LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

• M. Jean-Marc Icard, Secrétaire national à l'emploi (CGE-CGC)

• M. Michel Coquillion, Secrétaire général adjoint, chargé des négociations (CFTC)

• MM. Jack Tord et Roland Metz, Conseillers confédéraux de la Confédération générale du travail (CGT)

• MM. Ernest-Antoine Seillière, Président, Jean-Pierre Philibert, Conseiller politique et Directeur des relations avec les pouvoirs publics, Bernard Boisson, Conseiller social et Dominique Tellier, Directeur des relations sociales, du mouvement des entreprises de France (MEDEF)

• MM. Marc Blondel, Secrétaire général et Jean-Claude Quentin, Secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail-Force Ouvrière (CGT-FO)

• M. Jean-François Veysset, Président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises

• M. Jean-Emmanuel Ray, Professeur à l'université Paris I

• M. Jean-François Amadieu, Professeur à l'université Paris I

• Mme Annie Thomas, Secrétaire nationale de la CFDT.

I. AUDITIONS DU MERCREDI 27 JUIN 2001

A. AUDITION DE JEAN-MARC ICARD, SECRÉTAIRE NATIONAL À L'EMPLOI (CFE-CGC), ACCOMPAGNÉ DE M. LECANNU ET DE MME MATTHYS

M. Jean DELANEAU, président - Notre mission a pour objet d'entendre un certain nombre de partenaires sociaux, dans le cadre de la loi dite de modernisation sociale, et notamment sur les dispositions relatives aux licenciements économiques.

Je rappelle que, dès mai 2000, six articles relatifs à la prévention des licenciements, au droit à l'information du personnel, aux plans sociaux et au reclassement existaient. A l'issue d'une première lecture dans chaque assemblée, le texte s'est enrichi de quatre nouveaux articles. Il tenait compte de l'actualité très aiguë, où les menaces de licenciements économiques ont été importantes. En deuxième lecture, l'Assemblé nationale a porté le nombre d'articles à 24.

Notre commission a estimé indispensable d'auditionner les partenaires sociaux. Ceci fera l'objet d'un rapport supplémentaire qui sera présenté à la commission par M. Alain Gournac.

Suite à la lettre rectificative de l'ordre du jour, je rappelle que le dispositif sera examiné en séance publique le 9 octobre. Cela ne retardera en aucun cas le déroulement de la navette, dans la mesure où l'Assemblée nationale ne pourra se saisir de ce texte en deuxième lecture que vers le 20 novembre.

En juin 1997, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé un réexamen de la législation en matière de licenciements économiques, afin que celle-ci ne puisse conjuguer précarité pour les salariés et incertitude pour les entreprises. Les auditions organisées vous montreront si ces objectifs ont été atteints.

Je suis heureux d'accueillir M. Icard et M. Lecannu, de la Confédération générale des cadres. Ils sont accompagnés de Mme Matthys, qui est leur juriste.

Je vais vous demander de nous donner votre point de vue sur ces textes, qui sont désormais dans le projet de loi dont le Sénat aura à débattre. Je demanderai ensuite au rapporteur de vous poser les questions auxquelles il souhaite trouver une réponse.

Le problème de la concertation entre l'Assemblée nationale et les partenaires sociaux, pendant la période de gestation prolongée de ces textes à l'Assemblée nationale, semble ne pas avoir été effectué dans des conditions parfaites. J'aimerais également avoir votre avis sur ce point.

M. Jean-Marc ICARD - Monsieur le président, je vous remercie. Compte tenu de l'heure, je me limiterai à l'examen des amendements qui ont été votés par l'Assemblée nationale.

Nous regrettons que cette loi arrive dans l'urgence, après l'annonce de plusieurs plans sociaux. En effet, nous demandons depuis plusieurs années une modernisation de la loi sur les licenciements économiques. Mme Martine Aubry l'avait annoncé lorsqu'elle était ministre du travail et, depuis, nous ne cessons de réclamer cette modernisation. Elle arrive aujourd'hui dans l'urgence, et nous le regrettons : en effet, elle ne touche qu'à quelques points, et non à la structure complète de la loi.

Ceci étant dit, nous avons une position contrastée quant au contenu des amendements qui ont été votés. Nous sommes satisfaits sur plusieurs points, et gênés par d'autres.

Je commencerai par le titre 4 relatif aux prérogatives du comité d'entreprise et aux propositions alternatives. Il est vrai que le pouvoir du comité d'entreprise est renforcé. Mais il me semble que nous avons raté une étape.

Si nous lisons attentivement le texte, nous voyons que le chef d'entreprise provoque une réunion du comité d'entreprise, qui fait alors des propositions alternatives. Comment un comité d'entreprise peut-il faire des propositions alternatives dans le cadre de la première réunion ? En effet, la rédaction laisse entendre que le comité d'entreprise doit faire des propositions alternatives dès la première réunion de comité d'entreprise, où la direction annonce un plan de restructuration. Nous estimons que ce texte est, sur ce point incompréhensible à moins que la loi prévoit un renforcement de la présence des salariés dans les organes directeurs de l'entreprise afin qu'ils aient les informations bien en amont de la réunion du comité d'entreprise.

La deuxième réunion a lieu dans un délai de quinze jours, week-end compris. Si un expert est nommé, celui-ci doit donner ses conclusions huit jours avant la date de la seconde réunion. A notre avis, ces délais sont trop courts. Nous demandons donc que le nombre de jours calendaires soit plus important, ou que nous raisonnions en jours ouvrés.

Ces deux points mis à part, nous estimons que la proposition est intéressante.

Je voudrais maintenant aborder la question de la définition du licenciement économique. Les trois dénominations du licenciement économique nous semblent très restrictives par rapport à la définition antérieure. Dans l'ancien article, le terme de « notamment » laissait cette définition ouverte, et nous regrettons que la nouvelle définition ait été adoptée.

Le recours au médiateur peut constituer une excellente initiative, mais peut également avoir des effets déplorables. Cela peut être une bonne chose si le médiateur réussit à concilier les deux parties, qui parviennent à une forme d'accord collectif. Mais sa présence est également la preuve de l'échec des discussions et, logiquement, celle des partenaires sociaux. Nous l'acceptons néanmoins, dans la mesure où cette étape permettra peut-être de mieux concilier les intérêts des uns et des autres. Nous estimons cependant que cette procédure n'est pas satisfaisante.

Si les effectifs de l'inspection du travail ne sont pas renforcés, je me demande comment les inspecteurs vont pouvoir remplir toutes les missions que la loi prévoit. Notamment, lorsque les institutions représentatives sont absentes de l'entreprise, l'inspecteur du travail doit tout faire : il doit contrôler l'emploi, contribuer à la mise en place des organisations de l'entreprise, répondre aux propositions de l'employeur dans le cadre d'un licenciement économique... Quoi qu'il en soit, ils ne pourront pas tout faire.

Nous avions fait une proposition, visant à créer un conseiller syndical. Cette personne, intervenant pour le compte des salariés dans les entreprises où les institutions représentatives du personnel sont absentes, était chargée de contrôler le motif et la procédure pour le compte du salarié et de négocier le plan social pour ces derniers. Cela aurait permis de résoudre les problèmes de l'inspection du travail et de redonner une certaine force aux partenaires sociaux.

A propos du congé de reclassement, je remarque que, si un cadre bénéficie d'un préavis de trois mois, la rémunération est suspendue. Pendant les six mois suivants, celui-ci touchera 65 % de son précédent salaire. Utilisera-t-il ces neuf mois pour bénéficier d'une formation ? Je n'en suis pas certain.

Nous devrons examiner également comment ce congé est articulé avec le PARE. Si le cadre retrouve un emploi à l'issue du congé de reclassement, aucun problème ne se posera. Par contre, s'il ne retrouve pas un emploi, il sera inscrit à l'ANPE, entrera dans le cursus du PARE, et fera exactement ce qu'il a fait lors du congé de conversion. N'y a-t-il pas, à ce niveau, un risque de double emploi ?

Nous avions demandé qu'une obligation de reclassement pèse sur l'entreprise si celle-ci est bénéficiaire lorsqu'elle procède à des licenciements. Nous avions également demandé qu'il n'y ait pas de rupture du contrat de travail tant que le dernier salarié n'était pas reclassé. Je parle bien des entreprises bénéficiaires, qui restructurent pour permettre aux actionnaires de recevoir des dividendes plus importants.

Par ailleurs, nous sommes favorables au dispositif prévu en matière de sous-traitance. Lorsqu'une entreprise donneuse d'ordre restructure, nous sommes d'accord pour que les entreprises sous-traitantes participent au comité d'entreprise. D'autre part, concernant le problème de l'annulation des procédures, l'indemnisation d'un an de salaire ne nous pose aucun problème, bien au contraire.

La requalification des licenciements économiques, lorsqu'ils sont échelonnés, mérite d'être abordée également. La modification de l'article 33 permet de requalifier les licenciements économiques dès lors que les licenciements concernent plus de 18 personnes dans l'année civile. Nous avions proposé qu'il y ait une obligation de plan social dès la mise en oeuvre d'un licenciement collectif. Pour nous, la notion de licenciement collectif devait s'appliquer à partir de deux personnes.

Enfin, nous avions fait des propositions concrètes sur le suivi du plan de sauvegarde. Dans ce cas précis, nous estimons que la loi n'est pas suffisamment concrète et qu'elle manque de précision.

M. Jean DELANEAU, président - Monsieur le secrétaire, je vous remercie. Je passe immédiatement la parole à M. Alain Gournac.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Je vous remercie tout d'abord d'être venu, dans la mesure où nous vous avons contacté tardivement.

Je souhaiterais vous poser plusieurs questions. Tout d'abord, votre organisation syndicale a-t-elle été consultée sur le contenu des dispositions relatives au droit du licenciement ajoutées en deuxième lecture de ce projet de loi ?

Quel est, selon vous, l'apport de ces dispositions au regard du droit en vigueur ?

De nombreuses voix autorisées ont considéré que les dispositions adoptées pouvaient constituer une menace pour l'emploi et dissuader les embauches. Partagez-vous cette inquiétude ?

De nombreux pays européens privilégient le recours à la négociation collective sur le recours à la loi, celle-ci n'intervenant qu'en cas d'absence d'accord des partenaires sociaux. Pensez-vous que nous serions parvenus au texte proposé en-dehors de la loi ?

M. Jean-Marc ICARD - Nous avons été auditionnés par les représentants de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat, quelques jours avant le passage en deuxième lecture du texte. Mais je n'ai pas été consulté par les représentants du ministère du travail. En tout cas, je ne m'en souviens pas.

En tant que représentants d'une organisation syndicale, nous estimons que ces textes vont donner des pouvoirs supplémentaires au comité d'entreprise, tout particulièrement dans le cadre du titre 4. D'autre part, toujours dans le cadre de ce titre 4, la loi permettra de déterminer si la procédure de licenciement est nulle, dans le cas d'un non-respect de celle-ci.

En outre, l'obligation d'information du comité d'entreprise avant toute annonce publique représente une avancée importante. Nous pensons donc que le comité d'entreprise bénéficie maintenant d'un rôle accru.

Concernant la menace pour l'emploi, nous avons tout entendu. Plusieurs intervenants ont estimé que certaines entreprises se dépêcheraient de procéder à des licenciements. Personnellement, je crois que nous aurions de toute façon connu ces plans sociaux.

En 1986, lorsque les entreprises ont demandé la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, celles-ci s'étaient engagées à créer 400.000 emplois supplémentaires. Nous attendons toujours ces emplois.

Je ne m'inquiète pas trop pour le problème de l'emploi. Par contre, la diminution de la croissance me semble nettement plus inquiétante. C'est bien la croissance qui créera les embauches, et non des procédures plus strictes visant à réduire le nombre de licenciements.

Serait-on arrivé au même résultat sans loi ? Je n'en suis pas du tout certain. Regardons les actuelles négociations consacrées à la refondation sociale. La loi doit-elle précéder, ou non, l'accord ? Contrairement à d'autres syndicats, nous ne sommes pas favorables à la loi à tout prix. Nous sommes d'accord pour que des accords interprofessionnels soient signés, pouvant être déclinés ensuite au niveau des branches et, éventuellement, des entreprises. Mais nous ne serons pas d'accord pour qu'il existe un accord dans l'entreprise sans encadrement au niveau de l'interprofessionnelle ou de la branche.

Nous développons la même problématique pour la loi. Si les partenaires sociaux ne sont pas capables de s'entendre, le législateur doit intervenir. En outre, la loi peut fixer un cadre, qui laisse une réelle latitude aux partenaires sociaux pour aménager celui-ci. En fonction de l'objet, il est nécessaire d'examiner la bonne démarche. A ce moment, les partenaires sociaux doivent jouer pleinement leur rôle.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Je souhaite faire une rectification : vous avez été reçus pour le PARE, et non pour ce projet de loi.

M. Jean-Marc ICARD - Vous avez parfaitement raison. Je vous présente mes excuses.

M. Jean CHERIOUX - J'aimerais que vous confirmiez que vous n'avez pas été auditionnés. D'autre part, ne pensez-vous pas que la solution réside dans l'existence d'une loi à laquelle nous pourrions recourir en cas de désaccord ? Nous pourrions ainsi « pousser » les différents acteurs vers la négociation. Nous pourrions avoir recours à la loi en l'absence d'accords de branches.

M. Jean-Marc ICARD - Nous avons l'expérience de l'accord interprofessionnel du 30 octobre 1995, qui prévoyait des accords de branches visant à mettre en place la RTT, le mandatement dans les entreprises et la reconnaissance mutuelle des acteurs sociaux par la reconnaissance des activités syndicales. Une loi a été votée, afin d'inciter les acteurs à négocier. Au bout du compte, seulement 27 accords de branches ont été signés.

Le débat ne doit pas résider dans l'existence ou non d'une loi. Il faut avant tout la volonté des partenaires sociaux pour négocier un accord.

M. Jean DELANEAU, président - Nous avons connu une époque où la loi venait entériner un certain nombre d'accords, ce qui représente, pour nous, la démarche normale.

M. Jean-Marc ICARD - La présence de salariés dans les organes directeurs a représenté une demande forte de notre part. En effet, les décisions se prennent dans ces instances. Les représentants du personnel bénéficieraient ainsi d'une information donnée en amont, leur laissant le temps de préparer des propositions alternatives.

M. Guy FISCHER - Monsieur le Secrétaire national, c'est avec satisfaction que j'enregistre votre position contrastée. Vous avez parfaitement montré les motifs de satisfaction et les points gênants.

Cette loi se voulait le prolongement de l'affaire Michelin. Aujourd'hui, à la lumière des plans sociaux annoncés cette semaine, il est évident que le problème des licenciements boursiers revêt une actualité exceptionnelle. Il mérite donc d'être débattu. En ce sens, nous pensons que la loi est nécessaire pour moraliser le fonctionnement de l'économie et protéger les salariés sinistrés par les multiples plans sociaux.

Nous pourrions débattre du sens que nous devons donner à la notion d'intérêt général, tant pour les entreprises que pour les salariés. A travers ce débat, nous avons conscience que nous ne sommes pas allés jusqu'au bout de notre réflexion. Les améliorations qui ont été apportées demeurent en effet insuffisantes.

D'après vous, quelles seraient les pistes à suivre, sachant que l'encadrement est très touché lors des licenciements boursiers ? Aujourd'hui, la brutalité des plans sociaux à caractère boursier pose en effet une problématique nouvelle à l'encadrement.

M.. Jean-Marc ICARD - Notre organisation est même allée plus loin que votre groupe au niveau des propositions effectuées en matière de réforme de la notion de licenciement.

Les licenciements à caractère boursier, pour les cadres comme pour les non-cadres, nous posent de nombreux problèmes. Avant tout, je crois que l'obligation de résultat doit peser sur l'entreprise : il ne peut y avoir de licenciements ou de rupture du contrat de travail tant que tous les salariés concernés n'ont pas été réinsérés. Il est bon que des formations de reclassement soient prévues ; encore faut-il que l'entreprise soit soumise à une obligation de résultat. Dans le cas contraire, il est évident que ces salariés rejoindront la masse des demandeurs d'emploi.

M. Guy FISCHER - Si je comprends bien vos propos, vous demandez une obligation de reclassement jusqu'au dernier salarié ?

M. Jean-Marc ICARD - Effectivement, il faut faire peser une obligation de résultat sur les entreprises. Nous proposions par ailleurs que la rupture du contrat de travail soit interdite tant que le reclassement n'est pas effectif. Evidemment, nous devrons créer des garde-fous, afin d'éviter certaines déviances. Mais cette obligation de résultat doit exister.

M. Jean DELANEAU, président - Monsieur Icard, je vous remercie. Nous attendons vos propositions. Nous avons en outre convenu de nous revoir pour aborder d'autres questions.

M. Jean-Marc ICARD - Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir reçu.

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