B. INSUFFISANCES DE LA PCP ANALYSÉES PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE DANS LE « LIVRE VERT »

Le « Livre vert » s'inscrit dans la perspective d'une réforme annoncée de longue date. En effet, lors d'un premier réexamen de la PCP intervenu en 1992, la décision avait été prise de proroger temporairement les règles en vigueur, avec certains ajustements, mais aussi de fixer l'échéance pour une nouvelle décision au 31 décembre 2002 au plus tard. Le débat sur le « Livre vert » est donc d'une grande importance pour l'avenir de la politique de la pêche.

Le « Livre vert » analyse, avec une certaine lucidité, les insuffisances de la PCP et les défis qu'elle doit relever. Il déplore :

- les difficultés à endiguer la surpêche ;

- les défaillances du processus décisionnel ;

- les insuffisances de la surveillance et du contrôle ;

- un résultat économique et social décevant ;

- une articulation délicate entre la politique extérieure de la pêche et la politique de développement durable.

1) Les difficultés à endiguer la surpêche

Politique de conservation : inquiétude sur certains stocks de ressources halieutiques

Du point de vue biologique, la Commission juge la durabilité d'un grand nombre de stocks menacée si l'intensité de l'exploitation se maintient au niveau actuel ; ce sont les stocks de poissons ronds démersaux, notamment le cabillaud et le merlu, qui seraient aujourd'hui le plus en danger et exigeraient des actions urgentes : les quantités de poissons démersaux adultes étaient en moyenne de 90 % supérieures au début des années 1970 par rapport à la fin des années 1990.

Pour une exploitation maîtrisée des stocks, la Politique commune de la Pêche a recouru presque exclusivement au plafonnement des quantités qu'il est permis de pêcher en un an (TAC et quotas nationaux fixés en conséquence), et elle a établi des dispositions concernant par exemple le maillage, les zones interdites, les périodes d'arrêt biologique (mesures techniques). On s'est autrefois efforcé de combiner ces mesures (destinées à maîtriser les quantités pêchées) avec d'autres, portant sur la capacité de la flotte ; la Commission considère que ces tentatives ont largement échoué . Il n'a pas été possible de tirer parti de tous les instruments mis à disposition par le règlement 3760/92. De modestes progrès ont été réalisés grâce à une programmation pluriannuelle; quant à la gestion de l'effort de pêche, elle a donné des résultats médiocres.

Il est encore trop tôt pour apprécier l'efficacité de la réglementation sur les nouvelles mesures techniques, en vigueur depuis le début de l'an 2000, mais la Commission estime que ce dispositif ne pourra résoudre que partiellement les problèmes qui se posent à l'heure actuelle. Le contrôle des maillages reste une opération difficile, surtout lorsque plusieurs maillages différents peuvent être utilisés au cours de la même campagne de pêche. Si le respect des mesures techniques demeure problématique, c'est aussi en raison de la complexité des réglementations et de leur diversité selon les secteurs géographiques.

La Commission reconnaît qu'il n'a pas été possible non plus d'impliquer suffisamment les pêcheurs dans la politique mise en oeuvre, ce qui aurait permis d'obtenir leur adhésion et de mettre à profit leur savoir-faire.

La Commission regrette que le Conseil ait fixé certains totaux admissibles de capture (TAC) à des niveaux systématiquement supérieurs à ceux qu'elle proposait sur la base des avis scientifiques ; la surpêche, les rejets et la surcapacité de la flotte sont aussi partiellement responsables des problèmes actuels.

Enfin, la Commission relève de notables lacunes et faiblesses dans les avis et les informations émanant des scientifiques, ces derniers n'ayant pas les moyens de se consacrer à des recherches innovantes portant sur d'autres possibilités envisageables aux fins de mesures de gestion.

Une dimension environnementale à prendre en compte

La Commission juge que la PCP devrait aller beaucoup plus loin dans le sens d'une intégration volontariste de la dimension environnementale dans l'élaboration de la stratégie à mettre en oeuvre. En effet, la durabilité du secteur de la pêche est tributaire du bon fonctionnement de l'écosystème, ainsi que des espèces qui en font partie.

Elle regrette les lacunes des connaissances sur le fonctionnement des écosystèmes marins, et sur les effets collatéraux de la pêche propres à aggraver les déficiences environnementales de la PCP.

La pollution engendrée par l'industrie, le tourisme ou d'autres activités humaines a des effets négatifs sur la qualité et la quantité de poissons ainsi que sur les écosystèmes. La Commission juge important de prendre les mesures adéquates pour combattre de manière cohérente ces effets négatifs.

Une politique de gestion de la flotte jugée peu rigoureuse

La flotte actuelle, dont la capacité de pêche est actuellement définie en termes de tonnage et de puissance motrice, est jugée beaucoup trop importante par la Commission.

Le progrès technique accroît l'efficacité des bateaux de pêche et il réduit ainsi l'impact des efforts tendant à une réduction programmée de la capacité.

Les programmes d'orientation pluriannuels (POP) de la flotte de pêche, censés réduire le problème de sa surcapacité, ont été fixés par le Conseil à des niveaux moins ambitieux que ce que la Commission estimait nécessaire pour traiter efficacement le problème de la surcapacité et, souvent, n'ont pas été mis en oeuvre.

Contrairement à la proposition de la Commission, l'actuel programme, POP IV (1997- 2001), est beaucoup moins ambitieux que le POP III : pour une période de validité de cinq ans, il vise une réduction de 3 % de la capacité et de 2 % de l'activité. Ces objectifs ont déjà été atteints en matière de capacité dès 1997, année d'adoption du POP IV.

En outre, le fait de combiner des réductions dont les unes portent sur l'activité et les autres sur la capacité, rend l'administration du POP IV extrêmement complexe et onéreuse, tant pour les États membres que pour la Commission.

Les aides au titre de la construction ou de la modernisation et les coûts d'exploitation ont peut-être, suggère la Commission, concouru à aggraver la surcapacité actuelle.

2) Les défaillances du processus décisionnel

La Commission juge que le processus décisionnel est inadapté et néglige d'impliquer les intéressés.

La Commission européenne convient que le cadre juridique actuel n'est pas bien adapté à la nécessité de réagir à des problèmes locaux ou à des situations de crise.

De surcroît, elle n'ignore pas que les acteurs du secteur ont le sentiment de n'être pas suffisamment associés à certains aspects importants de la politique mise en oeuvre (élaboration d'avis scientifiques, adoption de mesures techniques...).

Ce déficit de participation influe négativement sur l'adhésion aux mesures de conservation adoptées . Les intéressés ne sont pas satisfaits des dispositifs de consultation existants, tel que le comité consultatif de la pêche et de l'aquaculture. Les ateliers régionaux récemment organisés par la Commission pour traiter les problèmes de gestion spécifiques ont été considérés comme un pas dans la bonne direction, mais la Commission a le sentiment que les différents acteurs concernés attendent davantage.

3) Les insuffisances de la surveillance et du contrôle

La Commission est consciente que les pêcheurs demandent la mise en place, au niveau communautaire, d'un système de contrôle plus centralisé et plus harmonisé, qui permettrait, selon eux, d'agir plus efficacement dans toute la Communauté et d'y assurer l'égalité de traitement. Elle n'ignore pas que les résultats obtenus quant au suivi des infractions ne leur semblent pas non plus satisfaisants.

L'organisation du contrôle et de la surveillance est aujourd'hui compartimentée et les ressources disponibles pour l'inspection et pour le contrôle sont loin d'être optimales.

La Communauté n'est pas davantage parvenue à arrêter une position sur le contrôle des activités de pêche dans le cadre des organisations régionales de la pêche (ORP).

4) Un résultat économique et social décevant

Les effets économiques de la PCP sont importants. L'organisation commune du marché et la politique commerciale commune permettent de soutenir les cours et d'offrir une protection tarifaire aux producteurs communautaires. Par l'intermédiaire de l'Instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP), la Communauté intervient significativement dans le secteur de la pêche, en finançant des investissements concernant aussi bien des bateaux de pêche que des installations côtières pour la transformation et pour l'aquaculture. Enfin, le secteur de la pêche bénéficie également de certaines aides d'Etat , hors IFOP. Si l'on totalise les financements communautaires et nationaux, la masse d'argent public injectée chaque année dans le secteur de la pêche en Europe s'établit à environ 1,1 milliard d'euros , soit une part importante de la valeur de la production communautaire totale (de l'ordre de 7 milliards d'euros pour le poisson débarqué et de 2 milliards pour l'aquaculture).

En outre, les fonds structurels prévoient que les zones côtières et îles les moins prospères de l'Union Européenne sont éligibles aux programmes d'aides de l'Objectif 1 (régions accusant un retard de développement) jusqu'en 2006. Ces programmes couvrent la plus grande partie des régions côtières et des îles appartenant à quatre pays : Portugal, Espagne, Italie et Grèce. D'autres régions sont aidées au titre de l'objectif 2 (régions en restructuration) qui vise entre autres, des régions dépendantes de la pêche en difficulté dans cinq Etats membres. Un programme particulier, PESCA , était également introduit pendant la période de programmation précédente, 1994-1999, pour soutenir l'adaptation des marins pêcheurs aux changements du secteur et pour les préparer à des activités alternatives.

Si la situation économique de la pêche s'est quelque peu améliorée au milieu des années 90 pour des raisons conjoncturelles (hausse de la valeur du poisson débarqué et baisse, en termes réels, du coût du carburant -tendance qui s'est brutalement inversée depuis lors-), la Commission estime que la surcapacité a toujours des effets économiques fâcheux sur la rentabilité de la flotte . Selon son analyse, chaque navire, considéré isolément, se trouve moins à même de procurer un revenu adéquat ; la rentabilité de la flotte souffre de la sous-utilisation des investissements ; simultanément, l'insuffisance du retour sur investissement retarde la modernisation et affaiblit encore la compétitivité. C'est pourquoi la Commission considère que l'amélioration des résultats économiques et financiers de la flotte de pêche communautaire passe avant tout par une réduction quantitative globale des moyens de production mis en oeuvre, évaluée à 40 % .

La Commission juge également nocive la politique de subvention : réduisant artificiellement les coûts ainsi que les risques inhérents à l'investissement, les subventions aggravent les difficultés d'un secteur qui souffre déjà de « surcapitalisation ». Dès qu'un navire donne lieu à l'octroi de subventions, chaque navire de la flottille concernée enregistre une baisse de sa productivité et de sa rentabilité. La Commission relève aussi que la politique des subventions a des effets pervers sur la concurrence, étant donné que les navires, subventionnés ou non, se partagent les mêmes zones de pêche et le même marché. Enfin, supportant des coûts très élevés au titre du remboursement des emprunts contractés pour investir, les propriétaires de navires ont moins de moyens pour améliorer la rémunération de leurs équipages.

La Commission constate aussi que l'emploi dans le secteur de la pêche est en constante régression . De 1990 à 1997, la baisse des effectifs s'établit à 13 % (soit une perte de 60.000 emplois) et les aides communautaires à l'investissement en capital n'ont pu, selon la Commission, qu'accentuer la tendance.

Si les politiques existantes demeurent inchangées, la Commission juge que le secteur européen de la pêche sera de plus en plus menacé dans sa durabilité , dans sa viabilité économique et dans sa compétitivité, même sur son propre marché. En outre, si la surcapitalisation persiste et si la flotte reste surdimensionnée, la durabilité des ressources de pêche sera compromise, sans que soit résolu pour autant le problème de l'emploi dans les régions où la pêche revêt une grande importance économique.

Selon la Commission, une gestion durable de la pêche, impliquant l'accroissement des stocks de poisson, se soldera par une rentabilité accrue de la pêche, activité à laquelle de nouveaux venus pourraient alors s'intéresser.

La Commission relève aussi que l'aquaculture contribue de manière importante à l'approvisionnement en poisson, sans accroître la pression sur les stocks, et qu'elle fournit des emplois de substitution dans de nombreuses régions tributaires de la pêche . A ce titre, l'aquaculture lui apparaît comme un secteur à encourager, dans le respect des exigences relatives à l'environnement et à la protection de la santé.

5) Une articulation délicate entre la politique extérieure de la pêche et la politique de développement durable

La flottille de la Communauté opère surtout dans les eaux communautaires, mais il n'en demeure pas moins que le secteur communautaire de la pêche est tributaire, dans une mesure non négligeable, de l'accès à des ressources non communautaires, c'est-à-dire à des ressources qu'il faut partager avec des pays tiers, lesquels s'entendent avec la Communauté, dans le cadre des « accords de pêche », sur la définition des conditions d'accès.

Il faut que la politique actuelle s'adapte à l'évolution de la conjoncture et aux nouveaux défis à relever tels que l'apparition de nouveaux acteurs, les aspirations légitimes de nombreux pays en voie de développement à renforcer leur industrie de la pêche et enfin les impératifs du développement durable et d'une pêche responsable.

En effet, la Commission s'inquiète des conséquences des accords de pêche sur les ressources halieutiques des pays en développement et sur le développement à long terme du potentiel local de la pêche.

Cette analyse des insuffisances de la PCP dresse un bilan plutôt sombre mais, sur plusieurs points, assez réaliste, de la mise en oeuvre de cette politique depuis vingt ans. Quand bien même, comme certains ont pu le dire, la Commission aurait noirci le trait pour justifier un durcissement de la PCP, le constat de ses insuffisances doit être saisi par la France comme une opportunité pour revoir les principes et le fonctionnement de la PCP.

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