III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION SPÉCIALE : LA CONFIRMATION DES ORIENTATIONS RETENUES PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE

La confirmation par l'Assemblée nationale de la plupart de ses choix antérieurs, sans véritable volonté de prendre en compte les travaux du Sénat, conduit votre commission spéciale à maintenir les analyses qu'elle avait soumises au Sénat en première lecture et à lui demander de rétablir , pour l'essentiel, les dispositions qu'il avait votées.

Sur le volet institutionnel , votre commission spéciale vous propose de supprimer à nouveau les dispositions conférant à la collectivité territoriale de Corse un pouvoir d'adaptation législative, un pouvoir d'adaptation des règlements nationaux et un pouvoir réglementaire propre.

Votre commission spéciale dénonce les illusions créées par cet article premier , qui aurait une portée considérable sur notre cadre institutionnel mais dont il est peu probable qu'il trouve une application en fait.

Il en irait nécessairement ainsi dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel, saisi d'un recours, censurerait les dispositions de l'article premier conférant un pouvoir normatif à la collectivité territoriale de Corse dans les domaines législatif et réglementaire. M. Bernard Roman, président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, reconnaît lui-même que sur l'article premier, « le Conseil constitutionnel pouvait éventuellement formuler des réserves sans, pour autant, le déclarer globalement contraire à la Constitution » 2 ( * ) .

Mais, même si ces dispositions devaient demeurer dans le texte promulgué au journal officiel, compte tenu du calendrier électoral pour 2002 et de ses répercussions sur le calendrier législatif, la collectivité territoriale de Corse n'aurait matériellement pas le temps de procéder aux expérimentations et à leur évaluation pour fonder la révision constitutionnelle annoncée pour 2004.

L'article premier génère donc des illusions sans lendemain et risque fort de provoquer un sentiment de frustration .

Votre commission spéciale juge également très contestable la création d'une nouvelle commission parlementaire , dont la conformité à l'article 43 de la Constitution - lequel ne vise que les seules commissions spéciales désignées pour l'examen des projets et propositions, et commissions permanentes dont il limite le nombre à six dans chaque assemblée - n'est pas évidente, et dont les missions pourraient très bien être remplies tant par les commissions permanentes existantes que par l'Office parlementaire d'évaluation de la législation ( article premier ).

Concernant les offices , votre commission spéciale vous propose de rétablir la suppression par la loi des offices existants et la définition d'une nouvelle catégorie d'établissements publics, tout en répondant aux objections formulées par l'Assemblée nationale ( articles 40 à 42 bis ).

En ce qui concerne les dispositions relatives à la culture et à l'enseignement de la langue corse, votre commission spéciale vous propose de rétablir, à l'article 6 , le dispositif adopté en première lecture de façon à préserver la possibilité actuellement reconnue aux départements de conserver la gestion des IUFM issus des anciennes écoles normales.

Elle estime que la formulation reprise par l'Assemblée nationale à l'article 7 est ambiguë, puisque, de l'aveu du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, elle a pour objet d'instaurer un enseignement qui n'est « ni obligatoire, ni optionnel ». Cette ambiguïté ne lui paraît pas conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel puisque celui-ci, se prononçant sur la même formulation figurant dans le statut de la Polynésie, avait jugé indispensable d'apporter les clarifications nécessaires à travers des réserves interprétatives qui ne laissent pas place au doute. Celles-ci précisent en effet « qu'un tel enseignement ne saurait toutefois, sans méconnaître le principe d'égalité, revêtir un caractère obligatoire pour les élèves ; qu'il ne saurait non plus avoir pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ; que sous ces réserves , cet article n'est contraire à aucun principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle 3 ( * ) ».

Pour couper court à tout contresens, votre commission spéciale vous propose donc de compléter la formule adoptée par l'Assemblée nationale par un alinéa additionnel rappelant les conditions auxquelles celle-ci peut être jugée conforme à la Constitution.

Elle vous propose en outre de rétablir le dispositif alignant l'organisation du CAPES de Corse sur celle des autres CAPES de langues régionales.

Compte tenu des assurances qu'elle a obtenues de l'Académie de Corse, elle ne vous propose pas en revanche, de rétablir la disposition précisant que l'accès aux IUFM de Corse ne peut être fondé sur le seul critère de la connaissance de la langue corse.

Votre commission spéciale vous propose en outre, à l'article 9 , de revenir à une rédaction du premier alinéa de l'article L. 4424-7 du code général des collectivités territoriales, qui ne prive pas l'Etat de toute possibilité de conduire, en matière culturelle, des actions qui relèvent de la politique nationale, et l'autorise à en confier la mise en oeuvre à la collectivité territoriale de Corse. Elle vous suggère, en outre, de rétablir le dispositif adopté en première lecture pour l'article L. 144-6 du code de l'urbanisme, de façon à garantir une représentation des différentes catégories de collectivités territoriales au sein du Conseil des sites de Corse.

S'agissant des dispositions relatives à l'aménagement, aux transports et à l'environnement , votre commission spéciale vous propose de rétablir le projet de loi dans la rédaction du Sénat .

En ce qui concerne l'aménagement de l'espace , votre commission spéciale déplore que l'Assemblée nationale ait quasi-intégralement repris son texte de première lecture, hormis sur quatre points : suppression de certaines des dérogations à la loi « littoral », soumission du PADU aux règles générales d'urbanisme et possibilité de faire primer un projet d'intérêt général ( article 12 ) et allongement du délai de validité des concessions de gestion des ports et aéroports ( article  15 ). Cette position est d'autant plus inexplicable que le Sénat avait élaboré un dispositif que l'Assemblée nationale aurait pu enrichir ou amender, tout en rétablissant le reste de son texte.

S'il est loisible de se féliciter que le texte transmis au Sénat ne comporte plus de dispositions tendant à permettre l'urbanisation « dérogatoire » et incontrôlée des espaces proches du rivage, aucun mécanisme de substitution n'a été adopté au cours de la nouvelle lecture au Palais Bourbon. Il s'ensuit que ce que le rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale décrivait comme le « carcan » de la loi « littoral » reste intact. Pire ! Il semble même renforcé par l'élaboration du PADU ! Dans ces conditions, le mécanisme tendant à autoriser l'urbanisation des espaces proches, sous réserve d'un don au Conservatoire du littoral, semble d'autant plus indispensable. De même, les diverses dispositions tendant à permettre une réelle décentralisation de l'élaboration des documents d'urbanisme (aide financière à l'élaboration de plans locaux d'urbanisme et de cartes communales) apparaissent-elles plus que jamais nécessaires.

En matière de transports , l'Assemblée nationale a détourné de son sens l'allongement de la durée des concessions de gestion des aéroports et des ports que le Sénat avait repoussée jusqu'à la fin 2003. De ce fait même, la collectivité territoriale de Corse n'aura aucune marge de manoeuvre pour choisir le mode de gestion qu'elle juge le plus approprié.

En ce qui concerne l'environnement , l'Assemblée nationale a rétabli son texte notamment en ce qui concerne les dispositions tendant à conférer à la collectivité territoriale de Corse la compétence pour édicter des dispositions qui relèvent dans le droit commun, d'un décret ou d'un décret en Conseil d'Etat.

Pour l'ensemble de ces motifs, votre commission spéciale vous propose de rétablir le texte adopté en première lecture par le Sénat.

S'agissant des dispositions relatives au développement économique , votre commission spéciale vous propose d'adopter sans modification l' article 17 , relatif aux aides aux entreprises, dans la mesure où l'Assemblée nationale s'est ralliée aux propositions du Sénat.

En revanche, elle vous propose de rétablir, pour l'essentiel, les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture aux articles 18 (orientations en matière de développement touristique), 19 (classement des stations, organismes et équipements de tourisme), 20 (détermination des grandes orientations du développement agricole, rural et forestier de la Corse) et 22 (formation professionnelle), car elles permettent de clarifier la répartition des compétences entre l'Etat, la collectivité territoriale de Corse et les autres collectivités locales.

Sur le dispositif fiscal et financier, votre commission spéciale vous propose de réaffirmer certaines positions exprimées par le Sénat en première lecture. S'agissant de l'aide fiscale à l'investissement (articles 43 et 44) , elle préconise l'inscription du secteur des bâtiments et travaux publics dans la liste des secteurs d'activité éligibles au crédit d'impôt à taux majoré, elle prévoit une sortie en trois ans pour l'ensemble des dispositifs fiscaux et sociaux issus de la loi relative à la zone franche de Corse, et propose d'élargir aussi bien l'assiette de l'exonération de taxe professionnelle que sa durée d'application.

Elle vous propose également de rétablir l' article 38 bis , affectant à la collectivité territoriale de Corse le produit de la taxe générale sur les activités polluantes perçu en Corse.

A l'article 45 , relatif au régime fiscal des successions , votre commission spéciale vous suggère de revenir à son dispositif initial de déclaration des successions et de sanction de la non reconstitution des titres de propriété. Elle confirme son souhait de mettre en place une exonération de droits de mutation à titre gratuit entre vifs, de manière à encourager la reconstitution des titres de propriété.

Votre commission spéciale vous propose également de supprimer une nouvelle fois l'article 45 bis relatif à l'allégement de la dette sociale des agriculteurs, la discussion à l'Assemblée nationale n'ayant apporté aucun élément permettant d'en améliorer la conformité à la Constitution.

Enfin, à l' article 47 , votre commission spéciale vous propose de revenir à la rédaction retenue par le Sénat en première lecture, qui prévoit la participation de droit des présidents des associations départementales des maires à la conférence de coordination des collectivités territoriales de Corse . Elle considère en effet que les 360 communes de Corse constituent les cellules de base de la démocratie locale et doivent être associées aux échanges de vue concernant l'île.

* 2 Rapport n° 3399 (AN, XIème législature) de M. Bruno Le Roux au nom de la commission des Lois, page 40.

* 3 Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996

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