N° 240

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 mars 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation du Protocole additionnel au Protocole de Sangatte entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord relatif à la création de bureaux chargés du contrôle des personnes empruntant la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni ,

Par M. Paul MASSON

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, René-Georges Laurin, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir le numéro :

Sénat : 220 rect. (2000-2001)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis quelques années, le Royaume-Uni est confronté à un phénomène migratoire dont la nature change : le nombre des demandeurs d'asile dans ce pays est notamment passé de 45 000 en 1998 à 76 000 en 2000. L'opinion publique s'émeut fortement de ce constat. Le drame de Douvres (60 morts d'origine chinoise en juillet 2000) n'a fait qu'amplifier la prise de conscience populaire.

Une part importante du flux d'immigration clandestine venant de l'Europe de l'Est passe par la France. Aussi, les Britanniques ont-ils vivement souhaité que les contrôles exercés, notamment sur la liaison ferroviaire, soient renforcés.

Cette pression politique s'est doublée d'une mesure financière : aux termes d'une loi adoptée en novembre 1999, les Britanniques ont décidé d'appliquer aux transporteurs ferroviaires une amende de 2 000 livres sterling pour chaque clandestin qui aura emprunté le train pour accéder au territoire britannique. Soucieuse de prévenir une source possible de contentieux avec son voisin d'outre-Manche, la France a accepté de compléter les dispositions du protocole de Sangatte, signé le 25 novembre 1991, qui régit les contrôles frontaliers sur la liaison fixe transmanche.

Les négociations engagées en 1998 ont abouti le 29 mai 2000 avec la signature du protocole additionnel au protocole de Sangatte. Ce texte institue, dans le cadre de nouvelles structures -les bureaux de contrôle des personnes- un double contrôle français et britannique sur les voyageurs empruntant l'Eurostar. Par ailleurs, il vise également à alléger la charge que représente l'examen des demandes d'asile pour le Royaume-Uni. La mise en place de ce nouveau dispositif devrait, selon les engagements de la partie britannique, conduire à exempter la SNCF de pénalités financières s'agissant du moins des trains de voyageurs, les seules visés par le protocole additionnel.

La mise en place du nouveau dispositif ne peut se comprendre si on ne rappelle, au préalable, trois éléments qui permettent d'éclairer sa genèse :

- le Gouvernement du Royaume-Uni a adopté une position beaucoup plus " défensive " sur l'immigration -devenue l'un des enjeux du débat politique -même s'il n'a pas levé toutes les ambiguïtés de sa politique dans ce domaine ;

- le Royaume-Uni n'appartient pas à l'espace Schengen et le contrôle des personnes aux frontières reste donc la règle ;

- les contrôles aux frontières franco-britanniques présentent encore des insuffisances, même s'ils ont été renforcés dans la période récente.

Aussi, votre rapporteur évoquera-t-il successivement ces trois points, avant d'analyser le contenu et les conséquences du protocole additionnel.

I. LE ROYAUME-UNI CONFRONTÉ À DES FLUX MIGRATOIRES ACCRUS

Le Royaume-Uni est confronté depuis quelques années à une augmentation rapide et massive des candidats à l'immigration, parmi lesquels de nombreuses personnes en situation irrégulière.

Les entrées clandestines étaient ainsi estimées à 180 000 en 2000 contre 4 000 en 1997.

Même si ces chiffres doivent être appréciés avec prudence, l'évolution des demandes d'asile enregistrées ne laisse aucun doute sur l'intensification de la pression migratoire : 4 000 en 1988, 45 000 en 1998, 76 000 en 2000.

Les principales nationalités représentées sont les Afghans, les Iraniens, les Irakiens, les Kurdes de Turquie, les Albanais du Kosovo, les Chinois et les Sri-Lankais.

Au-delà des aspects attractifs permanents que constitue la langue anglaise, familière à beaucoup de peuples ou encore la présence au Royaume-Uni de communautés étrangères importantes et structurées, cette croissance des flux s'explique par :

- l'absence de tout contrôle d'identité à l'intérieur du pays ( habeas corpus ) ;

- la générosité des dispositions relatives à l'asile (accès aux services sociaux, lenteur des procédures, indemnités de subsistance) ;

- la facilité d'accès au marché du travail (autorisée en principe après six mois de présence sur le territoire) et la tolérance vis-à-vis du travail clandestin ;

- aucune conséquence de fait pour les déboutés d'une demande d'asile (ni reconduite à la frontière, ni renvoi dans leur pays d'origine).

Ces facteurs apparaissent d'autant plus décisifs que les autres pays européens ont renforcé, au cours des dernières années, leurs propres contrôles et leurs dispositifs législatifs. Les demandes d'asile au Royaume-Uni répondent principalement à des motivations de caractère essentiellement économique . Considéré comme un véritable " Eldorado ", le Royaume-Uni est ainsi devenu la destination finale de filières contrôlées par des organisations clandestines aux nombreuses ramifications.

L'immigration est devenue l'une des questions les plus sensibles du débat politique en Grande-Bretagne et, sans aucun doute, l'un des principaux enjeux des élections prévues en mai 2001.

Soucieux de mieux maîtriser cette pression migratoire et de répondre ainsi aux préoccupations de l'opinion publique, le gouvernement britannique a souhaité renforcer sa législation intérieure mais aussi impliquer ses partenaires européens et, au premier chef, la France par laquelle transite l'essentiel des flux migratoires.

Dans un premier temps, le Royaume-Uni a renforcé le dispositif législatif relatif au droit d'asile . La loi sur l'immigration et l'asile du 11 novembre 1999 vise, par un " contrôle de l'immigration plus juste, plus rapide et plus ferme " à " réguler l'entrée et l'établissement au Royaume-Uni dans l'intérêt de la stabilité sociale et de la croissance économique ".

Cette loi comprend trois volets essentiels : la simplification et l'accélération des procédures de traitement des demandes d'asile, la refonte du dispositif d'aide aux demandeurs d'asile, l'élargissement du système des amendes aux transporteurs. Adopté en 1997 pour le transport aérien et maritime de passagers et fondé sur le principe, consacré par les accords internationaux de la responsabilité du transporteur , ce dispositif de sanction a été étendu unilatéralement tant au transport routier des marchandises qu'à l'ensemble des véhicules à destination du Royaume-Uni : une amende de 2 000 livres sterling est désormais appliquée par clandestin découvert. Le transporteur peut cependant s'en trouver exempté s'il a respecté les conditions prévues par un " code of practice ", pour le contrôle des personnes, conformément à la loi de 1999.

L'adoption de la loi a été complétée par un plan de restructuration des moyens et d'optimisation des méthodes de travail du service de l'immigration et de la nationalité (IND) du Home Office -doublement du budget annuel, recrutement en 2000-2001 de 3 000 agents supplémentaires... - ainsi que par le recours à la détention de certains demandeurs afin de limiter le nombre de ceux qui choisissent de disparaître une fois arrivés sur le territoire.

Malgré ses ambitions, ce dispositif n'a pas produit tous les effets escomptés : le nombre de demandeurs d'asile a encore augmenté en 2000 de 7 % (de 71 160 à 76 000). Plusieurs facteurs ont concouru à limiter l'impact des nouvelles mesures : l'attachement traditionnel au droit d'asile (l'objectif d'accroître le nombre de places en centres de détention pour certains demandeurs d'asile a rencontré de vives oppositions de la part des associations des droits de l'homme) et le maintien d'une législation particulièrement généreuse pour le travail des étrangers dont le durcissement aurait sans doute permis de tarir à la source ce qui constitue l'une des plus fortes motivations des candidats à l'immigration et à l'asile.

Devant la relative inefficacité des mesures nationales, le Royaume-Uni a ainsi appelé à une plus forte mobilisation de la communauté internationale, ainsi qu'à un renforcement de l'action de l'Union européenne. Il a cherché à impliquer davantage ses partenaires et, principalement, la France, dans le contrôle des flux de personnes vers le Royaume-Uni.

Le Royaume-Uni semble être devenu désormais le meilleur avocat d'un renforcement de la coopération européenne : mise en place d'une procédure harmonisée d'examen des demandes d'asile, lutte concertée contre l'aide à l'immigration clandestine. En février dernier, le Royaume-Uni et l'Italie viennent de présenter une initiative commune visant à envoyer dans les Balkans des équipes de policiers et de douaniers pour aider à la formation des personnels locaux chargés des contrôles aux frontières. Il convient de rappeler à cet égard que, d'après une évaluation de la Commission de Bruxelles, la moitié des immigrants illégaux entrant au Royaume-Uni utiliserait la route des Balkans.

Toutefois, vu de Londres, la clef d'une plus grande maîtrise des flux migratoires se trouve en France. En effet, la quasi totalité des immigrants qui entre au Royaume-Uni provient de notre pays, par le Pas-de-Calais. Or, influencée par la presse, l'opinion britannique est convaincue que les autorités françaises n'ont pas pris la mesure de l'effort nécessaire pour exercer un contrôle efficace du flux de personnes vers leur pays. Qu'en est-il exactement ? Comment sont organisés les contrôles à la frontière franco-britannique ?

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