F. PROFESSEUR MICHEL TOURNAIRE, CHEF DE SERVICE DE GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE À L'H™PITAL SAINT-VINCENT DE PAUL, PRÉSIDENT DU GROUPE DE TRAVAIL DE L'AGENCE NATIONALE D'ACCRÉDITATION ET D'ÉVALUATION EN SANTÉ (ANAES) SUR L'IVG

M. Jean DELANEAU, président - Nous souhaitons que vous puissiez nous donner votre avis sur le projet de loi tel qu'il ressort de l'Assemblée nationale afin de savoir si vous trouvez que l'on est allé trop loin dans la rédaction ou pas assez, si cela correspond à ce qui para»t souhaitable pour assurer nos concitoyens et concitoyennes de la meilleure santé possible.

Professeur Michel TOURNAIRE - Je vais faire le point des travaux de l'ANAES qui a été saisie pour donner une évaluation de type médical sur les modifications éventuelles de la loi d'IVG. Parmi les nombreuses questions, je retiendrai deux questions principales qui peuvent poser des difficultés d'application éventuelles, nous avons essayé de faire le point sur ce sujet.

Je vous rappelle simplement la méthode de travail de l'ANAES. Le groupe de travail qui était multidisciplinaire comportait une vingtaine de participants. J'ai coordonné ce groupe. Il y a eu une analyse de littérature en profondeur faite par le docteur Carbonne, élaboration d'un texte de synthèse de la littérature puis élaboration de recommandations. Ce texte et ces recommandations ont fait une navette aussi vers des lecteurs qui sont plus d'une centaine et qui ont donné un avis détaillé sur les différents points de nos recommandations. Le stade actuel peut être décrit comme pré-définitif, en ce sens qu'il y a eu le retour des critiques de lecteurs qui ont été intégrées la semaine dernière dans les recommandations et il reste l'apport du comité scientifique de l'ANAES qui peut modifier ce texte. Le professeur Durocher, qui coordonnait le groupe, pense qu'il ne devrait pas y avoir de grandes modifications.

Les deux points que je voudrais rapporter concernent la place des méthodes médicamenteuses dans l'IVG, qui est une chose relativement récente, le deuxième point est celui de l'incidence de la prolongation de deux semaines sur le plan médical pour l'IVG.

En ce qui concerne la place de l'interruption médicale par rapport aux techniques chirurgicales, l'ANAES considère que, jusqu'à sept semaines de grossesse (j'emploierai le terme de grossesse tel qu'il est employé dans le projet de loi et non pas le terme d'aménorrhée) le choix doit être laissé à la femme après information aussi claire que possible, ceci lors de la consultation ou des deux consultations pré-IVG. La méthode chirurgicale comporte une dilatation et une aspiration. La méthode médicale correspond à la prise d'un anti-progestérone, le RU 486 ou Mifépristone, puis trente-six ou quarante-huit heures après, par l'administration d'une prostaglandine particulière, essentiellement de Misoprostol.

L'ANAES considère, et c'est une option assez nette et nouvelle, que jusqu'à cinq semaines de grossesse, donc au tout début de la grossesse, l'hospitalisation qui était jusque-là systématique et même obligatoire, n'appara»t pas indispensable. Cependant, pour que cette technique soit employée à domicile, il faut impérativement des précautions qui sont : le choix laissé à l'intéressée entre l'hospitalisation ou le domicile, qu'il y ait une distance limitée entre l'h™pital et le domicile, qu'il y ait la possibilité de contacter cet h™pital ou de s'y rendre vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il faut une évaluation sur le plan médico-psychosocial pour savoir quelles patientes sont éligibles pour cette méthode. Je rappellerai que, dans le cadre actuel, il y a une obligation d'hospitalisation.

Comment se passent les choses en réalité ? L'anti-progestérone, le RU, est donné et il y a quarante-huit heures plus tard une hospitalisation de quelques heures. On donne à l'arrivée un deuxième médicament, les prostaglandines, qui aboutissent dans un certain nombre de cas à la fausse couche en hospitalisation et, dans un grand nombre de cas, il ne se passe rien, si l'on peut dire, et la fausse couche a lieu à domicile. Cette hospitalisation ne para»t pas très justifiée, du moins au tout début de la grossesse. En revanche, pour la période suivante, c'est-à-dire pour la sixième et la septième semaines de grossesse, on laisse le choix entre méthode médicamenteuse et méthode chirurgicale. L'ANAES considère que pour des raisons entre autres de complications un peu plus fréquentes, de douleurs plus intenses, d'hémorragies plus fréquentes, il est nécessaire qu'il y ait, comme jusqu'à maintenant pour cette période-là, une hospitalisation.

J'ai lu attentivement le projet de loi, il m'est apparu une contradiction entre ce souhait de l'ANAES que, pour une période limitée, l'interruption de grossesse puisse avoir lieu complètement à domicile et l'article 11 bis, qui est nouveau et qui dit que " le fait de fournir à la femme les moyens matériels de pratiquer l'interruption de grossesse sur elle-même est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300.000 francs d'amende, ces peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500.000 francs d'amende si l'infraction est commise de manière habituelle. En aucun cas la femme ne peut être considérée comme complice de cet acte ". Je me demande s'il n'y a pas un fort décalage entre cet article et le souhait de l'ANAES, qui n'est pas un souhait pris à la légère et qui correspond à des données de la littérature, à des données de pratique en France aussi, il y a eu un travail de fond fait sur ce sujet. Je crois qu'il y a contradiction.

M. Jean DELANEAU, président - Puis-je, à ce moment-là, simplement poser une question de calendrier. Avez-vous pu présenter vos arguments à la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales à l'Assemblée nationale ?

Professeur Michel TOURNAIRE - Oui, j'avais fait l'exposé dans les mêmes termes.

Le deuxième grand sujet est celui de l'allongement du délai de deux semaines. Pour cette période de la onzième et douzième semaines, l'ANAES considère qu'entre méthodes médicales qui sont possibles et méthode chirurgicale, l'ANAES recommande la méthode chirurgicale. Cependant, il faut insister sur le fait qu'il s'agit d'une technique chirurgicale différente de celle qui était utilisée dans le cadre de la loi précédente.

En effet, la littérature montre que le taux de complications augmente progressivement avec le terme et il augmente en particulier pour cette période de onze-douze semaines. Il n'est pas facile dans la littérature de faire un distinguo entre ces onze-douze semaines et puis des termes plus avancés, mais on a pu trouver tout de même des études sur les complications et l'on voit que les complications, entre autres les lésions d'utérus et l'hémorragie, sont plus fréquentes et peuvent être importantes.

Il faut cependant ramener les choses à leur juste niveau puisqu'on passe d'un taux de complication de ce type dans le cadre actuel de la loi de l'ordre de 1 % à un taux qui est de l'ordre de 1,5 % mais avec éventuellement, entre autres, des hémorragies plus importantes. La technique particulière exige tout d'abord une préparation du col. L'ANAES recommande, puisqu'il y a deux possibilités, une préparation par dilatateurs physiques ou des préparations médicamenteuses. Au vu des résultats de littérature, l'ANAES recommande une préparation médicamenteuse du col qui peut se faire soit par des anti-progestérones et ceci quarante-huit heures avant l'intervention, soit par des prostaglandines particulières, Misoprostol, qui peuvent être administrées par voie orale ou par voie vaginale trois ou quatre heures avant l'intervention. Le geste chirurgical lui-même est différent parce qu'il exige une dilatation plus importante et que la méthode actuelle d'aspiration peut-être suffisante mais pas toujours, donc il peut y avoir nécessité d'un recours à une extraction par des instruments spéciaux qui sont des pinces adaptées à cette situation.

Le plus souvent cette méthode fait appel à une anesthésie générale et au contr™le échographique soit en cours d'intervention, soit immédiatement en fin d'intervention. Au total, cette méthode est techniquement plus difficile et elle est vécue par l'équipe comme plus difficile sur le plan émotionnel. Elle a le grand avantage, par rapport aux méthodes médicamenteuses, d'être beaucoup plus simple pour la femme. En effet, les méthodes purement médicamenteuses demandent des délais parfois très prolongés, s'accompagnent de douleurs souvent très intenses et requièrent éventuellement des anesthésies péridurales voire générales. Clairement, l'option qui est celle d'une meilleure acceptabilité pour la femme a fait choisir la méthode chirurgicale mais avec des particularités. Les moyens particuliers nécessaires sont donc le fait de pratiquer dans un bloc opératoire, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. Il faut qu'il y ait, comme dans toute intervention gynécologique, accès possible à des moyens de transfusion. Le risque d'hémorragie est certes rare mais il est réel.

Il faut aussi la possibilité d'interventions d'urgence en cas de complications et il faut que les opérateurs aient une formation spécifique. C'est une situation qui n'est pas nouvelle en France parce que l'on se souvient peut-être que, lors de la loi de 1975, la tradition de l'interruption de grossesse était alors de faire dilatation et curetage à la curette et il a fallu aussi apprendre la méthode d'aspiration qui est un geste d'apprentissage pas très difficile, il a fallu aussi s'adapter à une nouvelle méthode. Nous sommes dans une situation un peu comparable mais súrement avec l'exigence d'un niveau d'expérience de la chirurgie gynécologique plus importante et d'un environnement de moyens et de médecins plus exigeant. Je vais être bref sur ces deux points puisque je crois que vous préférez laisser une place sur la discussion.

Je peux dire en conclusion du groupe de travail, pour ce qui concerne l'allongement de deux semaines, que cette prolongation devrait permettre de résoudre une partie des situations douloureuses pour les femmes qui sont obligées d'aller à l'étranger dans des conditions qui sont inacceptables, que cette situation concerne environ un peu moins de 2 % des IVG, soit 3.000 à 4.000 interventions par an. Si on peut imaginer, et c'est possible, qu'il y ait certains centres qui se destinent à faire plus spécialement ces interventions, l'ANAES considère que ce serait une bonne option, on arriverait à une demande qui serait de l'ordre d'une intervention par semaine et par département. On a là une exigence relativement modérée en termes de quantité mais claire en termes de moyens.

Cet allongement, si on se situe par rapport aux autres pays d'Europe, nous amènerait à une situation moyenne dans les pays d'Europe où elle ne semble pas poser de grands problèmes. Si on se situe par rapport à la loi française, dans certains pays il n'y a pas deux types d'interruption de grossesse, il y a une interruption de grossesse libre, par exemple en Angleterre, jusqu'à une date tardive. En France, il y a une frontière entre l'IVG à la demande de la femme et l'IMG avec décision du médecin. On peut considérer que cet allongement consiste un peu à élargir l'espace de liberté de choix des femmes et à empiéter légèrement sur la décision médicale.

M. Jean DELANEAU, président - Merci Professeur. Une question sur les complications tardives. En ce qui concerne les complications immédiates, je dois dire qu'en 1979, j'étais le rapporteur du texte. J'ai retrouvé les éléments : on avait cette rupture entre huit et dix semaines et au-delà, et parmi les problèmes il y avait les hémorragies. Par contre, en ce qui concerne les complications plus tardives qui avaient été évoquées et qui concernaient d'une part les problèmes d'immunisation fÏto-maternelle, je n'en ai pas tellement entendu parler depuis, mais aussi des problèmes pour les grossesses ultérieures, des problèmes d'avortements spontanés plus fréquents, des problèmes de perturbation psychique qui pouvaient se manifester après une IVG. Avons-nous des éléments qui permettent de dire s'il y a une différence ou pas ?

Professeur Michel TOURNAIRE - Sur l'immunisation rhésus, il est impératif d'avoir une prévention de l'immunisation rhésus chez toutes les femmes rhésus négatif et ceci d'ailleurs pose un problème pratique si la méthode retenue est celle de l'interruption à domicile pour les tous débuts de grossesse. Les choses ne sont pas très simples, nous avons cherché à l'ANAES quelles recommandations donner. Pour entrer dans des détails pratiques, la protection contre l'immunisation rhésus a un effet sur trois jours, si on donne la liberté aux femmes, en donnant les médicaments, d'avoir l'interruption à domicile, on a un petit doute sur la date précise de l'interruption de la grossesse et si l'on fait de la prévention lors de la consultation, elle risque d'être moins efficace. Il est prévu de soumettre cette question aux spécialistes des immunisations rhésus pour savoir quelle est l'option à prendre. Il y en aura, il y a des choses à faire, l'essentiel est que cette prévention ne soit pas oubliée.

En ce qui concerne les risques pour les grossesses ultérieures, c'est une préoccupation en outre en ce qui concerne le risque de prématurité. Dans le passé, il y a des situations pour lesquelles on a démontré que des dilatations importantes du col de l'utérus étaient responsables d'une augmentation assez importante de la prématurité pour les grossesses ultérieures. Ceci concernait les études d'Europe de l'est aussit™t après la guerre, avec des conditions difficiles, avec des dilatations extrêmement importantes, on peut dire forcées. Pour moi, c'était une question importante et nous avons refait une recherche bibliographique à l'ANAES parce qu'il y avait peu de documents sur ce sujet, il y a peu d'études alors que c'est une question essentielle. Ces études ne montrent pas jusqu'à cette date-là et avec ces méthodes actuelles d'augmentation de la prématurité. On doit tout de même signaler que depuis la loi de 1975, il y a un progrès médical essentiel : c'est l'apport de la préparation médicamenteuse du col de l'utérus que ce soit par le RU ou par prostaglandine avant l'intervention chirurgicale. Ceci évite súrement d'avoir des lésions du col de l'utérus, cela change radicalement les conditions. Nous avons un bon espoir pour les deux semaines supplémentaires. La littérature ne montre pas de preuve d'augmentation de risques de ce type.

M. Francis GIRAUD - Monsieur le professeur, vous nous avez disséqué avec une précision parfaite les différentes possibilités médicamenteuses ou chirurgicales. Ma question va porter sur ce que vous avez annoncé, c'est-à-dire la consultation pré-IVG. Dans le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, alors que dans le cadre de la loi Veil cette consultation était obligatoire, il est prévu qu'elle soit simplement proposée et plus obligatoire. Sur le plan strictement médical, quelle est votre opinion ? Un médecin pourra-t-il délivrer ces médicaments, voire passer au stade chirurgical sans que cette consultation soit obligatoire ?

Professeur Michel TOURNAIRE - Je crois qu'il faut examiner les différentes consultations qui ont lieu avant l'IVG. Les consultations médicales restent obligatoires dans le projet, ce qui est particulièrement important si l'intervention a lieu à domicile. En revanche, l'entretien ne sera plus obligatoire sauf chez les mineures. Je peux donner mon avis personnel, en tant que chef de service. Dans un premier temps, de par ma formation, ma famille, je n'ai pas été favorable à l'IVG, et puis, comme beaucoup d'entre nous, devant les accidents mortels, j'ai changé d'avis puisque personne n'est arrivé à éviter l'IVG, il faut s'en occuper médicalement le mieux possible. J'avais donc ordonné en 1985 un livre sur les aspects médicaux de l'interruption de grossesse.

Pour en revenir à cette question, la question m'avait été posée lorsque nous avons été entendus à l'Assemblée nationale, j'étais plut™t assez favorable à cet entretien parce qu'il ne fait pas double emploi avec la consultation médicale. Il y a des traditions médicales en France telles qu'il n'est pas habituel de poser des questions sur la vie privée, sur la sexualité, comme dans certains pays dont l'Amérique du nord où, dans la check-list de toute observation médicale, on va fouiller dans la vie personnelle. Il est vraisemblable que la consultation dite sociale par une conseillère conjugale, qui a souvent une formation de psychologue ou bien d'assistante sociale, peut apporter un angle nouveau et repérer des problèmes que le médecin n'aura pas repérés. J'avoue que j'étais assez favorable à cette consultation à titre personnel.

M. Jean-Louis LORRAIN - Je suis impressionné par la qualité du rendu et des observations que vous avez faites, monsieur le professeur. Ce matin, on nous a dit que c'était une loi de santé publique, ce qui sous-entendrait que l'approche médicale est en train de se transformer. Quelle est la part du médical pur, et dans ce qui est médical, quelle est la part du psychologique, du psychiatrique ? Ce qui veut dire aussi que cela peut entra»ner une modification de votre approche de l'évaluation. Monsieur Delaneau vous a interrogé judicieusement sur les conséquences. Avez-vous des réponses sur, par exemple, la notion de répétitivité des IVG ? Y a-t-il des études là-dessus ? Retrouve-t-on, par exemple, des dépressions et dans quelles proportions ? A-t-on une idée du comportement des personnes qui ont eu une IVG et de la date à laquelle elles auront leur prochain enfant ? Est-ce que l'on conna»t la fréquence des violences sexuelles en ce qui concerne la demande des IVG ? Ce sont des questions qui nous permettent de mieux percevoir le champ de votre action.

Mme Annick BOCANDÉ - J'avais l'intention de poser aussi une question sur les conséquences sur la morbidité. Je crois que la question a déjà été abordée. En lisant les différents documents, vous parliez tout à l'heure de littérature, je n'ai pas eu l'impression que les médecins concernés portaient le même regard sur les dix semaines et les douze semaines. J'aimerais votre avis sur la différence de réponse concernant cette période. Vous avez bien dit que, de toute façon, si l'on passait à douze semaines, il s'agit d'une technique qui se modifiait dans la plupart des cas, que le risque était grand. Vous avez également parlé de formation des médecins à un acte médical qui serait relativement nouveau. Nous avons entendu en ce moment plusieurs intervenants nous dire qu'en termes de moyens, ces moyens manquaient. J'aimerais avoir votre sentiment par rapport à cela. J'aimerais également vous poser une question par rapport à la philosophie, à la conscience médicale. Est-ce que le fait de passer à douze semaines peut considérablement changer le comportement des équipes médicales sur le sujet ?

M. Guy FISCHER - Vous avez évoqué la création de centres spécialisés puisqu'on privilégierait la méthode médicale. Les centres, qui conditionnent la réussite de la réforme avec des formations adaptées des personnels, auraient-ils une vocation, compte tenu du nombre que vous avez annoncé, plus large, éventuellement régionaleÉ ?

M. Alain GOURNAC - Vous avez été très précis dans vos propos, vous avez parlé de médicaments, de chirurgie à domicile, d'hospitalisation nécessaire. Je suis persuadé que vous avez été interpellé par le fait que l'IVG pourra se réaliser sans autorisation parentale, mais, dans le cas d'une anesthésie générale, il va falloir obtenir une autorisation parentale. Quelle réponse apportez-vous à cela car il y a une grande contradiction ?

M. Charles DESCOURS - Je voudrais revenir sur le problème de la compétence des équipes qui font actuellement des IVG. Aujourd'hui dans un grand nombre d'h™pitaux et même en dehors des h™pitaux, ce sont souvent des médecins généralistes et quelquefois gynécologues qui s'occupent de ces centres de planification. La technique change. Ne va-t-il pas y avoir des équipes qui font aujourd'hui des IVG qui, pour la sécurité des malades, ne devraient plus les faire ?

Mme Gisèle PRINTZ - Lorsqu'une jeune fille ou une jeune femme fait appel à l'IVG, le médecin qui pratique cette IVG est-il obligé de le consigner quelque part ?

Professeur Michel TOURNAIRE - Sur le retentissement psychologique, l'ANAES a fait une revue de la littérature impressionnante, y compris sur le versant psychologique et le nombre de textes qui étaient en rapport avec ce sujet était incroyablement faible. Il y a une raison historique, ce sujet a beaucoup préoccupé dans les années soixante aux Etats-Unis et les années soixante-dix en France, on redoutait effectivement beaucoup de conséquences psychologiques de l'IVG et c'est souvent ce qui était donné contre l'IVG à l'époque.

On peut répondre de façon assez simple que, par rapport au degré de retentissement que comportait l'interruption de grossesse dans des conditions qui précédaient la loi, c'est-à-dire de culpabilité maximale et de complications fréquentes, l'IVG dans des conditions médicales a moins de retentissements physiques et aussi psychologiques. La façon d'accueillir et d'aider est certainement essentielle pour réduire les retentissements psychologiques.

Plusieurs remarques concernent la question de savoir qui peut pratiquer, qui doit pratiquer les interruptions de grossesse pour ces deux semaines supplémentaires. Vous avez súrement noté qu'un certain nombre de médecins, souvent des militants de la première heure, sont réticents pour cet allongement de deux semaines. On peut rappeler déjà qu'en réalité il y avait une réticence de leur part à partir de huit semaines. Assez souvent dans les centres où les interventions se faisaient de façon ambulatoire, sous anesthésie locale, il y avait une certaine appréhension pour les interruptions de grossesse qui se rapprochaient de la date précédente. Donc, il n'y a pas une cassure brutale. Il y avait une appréhension qui s'est logiquement aggravée avec les deux semaines supplémentaires. C'est un message important qu'il faut recevoir.

On peut dire que la clause de conscience peut jouer aussi pour les deux semaines supplémentaires, clause de conscience avec une base un peu technique. On ne doit pas imposer l'interruption de grossesse avec deux semaines de plus pour des gens qui déjà avaient une certaine appréhension à partir d'un certain terme. Si l'on cherche des solutions, on s'oriente vers des centres qui seront plus habilités à faire ces interruptions de grossesse plus tardives. Qui peut le faire ? Il faut rappeler que, dans le cadre de l'IMG actuellement, beaucoup de centres et surtout les centres universitaires sont amenés à faire des interruptions non seulement à onze-douze semaines mais jusqu'à des termes plus avancés, car vous savez que la loi curieusement ne donne pas de limite à l'IMG. Il serait logique que, soit les services eux-mêmes, soit les centres directement attachés à un centre universitaire prennent en charge ces situations qui sont un peu plus délicates. Il faudrait qu'il y ait dans chaque région un centre qui soit fléché en quelque sorte, faute de quoi il y aura un blocage.

En ce qui concerne l'autorisation parentale, je crois que c'est un sujet douloureux et que la loi va dans le bon sens : le fait qu'on n'oblige pas une mineure à obtenir l'autorisation des parents. En effet, il s'agit réellement, dans certains cas, d'une révélation aux parents de la grossesse et évidemment de la sexualité, ce qui peut être très mal reçu et il peut y avoir une mise en danger physique de cette jeune femme. Il me semble que dans cette situation, qui reste marginale, il est prévu -et je crois que c'est raisonnable- que l'on essaie en insistant d'avoir à la fois l'information et l'accord des parents. Si réellement il y a un danger pour cette personne, je crois qu'il est légitime de venir à son aide. Cette solution de remplacement en quelque sorte des parents par un adulte de son choix para»t acceptable.

Sur la question de l'anesthésie, nous avons buté comme vous. Il faut résoudre cette question et la société française d'anesthésie-réanimation se préoccupe de cette question. Actuellement, il n'y a pas d'anesthésie sans l'autorisation des parents. Il y a là un obstacle. Il y a tout de même une solution actuellement si je ne me trompe pas, c'est d'avoir recours aux autorités juridiques qui peuvent prendre sur elles. Cette solution est lourde, il faut trouver un aménagement et c'est possible.

Est-ce que l'IVG est consignée ? La question était dans le sens de l'anonymat. J'ai une question intéressante à renvoyer au législateur, l'IVG est un des rares actes qui soient recensés parce qu'il a une cotation spéciale à la sécurité sociale. Deuxième point, l'obligation légale d'avoir une feuille de statistique, que la DASS vérifie, la profession de la personne appara»t sur cette feuille. Nous avons donc l'acte qui est coté, le lieu de l'IVG, la profession. Je suis étonné que la CNIL ne se soit pas penchée sur cette question. Il y a là une absence d'anonymat sur un sujet qui est délicat. En pratique, ceci est consigné dans son dossier médical, qui est soumis au secret professionnel et l'on peut imaginer que l'on pourrait trouver le dossier. Déjà, de façon bien plus officielle, les employés de la sécurité sociale ont l'information. Par ailleurs, il y a forcément un protocole opératoire dès qu'il s'agit d'un acte chirurgical.

L'ANAES, devant l'urgence, a envoyé, avant le 28 novembre, qui était la date de présentation à l'Assemblée nationale, les recommandations dans leur état du moment. Elles sont très proches de ce qu'elles seront dans la phase définitive.

M. Claude HURIET - Dans le champ du travail qui a été confié à l'ANAES, pouvez-vous avoir une approche concernant la fréquence des facteurs qui expliquent le retard à la demande de l'IVG ?

Professeur Michel TOURNAIRE - Nous l'avons analysé. Il y a deux niveaux de travail : la littérature et les opinions d'experts qui constituent le groupe mais aussi l'opinion de lecteurs qui renvoient des informations utiles.

Parmi les éléments qui se retrouvent, il y a les changements de situation individuelle, le fait de l'ambivalence qui rend la décision difficile à prendre et qui la retarde, il y a les grossesses qui sont découvertes tardivement, même chez des gens parfaitement informés, éduqués. Il faut aussi voir quelle est la responsabilité médicale dans ce dépassement, l'accès à l'IVG n'étant pas toujours simple. Mais dans la majorité des cas les IVG sont faites très t™t.

M. Nisand était plut™t partisan, dès la limite actuelle, de passer à l'IMG. Je suis un peu en désaccord avec lui pour une raison claire : à l'usage, nous avons un certain nombre de situations de dépassement des délais actuels et nous demandons l'avis des experts. Il faut bien dire que ces avis des experts sont tout à fait imprévisibles. L'expert n'est peut-être pas le mieux placé pour décider de la capacité d'un couple et à plus forte raison d'une femme seule à mener à bien sa grossesse. Il me semble que les deux semaines laissent cet espace de liberté à la femme pour deux semaines de plus, après quoi c'est une décision médicale. Il serait souhaitable que dans les possibilités d'interruption de grossesse se trouvent aussi des problèmes psychosociaux plus qu'ils ne sont reconnus actuellement, ce qui permettrait d'éviter que des femmes, qui dépassent le nouveau délai, se retrouvent tout de même dans la même situation d'être obligées d'aller à l'étranger.

M. Charles DESCOURS - Vous avez parlé d'un certain nombre de complications éventuelles, peut-on rattacher des stérilités à l'IVG ?

Professeur Michel TOURNAIRE - La stérilité dans le cas de l'IVG para»t être une complication tout à fait rare. Elle était súrement fréquente dans le cas de l'interruption non médicalisée. Le risque d'infection à l'origine de stérilité appara»t comme très faible dans la méthode par aspiration et probablement encore plus dans les méthodes médicamenteuses. Le taux d'infection après IVG chirurgicale se situe à un niveau de 3 ou 4 % de fièvre qui dépassent 38 C, ce qui ne veut pas dire qu'il y aura stérilité.

M. Charles DESCOURS - Y a-t-il eu des cas où des patientes ont poursuivi des médecins pour cause de stérilité suite à une IVG ?

Professeur Michel TOURNAIRE - Pas encore à ma connaissance.

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