N° 58

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 13 novembre 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Dominique LECLERC,

Sénateur.

Tome III : Assurance vieillesse

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Christian Bergelin, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 250 , 327, 330 et T.A. 35

Sénat : 47 (2002-2003)

Sécurité sociale.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, dans ses dispositions pour l'assurance vieillesse, est sans doute le dernier d'un genre qui a conduit votre commission à constater, au cours des cinq derniers exercices, l'absence de toute mesure susceptible de garantir demain l'avenir de nos retraites.

Fort du constat que notre pays était trop riche de rapports sur les perspectives de l'assurance vieillesse pour s'offrir la tentation de différer plus avant les réformes maintes fois préconisées, le présent Gouvernement a pris l'engagement ferme qu'avant l'examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, l'essentiel de nos choix collectifs en la matière auront été arrêtés.

Certes « le temps n'attend pas » , et la gestion de l'assurance vieillesse ne saurait être complètement figée pour permettre la négociation des grandes orientations.

Contraint par une situation qui se détériore rapidement, le Gouvernement a cantonné les dispositions relatives aux retraites à une série de mesures de sauvegarde : préserver l'avenir en modérant la revalorisation des pensions, repartager l'effort de solidarité entre les régimes pour affronter les déficits creusés hier, et rétablir « comme il peut, autant que faire se peut » l'équilibre du fonds de solidarité vieillesse durement affecté par la gestion passée.

Etape après étape, il lui appartient de modifier une politique nourrie jusque-là de discours et de dérobades. Aujourd'hui devant l'obstacle, le Gouvernement est conscient que le temps lui est compté.

Demain donc, la réforme devra préciser quelles prestations serviront nos régimes de retraites et quelles ressources leur échoiront pour remplir cette mission.

Elle sera aussi l'occasion de faire évoluer un consensus social historique que la plupart de nos voisins européens ont déjà, pour leur part, renégocié.

Cette évolution pourra et devra se faire au bénéfice des assurés dont les aspirations nouvelles s'affirment au fil des jours, car la future réforme des retraites dépasse de beaucoup les seuls enjeux financiers qui lui sont traditionnellement associés.


L'objectif de dépenses de la branche vieillesse-veuvage pour 2003

La branche vieillesse rassemble les prestations d'assurance vieillesse correspondant à des droits directs ou dérivés, les prestations d'assurance veuvage et les prestations d'invalidité servies à des bénéficiaires de droits dérivés.

L'objectif de dépenses de la branche vieillesse-veuvage pour 2003, prévu à l'article  44 du projet de loi, s'élève à 140 ,36 milliards d'euros après adoption par l'Assemblée nationale en première lecture.

La définition des dépenses de vieillesse est précisée dans l'annexe C du projet de loi : leur champ couvre l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de 20.000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres. L'objectif de dépenses porte sur l'ensemble des dépenses des régimes et non sur les seules prestations.

Ces dépenses comprennent :

.  les prestations sociales légales ou extralégales ;

.  les prestations des services sociaux (notamment la prise en charge partielle des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux) ;

.  les frais de gestion engagés par les organismes de sécurité sociale ;

.  les transferts entre régimes de protection sociale ;

.  les frais financiers et les autres dépenses.

Les objectifs de dépenses par branche du projet de loi de financement sont définis à partir du total des dépenses de l'ensemble des régimes de base obligatoires, de la façon suivante :

.  sont enlevées les dépenses des régimes de moins de 20.000 cotisants ou bénéficiaires, les transferts internes aux régimes de base considérés, ainsi que les dépenses constituant la contrepartie des cotisations prises en charge par la sécurité sociale ;

.  sont ajoutées les dépenses dans les départements d'outre-mer (DOM) qui, dans les comptes de la sécurité sociale, sont consolidées avec les recettes perçues dans les DOM.

Cet objectif est en hausse de 3,2% par rapport à l'objectif de dépenses révisé pour 2002 qui s'élève à 135,96 milliards d'euros.

En 2003, les prestations légales représenteront 97,8 % des dépenses de la branche.

A l'instar de la loi de financement pour 2001 et 2002, l'objectif de la branche vieillesse-veuvage comprend une dépense également enregistrée dans l'objectif de dépenses de la branche famille. En effet, les majorations de pension pour enfants versées par la CNAVTS et remboursées par le FSV sont aujourd'hui, du fait des dispositions du code de la sécurité sociale et de l'article 41 du présent projet de loi, partiellement remboursées par la CNAF au FSV. Cette dépense figure donc en poste prestation au sein de l'agrégat de dépense vieillesse-veuvage et en transfert dans l'objectif de dépenses de la branche famille.

Les objectifs de dépenses consolidés des régimes de base pour les quatre branches comprennent donc deux fois le même montant à hauteur de 1.890 millions d'euros. Cette difficulté de présentation rend impossible la confrontation de l'article des prévisions de recettes à ceux des agrégats de dépenses, afin de juger de l'équilibre de la sécurité sociale pour 2003.

I. « LES FAITS SONT TÊTUS » : LES PERSPECTIVES ALARMANTES DE L'ASSURANCE VIEILLESSE

A. LES PERSPECTIVES DÉGRADÉES

1. Des causes structurelles

Depuis la création du régime général à la Libération, la retraite par répartition a constitué un véritable « petit miracle » 1 ( * ) .

Elle a en effet rendu possible le versement de pensions dès l'entrée en vigueur du système, résolvant le problème immédiat posé alors, et a permis, par le biais d'un niveau élevé de montants de retraite et d'une indexation généreuse à beaucoup de personnes âgées de sortir de la pauvreté.

Elle a, enfin, levé la crainte de l'érosion monétaire qu'avaient connue les retraités d'avant-guerre dont les rentes avaient été progressivement rongées par l'inflation.

Toutefois, la retraite par répartition présente le triple défaut d'être particulièrement sensible à l'augmentation de l'espérance de vie, à la réduction de la population active sous toutes ses formes (chômage, entrée tardive ou sortie précoce du marché du travail) et à une déformation de la structure démographique du pays donnant un poids accru aux personnes âgées.

Or, et ce constat est aujourd'hui connu de tous, les fondements démographiques qui ont fait la force du système par répartition doivent inéluctablement s'inverser dans les années futures. Entre 2005 et 2035, le nombre de retraités croîtra à un rythme annuel deux fois supérieur à celui que nous connaissons aujourd'hui. En 2040, les personnes âgées de 60 ans et plus seront de 10 millions plus nombreuses qu'aujourd'hui.

Certes, cette évolution n'est pas propre à la France qui connaît peu ou prou la même augmentation de l'espérance de vie que les autres pays industrialisés. A l'horizon 2040, l'espérance de vie d'une homme atteindra 81 ans et celle d'une femme 89 ans.

En soi réjouissante, cette tendance, qui est à l'oeuvre depuis plusieurs décennies, pose néanmoins une redoutable difficulté au système par répartition : en cinquante ans d'existence, le temps de la retraite a doublé. Le rapport du Conseil d'orientation des retraites rappelle qu'une personne née en 1940 bénéficie d'une espérance de temps de retraite de 20 ans contre 10 ans seulement pour une personne née en 1910. Les régimes de retraite sont, pour la plupart, voués à voir leurs effectifs cotisants se réduire et leurs pensionnés augmenter.

Dégradation des ratios démographiques des régimes de retraite

En sus des conséquences de la déformation démographique de notre pays, les régimes de retraite pâtissent d'un trait propre à la France : le raccourcissement de la vie active.

Du fait de l'allongement des temps d'études, les Français entrent plus tard sur le marché du travail. Malheureusement, du fait du fonctionnement de ce dernier, ils en sortent également plus tôt.

Ainsi, le taux d'emploi des Français âgés de plus de 55 ans est l'un des plus bas d'Europe ce qui, tant par le manque à gagner en cotisations que par la charge des prestations, accroît les difficultés financières de nos régimes de retraite.

Taux d'emploi des personnes de plus de 55 ans

Taux emploi des 55-64 ans

Taux emploi des 60-69 ans

France

29,7 %

10,1 %

Moyenne européenne

37,7 %

22,3 %

Source : Conseil d'orientation des retraites

In fine , l'équation à laquelle nos systèmes de retraite sont aujourd'hui confrontés est très simple : soit le taux de contribution durant la vie active doit presque doubler, soit le montant versé durant la retraite doit fortement baisser.


Payer plus ou gagner moins ?
L'équation d'équilibre de la retraite par répartition

Un petit calcul très fruste permet de faire comprendre la situation de chacun :

- autrefois, chacun arrivait à l'âge de la retraite avec une espérance de vie (réversion comprise) de 18 ans. Il avait alors travaillé 40 ans.

Pour bénéficier d'un revenu équivalent à 70 % de son revenu d'activité, il lui fallait donc répartir l'équivalent de 12 ou 13 ans de salaires (18 x 70 %) sur l'ensemble de sa carrière professionnelle. Sur les 40 années de travail, cet effort correspondait à 30 % du salaire (12,5/40 = 30 %).

- aujourd'hui, le départ en retraite se fait avec une espérance de vie (réversion comprise) de 25 ans alors même que la période active s'est réduite à 37 ans. Il faudrait mettre de côté 48 % du salaire pour conserver le même taux de remplacement.

Mais si les choses restent en l'état, c'est-à-dire même durée d'activité et même taux de cotisation, le taux de remplacement tombera sous la barre des 50 % .

2. Des perspectives aggravées par les choix de l'ancienne majorité

Les années 1998-2002 ont été caractérisées par une exceptionnelle embellie des comptes de l'assurance vieillesse sous l'effet de trois facteurs complémentaires :

une embellie démographique liée au départ en retraite des classes creuses de la seconde guerre mondiale. Durant la période 2000-2003, l'effet volume annuel des prestations vieillesse veuvage oscillait autour de 2 %. Mais cet effet devrait rapidement s'inverser puisque, dès 2004-2005, le flux annuel de nouveaux retraités devrait doubler ;

Evolution des retraités de droit personnel de la CNAVTS (stock au 31/12/n)

Source : rapport Commission des comptes de la sécurité sociale

une croissance soutenue des recettes , les cotisations étant tirées par le dynamisme de la masse salariale et les impositions et taxes affectées aux régimes de la branche ou au FSV par la croissance des revenus de toute nature ;

les premiers fruits des réformes décidées par la loi du 22 juillet 1993 qui, d'une part, fixent des règles de calcul et d'indexation moins favorables et, d'autre part, allongent la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein.


La réforme du régime général et du régime aligné
décidée par la loi du 22 juillet 1993

La réforme apporte une triple modification aux règles de liquidation des pensions :

- la durée de cotisations pour l'obtention du taux plein est progressivement allongée de 150 à 160 trimestres -37,5 ans à 40 ans- à raison d'un trimestre par an. La génération de 1943 sera en conséquence la première génération à devoir justifier de 160 trimestres pour obtenir une retraite à taux plein ;

- le nombre des meilleures années pour le calcul de référence du salaire annuel moyen est progressivement porté de 10 à 25. La génération de 1948 sera la première génération qui, en 2008, se verra calculer un salaire annuel moyen sur 25 années ;

- le mode de calcul du salaire moyen est modifié puisque la réforme supprime l'indexation des salaires portés au compte de l'année et des pensions en fonction de l'évolution générale des salaires.

Créant le fonds de solidarité vieillesse (FSV) et le dotant de ressources dynamiques (CSG), la même loi allégeait du financement des avantages non contributifs les régimes d'assurance vieillesse en les confiant à au FSV.

La conjonction de ces facteurs ouvrait une chance historique de procéder à des ajustements plus précoces et donc plus équitables.

Or, cette chance ne fut pas saisie et l'embellie provisoire favorisa paradoxalement une gestion beaucoup plus contestable de la branche :

- justifiant une posture attentiste qui en elle-même opérait un choix implicite : reporter sur le futur, en le concentrant, l'effort à consentir pour assurer la survie du système ;

- autorisant une gestion à court terme de la revalorisation des pensions de retraite qui, en l'absence de toute autre mesure venant garantir demain le paiement des pensions, dispersait les économies réalisées par les réformes précédentes et alourdissait considérablement l'effort à réaliser demain ;

- et permettant au Gouvernement précédent d'opérer de manière réitérée des ponctions sur la branche ou sur le FSV pour financer sa politique sociale -les 35 heures ou l'APA- voire financer les dettes de l'Etat.

Afin de procéder à ces ponctions et d'assécher les « réserves dormantes » -les excédents présents des branches ou futurs du FSV-, le précédent gouvernement fut contraint de multiplier les réaffectations de recettes et de dépenses, dans et hors de la branche, complexifiant encore les transferts qui assurent aujourd'hui de manière fort précaire l'équilibre des régimes d'assurance vieillesse et rendent véritablement inintelligibles les circuits financiers de la sécurité sociale.

* 1 Selon l'expression de Mme Marie-Thérèse Lance, directeur général de l'AGIRC, auditionnée par votre rapporteur.

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