l'aide multilatérale, de l'ordre de 4 milliards de francs, tandis que l'aide bilatérale continue de diminuer.

Relevant que le renforcement de l'aide multilatérale se faisait essentiellement au profit du prélèvement communautaire ainsi qu'au bénéfice de divers fonds et banques de développement régionaux, tandis que ne cessait de diminuer la part relative accordée aux organismes onusiens, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a estimé qu'une telle évolution ne contribuait ni à la lisibilité de l'action de la France, ni même à l'efficacité des crédits affectés, compte tenu d'une mise en oeuvre souvent aléatoire, sinon parfois tout à fait inexistante.

M. Michel Charasse a ensuite indiqué que la part gérée par le ministère des affaires étrangères (après fusion en son sein des crédits de la coopération), soit 9,2 milliards de francs, était à peine supérieure à celle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (8,2 milliards de francs), tandis qu'une dizaine d'autres ministères intervenaient dans ce secteur de façon croissante et souvent très autonome, pour un montant global de près de 2 milliards de francs, sans qu'on dispose d'une vision précise des instruments mis en oeuvre et de leurs objectifs.

Il a estimé que ceci ne pouvait, en aucune façon, contribuer à la cohérence du dispositif et de la politique suivie et que si la mise en place du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) constituait une étape importante, elle demeurait insuffisante, tant qu'elle ne serait pas dupliquée au niveau des administrations centrales et des services à l'étranger.

Evoquant ensuite le poids croissant de la contribution française à l'aide au développement mise en oeuvre au niveau communautaire, soit près de 8 milliards de francs en 2001, c'est-à-dire près du quart du total de l'aide publique française aux Etats étrangers, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a souligné que la lourdeur des procédures de décisions communautaires, tant au niveau des engagements qu'à celui des décaissements, se traduisait aujourd'hui par l'existence d'un reliquat de près de 65 milliards de francs (9,5 milliards d'euros) non dépensés sur le fonds européen de développement (FED), soit plus de deux fois le montant annuel global de l'aide française. De fait, le chapitre budgétaire " porteur " de la contribution française au FED (inscrite au budget des charges communes) dispose aujourd'hui de 65 milliards de francs d'autorisations de programme en compte et de près de 28 milliards de francs de crédits de paiement en compte.

De même, les quelque 4,2 milliards de francs affectés au programme MEDA-I (1996-1999), destinés à financer l'adaptation des pays sudméditerranéens à la mondialisation, ne sont, au terme de leur " mandat ", décaissés qu'à peine à hauteur du tiers de façon globale, voire pas du tout dans certains pays.

M. Michel Charasse a, de fait, estimé éminemment regrettable, d'une part, que la représentation nationale ne puisse pas contrôler l'utilisation de ces fonds, d'autre part, que la présidence française de l'Union européenne n'ait toujours pas mis à profit son mandat pour remettre de l'ordre dans ce dossier.

Abordant ensuite le bilan de l'intégration, désormais définitive, de l'ancienne " rue Monsieur " au sein du ministère des affaires étrangères, M. Michel Charasse a considéré que le terme de " dissolution " lui paraissait plus approprié que celui de " fusion ". Il a également estimé que cette opération se traduisait par une illisibilité accrue de l'instrument " aide au développement ", qui ne parvenait pas toutefois à pleinement masquer la diminution de cette aide.

Rappelant que le projet de loi de finances pour 2001 se caractérisait par la banalisation définitive de la composante " coopération technique et aide au développement ", M. Michel Charasse a d'abord relevé que la coopération militaire et de défense était désormais " sortie " de l'agrégat " coopération internationale " pour être intégrée dans l'" action diplomatique ", avec des moyens nettement diminués et un champ d'intervention géographique devenu illimité.

Il a ensuite souligné que la baisse de 3 % des crédits d'intervention du titre IV affectait, pour l'essentiel, les instruments de la " coopération " traditionnelle.

Il a, a cet égard, particulièrement déploré la poursuite de la diminution des effectifs de l'assistance technique, pourtant considérée comme un incontestable " avantage comparatif " de l'aide française par les autres bailleurs bilatéraux et multilatéraux.

Il a estimé que la nouvelle conception de l'aide française, telle qu'il avait notamment pu la percevoir lors de ses différentes missions sur le terrain, mais aussi telle qu'elle se concrétisait dans l'évolution des moyens budgétaires, évoluait clairement d'une logique de " projets " vers une logique de " subventions ". Relevant que cette tendance se traduisait par un appel croissant à des " opérateurs " et à des organisations non gouvernementales (ONG), il s'est montré généralement critique à l'égard de cette multiplication d'intermédiaires pas toujours fiables et pas nécessairement efficaces.

Qualifiant ensuite la nouvelle Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) de " Leviathan administratif ", il a indiqué que le jugement porté sur son bilan, certes extrêmement récent, restait pour le moins mitigé.

Evoquant enfin le fonds de solidarité prioritaire (FSP), instrument longtemps privilégié, voire " emblématique " de la coopération française, il a estimé que son évolution provoquait de sérieuses inquiétudes, allant bien au-delà de la réserve suscitée par les modifications de procédure. Il a en effet indiqué que, depuis le transfert à l'Agence française de développement (AFD) de l'essentiel des compétences d'investissement, y compris sur les secteurs santé et éducation, la régularité budgétaire des projets présentés au FSP lui paraissait se fragiliser, en ce qu'ils correspondaient de moins en moins à des opérations ressortant du titre VI et de plus en plus à des opérations du titre IV.

M. Michel Charasse a enfin vivement déploré que les contours de la zone de solidarité prioritaire (ZSP) ne soient pas respectés, tant en ce qui concerne les opérations financées sur le fonds de solidarité prioritaire que les projets mis en oeuvre par l'Agence française de développement. Il a ainsi estimé à plus d'un demi-milliard de francs le total de l'aide accordée à la région des Balkans sur les deux exercices 1999-2000, à travers l'ensemble des instruments d'aide publique au développement.

Concluant, il a considéré que le projet de budget pour 2001 signait la disparition programmée des " coopérants ", du " FSP ", et même d'une " zone d'intervention privilégiée ", et douté vivement, de ce fait, que l'aide publique française y trouve, à terme, véritablement son compte.

M. Jacques Pelletier a déploré à son tour la considérable diminution du montant global de l'aide publique française, alors même que son " champ " géographique était parallèlement élargi. Il a rappelé l'objectif fixé en 1992 d'atteindre 0,7 % du PIB, pour constater que le taux était aujourd'hui inférieur à 0,4 %. Il a particulièrement critiqué la diminution de l'assistance technique présente sur le terrain, alors qu'elle était unanimement saluée par nos partenaires européens et qu'elle exerçait un impact incontestable, tant sur les pays partenaires que pour les personnels français qui en faisaient l'expérience. Enfin, il a souhaité atténuer la sévérité générale du jugement porté par M. Michel Charasse sur les ONG, estimant que beaucoup accomplissaient un excellent travail dans des conditions difficiles, notamment en Amérique latine. Il s'est en conclusion interrogé sur l'évolution de l'Agence française de développement, qui lui donnait le sentiment de se détourner de son métier initial pour faire de plus en plus de dons et de moins en moins de prêts.

Répondant sur ce dernier point à M. Jacques Pelletier, M. Michel Charasse a indiqué qu'avec la réforme du système français d'aide publique au développement, l'AFD était devenue " opération-pivot " du système, et qu'il ne fallait, en réalité, sans doute pas exclure qu'elle en devienne, à terme, l'opérateur unique, sur le modèle par exemple de l'agence canadienne (ACDI).

M. Jacques Chaumont a tenu à son tour à saluer le travail accompli par les ONG, tout en précisant qu'elles éprouvaient des difficultés croissantes à travailler de manière efficace avec les services de l'ancien ministère de la coopération, dont les procédures paraissaient inutilement bureaucratiques et peu opérationnelles. Il s'est interrogé sur l'avenir de la DGCID qu'il a estimé " ingérable ", quelles que soient les éminentes qualités de ses directeurs successifs. Il s'est enfin inquiété des conséquences de la disparition des protocoles, évoquant en particulier le cas du Népal, dont il préside le groupe d'amitié sénatorial. Sur ce dernier point, M. Michel Charasse a tenu à rappeler l'ampleur tout à fait considérable des reliquats et des annulations régulièrement constatées sur les protocoles financiers.

M. Henri Torre a souligné que ses derniers déplacements chez nos partenaires africains l'avaient conduit à relever une recrudescence du nombre d'études diverses, au détriment évident des projets de développement, en chute libre.

Critiquant à son tour cette tendance générale à la multiplication des études, M. Alain Lambert, président, a souhaité savoir si la baisse de l'aide française s'inscrivait dans une tendance générale de la part des pays développés.

Sur ce point, M. Michel Charasse a confirmé que la baisse était effectivement générale, et que la France demeurait au premier rang des pays donateurs du groupe des sept pays les plus industrialisés (G7). Il a toutefois souhaité souligner l'effort croissant, à rebours de tous les autres pays, consacré par le Royaume-Uni à l'aide au développement.

Une part prépondérante des crédits d'aide publique au développement étant inscrite au budget des affaires étrangères, la commission a alors décidé de réserver son vote jusqu'à l'examen du budget des affaires étrangères .

Au cours d'une séance tenue le 22 novembre 2000, la commission a examiné les crédits du budget des affaires étrangères, sur le rapport de M. Jacques Chaumont.

A l'issue du débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits des affaires étrangères.

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