2. Le programme « 93+2 »

Ces mesures d'urgence n'étaient pas suffisantes et le secrétariat de l'AIEA a travaillé, à partir de 1993, à un programme plus ambitieux de renforcement des garanties .

L'objectif était de pouvoir établir pour la conférence d'examen du TNP de 1995 un dispositif plus complet et plus efficace , donnant des assurances plus crédibles en matière de non-prolifération.

Ce programme de renforcement des garanties a été baptisé « 93+2 » et comporte deux objectifs fondamentaux :

- renforcer les capacités de l'AIEA à détecter des activités clandestines et des matières nucléaires non déclarées dans des Etats non dotés d'armes nucléaires ;

- augmenter l'efficacité et le rendement des garanties .

Le programme « 93+2 » a été scindé en deux parties .

La première partie comporte les mesures pouvant être mises en oeuvre sans modification du cadre juridique existant .

Il s'agit de la déclaration d'une nouvelle installation six mois avant le début des travaux, de la déclaration de fermeture d'une installation, de l'analyse d'échantillons dans l'environnement des installations contenant des matières, de la télésurveillance des mouvements de matières (portiques de mesure, cameras vidéo), de la mise en oeuvre d'inspections inopinées ou encore d'une meilleure utilisation des systèmes nationaux de comptabilité et de contrôle des matières nucléaires. Toutes ces mesures ont fait l'objet d'une approbation par le Conseil des gouverneurs de l'AIEA.

La seconde partie comporte les mesures dont la mise en oeuvre nécessitait de doter l'AIEA de nouveaux pouvoirs juridiques . A cette fin, un modèle de protocole additionnel aux accords de garanties a été élaboré.

3. Le modèle de protocole additionnel

Le Conseil des gouverneurs de l'AIEA a adopté le 15 mai 1997 le modèle de protocole additionnel intitulé INFCIRC/540.

L'élaboration de ce texte s'est avérée plus longue que prévue, compte tenu de la grande diversité des préoccupations des différents pays concernés.

Certains pays disposant d'activités nucléaires civiles importantes, comme le Japon, l'Allemagne, le Canada, l'Espagne ou la Belgique, ne souhaitaient pas que leur industrie soit pénalisée par un surcroît de charges d'inspection et veillaient à éviter des discriminations supplémentaires par rapport aux cinq puissances nucléaires reconnues et aux Etats « du seuil », c'est à dire l'Inde, le Pakistan et Israël.

D'autres pays disposant d'activités nucléaires redoutaient que le renforcement des tâches d'inspection et de contrôle de la non-prolifération détourne l'AIEA de ses autres missions, en particulier l'assistance technique.

Les Etats-Unis poussaient au contraire dans le sens de pouvoirs de contrôle et d'inspection beaucoup plus étendus.

Le texte final résulte d'un compromis. Il ne donne pas un caractère systématique aux accès complémentaires accordés aux inspecteurs et il insiste sur le caractère qualitatif , et non uniquement comptables, des informations supplémentaires demandées . Par ailleurs, l'AIEA s'est engagée à ne pas superposer les mesures nouvelles aux mesures anciennes, selon le principe de « l'intégration » des garanties : dès lors que des assurances suffisantes d'absence d'activités et de matières non déclarées seront obtenues, les garanties classiques sur les matières seront allégées.

Le modèle de protocole a été conçu pour les Etats non dotés d'armes nucléaires, qui constituent l'essentiel des Etats ayant souscrit des accords de garanties. Il a vocation à inspirer d'éventuels protocoles avec les Etats non parties au TNP et a servi de base pour la négociation de protocoles additionnels avec les Etats dotés d'armes nucléaires, dont la France.

Les pays non dotés d'armes nucléaires qui souscriront un protocole additionnel devront fournir à l'AIEA des informations beaucoup plus nombreuses qu'auparavant , afin que celle-ci dispose d'une vue d'ensemble de leur programme nucléaire. Ces informations couvriront notamment certaines activités n'impliquant pas de matières nucléaires qui échappaient jusqu'alors à l'application des garanties.

Si l'AIEA détecte des contradictions dans les informations fournies, elle pourra mener des inspections, non seulement dans les installations en fonctionnement, mais également dans des lieux où elle n'avait pas accès jusqu'alors comme des réacteurs arrêtés, des centres de recherche ou encore des usines fabriquant des produits susceptibles de servir à un programme nucléaire. Les inspecteurs pourront se livrer à des activités d'observation et effectuer des mesures ou des échantillonnages. Les prélèvements dans l'environnement permettront de déceler des traces éventuelles d'activités clandestines.

Sans lui donner des pouvoirs aussi étendus que ceux dont elle disposait en Irak sur la base de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, le modèle de protocole additionnel permettra à l'AIEA de renforcer ses moyens de contrôle. Sans garantir la prévention absolue d'un éventuel programme nucléaire militaire clandestin, il favorisera la collecte d'informations de nature à établir de fortes présomptions sur l'existence de telles activités clandestines.

En résumé, les Etats qui concluent un protocole additionnel s'engagent à fournir une large gamme d'informations sur tous les aspects du cycle du combustible nucléaire et de leurs activités liées au nucléaire, et à accorder un droit d'accès plus étendu aux inspecteurs de l'AIEA. Grâce à ce contrôle plus étendu, l'AIEA doit pour sa part être en mesure de donner des assurances crédibles non seulement quant au non détournement de matières nucléaires non déclarées, mais aussi quant à l'absence de matières et d'activités nucléaires non déclarées.

L'ACTION DE L'AIEA EN IRAN, EN IRAK ET EN COREE DU NORD

IRAN

Les activités nucléaires de l'Iran, pays par ailleurs largement doté en ressources en hydrocarbures, provoquent de longue date la suspicion des Etats-Unis qui considèrent que l'objectif de Téhéran est moins la recherche de l'indépendance énergétique que la mise au point de l'arme nucléaire. La construction, dans le sud du pays, de la centrale de Bouchehr, qui pourrait permettre la production de plutonium et dont l'approvisionnement en combustible nucléaire est prévu fin 2003, pour un démarrage du premier réacteur en 2004, est actuellement au centre d'une vive controverse. Les Etats-Unis pressent la Russie d'interrompre sa coopération avec l'Iran sur ce chantier.

L'AIEA mène régulièrement en Iran des activités d'inspection, conformément à l'accord de garanties généralisées souscrit par ce pays. Sur la base de ses vérifications, elle n'a pas d'indication que l'Iran ne respecte pas ses engagements internationaux.

Pour autant, l'activité de l'AIEA ne porte que sur les matières nucléaires déclarées dans les installations nucléaires déclarées. L'Iran n'ayant pas signé de protocole additionnel à son accord de garanties, l'AIEA n'est pas en mesure de détecter d'éventuelles activités clandestines ou matières nucléaires non déclarées dans ce pays.

IRAK

Depuis la fin de la guerre du Golfe et la destruction des moyens dont s'était doté l'Irak pour fabriquer un engin nucléaire explosif, il ne reste en principe dans ce pays que les matières nucléaires déclarées par les autorités irakiennes (uranium appauvri, naturel ou légèrement enrichi), conformément à l'accord de garanties généralisées qui lie ce pays à l'AIEA. Ces matières ont été mises sous scellés par l'AIEA qui procède chaque année à leur inspection. La dernière inspection a eu lieu en janvier 2002 et l'AIEA a pu vérifier à cette occasion la présence des matières et l'intégrité des scellés.

Ces inspections menées au titre de l'accord de garanties sont indépendantes de celles effectuées en application des résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unies qui sont pour leur part interrompues depuis décembre 1998. Comme le souligne l'AIEA, les inspections actuelles ne permettent donc pas d'affirmer que l'Irak respecte les obligations qui lui incombent en vertu des résolutions.

Rappelons que le Conseil de Sécurité a créé, par sa résolution 687 du 3 avril 1991, une Commission spéciale (UNSCOM) chargée de désarmer l'Irak de ses armes de destruction massive (armes chimiques et biologiques et missiles de portée supérieure à 150 kilomètres) et de mettre en oeuvre un système de contrôle et de vérification. C'est à l'UNSCOM qu'il revenait de désigner au groupe d'action de l'AIEA, à des fins d'inspection, des emplacements supplémentaires non déclarés par l'Irak. En application de la résolution 1284 du 17 décembre 1999, une Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations-Unies (COCOVINU), a remplacé l'UNSCOM et poursuit le mandat de cette dernière.

L'AIEA, dont l'action concerne le volet nucléaire, a établi des relations de travail avec la COCOVINU, dite commission Blix, du nom de son Président exécutif.

La reprise des activités de vérification de l'AIEA en Irak conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, et avec l'assistance et la coopération de la commission Blix, était jusqu'à présent suspendue à l'acceptation par l'Irak du retour sans condition des équipes d'inspecteurs internationaux.

Les gouvernements américains et britanniques mettent en exergue la capacité de l'Irak à reprendre rapidement un programme nucléaire militaire et à élaborer un engin explosif dans un délai d'un à deux ans dès lors que le régime de Bagdad parviendrait à se procurer les matières fissiles nécessaires.

La question du retour des inspecteurs et celle d'une action coercitive, avalisée ou non par le Conseil de sécurité, sont actuellement au coeur du débat international sur l'Irak.

COREE DU NORD

L'AIEA se déclare toujours dans l'impossibilité de vérifier l'exactitude et l'exhaustivité de la déclaration initiale établie par la Corée du Nord au titre de son accord de garanties. Cet accord n'est entré en vigueur que tardivement, en 1992, alors que la Corée du Nord disposait déjà d'un réacteur de recherche à Yongbyon et que deux réacteurs supplémentaires étaient en construction, ainsi que des installations dont la vocation militaire, au regard de la description qui en a été faite par les autorités nord-coréennes, paraît aujourd'hui avérée.

Selon l'AIEA, les travaux requis pour vérifier que toutes les matières nucléaires devant être soumises aux garanties ont été déclarées et effectivement soumises aux garanties pourraient prendre de trois à quatre ans, à condition que la Corée du Nord coopère pleinement, ce qui n'est toujours pas le cas.

Le déchargement des combustibles irradiés du réacteur de Yongbyon, en 1994, a été opéré hors de tout contrôle de l'AIEA. Instaurée après coup, la surveillance par cette dernière des combustibles irradiés entreposés en piscine et du gel des installations suspectes ne donne aucune indication tangible sur l'existence de matières soustraites au contrôle, voire sur l'existence d'autres installations clandestines (par exemple de retraitement). L'AIEA n'a toujours pas reçu des autorités nord-coréennes l'autorisation de mesurer sur place les combustibles irradiés pour en déterminer le contenu, ni plus généralement d'effectuer des inspections sur le territoire nord-coréen dans le cadre de l'accord de garanties.

L'AIEA considère que la Corée du Nord continue de ne pas respecter son accord de garanties, qui est en vigueur et a force obligatoire. Elle ne peut donc pas conclure à l'absence de détournement de matières nucléaires.

Aujourd'hui, les autorités nord-coréennes semblent conditionner leur pleine coopération à la livraison en 2003 par la KEDO (Korean Energy Development Organization), des composants principaux des deux réacteurs à eau légère qu'il est prévu de substituer au réacteur plutonigène de Yongbyon, arrêté en 1993.

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