Rapport n° 338 (2001-2002) de M. Pierre FAUCHON , fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 février 2002

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N° 338

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 21 février 2002

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 juin 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du Règlement sur le livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen (E-1912),

Par M. Pierre FAUCHON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. René Garrec, président ; M. Patrice Gélard, Mme Michèle André, MM. Pierre Fauchon, José Balarello, Robert Bret, Georges Othily, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Lucien Lanier, Jacques Larché, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.

Voir le numéro :

Sénat : 288 (2001-2002)

Union européenne.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 26 juin 2002, sous la présidence de M. René Garrec, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, la proposition de résolution (n° 288) présentée, en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Pierre Fauchon au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur le livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen (E 1912).

Le rapporteur a tout d'abord rappelé que le Sénat s'était déjà prononcé à deux reprises en faveur de la constitution, au niveau européen, d'une autorité responsable des poursuites en matière de criminalité transnationale.

Il a souligné que le livre vert soumis au Parlement au titre de l'article 88-4 de la Constitution proposait la création d'un procureur européen , dont la compétence serait limitée à la fraude aux intérêts communautaires. Cette fraude a pris une importance considérable au cours des dernières années et risque encore de s'aggraver avec le prochain élargissement de l'Union européenne.

Le rapporteur a indiqué que la délégation pour l'Union européenne du Sénat avait adopté à l'unanimité une proposition de résolution approuvant la création du procureur européen tout en soulignant, d'une part, qu'elle devrait s'accompagner d'une unification des incriminations et des procédures, d'autre part que les actes du procureur européen et la décision de renvoi en jugement devraient être contrôlés par une instance juridictionnelle communautaire .

Le rapporteur a proposé à la commission d'approuver la proposition de résolution tout en précisant qu'à terme la création d'une juridiction européenne de jugement devrait être envisagée pour statuer sur les faits poursuivis par le procureur européen.

A l'issue d'un débat auquel ont participé MM. Christian Cointat, Robert Badinter, Maurice Ulrich, Patrice Gélard, Jean-Jacques Hyest, Laurent Béteille, Pierre Fauchon, rapporteur et René Garrec, président, la commission a adopté la proposition de résolution dans le texte proposé par le rapporteur.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi au titre de l'article 88-4 de la Constitution d'un livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen.

Le 5 avril 2002, la délégation pour l'Union européenne a adopté une proposition de résolution soumise à votre commission des lois.

Après avoir rappelé l'intérêt constant du Sénat pour la construction de l'espace judiciaire européen, votre rapporteur présentera les orientations principales du livre vert avant d'exposer le contenu de la proposition de résolution et les propositions de votre commission.

I. UN INTÉRÊT CONSTANT DU SÉNAT POUR LA CONSTRUCTION DE L'ESPACE JUDICIAIRE EUROPÉEN

Le Sénat est très actif depuis plusieurs années dans le processus de construction de l'espace judiciaire européen.

Dès 1997, la délégation pour l'Union européenne publiait un rapport d'information sur la construction d'un espace judiciaire européen qui préconisait la création d'un ministère public européen et la définition d'un droit pénal de l'Union pour lutter contre la grande criminalité transnationale.

Ce rapport proposait de recourir à une méthode originale pour la construction de l'espace judiciaire européen, à savoir la réunion des représentants des Parlements nationaux et du Parlement européen dans une enceinte chargée d'élaborer les textes d'unification des droits pénaux. Cette méthode a par la suite été retenue pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux, puis pour la préparation de la prochaine Conférence intergouvernementale.

Le 29 mars 2001, le Sénat a adopté en séance publique une résolution relative à la création d'EUROJUST , organe de coopération entre les Etats membres de l'Union européenne en matière de criminalité transnationale.

Dans sa résolution, le Sénat demande notamment au Gouvernement « d'agir au sein du Conseil afin qu'une Convention composée de parlementaires nationaux et européens ainsi que de représentants des gouvernements et de la Commission européenne soit réunie pour étudier, dans les matières relevant de la compétence d'Eurojust, les conditions de l'unification des droits pénaux et de la création d'un ministère public européen ainsi que toute question que l'expérience d'EUROJUST mettrait en lumière . »

En décembre 2001, le Sénat a adopté une résolution relative au mandat d'arrêt européen et à la lutte contre le terrorisme . Dans cette résolution, le Sénat souligne notamment que « seule l'unification au niveau européen des incriminations et des procédures constituerait une réponse adaptée à l'ampleur des défis soulevés par les formes graves de criminalité internationale ».

Le Sénat « considère que cette unification implique notamment :

- la constitution d'une autorité responsable des poursuites ;

- l'attribution à EUROPOL de compétences opérationnelles . »

Ainsi, le Sénat a déjà montré à plusieurs reprises l'importance qu'il attache à la réalisation de l'espace judiciaire européen et notamment à la constitution d'une autorité européenne responsable des poursuites.

II. LE LIVRE VERT DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : CRÉER UN PROCUREUR EUROPÉEN COMPÉTENT EN MATIÈRE DE PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DE LA COMMUNAUTÉ

L'idée de la création d'un ministère public européen n'est pas nouvelle. En 1982, la France avait proposé la création d'une Cour pénale européenne, compétente pour les formes graves de criminalité transnationale comme le terrorisme.

En 1997, le corpus juris , élaboré sous la direction de Mme Mireille Delmas-Marty, préconisait la création d'un procureur européen dans le domaine spécifique de la protection des intérêts financiers de la Communauté. Il prévoyait également la définition d'incriminations communes à tous les Etats membres en la matière.

L'idée d'un parquet européen a resurgi à l'occasion des négociations relatives à la création d'EUROJUST, parfois présenté comme l'embryon d'un ministère public. En pratique cependant, le Conseil de l'Union européenne a finalement décidé qu'EUROJUST serait une unité chargée d'améliorer la coopération judiciaire.

En septembre 2000, alors que s'achevaient les négociations qui allaient conduire au traité de Nice, la Commission européenne a soumis à la Conférence intergouvernementale une proposition de création d'un parquet européen compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté. Les chefs d'Etat et de Gouvernement n'ont pas retenu cette proposition.

Le livre vert soumis au Sénat dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution reprend cette proposition.

A. LA PROCÉDURE DU LIVRE VERT

Le Sénat a été saisi le 15 janvier 2002 par le Gouvernement au titre de l'article 88-4 de la Constitution d'un livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen .

Les livres verts de la Commission européenne sont des documents de consultation destinés à préparer l'élaboration de propositions législatives au niveau communautaire. Ces documents permettent à la Commission européenne de recueillir le plus grand nombre d'avis possibles sur un sujet afin de vérifier l'opportunité de légiférer et de déterminer la meilleure façon d'agir.

Depuis 1992, l'Assemblée nationale et le Sénat sont saisis des propositions d'actes communautaires et peuvent adopter des propositions de résolution. Dans un premier temps, les documents de consultation de la Commission européenne, parmi lesquels les livres verts, n'ont pas été soumis aux assemblées, le Conseil d'Etat et le Gouvernement considérant qu'ils n'avaient pas valeur de proposition.

La révision constitutionnelle de janvier 1999 a rendu explicitement possible la soumission au Parlement des documents de consultation. C'est à ce titre que le Gouvernement a décidé de soumettre le livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen au Parlement.

Le livre vert comporte toute une série de questions, les réponses devant permettre d'éclairer la Commission européenne en vue de la préparation d'une proposition. Les procédures parlementaires ne permettent pas au Sénat, en tant qu'institution, de répondre directement à chacune des questions posées.

La délégation pour l'Union européenne a décidé le dépôt d'une proposition de résolution permettant au Sénat de prendre position sur les principales questions soulevées dans le livre vert. Cette proposition de résolution est aujourd'hui soumise à votre commission des lois.

B. LE CONTENU DU LIVRE VERT : LA CRÉATION D'UN PROCUREUR EUROPÉEN

Le livre vert de la Commission européenne envisage la création d'un procureur européen dont la compétence serait limitée à la protection des intérêts financiers de la Communauté .

1. L'importance de la fraude communautaire

De nombreuses affaires ont montré au cours des dernières années que la fraude communautaire représentait des sommes très importantes. Dans le livre vert, la Commission européenne observe ainsi que « Dans le total des cas d'irrégularités détectées par la Commission et les Etats membres, la part de ceux qui appellent un traitement pénal -caractérisés par un élément intentionnel- a été estimée en 1999 par la Commission et les Etats membres à environ 20 % des cas connus et à près de 50 % des montants correspondant. Ainsi entendue, la fraude portant atteinte aux intérêts financiers communautaires décelée tant par les Etats membres que par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) en 1999 portait sur un montant total évalué à 413 millions d'euros ».

Certaines estimations laissent à penser que la fraude porterait en fait sur près d'un milliard d'euros.

Face à cette situation, les moyens de détection administrative mis en place au niveau communautaire ont été perfectionnés, notamment grâce à la mise en place de l'OLAF.

Par ailleurs, plusieurs instruments ont été adoptés par les Etats membres sur la protection pénale des intérêts financiers, notamment une convention du 26 juillet 1995. Or, cette convention n'est pas encore entrée en vigueur, faute d'avoir été ratifiée par tous les Etats membres.

Malgré ces efforts, la répression des fraudes au budget communautaire n'est pas assurée dans de bonnes conditions compte tenu du morcellement de l'espace pénal européen .

Comme le note la Commission européenne, « l'implication de la criminalité organisée dans la fraude aux intérêts financiers communautaires et le caractère transnational de cette dernière obligent actuellement à une coopération avec dix-sept ordres judiciaires 1 ( * ) appliquant des règles de fond et de procédure différentes. A la faveur de l'élargissement de l'Union, ces difficultés vont s'accroître avec l'augmentation du nombre d'Etats membres et du nombre d'opérateurs et administrations impliqués dans la gestion des fonds communautaires ».

Dans ces conditions, la création d'un procureur européen compétent en matière d'atteintes aux intérêts financiers apparaît particulièrement pertinente.

Elle serait en cohérence avec la séparation entre le premier pilier et le troisième pilier de l'Union, dont relève la coopération judiciaire en matière pénale. En effet, la lutte contre la fraude est déjà largement « communautarisée » et la création d'un procureur européen marquerait, à cet égard, un aboutissement logique de l'intégration communautaire. Elle resterait en cohérence avec les autres formes de criminalité relevant du troisième pilier, pour lesquelles EUROJUST continuerait de jouer un rôle de premier plan.

2. Le dispositif envisagé par la Commission européenne

Si le livre vert est destiné à organiser une large consultation, il reprend et complète la proposition qu'avait formulée la Commission européenne avant la signature du traité de Nice. Les questions qu'il contient concernent davantage les modalités d'organisation du ministère public européen que le principe même de la création de ce ministère public.

a) Les compétences du procureur européen

Le procureur européen serait exclusivement compétent en matière de fraude aux intérêts communautaires.

S'agissant d'un ministère public compétent sur l'ensemble du territoire communautaire, la Commission européenne estime qu'une définition commune des incriminations poursuivies est nécessaire.

Certaines infractions ont déjà donné lieu à l'élaboration de définitions communes : la fraude, la corruption et le blanchiment de capitaux.

La Commission européenne considère que le procureur européen devrait être compétent pour poursuivre d'autres infractions liées à la protection des intérêts financiers communautaires : fraude en matière de passation de marché, association de malfaiteurs, abus de fonction, révélation de secret de fonction...

b) Les prérogatives du procureur européen

Reprenant sa proposition de septembre 2000, la Commission européenne suggère dans son livre vert que les missions du procureur européen soient les suivantes :

- Le procureur européen devrait rassembler les preuves , à charge et à décharge, afin de permettre, le cas échéant, d'engager des poursuites à l'encontre des auteurs des infractions définies en commun pour protéger les intérêts financiers de la Communauté. Il devrait ainsi être chargé de la direction et de la coordination des poursuites. Le procureur européen aurait une compétence spécialisée, prioritaire sur les compétences des autorités de poursuite nationales, mais pour autant articulée avec celles-ci afin d'éviter les doubles emplois.

- Recourant aux autorités de recherche existantes (police) pour l'exécution des investigations, le procureur européen exercerait la direction des activités de recherche dans les affaires qui le concernent.

- Le procureur européen aurait compétence, sous le contrôle du juge, pour renvoyer en jugement les auteurs des faits poursuivis .

- Le procureur devrait, lors du procès lui-même, exercer l'action publique afin de défendre les intérêts financiers des Communautés.

c) Le statut du procureur européen

Le procureur européen serait choisi parmi des personnalités offrant toutes les garanties d'indépendance, et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles.

Le procureur européen devrait être indépendant, tant à l'égard des parties au procès qu'à l'égard des Etats membres et des institutions et organes communautaires.

La Commission européenne propose que le procureur européen soit nommé par le Conseil de l'Union européenne à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission et après avis conforme du Parlement européen.

Le procureur serait nommé pour un mandat de six ans non renouvelable.

Le « ministère public européen » serait un organe très décentralisé, dirigé par le procureur européen et composé de procureurs européens délégués , désignés par chaque Etat membre.

Selon le volume d'affaires à traiter et l'organisation judiciaire interne des Etats membres, un ou plusieurs procureurs européens délégués pourraient être institués dans chaque Etat membre. Les procureurs européens délégués seraient habilités par le procureur européen sur proposition de leur Etat membre d'origine, parmi les fonctionnaires nationaux chargés, dans leur Etat membre respectif, de fonctions de poursuites pénales. Il pourrait s'agir, selon les Etats membres, de procureurs nationaux, ayant ou non le statut de magistrat, ou bien de fonctionnaires désignés à cette fin, là où l'institution du ministère public n'est pas connue.

Le livre vert ne tranche pas en ce qui concerne la possibilité ou non pour les procureurs délégués de cumuler des fonctions nationales et leurs fonctions européennes.

d) La procédure applicable

- Le procureur européen pourrait être saisi par toute personne physique ou morale et pourrait s'auto-saisir. Certaines autorités nationales et communautaires ayant des compétences particulières dans le domaine de la lutte contre la fraude aux intérêts communautaires auraient l'obligation de saisir le procureur européen.

- La Commission estime souhaitable que soit retenu le principe de la légalité des poursuites , tempéré par quelques exceptions.

- Les actes accomplis sous l'autorité du procureur européen, dès lors qu'ils pourraient mettre en jeu les libertés individuelles et les droits fondamentaux, devraient être soumis au contrôle du juge national exerçant la fonction de juge des libertés . Le contrôle ainsi exercé dans un Etat membre serait retenu dans toute la Communauté, afin de permettre l'exécution des actes autorisés et l'admissibilité des preuves recueillies dans tout autre Etat membre.

- A l'issue de la phase préparatoire au jugement, un juge national exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement confirmerait les charges sur la base desquelles le procureur européen entend requérir et la validité de la saisine de la juridiction de renvoi.

III. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION SOUMISE À VOTRE COMMISSION : APPROUVER SOUS CERTAINES CONDITIONS LA CRÉATION D'UN MINISTÈRE PUBLIC EUROPÉEN

Le 5 avril dernier, votre rapporteur a déposé, au nom de la délégation pour l'Union européenne qui l'a adoptée à l'unanimité , une proposition de résolution relative à la création du procureur européen.

La proposition de résolution souligne l'urgence de la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice face à l'augmentation de la criminalité transnationale, en raison du morcellement de l'espace pénal européen qui risque de s'aggraver avec le prochain élargissement de l'Union européenne.

Elle indique que seule la constitution d'une autorité responsable des poursuites et l'unification des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre des poursuites et des enquêtes constituerait une réponse adaptée face aux formes graves de criminalité transfrontalière.

La proposition de résolution approuve en conséquence le principe de la création d'un ministère public européen compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté sous deux réserves :

- d'une part, la création du ministère public devrait s'accompagner de la création d'une instance juridictionnelle pénale au niveau européen, éventuellement issue de la Cour de justice des Communautés européennes compétente pour contrôler les actes de recherche qui constituent une restriction aux libertés fondamentales et la décision de renvoi en jugement, ainsi que pour se prononcer sur le fond ;

- d'autre part, la création du ministère public européen devrait s'accompagner d'une unification des règles et des procédures pénales et non d'une simple harmonisation.

Enfin, la proposition de résolution préconise qu'une instance comprenant notamment des délégués des parlements nationaux et du Parlement européen prépare cette unification des règles de droit pénal et des procédures. Elle souligne l'intérêt de recourir au mécanisme de la coopération renforcée si la création du procureur européen ne recueillait pas l'unanimité.

IV. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION : APPROUVER ET PRÉCISER LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Votre commission des Lois approuve les orientations de la proposition de résolution, qu'elle propose simplement de préciser davantage pour tenir compte des auditions conduites par votre rapporteur.

A. LA CRÉATION D'UN PROCUREUR EUROPÉEN N'EST PAS CONTRADICTOIRE AVEC L'EXISTENCE D'EUROJUST

Votre commission des lois approuve les orientations de la proposition de résolution. Par deux fois déjà, elle s'est prononcée en faveur de la création d'un ministère public européen . Elle ne peut donc qu'être favorable à la création d'un procureur compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté.

Il est vrai que la création du procureur européen est parfois considérée comme inutile depuis la mise en place d'EUROJUST. Cependant, si EUROJUST est compétent pour de nombreuses infractions, ses pouvoirs sont extrêmement limités.

Il n'est guère réaliste de penser qu'EUROJUST se transformera progressivement en un véritable parquet européen. A cet égard, il convient de remarquer que les missions d'EUROJUST ont été intégrées dans le traité de Nice et que la transformation d'EUROJUST en un parquet européen nécessiterait la révision des traités.

Votre commission estime particulièrement nécessaire que le procureur européen soit indépendant à l'égard des institutions communautaires, singulièrement de la Commission européenne, qui dispose de compétences en matière de lutte contre la fraude.

B. L'UNIFICATION NÉCESSAIRE DES INCRIMINATIONS

Comme la délégation pour l'Union européenne, votre commission considère que la création du procureur européen devrait s'accompagner d'une unification des droits pénaux et des procédures et non d'une simple harmonisation des législations nationales. Une telle unification apparaît particulièrement nécessaire pour la définition des incriminations. L'idée d'une instance comprenant notamment des délégués des parlements nationaux et du Parlement européen, chargée de préparer cette unification, pourrait permettre de progresser en associant directement les représentants des peuples.

C. CRÉER UNE CHAMBRE PRÉLIMINAIRE AU NIVEAU EUROPÉEN

En ce qui concerne le contrôle des actes du procureur européen et la décision de renvoi devant une juridiction, la Commission européenne souhaite que ces missions soient confiées à des juges nationaux, dont les décisions seraient reconnues dans toute l'Union.

Un tel renvoi aux juges nationaux pourrait pourtant soulever de graves difficultés . En effet, la création du procureur européen a pour but de faciliter les enquêtes sur l'ensemble du territoire européen en évitant le recours à la coopération judiciaire, qui demeure souvent laborieuse. Si le contrôle des actes du procureur européen est soumis à un juge national, les mêmes difficultés que celles actuellement rencontrées risquent de se reproduire. En outre, le contrôle risque d'être particulièrement difficile à exercer s'agissant d'affaires presque toujours transnationales.

Confier le contrôle de l'acte de renvoi en jugement à un juge national ne protègerait pas les justiciables contre la pratique du « forum shopping », qui consisterait à laisser le choix au procureur européen de renvoyer l'affaire devant les tribunaux de l'Etat où celle-ci aurait le plus de chance d'aboutir à une condamnation.

Dans ces conditions, votre commission, comme la délégation pour l'Union européenne, estime souhaitable que la création du ministère public européen s'accompagne de la création d'une chambre préliminaire au sein de la Cour de justice des Communautés européennes, qui contrôlerait les actes du procureur susceptibles de porter atteinte aux libertés ainsi que l'acte de renvoi en jugement. Cette solution est celle qui a été retenue lors de la création de la Cour pénale internationale.

D. VERS UNE JURIDICTION DE JUGEMENT EUROPÉENNE ?

En ce qui concerne le jugement des affaires, la Commission européenne indique, sans plus de précisions dans le livre vert : « Il n'est pas question de créer une instance juridictionnelle communautaire pour juger du fond . »

Un verdict aussi lapidaire peut étonner. Même en unifiant les incriminations et les échelles de peines, le jugement des affaires de fraudes communautaires par les juridictions nationales ne risque-t-il pas de conduire à des jurisprudences très divergentes ? La situation ne risque-t-elle pas de s'aggraver à la suite du prochain élargissement ? Ces infractions extrêmement complexes n'impliquent-elles pas une spécialisation des juridictions compétentes ?

La proposition de résolution adoptée par la délégation pour l'Union européenne du Sénat indique qu'une instance juridictionnelle européenne devrait pouvoir se prononcer sur le fond des affaires. Votre commission souhaite affirmer clairement, qu'à terme, la question de la création d'une juridiction de jugement européenne devra nécessairement être abordée.

Pour préparer le présent rapport, votre rapporteur a rencontré M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation. Celui-ci a estimé nécessaire que la création d'un procureur européen s'accompagne de la création d'une juridiction de jugement pour aboutir à une répression uniforme. M. Canivet a noté que le renvoi aux juridictions nationales soulèverait immanquablement des problèmes pour le regroupement des affaires concernant plusieurs pays. Il a observé que la création du procureur européen n'était pas contradictoire avec l'existence d'EUROJUST dont le champ de compétences est beaucoup plus large.

De la même manière, M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, également entendu par votre rapporteur, a estimé préférable la création d'une juridiction au niveau européen. Il a souligné que les systèmes judiciaires nationaux vivaient souvent dans la méfiance du système judiciaire du voisin. Il a en outre noté la grande diversité des règles applicables dans les différents Etats membres de l'Union, par exemple en matière de constitution de partie civile.

Dans ces conditions, votre commission souhaite préciser clairement qu'à terme la création d'une juridiction de jugement au niveau européen devra être envisagée. L'élargissement de l'Union européenne rendra de plus en plus illusoire la volonté de renvoyer les affaires poursuivies par le procureur européen devant les juridictions nationales.

La juridiction européenne pourrait être une formation de la Cour de justice des Communautés européennes, dont l'autorité et l'indépendance ne sont aujourd'hui contestées par personne. Une autre option consisterait à laisser les juridictions nationales examiner les affaires en première instance, l'appel relevant d'une juridiction européenne.

Votre commission n'ignore pas que les perspectives ainsi dessinées ne pourront se concrétiser que dans de nombreuses années. Mais le rôle du Parlement en matière européenne n'est-il pas de définir les objectifs souhaitables, quand bien même ceux-ci ne pourraient être atteints que bien plus tard ?

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a adopté une proposition de résolution, dont le texte est reproduit ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(texte adopté par la commission des lois en application
de l'article 73 bis du règlement du Sénat)

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen (E 1912),

Constate que l'augmentation des formes graves de criminalité transnationale, telles que le terrorisme international, le trafic de drogue ou le trafic des êtres humains, constitue un véritable défi pour l'Union européenne, qui rend plus que jamais urgente la création d'un « espace de liberté, de sécurité et de justice », en raison du morcellement actuel de l'espace pénal européen, qui ne pourra que s'aggraver et se complexifier avec le prochain élargissement de l'Union,

Considère que seules la constitution d'une autorité responsable des poursuites et l'unification des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes constitueraient une réponse adaptée face à ces formes graves de criminalité transfrontalière,

Rappelle, à cet égard, les termes de sa résolution n° 67, adoptée le 29 mars 2001, en particulier son dernier paragraphe où il est demandé au Gouvernement « d'agir au sein du Conseil afin qu'une Convention composée de parlementaires nationaux et européens, ainsi que de représentants des Gouvernements et de la Commission européenne soit réunie pour étudier, dans les matières relevant de la compétence d'Eurojust, les conditions de l'unification des droits pénaux et de la création d'un ministère public européen (...) »,

Considère que le renforcement de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, qui passe notamment par l'octroi de compétences opérationnelles à Eurojust et à Europol, ainsi que par la ratification des instruments déjà existants, ne fait pas obstacle à la création d'un « ministère public européen », spécifiquement chargé de lutter contre la fraude aux intérêts financiers de la Communauté, étant donné la responsabilité particulière de la Communauté dans ce domaine et les entraves créées par le morcellement de l'espace judiciaire européen à la répression efficace de ce type spécifique de criminalité transnationale, qui constitue une atteinte à la crédibilité même de l'Europe,

Approuve le principe de la création d'un « ministère public européen » compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté, telle qu'elle a été suggérée par la Commission européenne dans sa contribution à la dernière Conférence intergouvernementale, ainsi que les orientations générales du Livre vert, sous les réserves suivantes :

- la création d'un « ministère public européen » devrait s'accompagner, dans le domaine considéré, d'une unification des incriminations et des procédures pénales, la plus complète possible. Cette unification devrait en particulier porter sur la définition des incriminations, y compris la tentative ou la complicité, les circonstances aggravantes et atténuantes, ainsi que les régimes de prescription. A défaut d'unification, et uniquement en matière de sanctions et de procédures pénales, il serait envisageable de recourir à l'harmonisation et au principe de reconnaissance mutuelle ;

- la création du procureur européen devrait s'accompagner de la création au niveau européen d'une instance juridictionnelle seule chargée de contrôler les actes du procureur susceptibles de porter atteinte aux libertés ainsi que l'acte de renvoi en jugement ;

- à terme, la création au niveau européen d'une juridiction de jugement compétente pour juger les affaires poursuivies par le procureur européen devra être envisagée notamment pour assurer l'homogénéité des décisions prises sur le territoire de la Communauté ;

Considère qu'une instance comprenant notamment des délégués des parlements nationaux et du Parlement européen, telle qu'elle avait été proposée dans le rapport d'information sur « la construction d'un espace judiciaire européen » de la délégation pour l'Union européenne du Sénat de 1997, pourrait utilement préparer cette unification des règles de droit pénal et des procédures,

Souligne l'intérêt de recourir au mécanisme de la coopération renforcée, au cas où le dispositif proposé ne recueillerait pas l'unanimité au sein des Etats membres,

Souhaite que cette question soit inscrite à l'ordre du jour, tant de la Convention sur l'avenir de l'Europe que de la future Conférence intergouvermentale de 2004.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de la proposition de résolution

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Texte adopté par la commission

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Proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du Règlement sur le livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen (E 1912)

(Alinéa sans modification).

Le Sénat,

(Alinéa sans modification).

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

(Alinéa sans modification).

Vu le Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen (E 1912),

(Alinéa sans modification).

Constate que l'augmentation des formes graves de criminalité transnationale, telles que le terrorisme international, le trafic de drogue ou le trafic des êtres humains, constitue un véritable défi pour l'Union européenne, qui rend plus que jamais urgente la création d'un « espace de liberté, de sécurité et de justice », en raison du morcellement actuel de l'espace pénal européen, qui ne pourra que s'aggraver et se complexifier avec le prochain élargissement de l'Union,

(Alinéa sans modification).

Considère que seules la constitution d'une autorité responsable des poursuites et l'unification des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes constitueraient une réponse adaptée face à ces formes graves de criminalité tranfrontalière,

(Alinéa sans modification).

Rappelle, à cet égard, les termes de sa résolution n° 67, adoptée le 29 mars 2001, en particulier son dernier paragraphe où il est demandé au Gouvernement « d'agir au sein du Conseil afin qu'une Convention composée de parlementaires nationaux et européens, ainsi que de représentants des Gouvernements et de la Commission européenne soit réunie pour étudier, dans les matières relevant de la compétence d'Eurojust, les conditions de l'unification des droits pénaux et de la création d'un ministère public européen (...) »,

(Alinéa sans modification).

Considère que le renforcement de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, qui passe notamment par l'octroi de compétences opérationnelles à Eurojust et à Europol, ainsi que par la ratification des instruments déjà existants, ne fait pas obstacle à la création d'un « ministère public européen », spécifiquement chargé de lutter contre la fraude aux intérêts financiers de la Communauté, étant donné la responsabilité particulière de la Communauté dans ce domaine et les entraves créées par le morcellement de l'espace judiciaire européen à la répression efficace de ce type spécifique de criminalité transnationale, qui constitue une atteinte à la crédibilité même de l'Europe,

(Alinéa sans modification).

Approuve le principe de la création d'un « ministère public européen », telle qu'elle a été suggérée par la Commission européenne dans sa contribution à la dernière Conférence intergouvernementale, ainsi que les orientations générales du Livre vert, sous les deux réserves suivantes :

Approuve le principe de la création d'un « ministère public européen » compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté , telle qu'elle a été suggérée par la Commission européenne dans sa contribution à la dernière Conférence intergouvernementale, ainsi que les orientations générales du Livre vert, sous les réserves suivantes :

Estime, d'une part, que la création d'un « ministère public européen », c'est-à-dire d'une autorité chargée de la direction des recherches, responsable des poursuites et de l'exercice de l'action publique, ne peut se concevoir sans la création d'une instance juridictionnelle pénale au niveau européen, éventuellement issue de la Cour de Justice des Communautés européennes, c'est-à-dire d'une Cour pénale européenne, compétente en premier et/ou en dernier ressort, pour contrôler, en particulier, les actes de recherche qui constituent une restriction aux libertés fondamentales et la décision de renvoi en jugement, ainsi que pour se prononcer sur le fond,

- la création d'un « ministère public européen » devrait s'accompagner, dans le domaine considéré, d'une unification des incriminations et des procédures pénales, la plus complète possible. Cette unification devrait en particulier porter sur la définition des incriminations, y compris la tentative ou la complicité, les circonstances aggravantes et atténuantes, ainsi que les régimes de prescription. A défaut d'unification, et uniquement en matière de sanctions et de procédures pénales, il serait envisageable de recourir à l'harmonisation et au principe de reconnaissance mutuelle ;

Estime, d'autre part, que la création d'un « ministère public européen » devrait nécessairement s'accompagner d'une unification des règles et des procédures pénales, la plus complète possible, en particulier pour la définition des incriminations, y compris la tentative ou la complicité, les circonstances aggravantes, comme l'association de malfaiteurs, ainsi que les régimes de prescription ; à défaut d'unification, et uniquement en matière de sanctions et de procédures pénales, il serait envisageable de recourir à l'harmonisation et au principe de reconnaissance mutuelle,

- la création du procureur européen devrait s'accompagner de la création au niveau européen d'une instance juridictionnelle seule chargée de contrôler les actes du procureur susceptibles de porter atteinte aux libertés ainsi que l'acte de renvoi en jugement ;

- à terme, la création au niveau européen d'une juridiction de jugement compétente pour juger les affaires poursuivies par le procureur européen devra être envisagée notamment pour assurer l'homogénéité des décisions prises sur le territoire de la Communauté ;

Considère qu'une instance comprenant notamment des délégués des parlements nationaux et du Parlement européen, telle qu'elle avait été proposée dans le rapport d'information sur « la construction d'un espace judiciaire européen » de la délégation pour l'Union européenne du Sénat de 1997, pourrait utilement préparer cette unification des règles de droit pénal et des procédures,

(Alinéa sans modification).

Souligne l'intérêt de recourir au mécanisme de la coopération renforcée, au cas où le dispositif proposé ne recueillerait pas l'unanimité au sein des Etats membres,

(Alinéa sans modification).

Souhaite que cette question soit inscrite à l'ordre du jour, tant de la Convention sur l'avenir de l'Europe que de la future Conférence intergouvernementale de 2004.

(Alinéa sans modification).

* 1 Le Royaume-Uni comporte trois ordres juridiques.

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