B. LE RÉGIME DE LA SPÉCIALITÉ LÉGISLATIVE

En revanche, les territoires d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte sont régis par le principe dit de la " spécialité législative ".

Ainsi, l'applicabilité des textes législatifs dans ces collectivités est subordonnée à l'adoption d'une disposition expresse d'extension .

Seules les " lois de souveraineté ", catégorie doctrinale définie de façon imprécise notamment par la circulaire du Premier ministre du 21 avril 1988 relative à l'application des textes législatifs outre-mer qui fait référence aux lois qui, " en raison de leur objet sont nécessairement destinées à régir l'ensemble du territoire de la République ", et fournit une liste non exhaustive comprenant les lois constitutionnelles, les lois organiques ou encore les lois relatives au statut civil des personnes, s'appliquent automatiquement.

Cette obligation d'extension expresse vaut également pour toute modification d'une disposition précédemment rendue applicable. Toute nouvelle avancée législative doit donc formellement être introduite, même lorsqu'elle porte sur une législation déjà étendue (Conseil d'État, arrêt du 9 février 1990 " Elections municipales de Lifou ").

Ce principe de la spécialité législative trouve, pour les territoires d'outre-mer, son fondement dans l'article 74 de la Constitution aux termes duquel " les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République " et " les autres modalités que les aspects statutaires de leur organisation particulière sont définies et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée territoriale intéressée ".

Le Conseil constitutionnel, a par sa décision n° 94-342 DC du 7 juillet 1994, précisé la portée de l'obligation de consulter l'assemblée territoriale intéressée ; les dispositions législatives devant faire l'objet d'une extension expresse nécessitent en principe une consultation préalable, sauf lorsque la disposition concernée " n'introduit, ne modifie ou ne supprime aucune disposition spécifique ".

Bien que n'étant plus un territoire d'outre-mer depuis la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, la Nouvelle-Calédonie continue à être régie par ce même principe de spécialité, encore qu'il ne puisse être déduit qu'indirectement du dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution figurant au nouveau titre XIII consacré à cette collectivité sui generis . L'article 90 de la loi organique statutaire du 19 mars 1999 répare en partie cet oubli en prévoyant une obligation de consulter le congrès de la Nouvelle-Calédonie : " Le congrès est consulté par le haut-commissaire, avant leur examen par le Conseil d'État, sur les projets de loi et sur les projets d'ordonnance, lorsqu'ils introduisent, modifient ou suppriment des dispositions spécifiques à la Nouvelle-Calédonie. Le congrès dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis. (...) Le congrès est également consulté, dans les mêmes conditions, avant leur adoption en première lecture par la première assemblée saisie, sur les propositions de loi comportant de telles dispositions. ".

Le principe de la spécialité législative s'applique également à la collectivité territoriale de Mayotte en vertu de l'article 10 de la loi du 24 décembre 1976. Dans ce dernier cas cependant, la consultation préalable du conseil général, si elle est régulièrement mise en oeuvre, reste juridiquement facultative.

Le projet de loi sur le statut de Mayotte qui fera l'objet d'un examen en première lecture au Sénat début juin prévoit un nouvel article L. 3551-12 du code général des collectivités territoriales qui dispose que le " conseil général est consulté sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions d'adaptation du régime législatif ou de l'organisation administrative des départements et sur les projets de décret pris pour l'application du présent livre " les délais étant les mêmes que pour les départements d'outre-mer, à savoir un mois susceptible d'être réduit à quinze jours en cas d'urgence à la demande du préfet. Il s'inspire donc des dispositions de l'article L. 3444-1 du code général des collectivités territoriales applicable aux départements d'outre-mer et introduit par la loi d'orientation pour l'outre-mer du 13 décembre 2000.

En outre, l'article 3 de ce projet de loi précise le champ d'application du principe de spécialité . Il dispose qu'en dehors des lois, ordonnances et décrets qui, en raison de leur objet, sont nécessairement destinés à régir l'ensemble du territoire national -il s'agit des lois de souveraineté- d'autres actes seraient également soumis à ce régime d'application directe. La notion de lois de souveraineté pour Mayotte serait donc plus étendue puisque seraient ainsi concernés les lois, ordonnances et décrets portant sur la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités, le droit pénal, la procédure pénale, la procédure administrative contentieuse et non contentieuse, les postes et télécommunications, et le droit électoral (cette dernière matière ayant été ajoutée en première lecture à l'assemblée nationale à l'initiative de M. Jacques Floch, rapporteur au nom de la commission des Lois). Cette liste recouvre d'ailleurs l'ensemble des matières pour lesquelles des ordonnances ont déjà été prises ou sont en projet afin de rapprocher au maximum le droit applicable à Mayotte et celui en vigueur en métropole.

Devraient également être applicables de plein droit à Mayotte à compter du renouvellement du conseil général en 2007 les lois, ordonnances et décrets portant sur l'organisation et l'administration des conseils généraux et les règles relatives aux juridictions financières, ainsi que les dispositions législatives modifiant le code de commerce, à quelques exceptions près.

Le principe demeurerait cependant celui de la spécialité pour les autres lois, ordonnances et décrets, qui ne seraient applicables à Mayotte que sur mention expresse.

Toutes les collectivités d'outre-mer concernées par les projets d'ordonnance et dotées d'une assemblée délibérante ont été consultées sur le projet de loi d'habilitation. Cependant, cette consultation est restée largement formelle puisque n'était joint aucun avant-projet d'ordonnance. De ce fait, seul le conseil général de la Guadeloupe a rendu un avis exprès favorable, d'ailleurs intervenu après l'expiration du délai.

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