CHAPITRE III :

L'AN 2000, UNE ANNÉE GRISE POUR LA MODERNISATION DU MINISTÈRE

Dans la ligne des travaux réalisés par MM. Boisson et Milleron, un nouvel élan avait été donné à la modernisation du ministère.

Un premier train de réformes était intervenu dont les principales mesures sont rappelées dans l'encadré ci-après.

La réforme du ministère

Les premières mesures de réforme du ministère se sont inscrites dans la logique du rapport de MM. Boisson et Milleron demandé à l'été 1997 afin de parvenir à de plus grandes synergies entre les différentes composantes du ministère au niveau central et dans les services déconcentrés.

Elles ont d'abord concerné des réaménagements de structures avec :

- la création d'une direction des affaires juridiques qui regroupe le service juridique et de l'agence judiciaire du Trésor, le secrétariat général de la commission centrale des marchés et les bureaux " juridiques " de la direction générale de l'administration et des finances du secrétariat d'Etat à l'industrie ;

- la création de la direction du personnel, de la modernisation et de l'administration qui regroupe les directions transversales du " pôle finances " et du " pôle industrie " ;

- la création d'une direction des relations avec les publics et de la communication ;

- la réintégration du service de la législation fiscale à la mouvance de la direction générale des impôts ;

- les réformes de la direction de la comptabilité publique et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Une deuxième impulsion avait été donnée avec la conclusion d'un " contrat d'objectifs et de moyens " par la direction générale des impôts (DGI).

Mais la modernisation du ministère comportait surtout un projet visant à créer un service public fiscal de meilleure qualité. Il s'agissait, dans le prolongement des réformes de management des services, d'opérer des regroupements de structures destinés à promouvoir un interlocuteur fiscal unique et à décloisonner les administrations chargées de la gestion de l'impôt.

On sait ce qu'il est advenu du projet de réforme qui s'inspirait étroitement des conclusions du rapport de la " Mission 2003 " .

Votre rapporteur spécial entend réaffirmer la nécessité absolue d'une modernisation du ministère, modernisation que la commission des finances du Sénat a appelé de ses voeux en adoptant le rapport qu'il lui a présenté au mois de février dernier 5 ( * ) . Il considère que les constats qui fondaient cette exigence demeurent. Il se félicite que plusieurs des aspects de ce qu'il est convenu d'appeler désormais " la réforme-modernisation " du ministère rejoignent les recommandations qu'il avait alors formulées pour mener à bien ce processus indispensable à la réforme de l'Etat.

La coexistence séparée des différents réseaux chargés de la gestion de l'impôt est une survivance coûteuse qui doit être surmontée

La gestion des prélèvements obligatoires est éparpillée entre différentes directions générales du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et les Unions de recouvrement de la sécurité sociale et des affaires familiales (URSSAF). Ces découpages n'obéissent à aucune justification et sont le fruit d'une histoire faite de cloisonnements administratifs. Ils présentent un coût excessif pour la collectivité et doivent être surmontés.

I. DES CLOISONNEMENTS COÛTEUX

Les tendances observées à l'étranger démontrent que l'évolution du périmètre des administrations fiscales y est tout à la fois marquée par la réduction du nombre des administrations fiscales et par une certaine extension des missions.

Du premier point de vue, deux grandes catégories de pays sont identifiables : trois pays ont un nombre élevé d'administrations fiscales (France, Italie, Allemagne), six pays ont réduit à un ou deux le nombre de leurs administrations.

Nombre total d'administrations fiscales

France

Italie

Espagne

R. Uni

Canada

Etats-Unis

Irlande

Pays-Bas

Suède

Allemagne

4

4

2

2

1 (+ 10)

1 (+ 50)

1

1

1

21/3

Ce phénomène répond au souci d'une maîtrise des coûts à la fois par la réalisation d'économies d'échelle (gains de productivité liés à l'intégration des processus industrialisables) et par la réduction des coûts de coordination entre les différentes administrations fiscales.

Mais il répond aussi au souhait d'améliorer la qualité de service en réduisant le nombre des points de contact entre l'administration et les administrés.

S'agissant de l'étendue des missions des administrations fiscales, il est notable que celle-ci a tendance à s'élargir à des tâches non fiscales. Dans six pays, les administrations fiscales recouvrent aussi les cotisations sociales. Dans trois pays (Canada, Etas-Unis, Royaume-Uni) elles gèrent des programmes sociaux (impôts négatifs).

Face à ces évolutions, les superpositions actuellement observées en France engendrent des coûts dont une présentation synthétique conduit à distinguer ceux liés aux dysfonctionnements du système et ceux résultant des duplications de structure.

Les dysfonctionnements induits concernent les usagers et altèrent les performances de l'administration.

Les dysfonctionnements liés aux cloisonnements actuels présentent d'abord des coûts pour les usagers.

De façon générale, ceux-ci éprouvent des difficultés à identifier les services chargés de leurs impositions. Le schéma ci-après en illustre l'une des raisons en récapitulant le nombre total (7) d'interlocuteurs d'une entreprise assujettie à l'impôt sur les sociétés sans établissements secondaires.

Nombre total d'interlocuteurs d'un chef d'entreprise

Assiette

CDI : inspection de fiscalité professionnelle

CDI : taxe professionnelle

Cotisations sociales

Chef d'entreprise

Contrôle fiscal

URSSAFF

Brigade de vérification

Recouvrement

DGI :recette

CP : poste IS

CP : poste TP (parfois confondus)

Source : Rapport Lépine

Cette situation est aggravée par l'absence de coïncidence des ressorts territoriaux des deux réseaux qui posent des problèmes particuliers en cas de changements de résidence.

L'anomalie extrême survient lorsque, s'imaginant satisfaire à ses obligations fiscales, un contribuable commettant l'erreur de s'acquitter de sa dette fiscale auprès du mauvais réseau se voit appliquer à bon droit des pénalités de retard par le réseau réellement compétent.

Les superpositions actuelles s'accompagnent sans doute également pour l'administré du maintien de pratiques plus rigoureuses que celles qui pourraient naître d'une unification des services d'assiette et de recouvrement dans une même administration, même à supposer le maintien d'une certaine étanchéité entre ces deux fonctions. La séparation organique des services tend en effet à justifier un certain " jusqu'au boutisme " procédurier de leur part qui, s'accompagnant de l'absence d'une autorité unique capable de décider dans les différents domaines que peut comporter un dossier fiscal, ne favorise pas le dégagement de solutions pragmatiques adaptées à la diversité des situations.

Enfin, la superposition des réseaux est susceptible de déboucher sur une hétérogénéité des protocoles des communications informatiques imposés aux usagers, hétérogénéité des protocoles qui ne serait que le reflet de l'hétérogénéité des modes d'administration et, en particulier, de recouvrement d'ores et déjà observables.

Les dysfonctionnements résultant des superpositions actuelles touchent à l'évidence les administrations publiques elles-mêmes.

Elles doivent d'abord -et in fine les contribuables- supporter les coûts redondants de la coexistence de deux réseaux de recouvrement. Ces coûts sont d'abord financiers avec des duplications en termes de charges de fonctionnement immobilier, fluides, informatique, etc...

Ces redondances sont l'une des explications du niveau comparativement élevé du coût de gestion des impôts en France rappelé dans le graphique ci-après.

Recettes prises en compte : impôts et cotisations sociales, sauf pour l'Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni (impôts seulement) / France : DGI + CP (ACOSS exclue)

Source : IGF - Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Mais, ils sont aussi économiques. L'une des particularités du réseau de la direction générale de la comptabilité publique est d'être largement disséminé sur le territoire en raison de facteurs historiques et géographiques. Cette dissémination s'accompagne de situations où, les postes comptables étant pourvus d'effectifs en petit nombre, des déséconomies d'échelle importantes peuvent être observées. L'enrichissement des fonctions exercées localement permettrait d'atténuer ces surcoûts.

Une densification des effectifs des postes comptables du Trésor public favoriserait en outre la gestion des personnels et diminuerait le niveau -parfois excessif- du taux d'encadrement dans le réseau.

Mais les superpositions entraînent aussi des dysfonctionnements administratifs qui nuisent aux performances d'ensemble du système fiscal . Elles supposent d'abord qu'un des deux réseaux de recouvrement -celui de la DGCP- se trouve éloigné des services d'assiette et de contrôle avec pour conséquence une déperdition des informations et des coûts de liaison importants. Elles supposent aussi la coexistence de deux réseaux de recouvrement distincts et concurrents. A cet égard, l'un des agents rencontrés par votre rapporteur a pu évoquer une situation où " c'est à celui qui prend l'hypothèque le plus tôt " . L'on peut ajouter qu'en l'état rien ne l'autorise à la prendre pour l'autre comptable public.

Les performances médiocres réalisées en matière de recouvrement suite à contrôle fiscal témoignent parmi d'autres des coûts des cloisonnements actuels.

D'autres exemples en ont été donnés par le rapport de la " Mission 2003 ".

Ils concernent d'abord les redondances observées dans le circuit de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur les salaires, le paiement de ces impôts et taxes donnant lieu à la transmission aux services d'assiette et de contrôle de " bordereaux-avis de versement " en provenance du réseau du Trésor Public. Ce n'est pas l'exemple le plus probant puisque, sauf à imaginer une fusion complète des services d'assiette et de recouvrement, qui, sous un angle fonctionnel, paraît peu désirable, les besoins de recoupement subsisteront.

Il est en revanche beaucoup plus significatif d'évoquer les insuffisances des liaisons informatiques pour permettre la fluidité de la chaîne d'information et de traitement des dossiers fiscaux.

A ce sujet, le rapport évoquait " les cloisonnements entre administrations qui ont parachevé le désordre d'un système où peu de choses communiquent ".

Votre rapporteur en a été concrètement le témoin constatant les difficultés rencontrées par les agents du Trésor Public pour consulter FICOBA (le fichier des comptes bancaires tenus par les services de la DGI) auquel ils n'ont aucun accès informatique.

* 5 " La direction générale des impôts à l'heure des réformes. Pour une modernisation du service public de l'impôt " n° 205. 1999-2000.

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