I. AUDITION DE M. GILBERT FOURNIER, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL, CHARGÉ DU DOSSIER « TEMPS DE TRAVAIL », ET DE MME LAETITIA DEFOSSE, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE, DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT)

Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Gilbert Fournier, secrétaire confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

M. Gilbert Fournier a tout d'abord tenu à dresser un bilan de la réduction du temps de travail, qui remonte, pour la CFDT, bien avant les lois Aubry I et II.

Il a ainsi rappelé deux dates importantes pour la réduction du temps de travail : l'accord interprofessionnel d'octobre 1995, qui avait permis dès cette date, la conclusion de 70 accords de branche et la loi du 11 juin 1996 dite loi « de Robien », qui avait mis en place un dispositif incitatif qui comportait déjà une obligation de création ou de préservation d'emploi, et une obligation d'accord collectif pour bénéficier des aides de l'Etat.

Dressant le bilan de ce processus, M. Gilbert Fournier a rappelé qu'il avait permis 80.000 accords d'entreprise couvrant 250.000 établissements, auxquels il fallait ajouter 100.000 entreprises passées aux 35 heures par application d'un accord de branche. Il a également souligné, qu'à l'heure actuelle, les 35 heures concernaient 9,5 millions de salariés, soit 70 % des salariés à temps complet. Il a cependant noté que 4,5 millions de salariés travaillaient, aujourd'hui encore, 39 heures ou plus.

Concernant les effets sur l'emploi, M. Gilbert Fournier a évoqué le chiffre de 345.000 emplois créés et 67.000 sauvegardés.

Il a également insisté sur le fait qu'un des acquis essentiels des lois Aubry était le développement sans précédent de la négociation collective et son entrée dans le monde des petites entreprises, par le biais des délégués du personnel et des salariés mandatés.

Il a enfin indiqué que, malgré le frein que constituait le projet de loi, la CFDT poursuivrait son action en faveur des trente-cinq heures, qui lui semblaient désormais un phénomène irréversible.

Abordant l'analyse du projet de loi, M. Gilbert Fournier a tout d'abord évoqué la question du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Il a convenu que la méthode de l'alignement sur la garantie la plus élevée, dans la perspective d'une réunification du SMIC en 2005, correspondait aux attentes de la CFDT. Il a toutefois souligné les conséquences de cette évolution sur l'ensemble des grilles de salaires dans les branches. Il a également rappelé que la suppression du lien entre allégement de cotisations sociales et obligation d'accord de réduction du temps de travail enlevait toute incitation à négocier pour les employeurs. Il a enfin fait part de son inquiétude concernant le seuil de 1,7 SMIC en matière d'allégement de charges, soulignant le risque de trappe à bas salaire qui y était attaché.

Concernant la réduction du temps de travail, M. Gilbert Fournier a d'abord rappelé le caractère positif du bilan de ce processus, tel que présenté devant la commission nationale de la négociation collective, tant en matière de dialogue social, qu'en matière d'emploi, de conciliation de la vie professionnelle et familiale, ou encore de réorganisation du travail.

Face à ce bilan, M. Gilbert Fournier s'est interrogé sur les motivations de l'assouplissement envisagé et a souhaité attirer l'attention de la commission sur les conséquences d'une révision du dispositif, qui pourrait conduire à un contournement des 35 heures.

Il a concédé que cet assouplissement était sans doute nécessaire dans certains secteurs, comme celui de la boulangerie ou des hôtels-cafés-restaurants. Il a rappelé qu'à cet égard, la CFDT avait toujours été disposée à négocier les modalités de tels assouplissements, à titre transitoire, dans les secteurs où existaient des difficultés liées à l'activité ou au recrutement. Mais il a insisté sur la nécessité, pour des raisons d'équité, de généraliser la réduction du temps de travail, la plupart des salariés encore à 39 heures travaillant dans de petites entreprises.

Concernant le contingent d'heures supplémentaires, M. Gilbert Fournier a rappelé que l'augmentation du plafond était loin d'être une demande générale, dans la mesure où moins d'un quart des branches avaient négocié un contingent supérieur à 130 heures, et que les heures supplémentaires effectuées par les salariés s'élevaient, en moyenne, à 40 heures seulement.

Passant en revue les modifications prévues par le projet de loi dans le domaine du temps de travail, M. Gilbert Fournier a d'abord regretté la méthode du Gouvernement consistant à relever par décret le contingent des heures supplémentaires avant toute négociation entre les partenaires sociaux, et a souligné qu'une telle méthode faussait la négociation collective. Il a également souligné les conséquences de ce relèvement unilatéral sur les conventions en vigueur, notamment du point de vue du seuil de déclenchement du repos compensateur.

M. Gilbert Fournier a ensuite insisté sur le désaccord de la CFDT concernant la transformation de la compensation des heures supplémentaires. Il a estimé qu'en transformant le repos compensateur en indemnité monétaire, le dispositif perdrait tout caractère incitatif à la création d'emploi. Il a également insisté sur le fait que, la prorogation jusqu'à 2005, pour les entreprises de moins de dix salariés, de la limitation à 10 % de la majoration des heures supplémentaires accroîtrait les inégalités entre les salariés des très petites entreprises et ceux des entreprises plus importantes, et nuirait à l'attractivité des premières.

Concernant les repos compensateurs, M. Gilbert Fournier a estimé que leur diminution aggraverait les inégalités pour les salariés des entreprises comptant entre 10 et 20 salariés, et contribuerait à augmenter fortement la durée annuelle maximum du travail pour ces derniers.

S'agissant des dispositions relatives aux cadres et aux itinérants non cadres, il a, d'autre part, estimé que le projet de loi tendait encore une fois à accroître le nombre de salariés à statuts particuliers.

M. Gilbert Fournier s'est ensuite interrogé sur la possibilité offerte aux salariés de liquider en argent les comptes épargne-temps. Il a rappelé que ce principe serait, notamment, contraire à la règle générale en matière de congés payés, dont la raison d'être est justement d'être pris en repos.

S'agissant de l'article 5 du projet de loi, concernant la convention collective des établissements sociaux et médico-sociaux, qui limite le paiement des heures supplémentaires, contrecarrant ainsi les effets de l'arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2002, il a estimé que, compte tenu des conditions posées, la loi ne concernerait pas plus de 15.000 salariés. Enfin, sur la non-application de cette disposition aux instances en cours, il a déclaré que la date à retenir devrait être celle de la promulgation de la loi, et non celle de son dépôt.

M. Gilbert Fournier s'est ensuite interrogé, concernant les allégements de charges sur les bas salaires, sur le transfert toujours plus important des cotisations sociales vers l'impôt. Il a estimé que ce transfert contenait en germe un changement du fondement du système français de protection sociale et pourrait, à terme, remettre en cause la place des partenaires sociaux dans la gestion de la sécurité sociale.

Il a enfin insisté sur le fait qu'en rompant le lien entre les allégements de cotisations et les accords de réduction du temps de travail, le Gouvernement se privait d'un dispositif pouvant peser sur la courbe du chômage, à un moment où celle-ci reprenait justement une trajectoire ascendante.

Evoquant les modifications apportées au projet de loi par l'Assemblée nationale, M. Gilbert Fournier a mentionné le nouvel article 13 qui vise à sécuriser les accords en vigueur par rapport à toute modification ultérieure de la loi. Il a précisé que cet article répondait à la préoccupation des partenaires sociaux, mais que l'interprétation qui en serait faite devrait se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, c'est-à-dire s'appliquer aux seuls accords qui étaient en conformité à la loi applicable au moment de leur rédaction.

S'agissant de l'article 2 bis concernant les astreintes, il a rappelé que les lois Aubry n'avaient pas fixé le régime des astreintes, et que c'était une circulaire qui avait indiqué qu'une astreinte sans intervention pouvait être incluse dans une période de repos, au regard de la réglementation relative aux repos quotidiens ou hebdomadaires, disposition reprise désormais dans le projet de loi.

Evoquant les décisions successives du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation qui ne classaient les astreintes, ni comme temps de travail, ni comme temps de repos, il a insisté sur le fait que le droit français se trouvait, en la matière, en porte à faux avec le droit communautaire qui ignore les catégories intermédiaires entre temps de travail et temps de repos.

M. Gilbert Fournier a cependant considéré qu'il aurait été souhaitable de laisser le soin aux partenaires sociaux de fixer, branche par branche, les règles en la matière. Il a estimé qu'en réalité le problème résidait dans le fait que la loi en vigueur laissait l'employeur régler unilatéralement la question, en l'absence d'accord. C'est pourquoi il s'est prononcé pour la solution alternative d'une obligation d'accord sur la question des astreintes.

Evoquant les résultats de l'enquête « le travail en question » menée par la CFDT, M. Louis Souvet, rapporteur , s'est interrogé sur la portée d'une enquête consistant à demander aux intéressés s'ils étaient satisfaits de travailler moins. Il a rappelé que, dans bien des cas, la réduction du temps de travail s'était accompagnée d'une détérioration des conditions de travail, et que la réorganisation du travail avait souvent posé des difficultés inextriquables.

M. André Vantomme s'est félicité qu'au-delà des querelles de chiffres concernant le nombre d'emplois créés par la réduction du temps de travail, le développement du dialogue social soit également mis à l'actif des lois Aubry.

M. Gilbert Chabroux s'est déclaré satisfait de la volonté de la CFDT de défendre et de poursuivre la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail, ainsi que du bilan positif des 35 heures en matière de création d'emploi. Il a rappelé qu'une des critiques courantes à l'égard de ce processus était qu'il aurait nuit à la « valeur travail » et il a estimé que c'était en réalité davantage la multiplication des plans sociaux par les entreprises qui dévalorisait le travail.

Revenant sur une remarque du ministre lors de son audition devant la commission concernant le partage des rôles entre la loi et la négociation collective, M. Guy Fischer a estimé que le projet de loi ne renvoyait qu'en apparence aux partenaires sociaux la définition de règles qui relevaient jusqu'alors de l'ordre public social, car il arrêtait la règle, avant toute négociation ou débat parlementaire, comme en témoignait la publication, avant même le débat au Sénat, du décret fixant le contingent des heures supplémentaires.

Répondant aux différents intervenants, M. Gilbert Fournier a souligné que la position de la CFDT concernant la réduction du temps de travail n'avait jamais varié. Il a rappelé que, dès son congrès de 1994, elle avait posé cinq principes concernant la réduction du temps de travail : la possibilité d'en faire un outil au service de l'emploi, la nécessité d'éviter l'uniformité dans sa mise en oeuvre, le principe d'un passage par la négociation collective comme moyen d'éviter cette uniformité, celui d'une prise en charge du coût par un financement public et enfin la nécessité d'instaurer un mécanisme incitatif pour pousser les partenaires sociaux à la négociation. A ce titre, il a estimé que la loi « de Robien » s'était largement inspirée de ces propositions.

Revenant sur la question du contingent d'heures supplémentaires, il a estimé que son relèvement à 180 heures ne devait pas remettre en cause les accords existants qui avaient fixé une durée inférieure, dans la mesure où cette durée correspondait aux besoins de l'entreprise concernée.

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