PROLÉGOMÈNES

LE GOUVERNEMENT A-T-IL RAISON DE SE VANTER DE LA RÉDUCTION DU CHÔMAGE ?

Votre rapporteur spécial, rappelant que le gouvernement s'était vanté à plusieurs reprises de mener une politique économique allant conduire dans un avenir relativement proche au plein emploi, considère qu'une analyse objective et sérieuse du marché du travail amène à relativiser ces propos quelque peu déplacés, ne serait-ce que par considération pour les 2,5 millions de chômeurs que compte toujours notre pays.

En réalité, la situation de l'emploi en France est loin d'être aussi bonne que le gouvernement veut bien le dire, tandis que la réduction autoritaire du temps de travail qu'il a imposée aux entreprises fait peser de réelles menaces sur l'économie nationale.

I. L'AMÉLIORATION DE LA SITUATION DE L'EMPLOI CONNAÎT DE RÉELLES LIMITES

Votre rapporteur spécial se réjouit bien évidemment de la nette amélioration du marché du travail, depuis de longs mois consécutifs maintenant.

Sans entrer dans le détail des chiffres, il rappellera simplement que le taux de chômage a diminué de façon continue depuis 1997, passant de 12,6 % à la mi-année 1997 à 9,6 % à la mi-année 2000. Par ailleurs, le nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois inscrits à l'ANPE (catégorie 1) a suivi la même tendance : ils étaient 3,14 millions en juin 1997, et 2,33 millions en juin 2000.

Le tableau suivant illustre l'évolution des chiffres du chômage :

Le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2001 indique que " en glissements annuels, environ 550.000 emplois seraient créés dans l'économie en 2000 et environ 360.000 en 2001 ". Il convient, en effet, de constater le ralentissement prévu des créations d'emploi au cours de l'année prochaine.

Cette évolution souligne l'existence de nombreuses limites à l'amélioration du marché du travail en France.

A. LE CHÔMAGE FRANÇAIS RESTE PARMI LES PLUS ÉLEVÉS EN EUROPE

Selon Eurostat, l'office statistique des Communautés européennes, le taux de chômage au mois d'août dernier était de 9,6 % de la population active en France.

Il reste donc supérieur tant au taux de chômage dans l'Union européenne, 8,3 %, qu'à celui de la zone euro, 9 %, comme le montre le graphique ci-dessous :

Au sein de la zone euro, la France a le taux de chômage le plus élevé, juste derrière l'Espagne, tandis que certains Etats-membres ont de bien meilleurs résultats : 9,5 % en Allemagne, soit un taux similaire, mais 8,6 % en Belgique, 4,4 % en Irlande, 2,5 % aux Pays-Bas. Au Royaume-Uni, le taux de chômage est de 3,6 %. Or, dans tous ces pays, les gouvernements n'ont ni créé des emplois-jeunes, ni imposé la réduction du temps de travail.

Hors d'Europe, le Japon bénéficie d'un taux de chômage de 4,6 %, et les Etats-Unis de 4,1 %.

L'appréciation portée par la Commission européenne sur la politique de l'emploi en France : " peut mieux faire "

Au début du mois de septembre 2000, la Commission européenne a élaboré, conformément à l'article 128 du Traité, un rapport en vue d'exposer les conclusions qu'elle a tirées après avoir examiné les mesures prises par les Etats membres pour mettre en oeuvre les lignes directrices pour l'emploi en 2000. Ce rapport constitue la base du rapport conjoint sur l'emploi que le Conseil et la Commission présenteront lors du Conseil européen à Nice, en décembre 2000. En outre, la Commission en tiendra compte dans la préparation de la proposition de décision du Conseil sur les lignes directrices pour l'emploi en 2001, ainsi que de la proposition de recommandations du Conseil adressées aux Etats membres sur la mise en oeuvre de leurs politiques de l'emploi.

Après avoir exposé que " la situation de l'emploi dans l'UE s'est régulièrement améliorée au cours des deux dernières années, ce qui témoigne d'une bonne conjoncture générale et de progrès en matière de réforme des marchés du travail " , la Commission européenne évalue les politiques de l'emploi des Etats membres en 1999, à l'aune des quatre piliers retenus : la capacité d'insertion professionnelle, l'esprit d'entreprise, la capacité d'adaptation, et l'égalité des chances.

Enfin, elle porte une appréciation sur la politique de l'emploi conduite dans chacun des Etats membres.

Concernant la France, elle note que " la croissance économique qui s'est poursuivie en 1999 avec une forte accélération vers la fin de l'année a influencé favorablement l'évolution de l'emploi " . En effet, le taux d'emploi est passé de 59,9 % en 1998 à 60,4 % en 1999, même s'il reste " inférieur à la moyenne européenne " quoique légèrement supérieur en termes d'équivalent à temps plein. Cette amélioration a bénéficié davantage aux jeunes et aux femmes. En revanche, celui des personnes de plus de 55 ans s'est stabilisé et reste très bas (28,3 %).

Par ailleurs, " le taux de chômage a diminué " , passant de 11,7 % en 1998 à 11,3 % en 1999. " Il reste cependant supérieur à la moyenne de l'UE " .

Toutefois, la Commission européenne émet un certain nombre de réserves sur les orientations retenues par le gouvernement français :

- elle considère que " les mesures prises afin d'inciter les travailleurs les plus âgés à rester plus longtemps dans la vie active risquent de ne pas avoir un effet dissuasif suffisant face à l'ampleur du problème " ;

- elle estime que, en dépit du nouveau système d'allégement des charges sociales lié à la réduction du temps de travail, " le taux de taxation moyen du travail reste cependant trop élevé " , les charges fiscales sur le travail restant supérieures à la moyenne européenne ;

- en ce qui concerne les emplois-jeunes, elle note que " la question se pose quant à la pérennité de ces emplois " ;

- elle indique que " la priorité donnée aux chômeurs de longue durée dans le cadre des actions " Nouveau départ " devrait être complétée par un renforcement des actions préventives offertes aux jeunes/adultes avant 6/12 mois de chômage, qui sont restées en 1999 en-dessous des objectifs fixés " .

B. L'AMÉLIORATION DE LA SITUATION DE L'EMPLOI EST RELATIVEMENT INÉGALE

En effet, si le taux de chômage s'établissait, en moyenne, à 9,6 % de la population active en juin dernier, il est plus élevé pour les femmes de près de 2 points, à 11,5 %. Les femmes de 25 à 49 ans, avec un taux de chômage de 11 % à cette époque, connaissaient également une situation plus défavorable que la moyenne.

Par ailleurs, si le chômage des jeunes a diminué, grâce à la création massive d'emplois-jeunes en particulier, il reste plus élevé que la moyenne nationale : 15,4 % pour les hommes de moins de 25 ans, et 19,5 % pour les femmes de la même tranche d'âge, soit plus du double de la moyenne.

Le tableau ci-après illustre cette situation :

En outre, une étude récente de l'INSEE montre que " au-delà de ces améliorations conjoncturelles, les jeunes continuent à être touchés par la croissance structurelle de l'emploi précaire. De plus, les sortants [du système scolaire] les moins diplômés profitent peu de cette amélioration ". Ainsi, si le taux de chômage des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur est de 10 %, il s'élève à 20 % pour ceux qui sont titulaires d'un baccalauréat, et à 40 % pour les détenteurs du seul brevet.

Le nombre des chômeurs de longue durée a lui aussi reculé, toutefois, l'INSEE indique que cette baisse " est moins importante que celle du nombre total de chômeurs ", et que " leur poids parmi l'ensemble des chômeurs s'est accru ".

C. UN RECUL IMPORTANT DU CHÔMAGE SE HEURTE AU NIVEAU ÉLEVÉ DU CHÔMAGE STRUCTUREL

Si le taux de chômage a reculé de trois points depuis 1997, il semble que ce mouvement se heurte - et alors que ledit taux reste encore élevé -, au socle du chômage structurel, évalué à 8 % de la population active en France par la Caisse des dépôts et consignations, contre 3 % aux Etats-Unis.

Ainsi, la baisse actuelle du chômage serait de nature conjoncturelle, la croissance permettant des créations d'emplois jusqu'au seuil de 8 % de chômage. En-deçà, le chômage ne diminuerait plus. Du reste, les pénuries de main-d'oeuvre constatées aujourd'hui dans certains secteurs confirmeraient cette analyse 2 ( * ) .

Or, il convient de noter que la loi sur les 35 heures, en réduisant le nombre d'heures travaillées, pénalise l'environnement économique des entreprises, notamment en raison du ralentissement des gains de productivité, et aggrave le phénomène des pénuries de main-d'oeuvre, ne serait-ce que par les rigidités qu'elle a introduites en matière de recours aux heures supplémentaires.

Le chômage structurel dans la zone euro et aux Etats-Unis

Le directeur des études économiques de la Caisse des dépôts et consignations, M. Patrick Artus, a analysé l'évolution du chômage structurel dans la zone euro en notant tout d'abord que la baisse actuelle s'accompagne de créations d'emplois qui excèdent de beaucoup la croissance de la population en âge de travailler. Pour l'instant, cette situation ne s'accompagne pas d'une accélération des coûts salariaux de la zone : le taux de chômage est encore élevé, même s'il baisse, les anticipations d'inflation sont restées faibles, malgré la hausse des prix des matières premières qui n'a pas eu d'effet sur les salaires. Le coût salarial unitaire augmente de 1 % par an, le salaire nominal d'à peine plus de 2 %. Les résultats des négociations salariales, en Allemagne comme en France, confirment l'absence d'indexation des salaires nominaux sur la partie de la hausse des prix qui, depuis de début de 1999, est liée à celle des prix des matières premières. Le taux de chômage est donc encore probablement dans la zone euro au-dessus du taux de chômage structurel ou non inflationniste, par le simple jeu du cycle économique. Pour M. Artus, la question est de savoir quelle est la marge entre le chômage qui subsiste et le chômage structurel :

" Aux Etats-Unis , malgré la baisse jusqu'à 4 % du taux de chômage, à l'exception d'un bref épisode au début de 1998, le salaire réel augmente moins que la productivité depuis le début des années 1990, ce qui semble indiquer que le taux de chômage non-inflationniste est encore inférieur au taux de chômage observé. Ceci est bien compatible avec une situation où l'inflation fondamentale n'accélère pas, sauf tout à fait au début de 2000, mais il s'agit aussi d'un effet indirect de la hausse des prix de l'énergie. Dans la zone euro, après la réunification allemande (1992-93), les salaires réels augmentent très rapidement, puis à partir de 1994, et à l'exception du début de 1997, ils progressent moins vite que la productivité du travail. L'enjeu est très important. Si l'inflation réaccélérait dans la zone euro alors même que le chômage est encore élevé, en raison d'un chômage structurel élevé, le processus de croissance pourrait être interrompu en raison de la réaction des marchés et de la BCE. Pour l'instant, l'écart qui subsiste entre les hausses du salaire réel et de la productivité indique que ce point dangereux n'est pas encore atteint. [...] Il y a trois déterminants essentiels du chômage structurel (ou chômage non inflationniste) : les gains de productivité du travail : s'ils sont élevés, un chômage faible ne sera pas inflationniste puisque les coûts unitaires progresseront peu ; les termes de l'échange : une baisse du prix relatif des importations freine les prix intérieurs et permet des hausses plus rapides des salaires ; la fiscalité ou les mesures réglementaires qui affectent la demande ou l'offre de travail, donc le salaire d'équilibre pour un chômage donné.

Actuellement, les gains de productivité sont faibles dans la zone euro (autour de 1,5 % par an en moyenne), surtout si on les compare à ceux observés aux Etats-Unis ; il est très probable que cet écart est dû à celui qui apparaît, dès le milieu des années 80, entre les tendances de l'investissement productif ; pour l'instant, le prix des importations n'a pas varié de manière différente dans la zone euro et aux Etats-Unis, à l'exception de l'année 1997. Cependant, les évolutions très différentes des deux devises depuis 1997 font penser que cette situation pourrait évoluer. Le taux de change effectif réel de l'euro s'est déprécié de 30 % en 4 ans, celui du dollar s'est déprécié de 12 %. Ceci est normalement un facteur de hausse du chômage non inflationniste dans la zone euro, avec le risque de dégradation des termes de l'échange. Les facteurs qui affectent l'offre et la demande de travail dans un sens défavorable sont normalement : le niveau des charges sociales (qui réduisent la demande) ; le niveau des revenus de remplacement (qui réduisent l'offre). Les cotisations sociales sont nettement plus lourdes dans la zone euro qu'aux Etats-Unis. Le salaire minimum est beaucoup plus bas, par rapport au salaire médian, aux Etats-Unis que dans les pays européens.

La population qui se présente sur le marché du travail (la somme de l'emploi et du chômage) dans la zone euro et aux Etats-Unis augmente de 0,5 % par an dans la zone euro, d'un peu plus de 1 % par an aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis, 75 % de la population âgée de 20 à 60 ans travaille, contre 57 % dans la zone euro. Les évolutions, qu'il s'agisse de la productivité, des termes de l'échange, de la fiscalité, des revenus de remplacement ou de l'offre de travail, donnent les mêmes indications : les facteurs macro-économiques de détermination du chômage structurel sont nettement plus favorables aux Etats-Unis que dans la zone euro ".

Le directeur des études de la CDC s'interroge ensuite sur les facteurs liés au fonctionnement micro-économique du marché du travail qui influent sur le chômage structurel : au niveau de qualification et à la structure du chômage ; à l'existence de formes flexibles de travail ; à la structure sectorielle des créations d'emplois. Les tableaux ci-dessous montrent la structure par qualification de la population, en distinguant 3 groupes : peu qualifiés, moyennement qualifiés, très qualifiés. Si on croit les données de l'OCDE, mais on sait qu'elles sont très discutées en Europe, le niveau moyen de qualification de la population américaine est beaucoup plus élevé que celui de la population européenne. En revanche, le travail à temps partiel est moins développé aux Etats-Unis.

Structure par qualification de la population (1994)

Faible

Moyenne

Élevée

Etats-Unis

15

61

24

Zone euro

42

49

9

Source : OCDE

Taux de chômage par niveau de formation (1996, en %)

Faible

Moyenne

Élevée

Etats-Unis

10,9

5,4

2,5

Zone euro

14,6

11,0

8,4

Source : OCDE

La croissance de l'emploi dans les " services nouveaux " (télécommunications, informatique, finance) est plus précoce aux Etats-Unis (elle débute en 1992), et varie de 6-7% par an ; en France, le démarrage date de 1996 et la croissance est plus faible (3-4 % par an). On peut faire exactement la même remarque en ce qui concerne la croissance de la production. Ceci montre : que, probablement, la qualification de la population est plus adaptée aux Etats-Unis ; que la flexibilité des formes de travail (temps partiel) ne paraît pas un argument déterminant ; que même s'il y a démarrage, la " nouvelle économie " croît encore moins vite dans la zone euro. Les facteurs micro-économiques d'explication du chômage structurel semblent donc ainsi plus favorables, aux Etats-Unis que dans la zone euro.

En conclusion, M. Artus estime que le chômage de la zone euro est supérieur au chômage structurel ; aux Etats-Unis, il est sans doute voisin du chômage non inflationniste. Cependant, aussi bien les arguments macro-économiques du chômage structurel vont dans le même sens : le chômage structurel est probablement nettement plus élevé dans la zone euro qu'aux Etats-Unis.

D. L'INCITATION AU TRAVAIL RESTE TROP FAIBLE, ET LE COÛT DU TRAVAIL TROP ÉLEVÉ

Le gouvernement, dans son rapport économique, social et financier précité, indique que la politique du gouvernement vise à " favoriser le retour à l'emploi ", puisque " l'entrée sur le marché du travail peut être dissuadée par des gains de revenus trop faibles, voire nuls ". Il indique d'ailleurs que " la réglementation en matière de prélèvements et de transferts pénalise, en pratique, le retour à l'emploi des travailleurs peu qualifiés ".

Pour corriger cette situation, connue sous le nome de " trappe à inactivité ", le gouvernement propose d'instaurer, sur trois ans, une ristourne dégressive de contribution sociale généralisée (CSG) et de contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), devant bénéficier aux salariés dont les revenus d'activité sont inférieurs à 1,4 fois le SMIC.

Votre rapporteur considère qu'il aurait été plus pertinent :

1) d'instaurer un système de crédit d'impôt ;

La ristourne de CSG et de CRDS sur les bas salaires est une " fausse bonne idée ", qui aurait pour conséquence de s'attaquer à la cohérence d'impositions dont les qualités sont pourtant reconnues - base d'imposition large, taux réduits, proportionnalité.

Il convient en effet d'éviter que la CSG ne connaisse, à terme, le même sort que l'impôt sur le revenu, dont le nombre d'abattements ou d'exonérations divers le rend excessivement complexe et payé par seulement la moitié des contribuables.

A ce titre, votre commission, conjointement avec la commission des affaires sociales, vous proposera de substituer un système de crédit d'impôt à cette réduction de CSG et de CRDS.

Cette proposition est plus intéressante que ladite réduction, et permet de répondre à un certain nombre de problèmes soulevés par cette réforme : elle prend en considération la situation familiale des intéressés, et tient compte des salariés ayant plusieurs activités et donc plusieurs revenus soumis, séparément, à la CSG et à la CRDS.

Enfin, elle évite de bouleverser le financement de la sécurité sociale, comme le fait la proposition du gouvernement.

2) d'accorder davantage d'attention aux propositions du Sénat, qu'il s'agisse de la proposition de loi présentée, en son temps, par M. Christian Poncelet destinée à abaisser le taux de taxation du travail peu qualifié, ou de celle de MM. Alain Lambert et Philippe Marini proposant d'instituer un revenu minimum d'activité (RMA) afin de rompre le cercle vicieux de l'assistance, et de promouvoir l'insertion par l'activité, c'est-à-dire la reprise d'un véritable emploi dans le secteur marchand 3 ( * ) .

Le revenu minimum d'activité (RMA)

Le RMA comporterait deux parts :

- la première, appelée aide dégressive, correspondrait au minimum social ou à l'allocation perçus jusqu'alors par le bénéficiaire ;

Elle serait versée par l'Etat, ou l'UNEDIC pour l'ASS, aux entreprises qui, à leur tour, l'utiliseraient pour rémunérer le nouvel embauché, ce dernier tirant ainsi l'ensemble de ses ressources de son employeur, au lieu de bénéficier d'un revenu d'assistance. Le versement à l'entreprise serait effectué de manière dégressive pendant trois ans. Le coût pour l'Etat ou l'UNEDIC n'en sera donc pas alourdi : au contraire, il ira en diminuant de manière graduelle. En outre, l'allocataire recevra ainsi la garantie que son revenu total ne diminuera pas suite à son retour sur le marché du travail.

- la seconde part, dénommée salaire négocié, correspondrait au salaire proprement-dit versé au nouvel embauché par l'entreprise ;

Son montant serait égal à la différence entre le montant total du RMA et l'aide dégressive mentionnée ci-dessus. Il serait donc appelé à progresser au fur et à mesure de la diminution de la première part. Il conviendrait d'exonérer de charges sociales le salaire négocié afin de s'inscrire dans une logique de diminution du coût du travail, qui a démontré son efficacité en termes de créations d'emplois.

L'ensemble, c'est-à-dire le RMA, serait ainsi versé au nouveau salarié par son employeur. Le montant du RMA ne pourrait être inférieur au SMIC, mais les négociations de branches pourront librement décider de l'établir à un niveau supérieur.

L'élément central du dispositif proposé consiste à donner aux entreprises un rôle actif dans sa mise en oeuvre, la proposition de loi étant conçue comme un dispositif-cadre, et non comme un mécanisme centralisé et uniforme.

Le RMA prendrait la forme d'une convention tripartite entre l'entreprise, le bénéficiaire du dispositif, et l'Etat ou l'UNEDIC lorsqu'il s'agit de l'ASS.

En réalité, la politique de l'emploi du gouvernement obtient des résultats qui ne sont pas à la hauteur de son coût extrêmement élevé. Reposant sur des dépenses croissantes, la bonne conjoncture actuelle masque sa nocivité.

II. LES MULTIPLES EFFETS NÉFASTES DES 35 HEURES ET DE LEURS MODALITÉS DE FINANCEMENT

A. DES AFFECTATIONS DE RECETTES DÉPOURVUES DE TOUT LIEN AVEC L'OBJET DE LA MESURE À FINANCER

Votre rapporteur spécial ne peut que constater l'absence de cohérence, au sein du FOREC, entre les affectations proposées de recettes à des dépenses dont l'objet est sans lien avec l'origine des ressources.

Cette " tuyauterie " paraît contraire à l'un des principes de base du droit budgétaire français, la non-affectation des recettes aux dépenses. Si ce principe s'applique au budget de l'Etat, il ne devrait pas être étranger, à ce point, aux divers fonds de financement, puisque ceux-ci ont vocation à isoler des politiques publiques et les moyens qui leur sont affectés, en principe dans un but de visibilité et donc de simplification de la présentation des actions de l'Etat.

Mais au-delà des principes, votre rapporteur spécial considère que cette situation est source de risques réels.

En effet, quel devrait être l'objet d'une imposition des tabacs, des alcools, ou des activités polluantes ? Logiquement, du point de vue de la rationalité économique, ce type d'imposition a un but dissuasif : réduire la consommation de produits qui peuvent être dangereux pour la santé, ou inciter à l'utilisation d'énergies propres protectrices de l'environnement, afin d'acquitter une imposition moins importante.

Or, l'affectation du produit de ce type d'impôts au FOREC va à l'encontre de ces objectifs.

L'affectation à des dépenses pérennes d'impôts aussi sensibles transforme la nature de ces derniers : l'objectif de santé publique ou de protection de l'environnement passe au second plan, le rendement fiscal devenant prioritaire.

Ainsi, en 2001, le coût des 35 heures sera supporté, à hauteur de 71 milliards de francs, soit 83,5 % du total, par les droits de consommation sur les tabacs manufacturés et sur les alcools, ainsi que par la TGAP. Au fond, les 35 heures sont essentiellement financées par le tabagisme, l'alcoolisme et la pollution.

B. LES EFFETS SUR L'EMPLOI SONT INCERTAINS

Dans leur rapport consacré à l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, nos collègues Charles Descours, Jacques Machet et Alain Vasselle estimaient que " le nombre d'emplois créé par les 35 heures ne sera jamais connu " 4 ( * ) .

Ils appuyaient leur démonstration sur le fait que la loi " Aubry II " prévoit seulement un vague " engagement de création d'emplois ", ajoutant que les services compétents de l'Etat, en l'occurrence les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, disposaient d'une marge de manoeuvre certaine pour apprécier le respect des engagements de créations d'emplois contenus dans les accords. Ils rappelaient pourtant que " la communication gouvernementale [...] rapproche souvent le nombre d'emplois créés de manière générale des engagements de créations d'emplois ".

Votre rapporteur spécial partage entièrement cette analyse, du reste confirmée par l'examen des informations communiquées par le gouvernement.

En effet, l'exploitation des informations transmises par les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle faisait apparaître les résultats suivants, au 31 août 2000 :

Ainsi, à cette date, plus de 222.000 emplois auraient été créés ou préservés grâce à la réduction du temps de travail.

Le ministère de l'emploi et de la solidarité n'est pas capable de distinguer clairement les emplois créés, d'une part, et les emplois préservés, d'autre part.

Surtout, quand il s'y essaie, il ne peut que mentionner des engagements soit de créations soit de préservations d'emplois, et non des effets certains.

Par ailleurs, dans ses commentaires, le ministère indique, s'agissant du second des tableaux présentés ci-dessus, que " dans la mesure où certains emplois auraient de toute façon été créés ou maintenus, les effets nets de la réduction du temps de travail sur l'emploi sont moins importants ". Les effets d'aubaine interviennent donc de façon certaine, et rendent encore plus délicate l'estimation de l'effet des 35 heures sur l'emploi.

D'autant plus que, comme le précise lui-même le ministère, " les engagements d'emplois peuvent être remplis sous la forme d'une hausse de la durée du travail de salariés à temps partiel ".

Il semble donc avéré par les services du ministère de l'emploi eux-mêmes que, la réduction du temps de travail a des effets pour le moins incertains sur l'emploi.

Cette incertitude est d'ailleurs à l'origine de divergences d'appréciation au sein des services de l'Etat sur les effets des 35 heures.

Le ministère de l'emploi et de la solidarité, on l'a vu, estime à plus de 220.000 le nombre d'emplois créés ou préservés grâce aux 35 heures. Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie est, quant à lui beaucoup moins optimiste.

Le rapport économique, social et financier accompagnant le projet de loi de finances pour 2001 prévoit en effet que " de 1999 à 2001, la réduction du temps de travail pourrait conduire à créer entre 220.000 et 280.000 emplois ". L'utilisation du conditionnel comme la marge assez importante en termes de créations d'emplois montrent que la prudence est de mise. Il note également que " la diffusion des 35 heures a été accélérée par le dispositif incitatif de la 1 ère loi et le rythme de progression du nombre de salariés couverts fléchirait un peu en 2000 et 2001 ; ce nombre passerait de plus de 5.000.000 fin 2000 à environ 7.000.000 fin 2001 ".

Pourtant, il estime à environ 770.000 le nombre d'emplois salariés créés dans le secteur marchand au cours des années 2000 et 2001. Autrement dit, les créations d'emplois résulteront bien davantage de la croissance que des 35 heures !

C. LES EFFETS NÉFASTES SUR L'ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE

Si les 35 heures ont des effets incertains sur l'emploi, en revanche elles ont des effets déjà perceptibles sur l'environnement économique du secteur productif. Des effets négatifs.

1. La réduction du temps de travail pénalise la compétitivité des entreprises

Le passage de la durée hebdomadaire du travail de 39 heures à 35 heures sans baisse de salaire entraîne mécaniquement une hausse du coût horaire de 11,4 %, ce qui ne peut que détériorer le compétitivité des entreprises.

Or, la revalorisation sensible du taux horaire du SMIC, de 3,2 %, intervenue le 1 er juillet dernier, s'applique à l'ensemble des entreprises, y compris celles qui ne sont pas encore passées aux 35 heures, soit parce qu'elles n'ont pas signé d'accord, soit parce que, ayant moins de 20 salariés, elles ne seront concernées par la réduction du temps de travail qu'à partir du 1 er janvier 2002.

Les 35 heures vont donc directement pénaliser les petites entreprises, en renchérissant le coût du travail, alors qu'elles ne les appliquent pas encore !

Il convient par ailleurs de rappeler que, pour les entreprises ayant réduit leur temps de travail, la loi " Aubry II " a mis en place le système complexe de la garantie mensuelle devant permettre aux salariés payés au SMIC de ne pas voir leur rémunération diminuer, en réduisant l'écart entre le salaire minimum horaire appliqué aux 35 heures et le SMIC mensuel. Mais, pour des raisons politiques évidentes, il ne faut pas douter que le taux horaire du SMIC et son montant mensuel ne se rejoignent au cours des prochaines années, grâce, notamment, à des " coups de pouce " réguliers.

Or, dans une étude très instructive parue dans sa revue mensuelle de juillet 2000, Économie et statistique , l'INSEE indique qu' " une augmentation de 10 % du SMIC détruirait environ 290.000 emplois, à long terme ". Cette évolution entraînerait de nombreuses destructions d'emplois, s'accompagnant d'une nette diminution de la production et d'une dégradation des comptes publics consécutive à des ressources en cotisations sociales plus faibles mais également à des dépenses plus importantes sous forme de prestations.

A la même époque, l'OCDE estimait que la forte croissance attendue en France en 2000 et 2001 pourrait être freinée par des tensions sur le marché du travail, liées notamment à la réduction du temps de travail.

2. La réduction du temps de travail comporte des risques inflationnistes

L'OCDE jugeait également que les emplois résultant de la réduction du temps de travail risquaient, à court terme, d'entraîner une hausse de l'inflation, en raison de la hausse des salaires qu'elle pourrait susciter : " la réduction de la durée du travail et la gestion du salaire minimum doivent être menées avec prudence et pragmatisme " concluait-elle.

Certes, la modération salariale prévaut actuellement en France depuis l'adoption des lois " Aubry ", mais elle est essentiellement contrainte. Elle pénalise ainsi la demande, relativement forte en raison de la bonne tenue de la conjoncture, et suscite des tensions sociales, alors que, dans le même temps, les capacités d'offre sont bridées.

Les 35 heures sont ainsi à l'origine d'une situation paradoxale : soit elles suscitent des hausses de salaires, ce qui provoque des tensions inflationnistes, soit elles fondent une modération salariale, ce qui pénalise l'appareil de production !

3. La réduction du temps de travail tend à réduire la capacité de production des entreprises

Il est pour le moins paradoxal de constater la concomitance actuelle du chômage, certes en réduction, mais dont le taux s'élève encore à 9,6 % de la population active, et les difficultés croissantes à recruter, les entreprises étant confrontées à de réelles pénuries de main-d'oeuvre 5 ( * ) .

Les 35 heures, en effet, créent une réelle contrainte d'offre dans l'économie française. C'est d'ailleurs dans ce contexte qu'est apparu un débat sur l'application des 35 heures aux petites et moyennes entreprises (PME).

Ce débat a été initié par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Laurent Fabius, qui avait d'abord considéré qu'il fallait aborder la question des 35 heures dans les PME " avec souplesse ", puis qui, observant que la croissance plafonnait en France, estime qu'il convient de ne pas " céder à la vieille tentation malthusienne consistant à réduire notre capacité de produire " 6 ( * ) . Il ajoutait : " la mis en oeuvre [des 35 heures] doit prendre en compte la diversité des situations concrètes ; nous devons veiller à ce que les entreprises, notamment les PME, ne se heurtent pas à une impossibilité de produire davantage en raison de difficultés d'embauche ou de formation ".

Sans doute le ministre n'a-t-il pas été insensible aux analyses de l'OCDE qui, dans son étude précitée de juillet 2000, estimait que la loi " Aubry II ", " si elle n'est pas mise en place avec la souplesse suffisante ", pourrait " peser sur les coûts de production et la compétitivité des entreprises ". Les PME, notamment, auront du mal à dégager des gains de productivité, ce qui aura de graves conséquences pour elles : " les entreprises de moins de 20 salariés ont une marge de manoeuvre réduite pour embaucher ou réorganiser le travail et les 35 heures pourraient bien se traduire soit par une baisse de production, soit par un coût plus élevé ".

Votre rapporteur spécial considère qu'il est nécessaire, au titre de la souplesse réclamée par le ministre lui-même, de modifier la législation sur la réduction du temps de travail. Il ne peut, dès lors, qu'être favorable à la proposition de loi présentée par notre collègue Alain Gournac, visant à reporter à 2004 l'abaissement de la durée du travail pour les entreprises de moins de 20 salariés, et à assouplir les règles de recours aux heures supplémentaires.

4. La réduction du temps de travail nuit à l'attractivité de la France

D'après une étude récente du cabinet de consultants Ernst et Young, 65 % des dirigeants de filiales françaises de multinationales estiment que, si leur groupe devait investir en Europe aujourd'hui, il ne choisirait pas la France.

En dépit des atouts de notre pays, ces dirigeants citent, parmi ses principaux handicaps, le poids des prélèvements fiscaux et sociaux, pour 93 % d'entre eux, les rigidités sociales, pour 85 %, les 35 heures, pour 84 %, les lourdeurs administratives, pour 62 %, et la fiscalité des stock-options, pour 58 %. De surcroît, 44 % des entreprises interrogées envisagent de délocaliser à l'étranger une partie de leurs activités implantées en France.

Les 35 heures occupent ainsi la troisième place sur la liste des principaux handicaps français.

Il est clair, en effet, que, à l'heure où l'on parle de plus en plus du phénomène de la " fuite des cerveaux ", la réduction du temps de travail dégrade l'image de la France à l'étranger. Ainsi, seulement 40 % des cadres dirigeants des entreprises concernées ont une image positive de la France. Cette situation résulte en partie de " la communication inefficace sur les 35 heures, totalement incomprise à l'étranger ". En revanche, 80 % d'entre eux ont une image positive des autres pays européens.

* 2 Plus de 50 % des entreprises déclarent rencontrer actuellement des difficultés à recruter, comme l'a indiqué le Gouverneur de la Banque de France lors de son audition devant votre commission, le 18 octobre dernier.

* 3 Proposition de loi n° 317 (1999-2000).

* 4 Rapport n° 356, (1999-2000).

* 5 Au cours de sa dernière audition devant votre commission, le gouverneur de la Banque de France, M. Jean-Claude Trichet, a rappelé que 51 % des entreprises éprouvaient des difficultés à recruter, alors qu'elles n'étaient que 20 % un an auparavant.

* 6 Article " La politique économique de l'emploi ", paru dans le quotidien Libération du 16 octobre 2000.

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