II. LES NOUVELLES DISPOSITIONS RELATIVES AU TRAVAIL DE NUIT DEVIENNENT DÉSORMAIS L'ENJEU PRINCIPAL DE LA PROPOSITION DE LOI

La portée de la présente proposition de loi a été profondément amplifiée par l'introduction, en cours de navette et à l'initiative du Gouvernement, de nouvelles dispositions relatives au travail de nuit.

Ces dispositions lèvent l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie, que prévoit toujours notre législation sociale depuis la loi du 2 novembre 1892 codifiée dans le code du travail, et instaurent un nouveau régime légal pour le travail de nuit, à la fois pour les femmes et les hommes.

A. LA NÉCESSITÉ D'UNE MODERNISATION DU CADRE JURIDIQUE

Le travail de nuit est aujourd'hui une réalité pour des milliers de salariés. On estime en effet que près de trois millions de salariés travaillent plus ou moins régulièrement la nuit, dont 800.000 femmes 3 ( * ) . Ainsi, près de 15 % des salariés travaillent au moins une nuit par an et 4 % plus de 100 nuits par an.

Les évolutions au cours des dernières années appellent deux observations.

D'une part, le travail de nuit tend à devenir de plus en plus fréquent. Ainsi, si en 1984 12 % des salariés travaillaient parfois la nuit, ils sont désormais 14 %.

D'autre part les femmes échappent désormais moins au travail de nuit que par le passé. En 1984, seules 4,9 % des femmes salariées étaient concernées par le travail de nuit. En 1998, elles étaient 6,7 %. Sur les 800.000 femmes travaillant la nuit, 55.000 appartiennent au secteur industriel en dépit de l'interdiction de principe posée par le code du travail.

Car cette réalité du travail de nuit, dont on ne soulignera jamais assez la nocivité et les risques pour la santé et la sécurité des salariés, contraste fortement avec le silence de la législation.

Certes, depuis 1892, la législation du travail prévoit l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie même si quelques assouplissements ont été apportés en 1979 et en 1987 à cette interdiction de principe.

Toutefois, cette interdiction de principe apparaît aujourd'hui comme une fiction juridique.

En effet, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a condamné la France, par le désormais célèbre arrêt " Stoeckel " du 25 juillet 1991, considérant que le principe de l'interdiction du travail de nuit des femmes posé à l'article L. 213-1 du code du travail n'était pas compatible avec la directive européenne du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de la France entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. La CJCE condamnait à nouveau la France en manquement le 13 mars 1997, à la demande de la Commission européenne, pour non-transposition de cette directive. Et la Commission a introduit le 10 juin 1999 une nouvelle procédure devant la Cour visant à condamner la France pour ce motif à une astreinte de 142.425 euros par jour.

Dès lors, notre législation sur le travail de nuit des femmes est désormais privée de toute portée normative, le juge écartant désormais la norme nationale au profit de la jurisprudence européenne.

Mais le silence de notre législation sur le travail de nuit va au-delà de la simple obsolescence des dispositions relatives au travail de nuit des femmes. Le code du travail ne comporte en effet aucune disposition relative à l'encadrement du travail de nuit en général, hormis quelques dispositions relatives aux jeunes travailleurs ( art. L. 213-7 à L. 213-10 du code du travail ).

Certes, la plupart des salariés travaillant la nuit bénéficient d'une protection juridique satisfaisante car ils sont couverts par des conventions ou accords collectifs abordant le travail de nuit.

Toutefois, là encore, notre législation apparaît en retrait par rapport aux exigences européennes.

D'une part, les articles 8 à 13 relatifs au travail de nuit de la directive du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail n'ont toujours pas été transposés en droit interne.

D'autre part, l'article 7 4 ( * ) relatif au travail de nuit de la directive du 19 octobre 1992 concernant la mise en place de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail n'a pas non plus été transposée alors que la Commission européenne a adressé un avis motivé à la France pour non-transposition de cette directive.

Au total, et compte tenu de ces observations, une modernisation de notre législation sur le travail de nuit apparaît désormais nécessaire, ne serait-ce que pour la mettre en conformité avec le droit européen. C'est sans doute le constat qu'a formulé le Gouvernement et qui a motivé le dépôt d'un amendement à la présente proposition de loi.

* 3 Ces chiffres sont issus d'une étude de la DARES publiée en 2000 à partir des résultats de l'enquête " conditions de travail " portant sur l'année 1998..

* 4 Il est à noter que cet article 7 de la directive est expressément exclus du champ de l'habilitation prévue par le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives européennes, actuellement en cours d'examen par le Parlement, alors que le projet vise pourtant cette directive.

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