II. AUDITION DES PARTENAIRES SOCIAUX

Réunie le mercredi 16 octobre 2002 , sous la présidence de M. Alain Gournac, puis de M. Georges Mouly, vice-présidents, la commission a procédé à des auditions sur le projet de loi n° 21 (2002-2003) , adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

A. AUDITION DE M. ROLAND METZ ET DE MME MARIE-JOSÉ MARONI, CONSEILLERS CONFÉDÉRAUX DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT), ACCOMPAGNÉS DE M. BERNARD SAINCY, SECRÉTAIRE NATIONAL DE L'UNION GÉNÉRALE DES INGÉNIEURS, CADRES, TECHNICIENS DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (UGICT-CGT)

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée sous la présidence de M. Alain Gournac, vice-président , la commission a procédé à des auditions sur le projet de loi n° 21 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

La commission a procédé à l'audition de M. Roland Metz et Mme Marie-José Maroni, conseillers confédéraux de la Confédération générale du travail (CGT), accompagnés de M. Bernard Saincy, secrétaire national de l'Union générale des ingénieurs, cadres, techniciens de la Confédération générale du travail -(UGICT-CGT).

M. Roland Metz, à la demande de M. Louis Souvet, rapporteur , s'est, tout d'abord, prononcé sur le bilan des lois Aubry I et II. Il a rappelé que la CGT avait affirmé son attachement au principe de la réduction du temps de travail et avait préconisé une méthode reposant sur une loi-cadre renvoyant à la négociation sociale assortie d'une date butoir pour la mise en oeuvre effective de la nouvelle durée du travail. Il a rappelé que la CGT avait souhaité que la réduction du temps de travail préserve les rémunérations, améliore les conditions de travail et développe l'emploi, et il a observé que le dispositif mis en place ne correspondait pas aux positions de la Confédération. Aussi, cette dernière avait-elle formulé des critiques et des propositions et appelé les salariés à se saisir, à travers les négociations, de l'opportunité ouverte de faire de la RTT un vrai progrès social.

Il a ensuite déclaré que la CGT partageait les conclusions du rapport présenté à la Commission nationale de la négociation collective consacrées au bilan de la réduction du temps de travail. Il a rappelé que ces lois avaient favorisé la création de 300.000 emplois, que la réduction du temps de travail avait amélioré la situation des salariés en général, et notamment du personnel d'encadrement féminin. Toutefois, il a déploré que 13 % des salariés, particulièrement parmi les moins favorisés, aient vu leurs conditions de travail dégradées et il a regretté que nombre d'accords aient été conclus dans un sens défavorable aux travailleurs, générant une accélération des rythmes du travail et une perte d'autonomie des salariés. Il a, en outre, déploré que la mise en place de la loi ait été accompagnée de tensions sur le pouvoir d'achat dues notamment au gel des rémunérations. Il a rappelé qu'un quart des salariés travaillent dans des entreprises qui ne bénéficient d'aucune aide et qu'un grand nombre de travailleurs n'étaient pas passés aux 35 heures.

Il a ensuite précisé que la CGT militait pour une accélération et un approfondissement du dispositif alors que le projet de loi présenté par le gouvernement favorisait au contraire l'allongement de la durée du travail et contribuait à remettre en cause la réduction du temps de travail en en affaiblissant la portée réelle.

Il a notamment dénoncé le nouveau régime des heures supplémentaires et l'élargissement du nombre de salariés touchés par les conventions de forfait. Il a regretté que le projet de loi diminue les garanties des salariés en rendant les négociations plus difficiles. Il a affirmé que le projet était porteur d'inégalités entre les salariés passés aux 35 heures et ceux restés à 39, et tournait le dos à l'emploi.

Il a rappelé que la CGT était résolument opposée au dispositif d'allégement de charges généralisé : ce dispositif constitue une baisse du salaire socialisé, qui ne s'entendait initialement dans le cadre des lois Aubry qu'en tant que contrepartie à la réduction du temps de travail.

Il a observé que le présent projet de loi ne procurait un avantage financier qu'aux seules entreprises restées à 39 heures et a, en outre, jugé que le projet présentait un danger de fragilisation des accords conclus puisque, la signature d'accords minoritaires suffisant à l'avenir, des entreprises pourraient trouver intérêt à remettre en cause leur signature initiale.

Il a enfin regretté la disparition des possibilités de remise en cause des allégements de charges en cas de non-respect des engagements.

Il a ensuite dénoncé les mesures défavorables aux salariés contenues dans le projet de loi, qui accroît le risque de trappes à bas salaires et encourage la fixation des barèmes d'heures supplémentaires moins favorables.

Il a, par ailleurs, estimé que si la hausse du SMIC horaire en elle-même était positive, l'unification à l'horizon 2005 était déjà prévue par la loi Aubry II, jugeant en outre que le bénéfice de la hausse serait inférieur à 11,4 % pour les salariés passés aux 35 heures ou devant y passer.

Il a ensuite regretté que les préconisations de la CGT, qui sont notamment de sortir des SMIC multiples dès 2003 par relèvement au 1 er juillet du taux horaire de 11,4 %, n'aient pas été retenues.

Il a ensuite insisté sur le caractère pervers du niveau des heures supplémentaires qui, selon lui, encourage l'allongement de la durée du travail et risquent de banaliser le recours à ces heures. Il a enfin déploré qu'en fixant le plafond d'heures supplémentaires à 180 heures contre 130 précédemment, le Gouvernement décale le seuil de déclenchement du repos compensateur et fasse perdre aux salariés l'équivalent de 7 jours de repos.

Il a, en outre, constaté que le champ de l'ordre public social était amoindri. Il s'est interrogé sur l'incertitude juridique résultant de l'articulation incertaine entre les dispositions légales et les négociations de branche où sont déjà conclus des accords sur des contingents d'heures supplémentaires fixés à 130 heures. Il a exprimé ses craintes qu'en l'absence de négociations nouvelles, le contingent de 180 heures ne trouve pas à s'appliquer.

Il a précisé que l'amendement sur la sécurisation juridique ne dissipait pas l'inquiétude des syndicats et créait, en outre, les conditions pour la légalisation d'accords jusqu'ici illégaux.

Il a dénoncé l'amendement adopté par l'Assemblée nationale sur la définition de l'astreinte qui porte atteinte, selon lui, à des garanties importantes en autorisant l'employeur à restreindre la liberté d'aller et de venir du salarié pendant sa période de repos, et a souligné les difficultés qu'entraînait la monétarisation du compte épargne-temps.

M. Bernard Saincy a rappelé que les statistiques du ministère du travail soulignaient que les ingénieurs et les cadres étaient les salariés les plus satisfaits des 35 heures et a estimé que les modifications que proposait d'introduire le projet de loi constituaient, pour eux, un recul. Il a précisé, à ce titre, que l'élargissement de la notion de forfaits jours était considéré par les cadres comme une véritable régression.

En conclusion, M. Roland Metz a déclaré que les dispositions du projet de loi ne répondaient nullement aux attentes des salariés et que la CGT ne pouvait approuver un tel texte.

M. Louis Souvet, rapporteur , a, pour sa part, rappelé que les 35 heures initialement annoncées sans perte de rémunération avaient, en réalité, entraîné le gel des salaires et suscité un coût par emploi créé très élevé pour les finances publiques. Il a observé que la France se situait dans un système économique européen qui la contraignait à une certaine convergence et a constaté qu'elle n'avait pas été suivie par ses partenaires dans la mise en oeuvre des 35 heures.

Il a salué l'augmentation des SMIC et a constaté que la disposition relative à l'astreinte contenue dans le projet de loi ne faisait que reprendre, sur ce point, la circulaire Aubry de mars 2000, cette dernière n'ayant pourtant pas été contestée par les syndicats lors de sa parution.

M. Roland Metz a maintenu que la situation des salariés était fidèlement retracée par l'étude réalisée par le ministère du travail et qu'une sortie des SMIC multiples plus favorable pour les salariés aurait été possible. Il a ensuite affirmé que beaucoup de pays en Europe avaient permis, à leur manière, de réduire la durée du travail à 35 heures.

Il a enfin souligné que la position de la CGT relative à l'astreinte était identique à celle arrêtée par la Cour de cassation dans son arrêt du 10 juillet 2002 et a déploré que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale sur ce point contredise cette jurisprudence favorable pour les salariés.

M. Guy Fischer a demandé s'il ne semblait pas à la CGT que les dispositions du projet de loi modifiaient substantiellement le champ de l'ordre public social, redéfinissant les compétences respectives de la loi et la négociation entre les partenaires sociaux. Il s'est interrogé sur l'analyse que formulait la CGT sur la modification introduite par l'Assemblée nationale à la notion de cadre intégré.

M. Gilbert Chabroux a rappelé que le ministre se prévalait d'un accord général avec les partenaires sociaux au-delà de quelques critiques convenues. Il a constaté que la CGT n'avait pas apporté, loin s'en faut, son accord au projet de loi.

M. Dominique Leclerc a reproché l'uniformité des 35 heures et s'est vivement inquiété pour les petites et moyennes entreprises (PME) qui ne peuvent souvent pas en assumer le coût.

M. Michel Esneu a précisé que, selon lui, l'astreinte devait s'entendre comme une période de vigilance rémunérée.

Mme Marie-José Maroni n'a pas jugé opérant l'argument relatif aux petites et moyennes entreprises, l'aide devant bénéficier à ces dernières relevant d'une autre problématique.

M. Roland Metz a constaté un désaccord de fond sur le sujet et a déploré que la consultation des partenaires sociaux par l'Etat relève de la fiction. Il a, à ce titre, vivement regretté que la commission nationale de négociation collective n'ait été interrogée que sur un projet de loi amputé de son titre II.

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