N° 343

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 mai 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de loi organique, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative aux lois de finances ,

Par M. Alain LAMBERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2540 , 2908 et T.A. 640

Sénat : 226 (2000-2001)

Lois de finances.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

INTRODUCTION

Depuis longtemps, votre commission des finances appelle de ses voeux une réforme de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Votre rapporteur en exprima souvent le souhait à l'époque où il était rapporteur général, de juin 1995 à octobre 1998. Ayant rapporté trois lois de finances initiales, et investi d'une compétence générale sur le budget de l'État, il a rapidement éprouvé les limites de cette ordonnance, tant dans son maniement pour le Parlement que dans sa pertinence pour la connaissance de la situation des finances publiques, et pour la gestion de l'État. A plusieurs reprises, à la tribune du Sénat, et dès avant les utiles initiatives de Laurent Fabius et de Didier Migaud, votre rapporteur a demandé cette réforme. Le moment est venu de franchir le pas.

Obsolète comme instrument de gestion publique (elle n'a pas empêché dette et déficit publics de se creuser) et comme norme de relations entre le Parlement et le Gouvernement (le consentement à l'impôt est aujourd'hui aveugle), l'ordonnance de 1959 apparaît toutefois aux yeux de certains observateurs comme un « totem » normatif de la cinquième République. Or les vertus qu'on lui prête à ce titre -le vote du budget en temps et en heure, le maintien de la cohérence des politiques budgétaires par restriction du droit d'amendement parlementaire- ne sont pas les siennes, mais celles de la Constitution. A la demande du Président de la République et du Premier ministre, l'Assemblée nationale et le Sénat n'entendent pas modifier cette dernière. La présente proposition de loi organique, déférée automatiquement au Conseil constitutionnel, sera nécessairement astreinte au respect de la Constitution.

Considérée par le Conseil d'État comme une proposition de loi organique relative au Sénat 1 ( * ) , le présent texte place notre assemblée face à ses responsabilités.

Elle a la possibilité de prendre la réforme en main, de la faire réussir comme de la faire échouer. Votre rapporteur ne recommande pas cette dernière voie. D'abord, il rappelle que le Président de la République, Jacques Chirac, le Premier ministre, Lionel Jospin et son prédécesseur Alain Juppé, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ensemble, Raymond Forni et Christian Poncelet, ont apporté leur soutien à cette entreprise. Au surplus, un échec risquerait de dégrader l'image du Sénat en considérant notre assemblée comme incapable d'aller de l'avant ; en outre, elle rendrait au gouvernement une initiative prise par le Parlement. Enfin, la présente proposition de réforme rapprocherait la France des pays ayant adopté les pratiques budgétaires et comptables les plus modernes.

Vouloir la réussite de l'entreprise ne signifie naturellement pas accepter n'importe quelle réforme. Notre assemblée a le devoir de marquer cette proposition de l'empreinte profonde de sa longue expérience. C'est, avec le dépôt de plus de 168 amendements, ce que vous propose votre commission des finances.

L'enjeu est en effet considérable. Voulons-nous que le produit de l'impôt prélevé sur les Français soit employé dans leur intérêt exclusif ? Voulons-nous que pour le même impôt payé, le service rendu puisse être le meilleur possible ?

Tels sont les enjeux de cette réforme, telles sont les questions que se pose le Sénat.

I. RÉFORMER L'ORDONNANCE DE 1959 : UNE NÉCESSITÉ AVÉRÉE

A. UNE REVENDICATION ANCIENNE DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

1. Les sept piliers de la sagesse budgétaire

Votre rapporteur, rapporteur général de 1995 à 1998, avait perçu les limites de l'ordonnance de 1959. Dès juillet 1997, à l'occasion de l'audit des finances publiques demandé par le nouveau gouvernement, il en a demandé la modification. En novembre de la même année, à l'occasion du débat sur le projet de loi de finances pour 1998, il a rendu publics quelques principes pouvant servir à cette réflexion. A l'époque, celle-ci n'était pas engagée. L'encadré ci-après est extrait du tome I du rapport général publié en novembre 1997.

Les sept piliers de la sagesse budgétaire 2 ( * )

Rétablir la « sincérité » de la loi de finances

Au fil des années, la loi de finances est devenue un document à rendre perplexe un commissaire aux comptes. Le projet présenté au Parlement est incomplet (les fonds de concours n'y figurent pas), contracté (près de 250 milliards de francs de prélèvements sur recettes sont des charges n'apparaissant pas), hétérogène (des dépenses identiques sont traitées différemment selon qu'elles figurent au budget de l'État ou dans des comptes spéciaux du Trésor).

Ainsi, le budget voté pour 1995 prévoyait 1.616 milliards de dépenses à caractère définitif. En loi de règlement 3 ( * ) , le montant des charges s'est en définitive établi à 3.757 milliards de francs, soit une différence de 2.141 milliards de francs . Il est nécessaire de faire apparaître la réalité : le budget de l'État atteint 2.369 milliards en total net des crédits ouverts, et dépasse le budget social (2.300 milliards).

Institutionnaliser la distinction entre l'investissement et le fonctionnement.

Depuis 1992, une part du déficit budgétaire (115 milliards de francs en 1997) finance des dépenses courantes : l'État s'endette pour vivre au jour le jour. Sans en avoir conscience, nous laissons ainsi à nos enfants le soin et la charge de régler demain nos consommations d'aujourd'hui. Cette atteinte aux droits des générations futures n'est pas admissible. Par analogie avec la « règle d'or » inscrite dans la Constitution allemande, elle appelle une réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, identifiant la section de fonctionnement de l'État et les conditions de son équilibre obligatoire, seul l'investissement étant dorénavant financé par l'emprunt .

Certifier les méthodes comptables

L'évolution rapide des phénomènes économiques ne permet pas de comparer des projets de loi de finances à « structure constante ». Cette instabilité inévitable -mais irritante- doit être corrigée par la présentation au Parlement, sous le contrôle de la Cour des comptes, d'une annexe au projet de loi de finances recensant les modifications de présentation budgétaire. Inspirée du principe comptable de « permanence des méthodes », cette réforme préviendra les polémiques sur les « débudgétisations ».

Instaurer une procédure de suivi des dépenses sociales

Le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale implique que le Parlement puisse en contrôler l'exécution en cours d'année. Cela suppose la création d'indicateurs mensuels rendus d'autant plus nécessaires que les comptes sociaux se caractérisent par leur extrême émiettement et que les chiffres de l'ACOSS ne sont pas rendus publics.

Accélérer la mise en oeuvre de la comptabilité patrimoniale

L'appréciation de la fidélité des documents budgétaires implique une amélioration de la comptabilité patrimoniale de l'État, dans le sens des travaux initiés par Jean Arthuis. En effet, les déclassements d'opérations budgétaires en opérations de trésorerie, la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire de l'État et les systèmes de vases communicants entre le budget général et les comptes des entreprises publiques ne sont finalement retranscrits que dans le compte de la dette et non dans les lois de finances. Les pertes en capital n'apparaissent pas, et pas davantage les charges de retraite non provisionnées.

Moderniser les procédures de régulation budgétaire

Les rapports de la Cour des comptes fournissent, chaque année, les exemples d'une « comptabilité créatrice » visant tant à lisser sur plusieurs exercices, qu'à réguler en cours d'année les flux de dépenses et de recettes. L'ordonnance de 1959 n'est plus respectée : les conditions mises à la publication de décrets d'avance, d'arrêtés d'annulation et de textes créant des dépenses nouvelles 4 ( * ) ne sont plus appliquées. Elles doivent être adaptées.

En revanche, et malgré quelques améliorations récentes, le Parlement ne peut accepter d'être mis en permanence devant des faits accomplis, d'apprendre que des correctifs sont apportés à la loi de finances dont l'encre est à peine sèche, voire de constater que des crédits annulés au printemps sont rétablis à l'automne. Deux pistes méritent d'être explorées . La Cour des comptes pourrait être saisie pour avis du projet de loi de finances -à l'image du Conseil d'Etat- et porter un jugement sur l'adéquation du niveau des dotations inscrites. Les commissions des finances devraient être appelées à débattre des régulations mises en oeuvre.

Fixer un nouveau rendez-vous budgétaire

Les grandes entreprises arrêtent des comptes semestriels. L'État ne s'impose pas cette discipline. Il convient donc que le Parlement soit saisi, en fin de premier semestre, d'un état commenté de l'exécution des comptes publics, analogue au travail commandé aux deux magistrats de la Cour des comptes 5 ( * ) -dont l'élaboration pourrait être confiée à la Cour dans l'esprit de l'article 47 de la Constitution. Un jugement politique pourra alors être porté sur la pertinence de l'exécution de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.

Dans les grandes lignes, ces réflexions, essentiellement comptables ou relatives à l'exécution du budget, restent valables aujourd'hui.

La pensée de votre rapporteur s'est cependant approfondie sur certains sujets, en particulier sur la « Règle d'or ». Votre commission considère toujours qu'il s'agit d'une saine pratique budgétaire, recommandée d'ailleurs par la Cour des comptes et par l'Union européenne. Elle ne recommande plus toutefois que cette règle soit inscrite dans la loi organique , car elle viendrait inévitablement, un jour ou l'autre, à être transgressée ou détournée. En outre, cette règle serait difficilement compatible, du fait de sa rigidité, avec la fongibilité des crédits inscrite dans la nouvelle loi ( cf. infra ).

Votre commission demande en revanche que les pouvoirs publics, Gouvernement et Parlement, soient dotés d'un instrument comptable leur permettant de savoir si le fonctionnement sera probablement financé par emprunt, ou s'il l'a effectivement été, de manière à être contraints de décider clairement et à assumer les mesures correctrices nécessaires .

Le pouvoir politique doutant légitimement de sa vertu est souvent tenté de l'écrire dans la loi . Votre rapporteur considère aujourd'hui que la vertu sera mieux garantie par un éclairage comptable fiable obligeant ainsi Gouvernement et Parlement à assumer pleinement leur responsabilité à l'égard des générations futures.

* 1 Avis du Conseil d'Etat, publié en annexe du rapport A.N. n° 2908 (2000-2001), pages 605 et 606. Cet avis, a pour conséquence que le texte doit être voté dans les mêmes termes par les deux assemblées, et pour corollaire que la navette se poursuive jusqu'à cet accord, sans provocation de commission mixte paritaire. Selon les informations de votre rapporteur, le Premier ministre aurait l'intention de suivre cet avis sur ce point .

* 2 Rapport général Sénat n° 85 (1997-1998) - Tome I - pages 89 à 91.

* 3 Y compris les opérations temporaires et les remboursements et dégrèvements d'impôts.

* 4 Articles 11 et 13 et article premier de l'ordonnance. A titre d'exemple, l'arrêté du 10 juillet 1997 annule la quasi totalité des crédits du fonds de gestion de l'espace rural alors même que l'abondement de ce fonds avait fait l'objet de longs débats au Parlement : l'Assemblée nationale et le Sénat avaient « obtenu » une majoration de 150 millions de francs des crédits correspondants.

* 5 L'ordonnance de 1959 dispose judicieusement, en son article 38, que : « si aucun projet de loi de finances rectificative n'est déposé avec le 1 er juin, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques . » Toutefois, et de pratique constante, ce rapport est muet sur l'aspect finances publiques considérées dans l'optique de l'exécution budgétaire.

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