B. AUDITION DE MICHEL COQUILLION , SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT, CHARGÉ DES NÉGOCIATIONS (CFTC), ACCOMPAGNÉ DE M. CHARBONNIER

M. Jean DELANEAU, président - Si vous le voulez bien, nous allons reprendre les auditions consacrées aux dispositions relatives aux licenciements économiques du projet de loi de modernisation sociale. Je remercie M. Michel Coquillion, secrétaire général adjoint de la CFTC, chargé des négociations, d'avoir répondu à notre invitation. Il est accompagné de M. Charbonnier, responsable du service juridique « emploi et formation ».

Notre commission a souhaité entendre les partenaires sociaux sur, notamment, la partie du projet de loi relative aux licenciements économiques. Dans un premier temps, vous nous donnerez votre appréciation sur le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale. Vous nous ferez part des éventuelles modifications que vous souhaiteriez voir apportées à ce texte. D'autre part, vous nous direz si la concertation, à l'occasion de l'élaboration de ces textes, a été satisfaisante. Monsieur le secrétaire, je vous donne la parole. M. Alain Gournac vous posera ensuite plusieurs questions.

M. Michel COQUILLION - Monsieur le Président, je vous remercie. Si vous me le permettez, je vous donnerai tout d'abord la position générale et l'appréciation de la CFTC sur le projet de loi de modernisation sociale. Je donnerai ensuite la parole à M. Charbonnier, qui examinera ce texte dans les détails.

Nous sommes conscients d'être en face d'un réel problème par rapport au rôle des élus et à la gestion économique de l'entreprise. En effet, nous devons nous demander ou, quoi et comment les salariés peuvent intervenir.

En ce sens, nous sommes face à trois approches possibles : la cogestion, le rapport de force ou la recherche d'une voie médiane. Ce projet de loi est au coeur du débat, avec toutes les difficultés que de telles hypothèses génèrent.

Nous aurions pu donner aux élus la possibilité de bloquer un plan social. Sans l'existence d'une approche cogestionnaire, nous aurions couru à la catastrophe. C'est bien pour cela que la loi n'a pas adopté cette approche.

En tant que délégué syndical, j'ai dû négocier des plans sociaux. Il aurait été difficile, vis-à-vis des salariés, de reconnaître que nous n'avions pas utilisé tous les moyens possibles pour empêcher leur licenciement. Les élus et les délégués auraient été placés dans une situation difficile par rapport à leurs collègues. Ils auraient été contraints d'utiliser un droit pouvant conduire à une paralysie totale de la gestion de l'entreprise.

Le raisonnement est souvent fait en termes d'encadrement des pratiques, au détriment d'une réflexion sur la prévention et le travail effectués en amont. Nous estimons particulièrement important, dans le cadre des licenciements économiques, qu'une action en amont soit effectuée.

Evidemment, nous ne pourrons pas empêcher des accidents, prenant la forme de cessations totales d'activité pour certaines entreprises. Nous rencontrerons à ce moment de réelles difficultés relatives au devenir des salariés : sont-ils à même de retrouver un emploi grâce aux formations et aux qualifications dont ils disposent ? En ce sens, nous estimons qu'il est essentiel de travailler sur toutes les questions relatives à la formation. Si un accident se produit, les salariés doivent avoir la formation nécessaire qui leur donne toutes les opportunités de retrouver un emploi.

Nous proposons donc d'accroître le rôle des commissions de formation et de généraliser l'existence de celles-ci à un nombre plus important d'entreprises. Surtout, nous souhaitons qu'elles soient obligatoires dans toutes les entreprises où il existe des institutions représentatives du personnel, ce qui n'est pas le cas actuellement. Par ailleurs, nous souhaitons que le plan de formation bénéficie d'un poids plus important.

Actuellement, nous négocions avec le MEDEF sur la question de la formation. Nous ne demandons pas immédiatement une loi, car nous voulons laisser la négociation jouer son rôle. Quoi qu'il en soit, des actions doivent être menées dans ce domaine.

Lorsque la décision conduisant au licenciement est prise, les salariés sont peu représentés dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance. Nous demandons donc qu'ils soient mieux représentés dans ces instances. Nous ne demandons pas que les salariés disposent d'une majorité, ou même d'une minorité de blocage. En effet, nous retomberions alors dans une logique de cogestion.

Nous demandons que les salariés puissent faire valoir leur point de vue social lorsqu'une décision ayant un effet économique important est prise. Nous estimons que cette approche est intéressante, voire indispensable. Ceci étant dit, nous sommes conscients que cela ne réglera par les problèmes de licenciement, dans la mesure où les exigences de la direction et des actionnaires seront en contradiction avec les souhaits du personnel.

Nous pensons donc que la prévention passe par la participation des salariés aux organes de décision. Nous préconisions d'ailleurs le renforcement du rôle de ces instances, en partant du principe qu'elles doivent avoir les moyens de contrôler et de vérifier l'information. D'autre part, elles doivent bénéficier d'une priorité de l'information. Si les comités d'entreprise ne sont informés que lorsque les décisions sont déjà prises et connues de la presse, ils ne servent à rien. D'autre part, les élus auraient l'impression que leur avis n'a aucune importance dans le processus. Sur cette question, le projet de loi apporte des réponses.

Concernant la concertation, nous trouvons dans le projet de loi des propositions que nous avions présentées. Nous avions d'ailleurs été reçus à plusieurs reprises par le ministère lors de l'élaboration du texte. Nous avons donc effectivement été entendus sur plusieurs points.

Par contre, nous n'avons pas du tout été associés lorsque le texte a évolué au cours des débats parlementaires. Nous le regrettons, dans la mesure où les partenaires sociaux n'ont pas du tout été associés lorsque les arbitrages ont été effectués. En effet, cela pose le problème de notre rôle dans le processus.

D'autre part, il est inquiétant que des projets que nous estimons sensibles deviennent l'enjeu de débats purement politiques, où les partenaires sociaux sont exclus. Nous craignons que ce genre de sujet devienne l'objet d'un rapport de force purement politique. Nous espérons que nous parviendrons, à l'avenir, à nous concerter de manière plus efficace, dans un esprit d'harmonie entre le pouvoir politique et les partenaires sociaux.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Je viens d'entendre que vous avez été consultés en amont. L'avez-vous été au moment de la deuxième lecture ?

M. Michel COQUILLION - Nous avons été reçus au ministère au moment où le texte revenait en deuxième lecture. Ensuite, nous n'avons pas du tout été consultés. Lorsque les débats relatifs aux amendements se sont tenus, nous n'avons pas été associés.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Je souhaite par ailleurs vous poser quelques questions supplémentaires.

Quel est, selon vous, l'apport de ces dispositions au regard du droit en vigueur ? En particulier, que pensez-vous de la nouvelle rédaction retenue de la définition du licenciement économique (art. L.123-1) et du recours à un médiateur pour rapprocher les points de vue sur les plans de restructuration ?

Ces derniers temps, de nombreuses voix autorisées ont considéré que les dispositions adoptées pouvaient constituer une menace pour l'emploi et dissuader les embauches. Partagez-vous cette inquiétude ?

De nombreux pays européens privilégient le recours à la négociation collective sur le recours à la loi, celle-ci n'intervenant qu'en cas d'absence d'accord des partenaires sociaux. Pensez-vous que les partenaires sociaux auraient été à même de parvenir à un accord sur une réforme du droit de licenciement, si le Gouvernement leur en avait reconnu la possibilité à travers, par exemple, un « droit de saisine », les termes de cet accord étant repris par la loi ; ou bien considérez-vous que le recours à la loi constitue la seule voie possible pour moderniser notre législation ?

M. Michel COQUILLION - M. Charbonnier va répondre aux deux premières questions. Je reprendrai la parole ensuite.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - J'ai oublié de vous remercier d'avoir répondu à notre invitation. En effet, nous vous avons prévenu relativement tard, et vous avez accepté de venir exposer votre point de vue. Nous vous remercions vivement.

M. CHARBONNIER - Concernant les apports des dispositions au regard du droit du travail en vigueur, nous nous apercevons que le projet de loi procède à plusieurs consécrations de la jurisprudence. C'est le cas par exemple, de l'arrêt du 25 février 1992, relatif à l'exécution de bonne foi du contrat de travail et à l'obligation de reclassement.

Nous constatons également que certaines incompréhensions jurisprudentielle sont levées. C'est le cas, par exemple, pour la concomitance des Livres III et IV relatifs à la consultation du comité d'entreprise.

En effet, il nous semblait aberrant que nous puissions commencer l'étude du plan social, c'est-à-dire l'ouverture du Livre III, alors que l'avis du Livre IV n'avait pas été donné. L'amendement que nous avions proposé a été repris sous la forme suivante : lorsque l'employeur ne répond pas aux questions du comité d'entreprise, la présentation du Livre III se trouve bloquée.

La nouvelle rédaction du projet de loi, en particulier la disparition du terme « notamment », a soulevé, de notre côté, de nombreuses interrogations. L'élargissement de la notion de « licenciement économique » a débuté avec l'arrêt Vidéo Color, qui estimait qu'il n'était plus nécessaire de faire état de difficultés économiques pour présenter un plan social. Désormais, la sauvegarde de l'intérêt et de la compétitivité de l'entreprise était suffisante.

Doit-on considérer que les intérêts futurs de l'entreprise peuvent déclencher une décision de plan social, ou au contraire, faut-il attendre de réelles difficultés ?

Dès lors nous pensons qu'avec cette nouvelle rédaction, les juges seront tenus par la lettre du texte.

Le constat de carence me semble aussi un apport intéressant, car il met fin à certaines difficultés d'ordre juridique.

Dès 1993, M. Balmary s'est interrogé sur la valeur juridique du constat de carence. Il se demandait s'il était un acte administratif en tant que tel, susceptible d'un recours gracieux ou d'un recours pour excès de pouvoir.

En effet, depuis plusieurs années, lorsqu'un constat de carence survenait, nous ne savions pas si la procédure devait être reprise dès le début. Dans la plupart des cas, l'employeur estimait que le constat de carence n'avait pas de valeur obligatoire et refusait de reprendre la procédure. Dès lors, nous devions saisir nos délégués ou nos membres du comité d'entreprise pour faire annuler la procédure devant le tribunal de grande instance. De telles actions prenaient du temps. A un moment donné, il faut savoir analyser posément la situation et se demander si l'entreprise se trouve dans une situation de grande difficulté. Dans une telle hypothèse, il est évident que nous devons faire preuve de rapidité dans le traitement du dossier.

En permettant de reprendre la négociation grâce à une réunion supplémentaire, le projet de loi donne au constat de carence une valeur contraignante.

Lors de l'étude de plans sociaux, nous devons nous préoccuper de toutes les subtilités juridiques qui existent dans le texte.

Les mesures de reclassement me semblent intéressantes. Malheureusement, vous les limitez aux entreprises de plus de 1.000 salariés. Lorsque nous avons travaillé notamment sur le plan social de Bourgoin, nous nous sommes aperçus que certains salariés n'avaient jamais suivi de formation. Dans ce cas, un réel problème de reconversion se pose. Nous souhaiterions que le seuil de 1.000 soit conservé. Mais un système de formation devrait être organisé lorsqu'un plan social est mis en oeuvre, et lorsque les salariés de niveau 6 ou 5 n'ont jamais reçu de formation au cours de leur parcours professionnel.

Les congés de formation sont relativement proches des congés de conversion dont nous disposions avec les aides du FNE. Nous devons néanmoins examiner leur articulation avec la mise en place du PAP, dans la mesure où ces deux dispositifs sont très proches l'un de l'autre.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Monsieur Coquillion, souhaitez-vous intervenir sur le rôle du médiateur ?

M. Michel COQUILLION - La CFTC estime que la médiation doit se développer dans les entreprises, sur tous les sujets. Cependant, nous devons nous interroger sur le rôle exact du médiateur. Sera-t-il par exemple, un expert ?

En fait, nous devons nous demander s'il y a vraiment matière à des actions de médiation. Nous ne sommes pas certains que le terme même de médiateur soit adéquat par rapport au rôle que cette personne remplira. Ceci dit, nous étions demandeurs d'un tiers expert, qui ne soit dépendant ni de la direction, ni des organisations syndicales, pouvant dire si les affirmations de l'entreprise relatives à une réorganisation sont fondées.

En effet, les organisations syndicales rejettent souvent les arguments de nature économique lors d'un plan social, estimant que des solutions alternatives existent. Qu'un tiers ait la connaissance des informations nécessaires permettant d'infirmer les propos de la direction peut faire progresser le débat. Par contre, cet élément ne sera en aucun cas décisif, mais il pourra être utilisé en cas de contestation de la qualification de licenciement économique.

Concernant les inquiétudes relatives aux effets sur l'emploi, il est probable que certaines entreprises annonceront des plans sociaux rapidement, avant que la loi ne s'applique. Nous le craignons.

Le problème se pose pour toute la protection sociale. En effet, nous pouvons estimer que toute avancée sociale peut jouer contre l'emploi. Cependant, nous pensons que ce critère n'est pas suffisant, car, dans ce cas, il ne serait plus possible d'augmenter le SMIC ou de prendre des dispositions favorables aux salariés. Quoi qu'il en soit, si nous regardons les effets économiques d'une mesure sociale, nous nous demanderons constamment quels sont ses effets sur l'emploi. Suivant les sources, il est évident que l'appréciation portée est très différente.

Concernant l'articulation entre les négociations et la loi, ce débat d'actualité revêt à nos yeux une réelle importance. Nous pensons que la négociation doit constituer une priorité, et je crois que cette position ne surprendra personne. Pour autant, nous ne nions pas le rôle de la loi, dans la mesure où le législateur bénéficie de la légitimité démocratique. Concernant les choix importants pour la nation, nous ne pouvons pas nous substituer au législateur. Le Gouvernement détient d'ailleurs un rôle important dans la protection des plus faibles. C'est bien le rôle de la loi de protéger ceux-ci.

Cependant, si les corps intermédiaires, dont les organisations syndicales font partie, parviennent à trouver des solutions permettant d'améliorer le fonctionnement des institutions ou la vie des salariés, il faut absolument privilégier la négociation.

Il serait utile que le fameux droit de saisine, dont on parle beaucoup au niveau européen, soit mis en place. Lorsque les parlementaires se saisissent d'un sujet, les partenaires sociaux pourraient demander à négocier également sur cette question.

D'autre part, nous estimons que les partenaires sociaux doivent pouvoir se saisir d'autres sujets que ceux qui sont présentés devant le Parlement. Lorsqu'une question, sur laquelle nous intervenons, nécessite une modification législative, les partenaires sociaux doivent pouvoir s'en saisir et faire des propositions aux parlementaires. Par contre, l'accord obtenu ne serait pas à prendre ou à laisser. En effet, nous estimons que nous ne pouvons pas retirer aux parlementaires leur droit de débattre sur un sujet donné.

La CFTC propose de créer des clauses essentielles : si certaines d'entre elles ne conviennent pas aux parlementaires, le texte serait alors rejeté par le Parlement. Les partenaires sociaux pourraient ensuite entamer une nouvelle phase de négociation, ou mettre en route d'autres procédures. Quoi qu'il en soit, un tel dispositif donnerait aux partenaires sociaux la possibilité de négocier lorsqu'un projet de loi se prépare.

Nous savons parfaitement qu'une volonté forte de négocier est nécessaire de la part des deux parties pour obtenir un accord. En l'absence de cette volonté, la loi sera, parfois, absolument nécessaire. D'autre part, lorsqu'il existe des déséquilibres trop forts entre les acteurs, l'Etat a alors le rôle de rééquilibrer la négociation au profit des plus faibles.

Pour que les partenaires sociaux puissent jouer pleinement leur rôle, nous estimons qu'il est essentiel que ce dernier soit renforcé. Nous ne savons malheureusement pas quelle sera l'issue de la négociation qui se déroule actuellement entre les partenaires sociaux, mais il nous semble crucial que les partenaires sociaux soient renforcés dans leur implantation et leur rôle. En effet, la désyndicalisation représente un facteur de faiblesse. Cependant, nous ne croyons pas que l'image du syndicalisme s'améliorera par un simple bricolage des conditions de négociation des accords. Au contraire, un travail de fond doit être effectué, et une large partie de celui-ci est du ressort des organisations syndicales. Si l'image du syndicalisme a été dégradée dans l'esprit de nombreuses personnes, c'est bien parce que les pratiques syndicales n'ont pas été optimales. Les organisations syndicales devront donc faire notre autocritique et en tirer les conséquences.

Nous estimons que la réponse que nous apporterons doit permettre de résoudre les vrais problèmes traités. Si nous modifions de manière inadéquate l'équilibre des négociations, nous pourrions aboutir à des blocages qui seraient encore plus préjudiciables à la négociation. Une telle situation nécessiterait alors une intervention encore plus forte de l'Etat.

Par exemple, si l'accord UNEDIC n'était pas intervenu, l'Etat aurait dû se substituer aux partenaires sociaux et aurait mis cet organisme sous tutelle. Aurions-nous, dans ce cas, amélioré la négociation ? Je n'en suis pas du tout certain. Si les conditions de la négociation avaient conduit certains partenaires à bloquer complètement l'accord, nous n'aurions eu d'autre solution que de faire appel à l'Etat.

Ce sujet, très important à nos yeux, doit être approfondi. Cela doit être effectué dans une réflexion fructueuse. Surtout, nous espérons que cela ne deviendra pas un enjeu de positionnement politique et un rapport de force entre les partis. Au contraire, nous espérons que nous parviendrons à la constitution d'un débat approfondi, respectueux du pluralisme et, surtout, qui ne conduise pas à une situation de paralysie. Il est essentiel d'atteindre un large consensus sur ce sujet.

M. Jean DELANEAU, président - M. Jean Chérioux, vous avez la parole.

M. Jean CHERIOUX - Monsieur le Président, je vous remercie. Monsieur le secrétaire général, je ne suis pas étonné que vous ayez parlé de la participation ; dans la mesure où cette question a toujours constitué l'un de vos principaux leitmotiv. Effectivement, la représentation des salariés dans les conseils d'administration ne réglerait pas les problèmes.

J'ai été frappé de constater que M. Charbonnier a évoqué la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Je suis persuadé que le débat tourne autour de cette notion. Aujourd'hui, nous courons le risque de voir certaines entreprises mettre en avant cette dimension pour des motifs boursiers. Mais il ne faut pas considérer que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, qui doit être perçue sur le moyen terme, soit abandonnée au prétexte qu'elle cacherait automatiquement des motifs d'ordre économique ou boursier.

En-dehors de la simple notion de participation, qui donne la possibilité aux salariés d'intervenir dans la gestion de l'entreprise, j'aimerais savoir si vous envisagez des solutions permettant d'éviter d'abandonner complètement ce concept, qui revêt un intérêt certain.

M. Jean DELANEAU, président - M. Guy Fischer souhaite intervenir.

M. Guy FISCHER - Indirectement, vous avez insisté sur le rôle du politique. A travers vos déclarations, nous sentons que vous souhaitez que le politique ne joue pas un rôle essentiel. Si le politique est prédominant, les organisations syndicales se verraient privées d'un certain nombre de moyens. Nous entendons votre remarque.

Ceci étant dit, l'accélération récente des plans sociaux - Philips, Mazda, Cap Gemini - met en lumière le fait que les politiques sont également jugés sur la politique économique. Vous avez, à ce titre, parfaitement formulé l'équilibre qui doit exister entre la loi et le contrat. Pour ma part, je considère qu'un intérêt général doit être défini. A mes yeux, ce dernier est celui des salariés.

J'ai bien noté que vous avez fait des propositions visant à instaurer un droit de saisine ou d'initiative. Ceci étant dit, quelle est la mesure que vous suggéreriez dans ce débat, qui n'est pas clos ? Autrement dit, quelle est la mesure qui, selon vous, permettrait de faire avancer le débat plus en avant ?

M. Jean DELANEAU, président - Madame Dieulangard, vous avez la parole.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - J'ai beaucoup apprécié la priorité que vous donnez à la prévention, notamment en termes d'exigence de formation tout au long de la vie professionnelle.

Quelle proposition concrète faites-vous concernant les exigences en termes de formation, par rapport à la réorganisation des circuits de collecte, des cursus de formation et de l'accès de tous, cadres supérieurs y compris, à la formation au sein de l'entreprise ? Quelles exigences devons-nous poser pour que tout le monde bénéficie de la formation ?

J'ai bien entendu que vous mettiez en avant le rapport existant entre le contrat et le politique. Je crois cependant que cette notion devrait être approfondie. Sur cette question, estimez-vous que la démarche autour des 35 heures vous semble satisfaisante ? En effet, la loi pose un cadre, et la négociation est effectuée au sein des entreprises.

Nous parlons des grandes entreprises, qui comprennent de nombreux salariés. Malheureusement, nous n'évoquons pas le cas des petites entreprises où les organisations syndicales sont absentes. Pourtant, nous savons que les salariés se trouvent majoritairement dans des structures de ce type, où ils se trouvent beaucoup plus exposés. Avez-vous des propositions autour des notions de sites et de territoires concernant la défense des salariés dans les petites entreprises ?

M. Michel COQUILLION - Concernant le lien entre l'économie et le social, nous n'avons pas pour rôle prioritaire d'être impartiaux, même si nous revendiquons notre responsabilité. Notre but premier demeure la défense des salariés. Le débat relatif à l'efficacité économique et la protection sociale ne bénéficie pas de réponse claire.

Par contre, nous sommes conscients que le pouvoir de blocage laissé aux salariés représente un risque économique. En ce sens, nous prenons en compte ce dernier. En fait, je crois que le problème réside dans la définition d'une frontière, ce qui est particulièrement difficile : il est en effet évident que cette frontière n'est pas placée au même endroit pour le salarié et l'employeur.

Nous pensons que le rôle du politique est bien d'assurer l'intérêt général et le bien commun afin que personne ne soit oublié.

Effectivement, les petites entreprises posent, du fait de la différence de statuts, problème. Les salariés de grandes entreprises, Danone par exemple, n'ont pas le même vécu que les employés d'une PME. Cela crée des distorsions sur lesquelles il serait nécessaire d'intervenir.

Nous nous trouvons face à une contradiction. Actuellement, nous négocions sur la formation professionnelle. Par conséquent, le sujet que nous évoquons aujourd'hui est également traité dans la négociation. Si nous demandons au législateur d'intervenir maintenant, alors que nous sommes en pleine négociation, nous nous plaçons alors dans une situation de contradiction complète.

Par contre, nous demandons que la représentation des salariés se développe dans les petites entreprises et que d'autres formes de représentation soient développées. Nous avions bien accueilli le mandatement, en considérant cependant que cette solution n'était pas pérenne. De récents rapports confirment d'ailleurs nos craintes, notamment en termes de durabilité de la présence syndicale dans l'entreprise. Nous estimons donc que nous devons progresser afin de dépasser le mandatement.

Nous souhaitons donc que d'autres formes de représentation se développent, à travers, par exemple, la mise en place d'un conseiller départemental. Celui-ci pourrait intervenir afin de conseiller les salariés dans l'entreprise. En somme, il remplirait le rôle du conseiller du salarié actuel, avec des moyens plus étendus. Il aurait également un rôle de conseiller auprès des employeurs, dans la mesure où nombre d'entre eux ne connaissent absolument pas les règles élémentaires du droit du travail. Nous voyons parfaitement les problèmes que cela pose ensuite devant les Prud'hommes. En effet, nous constatons que de nombreuses affaires sont marquées par une méconnaissance du droit par les employeurs. En rappelant les règles à ces derniers, nous pouvons éviter les litiges et les licenciements. Autrement dit, c'est une sorte de médiation qui se produit dans certains cas.

Il existe également d'autres moyens permettant la représentation des salariés dans les petites entreprises. Mais on ne peut pas avoir un délégué syndical, un CHS et un comité d'entreprise dans une entreprise de cinq salariés. Ainsi, il faudrait qu'une information soit donnée aux salariés, et l'un d'entre eux remplirait le rôle de correspondant syndical. Puis, son rôle et ses prérogatives se verraient élargis selon la taille et l'effectif de l'entreprise.

Quoi qu'il en soit, nous devons mettre un terme aux seuils trop tranchés, où l'existence d'instances représentatives est conditionnée au nombre de salariés. Par ailleurs, ces seuils comportent des effets pervers. Certaines entreprises refusent par exemple de franchir le cap des 50 salariés par établissement afin de ne pas avoir de comité d'entreprise.

Concernant les 35 heures, nous nous sommes aperçus que la méthode utilisés n'était pas pertinente. Au départ, nous n'étions pas opposés à celle-ci, mais le système de la négociation en deux temps nous semble inadéquat. En effet, on ne peut pas remettre en cause par une loi tout ce qui a été négocié. Dans une négociation, les organisations en tant que telles peuvent parfois faire des concessions qu'elles n'accepteraient pas habituellement. Si, en regard, un avantage substantiel est donné aux salariés, cette concession peut devenir possible dans le contexte d'un accord. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas l'étendre aux salariés qui ne bénéficieraient pas de l'ensemble de l'accord. En ce sens, les dispositions législatives sont susceptibles de remettre fortement en cause le résultat de cette négociation. Il me semble plus pertinent de travailler en amont sur une concertation. Ensuite, la loi définit les règles en tenant compte des propositions et accords des partenaires sociaux.

Dans ce cas, la négociation pourrait peut-être plus porter sur l'applicatif. Ensuite, la grande abondance de réglementations qui pose problème, même si les organisations syndicales le demandent souvent. En effet, certaines entreprises profitent des lacunes de la réglementation pour imposer des mesures inacceptables. Nous demandons souvent que la réglementation vienne combler ces vides.

Malheureusement, l'arsenal réglementaire et légal devient de plus en plus complexe, et il est de plus en plus difficile de l'appréhender. Par ailleurs, les jurisprudences accroissent encore plus la complexité des dispositifs juridiques. Si nous parvenons à atteindre un meilleur équilibre au sein de la négociation, nous pourrons peut-être laisser une part plus importante à celle-ci sur l'applicatif, à partir du moment où les principes ont été correctement définis par la loi. Dans ce cas, les interprétations de cette dernière ne conduiraient pas à des dérives. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas simple. Mais nous sommes persuadés que nous devons trouver une solution allant dans ce sens, qui permettrait un respect mutuel des partenaires sociaux et du législateur.

M. Jean DELANEAU, président - Monsieur le secrétaire général, je vous remercie de votre intervention, dont nous tirerons le plus grand profit.

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