CHAPITRE III :

DISPOSITIONS COMMUNES

ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE 48

Les délais de vote des projets de loi de finances

Commentaire : le présent article fixe les délais de vote des projets de loi de finances de l'année, des projets de loi de finances rectificative et des projets de loi de règlement.

Votre rapporteur a indiqué 116 ( * ) qu'il souhaitait appliquer aux projets de loi de règlement les délais prévus par l'article 47 de la Constitution, le Conseil constitutionnel, dans le silence de l'ordonnance organique, les en ayant exclu.

Une telle extension apparaît, tout d'abord, comme pleinement cohérente avec la réforme que constitue la présente loi organique. La revalorisation du rôle de la loi de règlement qu'elle emporte, occasion d'apprécier les résultats obtenus par les gestionnaires, d'examiner les indicateurs, d'étudier les comptes de l'Etat, d'expliquer les variations de son bilan et de son hors-bilan, justifie que le Parlement soit en mesure d'examiner et d'adopter le projet de loi de règlement de l'année n - 1 avant d'engager l'examen du projet de loi de finances de l'année n + 1. De ce point de vue, les exigences imposées au gouvernement en termes de délais de dépôt du projet de loi de règlement et des annexes jointes au projet doivent s'accompagner, au Parlement, d'un examen approfondi et se déroulant avant ou pendant la discussion budgétaire de l'automne. Il n'y a en effet guère de sens à discuter des objectifs assignés à un programme si on n'a pas observé auparavant les résultats acquis. Il paraîtrait donc justifié que la loi organique ne soit pas muette sur ce point.

Votre rapporteur est conscient que les textes ne suffiront pas à bouleverser des habitudes qui tendent à banaliser l'examen de la loi de règlement. Il considère cependant, d'une part que ce travers n'est pas irrémédiable 117 ( * ) , d'autre part que la loi organique peut contenir de fortes incitations à revenir sur cette mauvaise pratique. Le texte adopté par l'Assemblée nationale en contient certaines (délais de dépôt, annexes, certification par la Cour des comptes) mais elles ne paraissent pas encore suffisantes. Votre rapporteur estime que, outre l'intérêt porté par les fonctionnaires, les parlementaires et la presse, seule une contrainte d'ordre du jour pesant sur le Parlement et le gouvernement permettra vraiment de revaloriser le « moment budgétaire » plein et entier que devrait constituer l'examen de la loi de règlement.

Il aurait été possible de réfléchir à une fusion du projet de loi de règlement d'un exercice n - 1 avec le projet de loi de finances de l'exercice n + 1. Cette solution radicale aurait soulevé de telles contraintes pratiques, mais aussi juridiques et démocratiques, que votre rapporteur n'a pas estimé souhaitable de la retenir.

De même, il pouvait être envisagé de subordonner les votes entre le projet de loi de finances de l'année n + 1 et le projet de loi de règlement de l'année n - 1. Cependant, en dehors des difficultés constitutionnelles qu'une telle contrainte d'ordre du jour aurait pu, de prime abord, soulever, cette solution apparaît techniquement délicate à mettre en oeuvre : faut-il subordonner les votes ou les examens ? quel sens donner au « vote » ? que faire en cas de rejet du projet de loi de règlement ?

Votre rapporteur a préféré vous proposer une solution présentant le mérite de la simplicité et de la pureté constitutionnelle, en étendant aux projets de loi de règlement les délais de l'article 47 de la Constitution. Cette extension est autorisée par ledit article qui vise les « lois de finances », la loi organique pouvant qualifier les lois couvertes par une telle définition.

Les délais commenceront à courir au moment du dépôt du projet de loi de règlement, au mois de juin, s'interrompront pendant la suspension des travaux du Parlement, et reprendront à l'ouverture de la session ordinaire en octobre suivant. Ces délais, cumulés à ceux applicables aux lois de finances de l'année, constitueront une contrainte forte à l'examen du projet de loi de règlement, au moins en première lecture, avant le début de la discussion budgétaire de l'automne. Ils pourraient même permettre, si un consensus se faisait jour sur ce point, un certain couplage des discussions.

Certes, la sanction d'une mise en oeuvre du projet de loi de règlement par ordonnance en cas de non respect des délais constitutionnels peut apparaître comme étrange pour un tel projet de loi. Cependant, la responsabilité en incomberait au gouvernement dans la mesure où, d'une part, il a la maîtrise de l'ordre du jour et où, d'autre part, il garde la possibilité de laisser le Parlement de délibérer plus longtemps (la mise en oeuvre par ordonnance n'est qu'une faculté offerte par l'article 47 et non une obligation). De plus, l'ordonnance ainsi prise devra en tout état de cause, comme celles de l'article 38 de la Constitution, faire l'objet d'un projet de loi en demandant la ratification au Parlement, préservant ainsi ses capacités à décider.

Il semble donc à la fois cohérent avec l'esprit comme la lettre de la réforme et sans difficultés techniques à la Constitution de prévoir une telle extension.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter le présent article additionnel.

ARTICLE 48

L'exercice du droit d'amendement

Commentaire : le présent article précise les limitations du droit d'amendement.

L'article 48 de la présente proposition de loi organique reprend, en y apportant des modifications fondamentales liées à l'architecture des missions et des programmes, les dispositions relatives au droit d'amendement prévues à l'article 42 de l'actuelle ordonnance organique.

I. LE TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A. L'OBJET DES AMENDEMENTS

Le premier alinéa de l'article 42 de l'actuelle ordonnance organique entend faire respecter à la fois l'article 40 de la Constitution (préservant les finances publiques) et le domaine, défini par le législateur organique, des lois de finances. Ce faisant, il interdit les amendements qui n'auraient pour objet ni de supprimer ou réduire une dépense, ni de créer ou d'augmenter une recette, ni d'assurer le contrôle sur les finances publiques. Le Conseil constitutionnel a, par sa jurisprudence, précisé cette lettre très restrictive de l'ordonnance organique. Il a ainsi permis au Gouvernement de proposer des amendements de nature financière, aggravant une charge publique en diminuant des recettes 118 ( * ) , et a utilisé l'article 1 er de l'ordonnance plutôt que l'article 42 pour qualifier de « cavalier budgétaire » une disposition 119 ( * ) .

L'Assemblée nationale a souhaité, par une nouvelle rédaction du premier alinéa de l'article 42, à la fois respecter la jurisprudence constitutionnelle de 1964 et adapter l'application de l'article 40 de la Constitution aux conditions nouvelles de spécialisation et d'examen des charges de l'Etat prévues dans la proposition de loi organique.

Ainsi, la rédaction proposée reprend explicitement la formulation de la Constitution en prévoyant que les parlementaires ne peuvent présenter un amendement à un projet de loi de finances qui « aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ».

Par ailleurs, et il s'agit ici de la principale innovation de l'article, l'Assemblée nationale a souhaité considérer que la charge, au sens de l'article 40 de la Constitution, doit s'entendre de la mission, donc d'un ensemble de programmes, constituant une unité de vote. Dans son rapport écrit, notre collègue député, M. Didier Migaud explique ainsi que cette disposition doit permettre, à l'intérieur d'une même mission, de redéployer des crédits entre programmes 120 ( * ) ,voire, puisque les parlementaires pourront en proposer la création, au profit d'un nouveau programme. Il justifie cette innovation en expliquant que l'habilitation de l'article 34 de la Constitution permet au législateur organique de déterminer ce qu'est la « charge ». Enfin, il précise les limites de cet élargissement de l'initiative parlementaire en matière de dépenses publiques en indiquant :

- que le dispositif ne s'appliquera qu'aux lois de finances, seules à même de « déterminer » les charges de l'Etat de manière quantitative et précise ;

- qu'il ne concerne que les crédits afin qu'une augmentation des crédits d'un programme soit bien compensée par une diminution des crédits d'un autre.

Le rapporteur de la proposition de loi organique à l'Assemblée nationale s'est aussi attaché à démontrer l'opportunité et la constitutionnalité de l'innovation qu'il propose. Il a ainsi estimé qu'il était cohérent et logique, dans l'esprit de la réforme, de permettre aux parlementaires d'effectuer des redéploiements de crédits, afin de rendre effective leur appréciation des objectifs et résultats de chacun des programmes.

Parallèlement, il estime le mécanisme parfaitement conforme à la Constitution :

- en le considérant comme une mesure d'application compatible avec l'habilitation donnée au législateur organique par l'article 34 de la Constitution de prévoir les conditions de détermination des « charges » ;

- en remarquant que sur d'autres points, le texte actuel de l'ordonnance organique, d'autres lois organiques ou la présente proposition de loi organique assouplit la lettre de la Constitution ;

- en faisant valoir que l'instauration d'une compensation entre crédits d'une même mission ne dénature pas les dispositions de l'article 40 de la Constitution puisque cette compensation, dans la loi de finances, serait effective ; pour les autres textes, la charge publique, ne pouvant être compensée de la même manière, s'appliquerait toujours avec la rigueur actuelle ;

- en rappelant que la définition proposée pour la charge ne contrevient pas aux autres définitions précisées par le Conseil constitutionnel dans la jurisprudence 121 ( * ) ;

- en remarquant que le texte du présent article 48 respecte l'obligation de ne pas aggraver ou créer « une » charge, celle-ci étant définie à un niveau supérieur au seul crédit ;

- en le voyant comme respectant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, sur l'équilibre budgétaire, sur l'application de l'irrecevabilité et sur les critères de réalité et d'immédiateté applicables aux compensations (entre des recettes) existantes.

B. L'EXIGENCE DE MOTIVATION

Le deuxième alinéa de l'article 42 de l'actuelle ordonnance organique oblige les parlementaires et le gouvernement à motiver leurs amendements et à préciser les « moyens qui les justifient ». Cette obligation, reprise, sous réserve d'une modification rédactionnelle, au deuxième alinéa du présent article 48, établit donc une règle organique d'appréciation de la recevabilité des amendements, applicable, par le jeu combiné de cet article, de l'habilitation organique et de l'article 40 de la Constitution, à l'ensemble des amendements quel que soit le texte en discussion. Cette obligation se justifie par le besoin, pour le juge de la recevabilité financière, de disposer d'éléments d'appréciation sur les conséquences financières de l'amendement, par le soin de ne discuter que d'amendements effectifs et non indicatifs, et pour faciliter une application pratique de l'amendement en cas d'adoption (celui-ci ne pouvant, dans son corps même, viser les éléments précis de nomenclature qu'il conviendrait de modifier).

L'Assemblée nationale a repris cette obligation, d'autant plus importante dans la mesure où son dispositif d'appréciation de la charge publique pourrait conduire à une multiplication des amendements de transferts de crédits d'un programme à un autre.

C. LA PROCÉDURE D'EXCLUSION DES AMENDEMENTS IRRECEVABLES

L'effectivité des deux premiers alinéas de l'article 42 de l'actuelle ordonnance organique est assurée par son troisième alinéa qui prévoit la disjonction de droit des amendements y contrevenant. Il s'agit donc de ceux ne respectant pas le domaine des lois de finances, la recevabilité financière et l'exigence de motivation.

L'Assemblée nationale a modifié cet alinéa sur plusieurs points, outre une suppression purement rédactionnelle des « articles additionnels » qui ne se distinguent pas des autres amendements.

La première modification porte sur la référence non plus à la disjonction (terme reprenant des dispositions en vigueur sous les III ème et IV ème Républiques) mais à l'irrecevabilité. Cette précision rédactionnelle, déjà présente dans les dispositions des règlements des Assemblées qui prévoient les procédures de contrôle de recevabilité, est de nature à rendre plus clair le texte de la loi organique.

Le deuxième changement, plus radical, étend les procédures d'irrecevabilité non plus au seul présent article mais à l'ensemble des dispositions de la loi organique. En ce sens, cet alinéa entend protéger le respect des autres dispositions, comme par exemple, celles liées aux affectations, ou bien au contenu respectif de la première et de la seconde partie des lois de finances.

Enfin, le rapporteur de la proposition à l'Assemblée nationale a précisé dans son rapport écrit 122 ( * ) que cette irrecevabilité de droit en cas de contravention à l'ensemble des dispositions de la loi organique vaut pour tous les projets et propositions de loi et les amendements à ceux-ci, d'initiative gouvernementale ou parlementaire. En effet, et il en va de même pour le domaine des lois de financement de la sécurité sociale, le caractère particulier des lois de finances, reconnu par la Constitution et précisé par la loi organique, justifie que ces dernières soient protégées contre des dispositions d'une loi ordinaire qui pourraient y contrevenir.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. APPORTS ET LIMITES EN MATIÈRE DE RECEVABILITÉ FINANCIÈRE

1. La présentation des amendements : une modification inutile

La première phrase du premier alinéa du présent article modifie en profondeur la rédaction de l'article 42 de l'ordonnance organique pour reprendre celle de l'article 40 de la Constitution. Ainsi, elle bouleverse le champ de la recevabilité tirée de cet alinéa en empêchant la présentation des amendements, à n'importe quel texte, contraire à l'article 40 de la Constitution, alors que l'actuel premier alinéa de l'article 42 de l'ordonnance organique empêche celle des amendements à un projet de loi de finances qui soit ne diminuerait pas les charges, soit n'augmenterait pas les recettes, soit n'assurerait pas le contrôle sur les finances publiques. Il y a donc à la fois extension des textes auxquels s'applique cette phrase (tous les projets de loi) et réduction de son champ pour les lois de finances (fin de la protection contre les « cavaliers budgétaires »).

Votre rapporteur estime que cette nouvelle rédaction n'apporte rien par rapport aux dispositions de l'article 40 de la Constitution. Celles-ci étant d'application directe, leur reprise dans le texte organique ne se justifie pas et il vous proposera donc la suppression de cette phrase.

Par ailleurs, cette nouvelle rédaction aurait pu être perçue comme de nature à fragiliser le mécanisme de la recevabilité financière appliqué au Sénat. En réalité, votre rapporteur doute que de telles craintes eussent été fondées. Les conditions actuelles d'appréciation de la recevabilité financière des amendements auraient pu continuer à s'appliquer avec cette nouvelle rédaction. En effet, l'interdiction de présentation imposée par la Constitution et le présent article 48 n'est effective qu'à l'instant où l'irrecevabilité est constatée. En revanche, chaque assemblée, dans son règlement, fixe la procédure qui lui semble la plus appropriée pour apprécier la recevabilité.

Le Sénat aurait donc pu, avec la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, continuer à autoriser la présentation de tous les amendements 123 ( * ) jusqu'à l'invocation de l'irrecevabilité et le prononcé du jugement de la commission des finances par le commissaire présent en séance. Ce mécanisme différent de celui appliqué par l'Assemblée nationale, semble à votre rapporteur un juste équilibre entre la préservation du droit d'amendement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les dispositions organiques, la lettre de l'article 40 de la Constitution, et l'esprit démocratique de nos institutions.

La procédure du Sénat ayant été reconnue, par le Conseil constitutionnel, comme conforme à la Constitution, et notamment à son article 40, et le règlement du Sénat, aux 1, 2 et 3 de son article 45, ne se référant pas à l'article 42 de l'ordonnance organique, elle pourra être maintenue en l'état, même en cas de suppression de la première phrase du présent article.

2. La définition de la charge : une initiative à relativiser

Votre rapporteur partage depuis longtemps le souci de ne pas proposer, en préalable à une réforme de l'ordonnance organique, de révision de la Constitution, en particulier de son article 40.

Le mécanisme proposé par l'Assemblée nationale lui paraît ainsi respecter ces deux souhaits. C'est pourquoi votre rapporteur ne vous proposera qu'une modification rédactionnelle destinée à tirer les conséquences, sur le premier alinéa du présent article, de sa proposition de création des dotations. Celles-ci correspondant à des natures spécifiques de dépenses, et les crédits qu'elles comparent pouvant être évaluatifs, il convient d'interdire tout transfert entre des dotations et des charges. De plus, le nombre des dotations étant, sauf pour les pouvoirs publics, déterminé dans la loi organique, il ne saurait être question d'en créer de nouvelles.

Cependant, votre rapporteur entend attirer l'attention, notamment en vue de l'application future de cet alinéa, sur les contenus exacts que ce dispositif revêt à ses yeux, qu'il s'agisse de l'appréciation de la charge, de la compensation et de la création de nouveaux programmes.

La jurisprudence constitutionnelle et l'histoire de l'application de l'article 40 de la Constitution montrent bien qu'il n'a jamais été question d'apprécier la « charge publique » dès le premier franc. Une telle interprétation, outre qu'elle aurait quasiment interdit le moindre amendement sur quelque texte législatif que ce soit, n'est donc pas plus d'actualité aujourd'hui qu'hier. Faut-il pour autant ne conserver de notion quantitative, comme le propose l'Assemblée nationale, que pour les seuls crédits budgétaires 124 ( * ) , pour passer à une appréciation globale portant sur des enveloppes de masses différentes ? Si les futures missions présentent des volumes de crédits très différents, et si les dépenses auxquelles se rapportent ces crédits présentent des natures trop différentes, la rigueur de l'article 40 risque en effet de s'appliquer de façon très variable.

Il serait possible de voir cette phrase assimilant la mission à une charge dans sa double dimension : la mission est une charge et donc les missions doivent chacune représenter une charge équivalente. Par ailleurs, à l'intérieur de la charge/mission, les crédits dont le transfert est proposé doivent être eux aussi équivalents à la fois en montant comme en nature des dépenses auxquelles ils se rapportent.

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la compensation ne pourra se faire que si elle est réelle et immédiate. Mais, de toute évidence, certaines compensations n'auront de réelle que l'apparence, quoique portant sur des crédits budgétaires : un transfert de moyens de fonctionnement entre deux directions d'administration centrale appartenant chacune à des programmes différents d'une même mission revêt une dimension réelle ; en revanche, minorer les crédits d'un minimum social (comme le RMI) figurant dans un programme pour majorer ceux des moyens de fonctionnement d'une direction figurant dans un autre programme (comme la direction de la sécurité sociale) ne revêtira guère de réalité dans la mesure où les compensations porteront sur des natures et des proportions de dépenses radicalement différentes et sur des crédits mis en oeuvre avec une immédiatité elle aussi différente. On voit bien, donc, que l'interprétation de l'article 40 ne sera pas radicalement plus souple qu'aujourd'hui et qu'il reviendra au juge de la recevabilité comme au juge constitutionnel d'adopter une jurisprudence très stricte afin de rendre compatible le dispositif avec l'esprit comme la lettre de l'article 40 de la Constitution.

Enfin, la possibilité donnée au législateur par le biais du jeu combiné des articles 7 et 48, de créer dans une mission un nouveau programme et d'y affecter des crédits, en minorant ceux d'autres programmes de la mission, semble devoir être très strictement encadrée et s'interpréter à la lumière de l'ensemble de la réforme proposée. Le regroupement des crédits, sous des missions et des programmes, correspond d'abord à une volonté du législateur organique de passer d'un budget de moyens à un budget orienté vers les résultats. En ce sens, l'intégrité des deux notions fondatrices - mission et programme - et de ce qui les accompagne - cohérence, objectifs, indicateurs, performances, résultats, compte-rendus - apparaît comme l'essence même de la réforme. A partir de là, la possibilité donnée à un parlementaire de créer un programme ou de le modifier en en minorant/majorant les crédits, doit se concilier avec l'objectif de préserver l'intégrité de ces notions. Les amendements tendant à des créations et modifications devront donc respecter les mêmes contraintes que celles s'imposant au gouvernement dans la proposition des programmes soumis à l'examen du Parlement : définition des objectifs, cohérence des moyens accordés et de ces objectifs, engagement sur des résultats, proposition d'indicateurs précis permettant de les apprécier,... De même que le gouvernement ne devra pas proposer de « faux programmes », les parlementaires ne devront pas pouvoir, par leurs amendements, dénaturer les programmes ou, tout du moins, en créer qui ne correspondraient pas à la notion même de programme.

Une initiative parlementaire de création d'un nouveau programme ne pourra, ainsi, en pratique, se faire qu'avec l'accord du gouvernement, ce qui est conforme à l'esprit et à la lettre des institutions de la Vème République auxquelles votre rapporteur est très attaché. Les adaptations informatiques et comptables rendues nécessaires par une telle création ne pouvant être réalisées en quelques jours, la création d'un programme devra être envisagée dès l'été. Ceci rend d'autant plus indispensable l'information, au moment du débat d'orientation budgétaire, sur la nomenclature envisagée par le gouvernement.

Bien sûr, des initiatives de moindre portée pratique mais destinées à esquisser une proposition de « contre-politique » seront, elles, favorisées dans le nouveau système. Mais il convient bien d'avoir présent à l'esprit que de telles propositions resteront d'application pratique immédiate limitée.

Ainsi, l'initiative adoptée par l'Assemblée nationale en matière d'appréciation de la charge budgétaire doit-elle être relativisée à la lumière de l'ensemble de la proposition de loi organique. La dernière phrase du premier alinéa du présent article 48 inaugure ainsi un contrôle à la fois de la taille des missions et de l'intégrité des programmes, qui permettra tout à la fois d'assurer l'effectivité de la révolution proposée en matière de finances publiques, et de relativiser l'innovation en matière d'article 40. Pour cela, l'enjeu de motivation revêtira une importance supérieure à celle qu'elle possède déjà.

B. L'EXIGENCE DE MOTIVATION CONFORTÉE

Le maintien, dans le texte du deuxième alinéa de l'article 48 de la proposition de loi organique, de l'exigence de motivation de l'article 42 apparaît à votre rapporteur de nature à assurer l'effectivité de la réforme en donnant une base organique à la nécessité d'associer aux amendements, notamment de crédits et de nomenclature, des développements sur leurs conséquences en matière d'objectifs, de résultats, d'indicateurs et de compte-rendus. Le juge de la recevabilité doit bien pouvoir s'appuyer sur ces informations pour admettre ou non un amendement modifiant des crédits au sein d'une mission en créant un nouveau programme. Elles seront aussi nécessaires aux autres parlementaires afin de les éclairer sur la portée réelle de l'amendement. De même, le gouvernement aura besoin de ces informations pour modifier les programmes, dans le sens souhaité par le Parlement, dans toutes ses composantes.

La possibilité de prévoir une telle exigence a été acceptée par le Conseil constitutionnel s'agissant de la disposition équivalente applicable aux projets de loi de financement de la sécurité sociale 125 ( * ) . En effet, le deuxième alinéa du III de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale a été reconnu conforme à la Constitution, et notamment au droit d'amendement, le législateur organique étant habilité par l'article 34 de la Constitution « à déterminer les conditions et réserves particulières concernant la procédure de vote des lois de financement de la sécurité sociale ».

L'exigence de motivation peut prendre deux formes. Pour les parlementaires et le gouvernement, elle figure à la suite du texte même de l'amendement, sur le document mis en distribution. En revanche, pour les rapporteurs agissant au nom de leur commission, cette motivation peut figurer dans le texte même de leur rapport.

Sous réserve de cette interprétation de forme, et conscient de l'importance de la motivation pour l'exercice effectif du droit d'amendement, particulièrement dans le cadre de l'examen des projets de lois de finances, votre rapporteur vous proposera de reprendre sans modification la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale pour le deuxième alinéa du présent article.

C. LES NUANCES A APPORTER A L'EXTENSION DE L'IRRECEVABILITÉ

En revanche, votre rapporteur souhaite nuancer l'application de l'extension des procédures d'irrecevabilité à l'ensemble du texte de l'ordonnance organique.

S'agissant des amendements définitivement adoptés, le caractère organique et l'intégration de la loi organique dans le bloc de constitutionnalité semblent de nature à assurer, sans mention supplémentaire, le respect des dispositions de la présente proposition de loi organique. Votre rapporteur estime donc que le dernier alinéa de l'article 48 n'apporte rien quant au fond : même sans cet alinéa, un article de loi ordinaire qui empiéterait sur le domaine des lois de finances, ou une disposition d'une loi de finances contraire à la loi organique, seraient censurés pour ce motif par le Conseil constitutionnel.

La portée du troisième alinéa ne concerne donc pas simplement les amendements adoptés définitivement mais plutôt les autres amendements, pour en interdire la présentation après invocation et constatation de leur irrecevabilité, selon les procédures réglementaires propres à chaque assemblée. Il s'agit ainsi de protéger la loi de finances à la fois lors des discussions budgétaires et lors des autres débats contre les initiatives du gouvernement et des membres du Parlement qui tendraient soit à sortir de son domaine, soit à empiéter dessus. Le présent alinéa a donc une grande portée pour le Parlement et concerne l'organisation des travaux parlementaires.

Le Conseil constitutionnel a reconnu conforme à la Constitution les disposition de règlements des Assemblées étendant le régime de la recevabilité financière tirée de l'article 42 à la recevabilité de droit vis-à-vis de l'ensemble des dispositions de l'ordonnance organique. Ainsi, l'irrecevabilité tirée du non respect du premier alinéa de l'article 42 de l'ordonnance organique est appréciée, au Sénat, sur le fondement du 4 de l'article 45 du règlement du Sénat, alors que celle tirée du non respect de l'article 40 de la Constitution l'est en vertu du 1 du même article. Ce contrôle de recevabilité concerne l'ensemble des dispositions du texte organique, sans que ce dernier n'ait eu besoin de le prévoir puisque le troisième alinéa de l'actuel article 42 de l'ordonnance organique ne couvre que le cas de la recevabilité au regard de cet article. On ne voit pas, dans ces conditions, pourquoi le règlement de chaque assemblée ne pourrait pas tenir le même raisonnement pour protéger les dispositions organiques que celui conduit en 1959 et accepté par le Conseil constitutionnel. De même, ce dernier a déclaré conforme à la Constitution le dernier alinéa du III de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale qui prévoit une irrecevabilité de droit des amendements contraires aux dispositions du présent article, en raison, là aussi, de l'habilitation du législateur organique à « déterminer les conditions et réserves particulières concernant la procédure de vote des lois de financement de la sécurité sociale » 126 ( * ) .

Le présent troisième alinéa pourrait se justifier par la nécessité, pour le législateur organique, d'épuiser sa compétence et donc de prévoir les procédures, autres que celle de l'examen par le Conseil constitutionnel, permettant - par une forme d'auto-discipline à vertu pédagogique - de protéger les lois de finances.

Votre rapporteur ne partage pas ce point de vue et note d'une part que le Conseil constitutionnel n'a pas justifié la validation de la disposition du III de l'article L.O. 111-3 par ce motif, et donc au titre d'une compétence obligatoire du législateur organique qui aurait été exercée, mais a considéré qu'elle était permise par la Constitution. Ce raisonnement se comprend d'ailleurs aisément, la Constitution ne prévoyant qu'une irrecevabilité de droit - celle de l'article 40. Les autres irrecevabilités sont permises si elles entrent dans une possibilité ouverte par la Constitution. C'est le cas pour les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. De plus, si chaque assemblée souhaite reproduire le mécanisme actuel d'irrecevabilité appliquée à l'ensemble du texte organique, il n'y a aucune raison de penser que ce qui a été possible jusqu'à aujourd'hui ne le serait plus demain.

Votre rapporteur se montre donc plutôt réservé sur l'opportunité d'inscrire dans le texte organique une disposition aussi contraignante. Il estime qu'elle pourrait être de nature à amputer à l'excès le droit d'amendement des parlementaires. Le règlement de chaque assemblée lui paraît constituer un véhicule plus souple et plus conforme à l'idée qu'il se fait du contrôle de la recevabilité. En effet, il ne faut pas oublier que ce dernier revient à faire jouer à un parlementaire désigné par ses pairs - actuellement le président de l'Assemblée nationale et le président de la commission des finances du Sénat - le rôle de « juge constitutionnel de la recevabilité ». Il ne s'agit même pas d'un rôle de première instance qui serait sous le contrôle du Conseil constitutionnel puisqu'une décision d'irrecevabilité est sans appel possible. Un amendement déclaré irrecevable ne pouvant pas être présenté ni discuté, le Conseil constitutionnel ne peut valider ou infirmer la décision prise par le juge de la recevabilité contre un de ses pairs. Cette mission revêt donc une dimension telle que votre rapporteur estime qu'il revient à chaque assemblée de la confier explicitement par une disposition de son règlement.

Il est cependant aisé de comprendre pourquoi (encombrement de la discussion, responsabilité du discours parlementaire) une telle procédure existe et doit perdurer en matière d'article 40, et pour certaines autres dispositions de la présente proposition de loi organique (cavaliers budgétaires, affectations de recettes notamment). En revanche, il est plus délicat de l'étendre à l'ensemble des autres dispositions. La comparaison avec la loi de financement de la sécurité sociale n'est d'ailleurs en ce domaine pas pertinente, cette dernière ayant un domaine propre beaucoup plus restreint que celui des lois de finances.

Votre rapporteur estime qu'un partage équilibré est possible entre le texte organique et le règlement des Assemblées, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a laissé s'instaurer, et ce en s'attachant à n'altérer en rien le droit d'amendement ouvert par la Constitution au parlementaire et strictement protégé depuis 1958. Votre rapporteur vous proposera en conséquence de modifier cet alinéa pour réserver l'irrecevabilité de droit des amendements au « coeur » de la loi organique que constituent la motivation des amendements du présent article 48, la définition des missions et des programmes et donc les amendements s'y rapportant (article 7), l'affectation des recettes de l'Etat au sein (article 19) et en dehors (article 33) de la loi de finances et la séparation entre la première et la deuxième partie des lois de finances (article 31). Le règlement de chaque assemblée pourra étendre par la suite ces irrecevabilités sans que le texte organique ne le prévoie explicitement, ainsi qu'il fût fait en 1959.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 116 Voir les commentaires de l'article 41 et de l'article 47.

* 117 Dans l'histoire des discussions budgétaires, l'examen du projet de loi de règlement a pu être un moment au moins aussi suivi que celui du projet de loi de finances de l'année.

* 118 Décision n° 80-126 DC du 30 décembre 1980.

* 119 Décision n° 64-27 DC du 18 décembre 1964.

* 120 Rapport au nom de la commission spéciale, AN , n° 2908 (XIème législature) page 260

* 121 La charge publique vaut pour l'Etat, les collectivités locales et les régimes obligatoires de sécurité sociale (décision n° 60-11 DC du 20 janvier 1961) et ne concerne pas les tâches de gestion (n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).

* 122 op.cit., page 24.

* 123 Sauf l'irrecevabilité tirée du 1. de l'article 46 du règlement du Sénat.

* 124 La charge gardant son sens quantitatif actuel pour les autres textes et amendements.

* 125 Décision n° 96-379 DC du 16 juillet 1996.

* 126 Décision n° 96-379 DC du 16 juillet 1996.

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