EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la Corse, adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, le 4 décembre dernier, après l'échec de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 15 novembre.

Ce projet de loi tend à donner une traduction législative au « processus de Matignon » que le Gouvernement a engagé avec les élus de l'Assemblée de Corse, le 13 décembre 1999, et qui s'est conclu par l'établissement d'un « relevé de conclusions », en date du 20 juillet 2000.

Il s'articule autour d'un volet institutionnel qui reconnaît en particulier à l'Assemblée de Corse un pouvoir d'adaptation des dispositions législatives et réglementaires, du transfert de nouvelles compétences à la collectivité territoriale de Corse en matière culturelle, d'aménagement du territoire et de développement économique, d'une généralisation de l'enseignement de la langue corse dans les écoles maternelles et élémentaires. Il détermine un nouveau statut fiscal fondé sur un crédit d'impôt au profit d'entreprises répondant à certaines conditions et exerçant dans des secteurs d'activité déterminés et, enfin, prévoit la réalisation d'un programme exceptionnel d'investissement .

Il s'inscrit dans la perspective, évoquée par l'exposé des motifs du projet initial, d'une révision constitutionnelle, à l'échéance de 2004, qui aurait notamment pour objet d'opérer une profonde refonte de l'organisation institutionnelle.

Composé initialement de 52 articles , le projet de loi en comportait 58 après son examen en première lecture par l'Assemblée nationale et 72 après son passage au Sénat.

A l'issue de la première lecture, 9 articles avaient été adoptés conformes par les deux assemblées (articles 16, 27, 29, 30, 31, 32, 33 bis, 50 et 52) 1 ( * ) .

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a adopté dans le texte du Sénat 13 articles (articles 5, 8, 10, 11, 21, 29 bis , 35, 38, 39 bis , 48, 49, 50 bis et 51). Pour les autres dispositions du texte, elle a, pour l'essentiel, rétabli les rédactions qu'elle avait retenues en première lecture, sous la réserve importante de certaines des dispositions de l'article 12 qui tendaient à permettre à l'Assemblée de Corse de déroger à la loi « littoral ». Elle a également conservé plusieurs apports du Sénat concernant le nouveau dispositif fiscal.

Les constats effectués par la mission d'information de votre commission spéciale, qui s'est rendue en Corse du 10 au 15 septembre, puis les débats du Sénat en première lecture, avaient mis en évidence que le rétablissement de l'ordre public en Corse, loin d'être effectif , demeurait une priorité qu'il appartenait à l'Etat de satisfaire afin de répondre à la légitime aspiration de nos concitoyens à la sécurité.

Votre commission spéciale avait souligné les nombreuses ambiguïtés qui affectaient la démarche engagée par le Gouvernement et mis en évidence les innovations juridiques majeures qui résulteraient de l'adoption des dispositions institutionnelles intéressant les conditions mêmes de l'exercice du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire au sein des institutions de la République.

Elle avait tenu à rappeler le cadre dans lequel une démarche législative destinée à prendre en compte les difficultés que connaît la Corse devait s'insérer.

La singularité insulaire et le retard économique , imputable en grande partie à des handicaps naturels , ont pu légitimement fonder un effort de solidarité nationale qui doit aujourd'hui encore être poursuivi. Mais des dispositions spécifiques, aussi légitimes soient-elles, ne sauraient servir de marchepied à une remise en cause de l'appartenance de la Corse à la Nation et à la République , auxquelles elle a marqué et marque encore son attachement. Partie intégrante de la France métropolitaine , la Corse ne saurait non plus être assimilée aux collectivités d'outre-mer auxquelles les articles 73 et 74 de la Constitution sont exclusivement consacrés.

En dépit des efforts indéniables réalisés par l'Assemblée nationale en première lecture, nombre des dispositions du projet de loi transmis au Sénat n'étaient pas conformes à notre Constitution.

Les propositions du Sénat avaient, en conséquence, eu pour objet de reconnaître les spécificités de la Corse , partie intégrante de la France , et d'assurer le développement économique durable de l'île, dans le respect, incontournable, de la Constitution.

Le Sénat avait notamment accepté, en les précisant, les transferts de compétences à la collectivité territoriale de Corse, à l'exclusion de toute dévolution du pouvoir législatif ou dérogation au pouvoir réglementaire national, impossibles dans le cadre constitutionnel actuel.

Il avait également affirmé clairement le caractère facultatif de l'enseignement de la langue corse, autorisé une urbanisation limitée des espaces proches du rivage, en contrepartie d'un don de terrains au Conservatoire du littoral, et la réalisation d'aménagements légers -mais non de paillotes- dans les espaces remarquables, enfin, renforcé sensiblement le volet économique et fiscal du projet de loi.

Il est donc particulièrement regrettable que, dans le cadre de la commission mixte paritaire, la délégation de l'Assemblée nationale ait souhaité s'en tenir au texte voté par celle-ci , sans examiner de manière approfondie les propositions du Sénat, ni véritablement rechercher de rédaction alternative. Le débat ne s'est pas véritablement engagé sur les dispositions restant en discussion. A la demande de votre rapporteur, les réserves que le président Jacques Larché, M. Patrice Gélard et lui-même ont exprimées sur la procédure suivie ont été expressément mentionnées dans le rapport de la commission mixte paritaire.

Les travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ont malheureusement confirmé ce refus de tenir compte, pour l'essentiel, des propositions de la Haute Assemblée. L'Assemblée nationale a ainsi pris le risque de s'enfermer dans la logique d'un « processus » et d'un « relevé de conclusions » dont la maîtrise semble pourtant échapper au Gouvernement.

I. RAPPEL DES TRAVAUX DU SENAT EN PREMIERE LECTURE : UN DISPOSITIF CLARIFIÉ SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL ET ADAPTÉ AUX BESOINS ÉCONOMIQUES DE LA CORSE

A. UN VOLET INSTITUTIONNEL MIS EN CONFORMITÉ AVEC LES RÈGLES CONSTITUTIONNELLES

Sur le volet institutionnel du projet de loi, le Sénat avait tout d'abord jugé nécessaire de consacrer dans la loi les spécificités de la collectivité territoriale de Corse susceptibles de justifier des adaptations au droit commun des régions (article premier A).

Il avait par ailleurs spécifié , conformément au droit en vigueur, que la collectivité territoriale de Corse règle par ses délibérations , non pas les « affaires de la Corse », mais celles « de la collectivité territoriale de Corse » (article premier).

Le Sénat avait supprimé le pouvoir d'adaptation législative , le pouvoir réglementaire propre et le pouvoir d'adaptation des règlements nationaux conférés à la collectivité territoriale de Corse (article premier).

Il avait amélioré la procédure de consultation de l'Assemblée de Corse sur les projets et propositions de loi comportant des dispositions spécifiques à l'île (article premier) .

Il avait, enfin, jugé nécessaire de supprimer les offices existants, tout en permettant à la collectivité territoriale de Corse de les recréer sur des fondements sains et renouvelés, en préservant les droits des personnels ( articles 40 à 42 ).

Par ailleurs, au titre des dispositions diverses du projet de loi, le Sénat avait prévu la participation de droit des présidents des associations départementales des maires à la conférence de coordination des collectivités territoriales de Corse (article 47) .

Il avait précisé la rédaction de l' article 48 , relatif à la désignation des vice-présidents de l'Assemblée de Corse, et prévu, à l' article 49 , que le nombre des conseillers exécutifs serait porté de six à huit à compter du prochain renouvellement de l'Assemblée de Corse et non du conseil exécutif lui-même.

Il avait supprimé l' article 50 bis qui tendait à permettre à l'Assemblée de Corse de disposer, avant l'examen du compte administratif, d'un rapport de la chambre régionale des comptes sur les conditions d'exécution du budget et de lui demander de procéder à des vérifications.

Sur proposition du Gouvernement, il avait admis l'extension à la collectivité territoriale de Corse de la procédure d'adoption sans vote du budget des conseils régionaux (article 50 ter ) .

Enfin, le Sénat avait supprimé l' article 51 qui prévoyait l'entrée en vigueur de la loi à compter du 1 er janvier de l'année suivant sa publication, c'est-à-dire, compte tenu des délais d'examen du texte, sans doute en 2003.

* 1 Toutefois, trois d'entre eux ont été rappelés pour coordination par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (articles 16, 31 et 32).

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