TRAVAUX DE COMMISSION

Réunie le mercredi 2 mai 2001, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l 'examen en nouvelle lecture du rapport de M. Francis Giraud sur le projet de loi n° 273 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

M. Francis Giraud, rapporteur, a rappelé que, réunie le mercredi 4 avril 2001, au Sénat, la commission mixte paritaire n'était pas parvenue à trouver un accord sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la contraception. Elle avait échoué sur l'article premier A, article de principe introduit par le Sénat, qui faisait de la réduction du nombre des IVG une priorité de santé publique et qui prévoyait que le Gouvernement mettrait en oeuvre, à cette fin, les moyens nécessaires à la conduite d'une véritable politique d'éducation à la sexualité et d'information sur la contraception.

M. Francis Giraud, rapporteur, a estimé que cet échec, sur cette disposition précise, était en lui-même significatif. Il a indiqué que, saisi en première lecture de vingt-six articles, le Sénat avait adopté une position conforme à celle de l'Assemblée nationale sur huit d'entre eux, qu'il en avait supprimé sept, modifié onze et qu'il avait également inséré six articles additionnels nouveaux. Il a souligné qu'en examinant le dispositif du projet de loi, le Sénat avait donc souhaité, certes, en limiter les dangers mais que, loin de rejeter l'ensemble du texte, il en avait amélioré sensiblement la teneur sur de nombreux points et amplifié la portée.

M. Francis Giraud, rapporteur, a indiqué que l'Assemblée nationale, examinant le projet de loi en nouvelle lecture le mardi 17 avril 2001, était revenue, pour l'essentiel, à son texte de première lecture. Alors que vingt-quatre articles restaient en navette à l'issue de la première lecture au Sénat, l'Assemblée nationale n'avait adopté qu'un seul article conforme : l'article 16 ter, résultant d'un amendement présenté par les membres du groupe communiste républicain et citoyen et prévoyant qu'une information et une éducation à la sexualité seraient dispensées dans toutes les structures accueillant des personnes handicapées.

M. Francis Giraud, rapporteur, a fait valoir que l'Assemblée nationale avait donc supprimé cinq des six articles additionnels introduits par le Sénat : l'article premier A, l'article 3 bis A, introduit à l'initiative de M. Bernard Seillier, qui créait, dans chaque département, à l'initiative du conseil général, un répertoire des aides économiques, des lieux d'accueil et d'hébergement, des associations et organismes susceptibles d'apporter une aide morale ou matérielle aux femmes enceintes en difficulté, l'article 9 bis, résultant d'un amendement de M. Claude Huriet, qui précisait, en réponse à l'arrêt Perruche, que nul n'est fondé à demander une indemnisation du seul fait de sa naissance, enfin, les articles 14 bis et 17 bis, résultant des amendements de MM. Lucien Neuwirth et Jean-Claude Carle, qui imposaient au Gouvernement de déposer au Parlement des rapports présentant le bilan des actions menées en faveur de l'information sur la contraception et la sexualité.

M. Francis Giraud, rapporteur, a constaté que l'Assemblée nationale était revenue mot pour mot à son texte adopté en première lecture sur neuf articles modifiés ou supprimés par le Sénat. Il a jugé que cette position traduisait, à l'évidence, les divergences de fond qui séparaient les deux assemblées.

Soulignant que le désaccord portait tout d'abord sur l'allongement à douze semaines de grossesse du délai légal, il a rappelé que le Sénat avait estimé, en première lecture, que cet allongement constituait une fuite en avant et n'apportait pas de véritable réponse à la situation des quelque 5.000 femmes qui, chaque année, sont contraintes de se rendre à l'étranger pour obtenir une IVG dans des pays où le terme légal est plus éloigné.

Il a observé que, seule, la moitié des femmes concernées, 2.000 à 3.000 selon les estimations les plus fiables, serait susceptible de bénéficier de ces deux semaines supplémentaires. Relevant que l'autre moitié dépassait de toute façon le délai de douze semaines de grossesse, il s'est demandé ce qu'il adviendrait de ces femmes.

M. Francis Giraud, rapporteur, a rappelé que le Sénat avait également estimé que l'allongement du délai légal comportait un certain nombre de risques qui étaient loin d'être négligeables. L'intervention devenait ainsi plus difficile, tant d'un point de vue technique que psychologique, entre les dixième et douzième semaines de grossesse. Deux semaines supplémentaires changeaient la nature de l'acte médical : elles impliquaient un effort considérable de formation et la mise en place de moyens techniques garantissant la sécurité des interventions.

M. Francis Giraud, rapporteur, a considéré que l'allongement du délai risquait ainsi de dégrader encore le fonctionnement quotidien du service public. Il a jugé probable que l'accès à l'IVG reste toujours aussi difficile pour certaines femmes et il a exprimé la crainte que ces difficultés soient encore accrues. Il a rappelé que, si l'on ne pouvait pas parler d'eugénisme, le risque existait néanmoins de pratiques individuelles de sélection du foetus au vu des éléments du diagnostic prénatal. Il a enfin considéré que l'allongement du délai légal revenait à déplacer les frontières de l'échec.

M. Francis Giraud, rapporteur, a indiqué que, fidèle à sa logique, l'Assemblée nationale avait rétabli l'allongement du délai légal à douze semaines de grossesse. Il a observé que les divergences entre les deux assemblées ne se limitaient toutefois pas à la question du délai légal et concernaient bien d'autres points, essentiels aux yeux du Sénat.

Il a souligné que l'Assemblée nationale avait ainsi rétabli le contenu du dossier-guide tel qu'elle l'avait adopté en première lecture, c'est-à-dire amputé de l'énumération des droits, aides et avantages garantis par la loi aux familles, aux mères et à leurs enfants, ainsi que des possibilités offertes par l'adoption d'un enfant à naître, et de la liste des organismes susceptibles de lui apporter une aide morale ou matérielle.

Il a indiqué qu'elle avait également rétabli la suppression du caractère obligatoire de l'entretien social préalable et les dispositions relatives à l'aménagement de l'obligation de l'autorisation parentale pour les mineures, sans retenir les ajouts importants du Sénat sur la qualité de la personne accompagnante et sur son rôle consistant à « assister » la mineure.

Il a ajouté qu'elle avait maintenu le nombre de trois séances d'information et d'éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées, alors que le Sénat avait proposé de retenir le chiffre de cinq séances. Il a noté qu'à cette occasion l'Assemblée nationale avait également écarté l'ajout de M. Lucien Neuwirth consistant à prévoir l'organisation de réunions associant les parents d'élèves pour définir des actions conjointes d'information sur la sexualité et la fécondité.

M. Francis Giraud, rapporteur, a souligné que l'Assemblée nationale avait en outre persisté dans sa volonté de supprimer l'obligation de prescription médicale pour les contraceptifs hormonaux, obligation que le Sénat avait maintenue pour des raisons de santé publique. De même, l'Assemblée nationale avait supprimé, pour l'interruption médicale de grossesse (IMG), la référence à la santé psychique de la femme, que le Sénat avait introduite afin de permettre la prise en charge des situations les plus douloureuses. Elle avait également supprimé une disposition importante que le Sénat avait introduite afin de protéger la femme enceinte contre toute forme de pression destinée à la contraindre à une interruption de grossesse. Elle avait enfin écarté la notion d'un âge minimum -que le Sénat avait fixé à 35 ans- pour bénéficier d'une stérilisation.

M. Francis Giraud, rapporteur, a constaté que, paradoxalement, la navette n'avait porté que sur l'article 20, relatif à la stérilisation des adultes handicapés, article qui n'avait pas véritablement de lien avec l'objet du projet de loi, et seul article dont la rapporteure de l'Assemblée nationale avait consenti à reconnaître que le Sénat en avait « incontestablement » amélioré la rédaction.

M. Francis Giraud, rapporteur, a estimé que les autres modifications adoptées par l'Assemblée nationale ne relevaient pas du jeu de la navette, mais constituaient des remords ou ajustements apportés par l'Assemblée nationale à son propre texte de première lecture. Il a considéré qu'en définitive, l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, avait non seulement rétabli l'intégralité des dispositions contestées par le Sénat mais qu'elle avait également écarté l'essentiel des améliorations et corrections que ce dernier avait apportées, de même que la quasi-totalité des articles additionnels dont il avait souhaité enrichir le projet de loi.

Il a jugé qu'une fois de plus, l'Assemblée nationale avait ainsi donné son dernier mot dès sa première lecture, et n'avait fait que bégayer en nouvelle lecture. Il a considéré, dans ces conditions, qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la délibération et a proposé à la commission d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

M. Lucien Neuwirth a mis l'accent sur les apports très positifs du Sénat au projet de loi et s'est dit partisan de réaffirmer, à l'occasion de l'examen du texte en nouvelle lecture, les positions adoptées en première lecture.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a indiqué qu'elle comprenait que le rapporteur propose l'adoption d'une question préalable, dans la mesure où les positions des deux assemblées répondaient à des logiques très différentes. Elle a souligné que les désaccords portaient d'abord sur l'allongement du délai mais aussi sur bien d'autres points, tels que les modalités d'accès des mineures à l'IVG. S'agissant de l'article 20, relatif à la stérilisation des adultes handicapés, elle a regretté que l'Assemblée nationale n'ait pas pris le temps d'une réflexion plus approfondie ; elle a expliqué que l'annonce de la commercialisation d'un implant contraceptif pouvait amener à reconsidérer la nécessité d'une telle disposition législative.

M. Claude Huriet a estimé que les conditions dans lesquelles l'Assemblée nationale avait rétabli son texte de première lecture témoignaient d'une préoccupation essentiellement idéologique. Il a considéré que le projet de loi constituait une rupture profonde par rapport à la loi Veil, qui était avant tout une loi de dépénalisation. Il a jugé que le projet de loi, en ouvrant un véritable droit à l'IVG, allait contribuer à une banalisation de cet acte. Il a émis une préférence pour un rétablissement, par le Sénat, de son texte de première lecture.

M. Bernard Seillier a formulé le voeu que la question préalable proposée par le rapporteur soit la première étape avant une saisine du Conseil constitutionnel sur ce texte.

M. Jean Chérioux a souligné que le Sénat, en première lecture, s'était efforcé d'améliorer ce texte et d'en signaler les dangers. Constatant que l'Assemblée nationale n'avait rien voulu entendre, il a jugé logique l'adoption d'une question préalable en nouvelle lecture.

M. Guy Fischer a estimé que le Sénat avait élaboré, sur ce texte, un véritable « contre-projet », qui témoignait du fossé séparant les positions des deux assemblées. Il a jugé que ce projet de loi serait synonyme d'une plus grande liberté pour les femmes.

M. Francis Giraud, rapporteur, a indiqué qu'il ne comprenait pas que le législateur puisse sciemment décider de priver les femmes de certaines informations susceptibles de les conduire éventuellement à renoncer à une IVG. Il a jugé que ceci constituait une véritable atteinte à la liberté des femmes de s'informer.

M. Alain Vasselle s'est dit particulièrement surpris de la position de l'Assemblée nationale sur la question de l'entretien social préalable. Il a rappelé que Mme Martine Aubry s'était déclarée favorable au maintien de cet entretien lorsqu'elle était ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a souligné qu'il n'était pas question de supprimer cet entretien, qui resterait systématiquement proposé aux femmes, mais ne serait plus obligatoire.

M. Jean Delaneau, président, a fait état de statistiques montrant que 10 % des femmes choisissaient de garder leur enfant à l'issue de cet entretien.

M. Jean Chérioux a considéré que ce projet de loi aurait justifié l'adoption d'une question préalable sur certaines parties du texte, ce que le Règlement du Sénat ne permettait pas.

M. Jacques Machet a souligné que le choix du Gouvernement de faire figurer, dans l'intitulé du projet de loi, le terme d'IVG avant celui de contraception, était particulièrement significatif.

Puis la commission a adopté la motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture .

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