III. LES FAIBLESSES ACTUELLES DU CONTRÔLE DES PERSONNES À LA FRONTIÈRE FRANCO-BRITANNIQUE

1. Les voies d'accès au Royaume-Uni

Il existe trois voies d'accès au Royaume-Uni à partir de la France : la voie maritime, la voie ferroviaire et la voie aérienne. Le tableau ci-dessous permet de mesurer leur importance respective.

Flux de personnes entre la France et la Grande-Bretagne
au cours des cinq dernières années

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Voie aérienne

France/Grande-Bretagne

Grande-Bretagne/France

3 607 860

3 472 432

3 558 117

3 269 330

3 380 453

3 265 000

3 720 167

3 635 956

3 973 646

3 899 527

4 268 029

4 218 211

Voie ferroviaire

Trafic total dans les deux sens - nombre de passagers Eurostar

2 920 379

4 866 566

6 004 268

6 707 849

6 593 247

7 130 417

Nombre d'autocars

23 526

57 962

64 579

96 324

82 079

79 460

Nombre de véhicules légers

1 222 713

2 076 954

2 319 200

3 351 348

3 260 166

2 784 493

Voie maritime

France/Grande-Bretagne

Grande-Bretagne/France

12 883 71

12 823 350

13 000 691

13 000 984

13 374 438

13 451 305

12 288 561

12 388 881

11 536 379

11 585 597

chiffres non disponibles

chiffres non disponibles

On constate que les flux clandestins empruntent principalement la voie maritime .

Du 17 août 1999 au 31 décembre 2000, 30 071 irréguliers ont été interpellés au port de Calais, dont 25 331 au cours de l'année 2000, parmi lesquels figuraient 10 524 Irakiens, 5 072 Afghans, 2 366 Yougoslaves, 1 376 Turcs, 953 Sri-Lankais, 659 Iraniens, 461 Albanais, 440 Roumains, 369 Algériens, 342 Somaliens. 7 112 d'entre eux ont été placés en garde à vue, les autres faisant l'objet d'une procédure simplifiée en accord avec le Parquet local. 1 974 ont fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et 260 passeurs ont été écroués.

30 000 irréguliers sont interpellés au Port de Calais en 2000 ; 759 la même année, à la gare du Nord : l'écart des chiffres nous permet de prendre une meilleure mesure de la disparité des flux migratoires en fonction du moyen de transport emprunté. Le protocole additionnel au protocole de Sangatte ne porte que sur le contrôle des personnes empruntant la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni. Il constitue cependant un jalon nécessaire du renforcement des contrôles.

2. Le cadre juridique du contrôle de la liaison ferroviaire : le premier protocole de Sangatte

A la suite de la signature du traité de Canterbury du 12 février 1986 relatif à la construction et à l'exploitation de la liaison transmanche, le Royaume-Uni avait souhaité qu'un accord particulier définisse les dispositions consacrées aux contrôles frontaliers de la liaison fixe transmanche ainsi qu'à la coopération judiciaire en matière pénale et à la sécurité civile.

Cette liaison prend trois formes distinctes :

- le transport des voitures et camions sur des navettes que fait circuler la société concessionnaire Eurotunnel . Ces véhicules se présentent aux deux extrémités du tunnel situées, côté britannique, sur la commune de Cheriton et, côté français, sur la commune de Coquelles ;

- les trains directs de voyageurs (Paris-Londres, Lille-Londres). La désignation de trains directs ne recouvre pas tout à fait la réalité, dans la mesure où, sur la vingtaine de trains quotidiens de Paris à destination de Londres, trois s'arrêtent en gare de Calais-Frethun ;

- les trains de fret circulent principalement la nuit. Ils proviennent de toute l'Europe. Ils s'arrêtent en gare de Frethun afin de changer de locomotives pour emprunter la liaison fixe transmanche.

Le protocole de Sangatte , signé le 25 novembre 1991, ratifié par la loi n° 93-803 du 21 avril 1993 et entré en vigueur le 2 août 1993, répond aux préoccupations britanniques.

Ce texte prévoit la mise en place de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) dans les installations terminales de la liaison transmanche-Frethun, en territoire français et Folkestone, en territoire britannique, ainsi que la possibilité d'effectuer des contrôles à bord des trains.

Contrairement aux termes du texte, les BCNJ ont été installés en fait aux deux terminaux, en territoire britannique à Cheriton, et en territoire français à Coquelles. Sur chacun des deux terminaux, deux aubettes de contrôle ont été installées, la première pour assurer le contrôle de l'Etat de sortie, la seconde pour assurer le contrôle de l'Etat d'entrée.

3. Les obligations spécifiques de la France

Pour la France, les obligations de contrôle s'inscrivent dans le cadre plus général des obligations qui lui incombent au titre de la convention d'application de l'accord de Schengen .

A cet égard, l'article 6 de la convention mérite d'être cité :

Article 6

1. La circulation transfrontalière aux frontières extérieures est soumise au contrôle des autorités compétentes. Le contrôle est effectué selon des principes uniformes, dans le cadre des compétences nationales et de la législation nationale, en tenant compte des intérêts de toutes les Parties contractantes et pour les territoires des Parties contractantes.

2. Les principes uniformes mentionnés au paragraphe 1 sont les suivants :

a) Le contrôle des personnes comprend non seulement la vérification des documents de voyage et des autres conditions d'entrée, de séjour, de travail et de sortie, mais encore la recherche et la prévention de menaces pour la sécurité nationale et l'ordre public des Parties contractantes. Ce contrôle porte aussi sur les véhicules et les objets en possession des personnes franchissant la frontière. Il est effectué par chaque Partie contractante en conformité avec sa législation, notamment pour la fouille ;

b) Toutes les personnes doivent faire l'objet au moins d'un contrôle permettant l'établissement de leur identité à partir de la production ou de la présentation des documents de voyage ;

c) A l'entrée, les étrangers doivent être soumis à un contrôle approfondi, au sens des dispositions du point a) ;

d) A la sortie, il est procédé au contrôle requis dans l'intérêt de toutes les Parties contractantes en vertu du droit des étrangers et pour les besoins de la recherche et de la prévention de menaces pour la sécurité nationale et l'ordre public des Parties contractantes. Ce contrôle est exercé dans tous les cas à l'égard des étrangers ;

e) Si de tels contrôles ne peuvent être effectués en raison de circonstances particulières, des priorités devront être fixées. A cet égard, le contrôle de la circulation à l'entrée a, en principe, priorité sur le contrôle à la sortie.

La mise en oeuvre de contrôles " approfondis " à l'entrée et de contrôles à la sortie constitue bien l'une des garanties de la sécurité de l'Espace Schengen et engage ainsi la responsabilité de la France vis-à-vis de ses partenaires. La Grande-Bretagne semble à cet égard fondée à formuler quelques observations.

4. Dans les faits, une surveillance lacunaire

S'agissant des contrôles sur la liaison ferroviaire, la France s'en est tenue aux termes du protocole de Sangatte, sans prendre en compte les engagements liés à la convention d'application de l'accord de Schengen.

Les BCNJ installés à Coquelles et Cheriton permettent d'assurer le contrôle des véhicules empruntant les navettes d'Eurotunnel mais non le transport ferroviaire de fret qui passe, lui, par la gare de Calais-Frethun. La commune de Frethun se trouve en zone de compétence de gendarmerie. Les contrôles sont donc assurés dans cette gare par les gendarmes, tandis que la SNCF assume la responsabilité de la sécurité de ses infrastructures, afin d'interdire l'accès des clandestins aux trains de marchandises lors du stationnement en attente du changement de système de traction.

Les voyageurs empruntant les trains directs sont, en principe, contrôlés à bord de ces trains .

Contrairement aux termes de la convention de Schengen, aucun contrôle systématique d'entrée ou de sortie n'avait été instauré dans les gares françaises de départ ou d'arrivée de l'Eurostar. Le souci d'alléger le dispositif de surveillance a toujours été manifeste.

Les contrôles à bord des trains prévus par le protocole de Sangatte se sont révélés insuffisants : d'une part, ils étaient trop aléatoires (des contrôles plus fréquents auraient requis des moyens humains considérables) et, d'autre part, ils s'avéraient trop tardifs (une fois embarqué, un clandestin ne peut se voir imposer de sortir du train).

5. Un renforcement progressif des contrôles sous la pression des Britanniques

Les lacunes du dispositif français de contrôle ont progressivement constitué un sujet de préoccupation pour les autorités britanniques confrontées à des flux croissants d'immigration clandestine. Ainsi, le Royaume-Uni dut faire face, en août 1997, à un afflux de ressortissant Somaliens en situation irrégulière. Sous la pression britannique, la France a alors renforcé ses contrôles par étape.

Au cours d'une rencontre le 30 janvier 1998 avec son homologue britannique, le ministre de l'Intérieur français a accepté d'améliorer l'efficacité du dispositif de surveillance du transport ferroviaire des personnes. Un échange de lettres entre les deux ministres, en date des 24 et 29 juillet 1998, décida la création de bureaux de contrôle des voyageurs empruntant l'Eurostar. Cette mesure supposait cependant une modification du protocole de Sangatte et, en conséquence, des nouveaux délais qui s'accordaient mal aux besoins de la situation.

C'est pourquoi la PAF, après une expérience temporaire conduite à partir d'août 1997, mit en place en juin 1998 en gare du Nord des contrôles frontaliers permanents de sortie du territoire destinés à limiter le nombre d'immigrés clandestins empruntant l'Eurostar vers Londres.

Les contrôles à la gare du Nord ont progressivement remplacé les contrôles embarqués à bord des trains (3 638 en 1998, 596 en 1999 et 642 en 2000) . En pratique, les contrôles de sortie sont exercés dans la mezzanine au-dessus de la gare -point de passage obligé avant l'embarquement-, par deux équipes assurant deux vacations (5 h 45 à 13 h 45 et 13 h 30 à 21 h 30 - le premier train part à 6 h 37 et le dernier à 21 h 37). Les autres contrôles transfrontières sont exercés à bord des trains entre Paris et Londres par six équipes de deux fonctionnaires en civil.

Ces contrôles s'appuient sur un effectif de 71 fonctionnaires en poste à l'unité de contrôle des trains internationaux de la brigade des chemins de fer de la PAF de la gare du Nord.

Quel bilan peut-on dresser de ce renforcement du dispositif ? Le nombre de procédures diligentées sur la base d'infraction à la législation sur les étrangers ou d'utilisation de faux documents administratifs a augmenté au cours des trois dernières années : 252 en 1998, 453 en 1999 et 759 en 2000.

Ces résultats sont-ils liés à une efficacité accrue de la surveillance ou à une progression des flux migratoires ? Il est difficile de l'apprécier.

Par ailleurs, en gare de Lille-Europe, l'unité de la police aux frontières (UPAF), forte de 15 fonctionnaires, assure les contrôles transfrontières des voyageurs à destination de Londres, de 6 h 30 à 23 h (plage horaire des Eurostar). Le contrôle est exercé au niveau des aubettes donnant accès aux quais réservés aux voyageurs munis de leurs titres de transport.

En gare de Calais-Frethun, les fonctionnaires de l'UPAF basée à Coquelles se déplacent en fonction de l'arrivée de l'Eurostar. Les contrôles transfrontières sont réalisés avant l'embarquement dans un local de la gare.

Malgré ces renforcements, les contrôles souffrent de plusieurs faiblesses :

- d'une part, à l'exception de la gare de Frethun, les entrées dans l'espace Schengen par l'Eurostar ne sont pas vraiment contrôlées ;

- d'autre part, les contrôles de sortie exercés par la France se bornent à vérifier l'identité des voyageurs ; ils n'ont pas pour objet de s'assurer que le passager dispose des titres nécessaires pour accéder au territoire britannique (un visa, le cas échéant) ;

- enfin les contrôles britanniques a bord des trains sont trop tardifs : le clandestin demande immédiatement l'asile au Royaume-Uni.

C'est pourquoi le Royaume-Uni souhaiterait la mise en oeuvre rapide du principe d'un double contrôle français et britannique dans les gares de départ, arrêté en 1998.

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