B. UN RÉGIME FISCAL DONT LA LÉGALITÉ EXTERNE EST CONTESTÉE

Le régime juridique applicable en matière d'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française est entaché d'illégalité depuis 1992 : après avoir pâti d'une omission qui a pris la forme d'un défaut de base légale , il souffre aujourd'hui d'un problème d'incompétence .

Comme cela est rappelé précédemment, l'article 225-2 du code des impôts directs issu de la délibération n° 92-6 du 24 janvier 1992 prise par l'assemblée territoriale dispose que « les règles pratiques d'application de la méthode d'évaluation directe (...) sont définies dans un arrêté pris en conseil des ministres ». Or, aucun arrêté n'est intervenu jusqu'à l'automne 1999 si bien que le vide juridique s'est perpétué pendant plus de sept ans, la méthode d'évaluation directe pour la détermination des valeurs locatives ayant été mise en oeuvre sans base légale par le service des contributions.

Un arrêté n° 1274/CM a enfin été pris le 17 septembre 1999 . Cet arrêté donne une triple définition alternative de la valeur vénale foncière du bien et fixe le taux d'intérêt applicable à cette valeur vénale .

La valeur vénale foncière du bien correspond ainsi soit au coût réel de construction (...), soit au prix d'acquisition diminué de la valeur vénale du terrain ne formant pas une dépendance indispensable et immédiate des constructions, soit à la valeur recherchée à partir des éléments figurant dans les actes constituant l'origine de propriété de l'immeuble et, à défaut de tels actes, à la valeur déterminée à partir de celle d'immeubles similaires ayant fait l'objet de transactions récentes.

Hormis la définition de la valeur vénale, le taux d'intérêt à lui appliquer est fixé par ledit arrêté à 4% pour les immeubles situés dans les Iles du Vent, à 3% pour les immeubles situés dans les autres archipels et à 2% pour les immeubles présentant le caractère de logements sociaux quel que soit leur lieu d'implantation géographique.

Venu combler un vide juridique, cet arrêté pris en conseil des ministres de la Polynésie française en application de l'article 225-2 du code des impôts directs local a été déclaré illégal par le tribunal administratif de Papeete dans un arrêt rendu le 19 décembre 2000 (M. Pierre Frébault c/ Territoire de la Polynésie française). Selon le juge administratif en effet, il ressort des articles 34 2 ( * ) et 74 3 ( * ) de la Constitution et des articles 26 4 ( * ) et 60 5 ( * ) de la loi statutaire du 12 avril 1996 que « le Parlement a délégué à l'assemblée de la Polynésie française, et à elle seule, le pouvoir de voter des dispositions réglementaires à caractère fiscal concernant les impositions de toute nature, notamment en ce qui concerne la définition de la base d'imposition des produits ou prestations de service soumis à la taxe » , « qu'aucune disposition de la Constitution ou de la loi statutaire n'a autorisé l'assemblée à déléguer au conseil des ministres, ou à toute autre personne publique, la compétence qui lui a ainsi été dévolue » et « que l'article 26 de la loi statutaire n'autorise le conseil des ministres qu'à prendre des mesures d'application, lesquelles ne sauraient être confondues avec des mesures de définition de la base d'imposition de la taxe ». Le juge conclut qu'en fixant par l'arrêté susvisé le taux d'intérêt applicable à la valeur vénale, « le conseil des ministres a outrepassé ses pouvoirs ».

Il semble que cette dernière appréciation formulée par le tribunal administratif prête à confusion. En effet, le gouvernement de la Polynésie française s'est en l'espèce contenté de se conformer aux prescriptions de l'article 225-2 du code des impôts directs local issu d'une délibération de l'assemblée de la Polynésie française. L'assemblée n'ayant pas elle-même fixé le taux applicable à la valeur vénale dans la définition de la méthode de l'évaluation directe alors même qu'elle a fixé à 10% le taux applicable à la valeur locative dans l'article 225-4 du même code, cela pouvait laisser croire que les règles de taux applicables à la valeur vénale entraient dans la catégorie des « règles pratiques d'application de la méthode d'évaluation directe » devant être déterminées par arrêté pris en conseil des ministres. Or, les règles de taux applicables à la valeur vénale constituent un paramètre déterminant de définition de l'assiette de l'impôt foncier puisque, appliquées à la valeur vénale, elles permettent de calculer la valeur locative. Le législateur organique n'ayant pas prévu de délégation de pouvoir de l'assemblée délibérante vers l'organe exécutif que constitue le conseil des ministres s'agissant de la définition des éléments d'assiette de l'impôt, en l'espèce de l'impôt foncier, il apparaît que l'assemblée de la Polynésie française est restée en retrait du domaine de compétence qui lui est dévolu.

L'arrêté venu combler le vide juridique qui fragilisait le régime de l'impôt foncier n'a pas permis de régulariser la situation , le grief d'incompétence de l'auteur de l'acte venant s'ajouter au grief tiré du défaut de base légale pour la période 1999-2000.

Notons qu'un recours en appel , actuellement pendant, a été formé devant la cour administrative d'appel de Paris contre l'arrêt du tribunal administratif de Papeete du 19 décembre 2000. D'autres réclamations ont été adressées au tribunal administratif de Papeete : leur nombre est actuellement évalué à 55.

* 2 Aux termes de l'article 34 de la Constitution, « La loi fixe les règles concernant (...) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ».

* 3 Aux termes de l'article 74 de la Constitution, « Les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres (...) ».

* 4 Aux termes de l'article 26 de la loi organique du 12 avril 1996, « Le conseil des ministres prend les règlements nécessaires à la mise en oeuvre des délibérations de l'assemblée de la Polynésie française ou de sa commission permanente ».

* 5 Aux termes de l'article 60 de la loi organique du 12 avril 1996, « Toutes les matières qui sont de la compétence du territoire relèvent de l'assemblée de la Polynésie française, à l'exception de celles qui sont attribuées par la présente loi au conseil des ministres ou au président du gouvernement de la Polynésie française ».

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