Rapport n° 73 (2001-2002) de M. Lucien LANIER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 14 novembre 2001

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N° 73

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 novembre 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi organique portant validation de l' impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française ,

Par M. Lucien LANIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. René Garrec, président ; M. Patrice Gélard, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, José Balarello, Robert Bret, Georges Othily, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; M. Jean-Paul Amoudry, Mme Michèle André, M. Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Lucien Lanier, Jacques Larché, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.

Voir le numéro :

Sénat : 443 (2000-2001)

Départements et territoires d'outre-mer .

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 14 novembre 2001 sous la présidence de M. René Garrec, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Lucien Lanier, la proposition de loi organique n° 443 (2000-2001) portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française.

Après avoir rappelé la nécessaire intervention du législateur organique pour procéder à une validation dans une matière, la fiscalité, ressortissant à la compétence d'un territoire d'outre-mer, le rapporteur a présenté le régime de l'impôt foncier en indiquant qu'une des procédures de détermination de son assiette, appelée méthode d'évaluation directe, était dépourvue de base légale pour la période 1992-1999 et que l'arrêté pris en septembre 1999 pour combler ce vide juridique avait été déclaré illégal par le tribunal administratif de Papeete. Il a souligné que si la validation devait permettre d'apurer le passé, un projet de délibération régularisant le régime de l'impôt foncier serait prochainement soumis à l'assemblée de la Polynésie française, seule compétente pour définir l'assiette de l'impôt.

Ayant exposé les critères retenus par la jurisprudence constitutionnelle en matière de validation - compétence du législateur, respect des décisions de justice devenus définitives, nécessité de justifier d'un but d'intérêt général -, le rapporteur a évoqué la similitude de précédents concernant en 1995 la Nouvelle-Calédonie et en 1997 la Polynésie française et a estimé que dans la présente espèce le risque contentieux, l'importance des sommes en jeu pour le territoire et les communes ainsi que les troubles susceptibles d'être causés à la continuité des services publics fondaient l'intérêt général justifiant la validation.

Sur la proposition du rapporteur, la commission a adopté le texte de la proposition de loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française assorti d'une légère modification rédactionnelle permettant de prendre en compte de façon certaine dans le champ de la validation les impositions versées au budget des communes.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Constituée d'un article unique, la proposition de loi organique n° 443 (2000-2001) portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française aujourd'hui soumise à votre examen est présentée par notre excellent collègue M. Gaston Flosse et a été déposée sur le bureau du Sénat le 26 septembre dernier.

Il s'agit de régulariser rétroactivement la perception des sommes perçues depuis 1992 auprès des contribuables polynésiens au titre de l'impôt foncier susvisé, l'imposition litigieuse susceptible de donner lieu à restitution correspondant à des montants d'une importance telle que leur remboursement mettrait en péril les finances du Territoire et des communes et compromettrait la continuité des services publics.

Conformément à l'article 74 de la Constitution aux termes duquel les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques et les autres modalités de leur organisation particulière sont définies et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée territoriale intéressée, la présente proposition de loi organique a été soumise à l'assemblée de la Polynésie française sur saisine du haut-commissaire.

En vertu de l'article 69 de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, un délai de deux mois réduit à un mois en cas d'urgence est imparti à l'assemblée pour se prononcer. Ce délai d'urgence a été mis en oeuvre au cas d'espèce et l'assemblée de la Polynésie française s'est réunie le jeudi 8 novembre 2001 pour rendre un avis favorable 1 ( * ) .

Après avoir présenté le régime de l'impôt foncier, votre commission des Lois vous proposera de confronter la demande de validation aux critères dégagés par la jurisprudence constitutionnelle en la matière.

I. L'IMPÔT FONCIER SUR LES PROPRIÉTÉS BÂTIES : UN RÉGIME JURIDIQUE CONTESTÉ

A. LE RÉGIME APPLICABLE À L'IMPÔT FONCIER SUR LES PROPRIÉTÉS BÂTIES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

Le régime juridique applicable à l'impôt foncier sur les propriétés bâties est défini par les articles 221-1 et suivants du code des impôts directs de la Polynésie française.

En effet, alors qu'en métropole l'article 34 de la Constitution donne compétence à la loi pour fixer les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature », la fiscalité en Polynésie française relève de la compétence du Territoire . Ceci résulte du jeu combiné de l'article 74 de la Constitution, selon lequel « Les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres ... », et des articles 5 et 6 de la loi organique du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française qui, pour le second, énumère les matières qui demeurent de la compétence de l'État et, pour le premier, pose le principe selon lequel « les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'État ... ou aux communes ».

L'assiette de la contribution foncière sur les propriétés bâties correspond à la valeur locative du bien diminuée d'un quart pour tenir compte des frais divers incombant au propriétaire. Cette valeur locative est déterminée par le service des contributions par référence aux « baux authentiques » ou aux « locations verbales passées dans les conditions normales ». A défaut de tels actes, « la valeur locative est déterminée par la méthode d'évaluation directe :

« - évaluation de la valeur vénale foncière du bien ;

« - détermination du taux d'intérêt, pour chaque nature de propriété dans la région considérée ;

« - application du taux d'intérêt à la valeur vénale. »

Il résulte en outre de l'article 225-2 du code des impôts directs que « Les règles pratiques d'application de la méthode d'évaluation directe (...) sont définies dans un arrêté pris en conseil des ministres qui pourra, le cas échéant, fixer un coefficient de réévaluation des valeurs locatives calculées par la méthode ».

L'impôt foncier se compose de deux parts : le principal , qui est reversé au budget du Territoire ; les centimes additionnels , qui sont reversés au budget des communes et dont le montant varie entre 10% et 50% du principal. Un arrêté du 20 septembre 1972 définit le taux maximum des centimes communaux pouvant être votés par les conseils municipaux.

B. UN RÉGIME FISCAL DONT LA LÉGALITÉ EXTERNE EST CONTESTÉE

Le régime juridique applicable en matière d'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française est entaché d'illégalité depuis 1992 : après avoir pâti d'une omission qui a pris la forme d'un défaut de base légale , il souffre aujourd'hui d'un problème d'incompétence .

Comme cela est rappelé précédemment, l'article 225-2 du code des impôts directs issu de la délibération n° 92-6 du 24 janvier 1992 prise par l'assemblée territoriale dispose que « les règles pratiques d'application de la méthode d'évaluation directe (...) sont définies dans un arrêté pris en conseil des ministres ». Or, aucun arrêté n'est intervenu jusqu'à l'automne 1999 si bien que le vide juridique s'est perpétué pendant plus de sept ans, la méthode d'évaluation directe pour la détermination des valeurs locatives ayant été mise en oeuvre sans base légale par le service des contributions.

Un arrêté n° 1274/CM a enfin été pris le 17 septembre 1999 . Cet arrêté donne une triple définition alternative de la valeur vénale foncière du bien et fixe le taux d'intérêt applicable à cette valeur vénale .

La valeur vénale foncière du bien correspond ainsi soit au coût réel de construction (...), soit au prix d'acquisition diminué de la valeur vénale du terrain ne formant pas une dépendance indispensable et immédiate des constructions, soit à la valeur recherchée à partir des éléments figurant dans les actes constituant l'origine de propriété de l'immeuble et, à défaut de tels actes, à la valeur déterminée à partir de celle d'immeubles similaires ayant fait l'objet de transactions récentes.

Hormis la définition de la valeur vénale, le taux d'intérêt à lui appliquer est fixé par ledit arrêté à 4% pour les immeubles situés dans les Iles du Vent, à 3% pour les immeubles situés dans les autres archipels et à 2% pour les immeubles présentant le caractère de logements sociaux quel que soit leur lieu d'implantation géographique.

Venu combler un vide juridique, cet arrêté pris en conseil des ministres de la Polynésie française en application de l'article 225-2 du code des impôts directs local a été déclaré illégal par le tribunal administratif de Papeete dans un arrêt rendu le 19 décembre 2000 (M. Pierre Frébault c/ Territoire de la Polynésie française). Selon le juge administratif en effet, il ressort des articles 34 2 ( * ) et 74 3 ( * ) de la Constitution et des articles 26 4 ( * ) et 60 5 ( * ) de la loi statutaire du 12 avril 1996 que « le Parlement a délégué à l'assemblée de la Polynésie française, et à elle seule, le pouvoir de voter des dispositions réglementaires à caractère fiscal concernant les impositions de toute nature, notamment en ce qui concerne la définition de la base d'imposition des produits ou prestations de service soumis à la taxe » , « qu'aucune disposition de la Constitution ou de la loi statutaire n'a autorisé l'assemblée à déléguer au conseil des ministres, ou à toute autre personne publique, la compétence qui lui a ainsi été dévolue » et « que l'article 26 de la loi statutaire n'autorise le conseil des ministres qu'à prendre des mesures d'application, lesquelles ne sauraient être confondues avec des mesures de définition de la base d'imposition de la taxe ». Le juge conclut qu'en fixant par l'arrêté susvisé le taux d'intérêt applicable à la valeur vénale, « le conseil des ministres a outrepassé ses pouvoirs ».

Il semble que cette dernière appréciation formulée par le tribunal administratif prête à confusion. En effet, le gouvernement de la Polynésie française s'est en l'espèce contenté de se conformer aux prescriptions de l'article 225-2 du code des impôts directs local issu d'une délibération de l'assemblée de la Polynésie française. L'assemblée n'ayant pas elle-même fixé le taux applicable à la valeur vénale dans la définition de la méthode de l'évaluation directe alors même qu'elle a fixé à 10% le taux applicable à la valeur locative dans l'article 225-4 du même code, cela pouvait laisser croire que les règles de taux applicables à la valeur vénale entraient dans la catégorie des « règles pratiques d'application de la méthode d'évaluation directe » devant être déterminées par arrêté pris en conseil des ministres. Or, les règles de taux applicables à la valeur vénale constituent un paramètre déterminant de définition de l'assiette de l'impôt foncier puisque, appliquées à la valeur vénale, elles permettent de calculer la valeur locative. Le législateur organique n'ayant pas prévu de délégation de pouvoir de l'assemblée délibérante vers l'organe exécutif que constitue le conseil des ministres s'agissant de la définition des éléments d'assiette de l'impôt, en l'espèce de l'impôt foncier, il apparaît que l'assemblée de la Polynésie française est restée en retrait du domaine de compétence qui lui est dévolu.

L'arrêté venu combler le vide juridique qui fragilisait le régime de l'impôt foncier n'a pas permis de régulariser la situation , le grief d'incompétence de l'auteur de l'acte venant s'ajouter au grief tiré du défaut de base légale pour la période 1999-2000.

Notons qu'un recours en appel , actuellement pendant, a été formé devant la cour administrative d'appel de Paris contre l'arrêt du tribunal administratif de Papeete du 19 décembre 2000. D'autres réclamations ont été adressées au tribunal administratif de Papeete : leur nombre est actuellement évalué à 55.

II. LA VALIDATION DE L'IMPÔT FONCIER À L'AUNE DE LA JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE : UNE CONFRON-TATION CONCLUANTE

Destinée à purger le passé et à éviter que les réclamations des contribuables en vue de la restitution des sommes perçues ne viennent compromettre la situation financière du Territoire et des communes, la validation demandée ne permettra cependant pas de régulariser pour l'avenir le régime juridique applicable à l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française. Si la cour administrative d'appel confirme l'analyse du tribunal administratif de Papeete, cette régularisation passera nécessairement par une décision de l'assemblée de la Polynésie française. Selon les informations délivrées à votre commission des Lois, un projet de délibération modifiant le code des impôts devrait ainsi être examiné par cette assemblée au cours de la session budgétaire afin que l'impôt foncier puisse être régulièrement recouvré à compter du 1 er janvier 2002.

Limitée à l'apurement du passé, la présente validation doit répondre à trois critères définis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : la compétence du législateur, le respect de l'autorité des décisions passées en force de chose jugée, la satisfaction d'un intérêt général. Ces trois exigences résultent d'une jurisprudence constante depuis vingt ans (décision n° 119-DC du 22 juillet 1980).

A. LA NÉCESSAIRE INTERVENTION DE LA LOI ORGANIQUE

L'appréciation de la compétence du législateur porte d'une part sur la délimitation du domaine de la loi et, d'autre part, sur le type de procédure requis, loi ordinaire ou loi organique.

1. La compétence du législateur

Si la jurisprudence constitutionnelle décrit généralement le champ de compétence du législateur par référence aux matières énumérées à l'article 34 de la Constitution, elle en élargit l'assiette aux atteintes susceptibles d'être portées aux principes généraux du droit.

Il en est ainsi des atteintes portées au principe de non-rétroactivité , à l'exception toutefois du domaine pénal. Or, la validation d'un acte administratif s'analyse en un changement de la légalité avec effet rétroactif ; elle ne peut donc être que de la compétence exclusive du législateur .

Le Conseil constitutionnel a maintes fois affirmé cette exclusivité. Encore dans une décision récente concernant précisément la Polynésie française (décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997) il affirmait que « ... le législateur peut, comme lui seul est habilité à le faire, valider un acte administratif dans un but d'intérêt général ... ».

2. La compétence du législateur organique

Dans une autre décision datant, elle, de 1995, le Conseil constitutionnel a précisé les critères de délimitation des compétences entre législateur ordinaire et législateur organique. Il a ainsi affirmé dans sa décision n° 95-364 DC du 8 février 1995 relative à la validation d'impositions perçues par le territoire de la Nouvelle-Calédonie au titre de la contribution foncière sur les propriétés bâties et non bâties qu'en application de l'article 74 de la Constitution et « s'agissant d'un régime d'impositions ressortissant à la compétence des autorités territoriales , l'État ne pouvait intervenir que par le moyen d'une loi organique ».

L'affirmation de la compétence du législateur organique a ainsi conduit le Conseil constitutionnel à censurer une disposition de la loi de finances pour 1996 qui portait validation de la délibération du 8 décembre 1994 de l'assemblée territoriale polynésienne instituant une contribution de solidarité territoriale et des impositions perçues sur son fondement. Le juge constitutionnel a déclaré à cette occasion que « si le législateur avait la faculté, comme il est seul habilité à le faire, de valider sous réserve du respect des décisions de justice passées en force de chose jugée et de l'existence d'un but d'intérêt général des dispositions prises par une autorité du territoire, il ne pouvait en tout état de cause (...) le faire que par la voie d'une loi organique, s'agissant d'un régime d'impositions ressortissant à la compétence des autorités territoriales en application des articles 5 et 6 de la loi du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ».

Concernant la présente demande de validation, le choix du vecteur de la proposition de loi organique paraît justifié dans la mesure où l'impôt foncier sur les propriétés bâties ressortit à la fiscalité territoriale polynésienne, compétence propre du territoire .

B. LE RESPECT DE L'AUTORITÉ QUI S'ATTACHE AUX DÉCISIONS PASSÉES EN FORCE DE CHOSE JUGÉE

En vertu d'une jurisprudence constante en matière de validation législative, le respect est dû aux décisions de justice devenues définitives ou, selon l'expression consacrée, passées en force de chose jugée. Précisons que cette formule vise « la décision d'une juridiction qui a statué en dernier ressort même si elle peut faire l'objet ou est effectivement l'objet d'un pourvoi en cassation », définition faite sienne par le Conseil d'état dans un arrêt d'assemblée du 27 octobre 1995, Ministre du logement c/ Mattio, alors qu'elle n'appartenait jusque-là qu'à la Cour de cassation (Cass. Soc. 19 juin 1963, Chantelouze).

Au cas présent, la validation proposée porte d'une part, pour la période comprise entre 1992 et 1999, sur des impositions perçues en l'absence de base légale et, d'autre part, pour les années 2000 et 2001, sur des impositions perçues en vertu d'un arrêté illégal du fait de l'incompétence de son auteur.

Selon les informations délivrées à votre rapporteur, seul un recours en appel est pendant devant la cour administrative d'appel de Paris à la suite du dégrèvement prononcé au bénéfice de M. Frébault par le tribunal administratif de Papeete le 19 décembre 2000. Plus de cinquante dossiers seraient en instance de jugement devant ce même tribunal et soixante-six réclamations préalables auraient été présentées. La validation proposée ne devrait donc pas se heurter au principe du respect de l'autorité de la chose jugée. En outre, pour le cas où une décision juridictionnelle deviendrait définitive avant l'entrée en vigueur de la loi de validation, l'article unique réserve le cas des « décharges ou dégrèvements prononcés par décision de justice passée en force de chose jugée ».

C. L'EXISTENCE D'UN BUT D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Si le législateur est réputé toujours légiférer dans l'intérêt général, il paraît légitime d'apprécier plus strictement cet intérêt général en matière de validation dans la mesure où la portée rétroactive d'une telle opération occasionne des bouleversements dans l'ordonnancement juridique. Cette considération a conduit le Conseil constitutionnel à qualifier précisément l'intérêt général en cause dans chaque espèce et à exercer un véritable contrôle de proportionnalité entre les mesures entachées d'illégalité qu'il est proposé de valider et l'intérêt général poursuivi .

1. La notion d'intérêt général susceptible de fonder une validation

Le plus souvent, l'intérêt général invoqué et reconnu correspond à la préoccupation de « préserver le fonctionnement continu du service public » ou, s'agissant de la fonction publique, de préserver « le déroulement normal des carrière ». Mais il ne s'agit parfois que d' « éviter le développement de contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner, soit pour l'État, soit pour les collectivités territoriales, des conséquences dommageables » (décision n° 86-223 DC). Notons cependant que cette dernière décision est déjà ancienne et que la jurisprudence constitutionnelle a plutôt eu tendance à accroître le niveau d'exigence.

Le Conseil constitutionnel a ainsi fixé une limite à la notion de poursuite d'un intérêt général dans sa décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995 relative à la loi de finances pour 1996 : il a alors estimé que « la seule considération d'un intérêt financier (...) ne constituait pas un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice déjà intervenue et le cas échéant d'autres à intervenir » tout en précisant qu'en l'espèce « eu égard aux sommes concernées et aux conditions générales de l'équilibre financier du budget annexe de l'aviation civile », celles-ci « n'étaient pas susceptibles d'être affectées ». Cette formule illustre le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel : une lecture a contrario permet en effet de déduire que l'intérêt financier aurait été considéré comme un motif d'intérêt général de nature à justifier la validation si l'équilibre général du budget concerné avait été menacé. Il a d'ailleurs tenu ce raisonnement dès l'année suivante (décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996) en admettant la régularité de la validation d'offres de prêts effectuées en méconnaissance de dispositions du code de la consommation dans la mesure où le législateur avait « entendu éviter un développement des contentieux d'une ampleur telle qu'il aurait entraîné des risques considérables pour l'équilibre financier du système bancaire dans son ensemble et, partant, pour l'activité économique générale ».

2. Les précédents en matière de fiscalité locale outre-mer

Plusieurs lois de validation en matière de fiscalité locale outre-mer sont déjà intervenues donnant lieu, du fait de leur caractère nécessairement organique, à une décision du Conseil constitutionnel.

Un cas de validation assez semblable à celui résultant de la présente proposition de loi organique mais concernant la Nouvelle-Calédonie a ainsi été accueilli en 1995 , sans même, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel ne se livre à une appréciation concrète de l'existence d'un but d'intérêt général 6 ( * ) . Il s'agissait de purger une situation qui avait perduré pendant treize années, le fondement juridique de la contribution foncière sur les propriétés bâties et non bâties en Nouvelle-Calédonie étant entaché d'illégalité du fait de l'incompétence de son auteur. Il s'agissait en effet d'un arrêté du conseil du gouvernement du 28 juillet 1982 déclaré illégal par le Conseil d'État dans deux arrêts en date du 5 juin 1991 et du 13 mars 1993. Précisons qu'à défaut d'une validation, le territoire aurait été dans l'obligation de reverser aux contribuables la somme de 357,5 millions de francs, soit 6,5 milliards de francs CFP 7 ( * ) .

Deux années après cette décision, une nouvelle intervention du Conseil constitutionnel venait valider une délibération du 8 décembre 1994 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française portant institution de la contribution de solidarité territoriale , imposition destinée à financer le système de protection sociale (décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997 ). Afin de qualifier le but d'intérêt général poursuivi, le juge constitutionnel a estimé que « le législateur [avait] entendu prévenir le développement de contestations dont l'aboutissement aurait pu porter atteinte à la continuité du service public de la protection sociale sur le territoire de la Polynésie française et menacer la paix publique ».

3. L'existence d'un but d'intérêt général au cas présent

La demande de validation présentée dans la proposition de loi organique aujourd'hui soumise au Sénat est très comparable à celle qui a concerné la Nouvelle-Calédonie en 1995, tant du point de vue de son objet que de ses enjeux.

Il s'agit en effet d'un impôt foncier sur les propriétés bâties, dépourvu de base légale dans un premier temps, dans la mesure où l'arrêté devant définir les règles pratiques d'application de la méthode d'évaluation directe n'était pas intervenu, et entaché d'illégalité dans un second temps, du fait de l'incompétence de l'autorité ayant pris ledit arrêté. Alors que cette situation avait perduré pendant treize années en Nouvelle-Calédonie, elle dure depuis 1992 en Polynésie française.

Par ailleurs, le risque contentieux est réel et les sommes en jeu considérable s. Comme cela a été indiqué précédemment, 55 recours sont actuellement portés devant le tribunal administratif de Papeete et, en amont, 66 réclamations préalables sont également enregistrées .

Lorsque l'illégalité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ne peut porter que sur la période postérieure au 1 er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue. Cela conduit à évaluer le montant des remboursements potentiels sur la période 1996-2000 puisque l'illégalité a été révélée par l'arrêt du tribunal administratif de Papeete en date du 19 décembre 2000. Cette règle est applicable à la Polynésie française en vertu de l'article 5 de l'ordonnance n° 98-581 du 8 juillet 1998 portant actualisation et adaptation des règles relatives aux garanties de recouvrement et à la procédure contentieuse en matière d'impôts en Polynésie française.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, les sommes recouvrées au titre de l'impôt foncier et versées au budget du territoire sont passées de plus de 68 millions de francs en 1996 (soit plus d'1,2 milliard de francs CFP) à près de 80 millions de francs en 2000 (soit près d'1,5 milliard de francs CFP).

La part revenant au budget des communes est passée quant à elle sur la même période de plus de 32 millions de francs (soit près de 590 millions de francs CFP) à 38 millions de francs (soit plus de 690 millions de francs CFP).

Chaque année, le montant de l'impôt foncier susceptible d'être déchargé représente entre 40 et 45% du total des sommes recouvrées.

Pour les seules communes, cette somme équivaut chaque année à environ 10% de leurs recettes fiscales directes , soit sur la période 1996-2000 l'équivalent de près de la moitié des sommes revenant au budget des communes au titre des impôts directs en 2000.

Pour le Territoire , l'impôt foncier représente le quatrième impôt direct le plus productif, sa part dans le budget total des impôts directs évoluant entre 7,3% et 8,3% au cours des années 1996 à 2000 .

Il ressort de ces éléments concrets d'appréciation que les troubles administratifs et financiers causés au territoire et aux communes par les demandes de remboursement seraient considérables et de nature à compromettre le bon fonctionnement du service public .

*

C'est pourquoi votre commission des Lois estime urgent de régulariser la situation et d'accéder à la demande de validation qui vous est soumise. Sous le bénéfice des observations qui précèdent et d'une modification rédactionnelle permettant de façon certaine de viser les impositions perçues non seulement par le territoire mais aussi par les communes, elle vous propose d'adopter les conclusions qu'elle vous soumet pour cette proposition de loi et qui sont reproduites ci-après.

TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de loi organique portant validation de l'impôt foncier
sur les propriétés bâties en Polynésie française

Article unique

Sous réserve des décharges ou dégrèvements prononcés par décision de justice passée en force de chose jugée, les impositions perçues sur le territoire de la Polynésie française au titre de la contribution foncière sur les propriétés bâties sont validées, d'une part, pour les années 1992 à 1999 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que la détermination des valeurs locatives par application de la méthode d'évaluation directe s'est opérée sans base légale et, d'autre part, pour les années 2000 et 2001 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris l'arrêté n° 1274/CM du 17 septembre 1999 n'était pas compétente pour déterminer leur base.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte en vigueur

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Texte de la proposition

de loi organique

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Conclusions du commission

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Proposition de loi organique n°443 (2000-2001) portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française

Proposition de loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie
française

Arreté n°1274 du 17 septembre 1999 du Conseil des ministres de la

Polynésie française portant

application de l'article 225-2 du code des impôts

Article unique

Article unique

Art. Ier -- Pour la mise en oeuvre pratique de l'article 225-2 du code des impôts, la méthode d'évaluation directe est appliquée de la manière suivante :

1°) Sous réserve du droit de contrôle de l'administration, la valeur vénale foncière du bien, qu'il soit à usage d'habitation, commercial, industriel ou professionnel est égal :

- soit au coût réel de construction y inclus le prix de la main-d'oeuvre estimée au coût du marché dans l'hypothèse où les travaux sont directement réalisés par le propriétaire ;

- soit, au prix d'acquisition diminué de la valeur vénale du terrain ne formant pas une dépendance indispensable et immédiate des constructions ;

Sous réserve des décharges ou dégrèvements prononcés par décision de justice passée en force de chose jugée, les impositions perçues par le territoire de la Polynésie française au titre de la contribution foncière sur les propriétés bâties sont validées, d'une part, pour les années 1992 à 1999 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que la détermination des valeurs locatives par application de la méthode d'évaluation directe s'est opérée sans base légale ; d'autre part, pour les années 2000 et 2001 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris l'arrêté n° 1274/CM du 17 septembre 1999 n'était pas compétente pour déterminer leur base.

Sous réserve...

...perçues sur le territoire...

...leur base.

- soit, la valeur recherchée à partir des éléments figurant dans les actes constituant l'origine de propriété de l'immeuble, sous réserve que ces actes ne soient pas trop anciens et que les prix puissent être considérés comme normaux. A défaut de tels actes, la valeur est déterminée à partir de celle d'immeubles similaires ayant fait l'objet de transactions normales récentes, en tenant compte s'il y a lieu des conditions propres à chaque immeuble.

2°) Le taux d'intérêt à appliquer à la valeur vénale foncière est fixé à :

- 4 % pour les immeubles situés dans les îles du Vent ;

- 3 % pour les immeubles situés dans les autres archipels de la Polynésie française ;

- 2 % pour les immeubles présentant le caractère de logements sociaux quelle que soit leur situation géographique.

Art. 2  -- Le ministre des finances et des réformes administratives, chargé du Pacte de progrès, est chargé de l'exécution du présent arrêté qui sera publié au Journal officiel de la Polynésie française.

ASSEMBLÉE
DE LA
POLYNÉSIE FRANÇAISE

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DÉLIBÉRATION N° 2001-191/APF

DU 8 NOVEMBRE 2001

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portant avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur la proposition de loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française.

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L'ASSEMBLÉE DE LA POLYNESIE FRANÇAISE

VU la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française, ensemble la loi n° 96-313 du 12 avril 1996 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;

VU la lettre n° 1881/DRCL du 31 octobre 2001 du Haut-Commissaire de la République soumettant à l'avis de l'Assemblée de la Polynésie française, une proposition de loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française ;

VU la lettre n° 1792/2001/Pr.APF/SG du 24 octobre 2001 portant convocation en séance des Conseillers territoriaux ;

VU le rapport n° 8836 du 2 novembre 2001 de la Commission du Statut et des Lois ;

VU le rapport n° 169-2001 du 8 novembre 2001 de l'Assemblée de la Polynésie française ;

Dans sa séance du 8 novembre 2001,

ADOPTE

Article 1 er : L'Assemblée de la Polynésie française émet un avis favorable sur la proposition de loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française.

Article 2 : Le Président du Gouvernement de la Polynésie française est chargé de l'exécution de la présente délibération qui sera publiée au Journal officiel de la Polynésie française et transmise, accompagnée de son rapport de présentation, aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat et aux parlementaires de la Polynésie française.

Le Secrétaire Le Président de séance

Tarita SINJOUX Robert TANSEAU

* 1 Joint en annexe.

* 2 Aux termes de l'article 34 de la Constitution, « La loi fixe les règles concernant (...) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ».

* 3 Aux termes de l'article 74 de la Constitution, « Les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres (...) ».

* 4 Aux termes de l'article 26 de la loi organique du 12 avril 1996, « Le conseil des ministres prend les règlements nécessaires à la mise en oeuvre des délibérations de l'assemblée de la Polynésie française ou de sa commission permanente ».

* 5 Aux termes de l'article 60 de la loi organique du 12 avril 1996, « Toutes les matières qui sont de la compétence du territoire relèvent de l'assemblée de la Polynésie française, à l'exception de celles qui sont attribuées par la présente loi au conseil des ministres ou au président du gouvernement de la Polynésie française ».

* 6 Extrait de la décision n° 95-364 DC du 8 février 1995 : « Considérant que l'article 15 a pour objet de valider, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les impositions perçues par le territoire de Nouvelle-Calédonie au titre de la contribution foncière sur les propriétés bâties et non bâties pour les années 1982 à 1994 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris l'arrêté n° 82-386 du 28 juillet 1982, modifié par l'arrêté n° 82-471 du 7 septembre 1982 n'était pas compétente pour déterminer leurs bases ; que le législateur pouvait, comme lui seul est habilité à le faire, valider dans un but d'intérêt général des dispositions prises par une autorité du territoire ; que s'agissant d'un régime d'impositions ressortissant à la compétence des autorités territoriales, l'État ne pouvait ainsi intervenir que par le moyen d'une loi organique ».

* 7 Rapport Sénat n° 207 (1994-1995) fait au nom de la commission des Lois par M. Jean-Marie Girault, page 41.

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