N° 68

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès verbal de la séance du 21 novembre 2002

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 2003 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME III

LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

(Deuxième partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 41

DÉFENSE :

EXPOSÉ D'ENSEMBLE ET DÉPENSES EN CAPITAL

Rapporteur spécial : M. Maurice BLIN

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Jacques Oudin, Gérard Miquel, Claude Belot, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; MM. Yann Gaillard, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Jacques Baudot, Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Claude Haut, Roger Karoutchi, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, François Marc, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 230 , 256 à 261 et T.A. 37

Sénat : 67 (2002-2003)

Lois de finances.

PRINCIPALES OBSERVATIONS

Le temps n'est plus où la possession de l'arme nucléaire garantissait à notre pays le statut de grande puissance. Avec la fin de la guerre froide et le changement de nature de la menace devenue multiforme et omniprésente, il lui faut se battre sur tous les terrains en même temps.

Or, la France est une nation moyenne, dont on doit se demander si elle a les moyens de sa politique dans un contexte de course aux nouvelles technologies et, donc, d'augmentation des coûts.

La loi de programmation militaire (2003-2008) est un acte politique courageux. Celui-ci était nécessaire ; il ne sera sans doute pas suffisant si la France ne peut pas s'appuyer sur une Europe unie, décidée à former une véritable communauté européenne de défense, non seulement au niveau des états-majors, mais des systèmes d'armes, c'est-à-dire des industries de défense.

Le budget de la défense pour 2003, qui constitue la première étape de la nouvelle loi de programmation, marque, avec une croissance globale des dotations de 6,3 %, une inflexion forte par rapport aux tendances antérieures, qu'il faudra confirmer sur toute la durée de la loi de programmation (2003-2008), en dépit de perspectives budgétaires des plus incertaines.

Cet effort remarquable doit être remis dans son contexte international. Il fallait réagir car si, en matière de défense, la France se rapproche aujourd'hui, en loi de finances initiale, du seuil des 2 % du PIB, il y a peu, elle n'y consacrait que 1,7 %, contre 2,8 % pour les États-Unis et 2,3 % pour la Grande-Bretagne.

1. Un sursaut à confirmer dans la durée pour gérer un héritage difficile

On peut respecter la lettre d'une loi tout en en méconnaissant l'esprit.

L'esprit de la loi de programmation 1997-2002 était de placer la France sur le sentier qui devait l'amener au modèle d'armée 2015. Il s'agissait de lui donner à la fois les hommes et les matériels, de nature à assurer l'indépendance et la sécurité du pays dans un environnement incertain que, contre toute attente, la chute du mur de Berlin n'a pas rendu moins dangereux.

La lettre de la loi, c'était des hommes sous les drapeaux, -désormais professionnels ou volontaires- et une enveloppe de crédits.

Force est de reconnaître que les chiffres globaux, dotations et effectifs, respectent, en apparence tout au moins, les objectifs de la loi de programmation.

La professionnalisation voulue par le président de la République -et attendue par beaucoup de jeunes Français- a été accomplie. Mais à quel prix et dans quelles conditions ?

D'abord, il y a les chiffres eux-mêmes, réduits à la suite d'une revue des programmes, qui a permis de rogner 2,6 Mds € sur l'ensemble de la durée de programmation.

Et encore, cet objectif n'a-t-il été atteint que parce qu'ont été prises en compte, certaines dépenses sans lien direct avec la défense proprement dite, telles celles relatives au budget de la recherche civile et du développement -BCRD- et à la compensation à la Polynésie -le présent budget rompt heureusement avec cette pratique- et, surtout, parce que les chiffres retenus sont ceux des lois de finances initiales, contrairement au texte de la loi de programmation.

Sur l'ensemble de la période et en monnaie constante 2002, ce sont 8,6 Mds € qui auraient dû être trouvés si l'on avait voulu respecter les objectifs de départ.

Même après la révision des programmes, le taux d'exécution reste insuffisant avec 89,79%, ce qui représente encore, pour les années 1997-2002, 6,64 Mds €.

Bref, par rapport à la loi initialement votée par le Parlement, il manque plus de 11 Mds €, soit presqu'une année de dépenses en capital.

Ensuite, il y a, derrière les chiffres globaux, la manière ; car, si l'on a recruté les hommes, c'est au détriment des matériels.

Le titre III a lentement mais sûrement grignoté le titre V , qui ne présente plus que 39 % du budget en exécution contre 51,3 % en 1990 . Et encore faudrait-il tenir compte du transfert au titre V, sans doute légitime sur le fond, mais de nature à affecter la signification des séries statistiques, de certaines dotations d'entretien « lourd ».

Sacrifiant le titre V au titre III, le précédent gouvernement ne s'est pas contenté de donner la priorité au fonctionnement sur l'investissement, mais aussi, à l'intérieur du titre III lui-même, aux charges salariales sur les frais de fonctionnement stricto sensu , avec pour conséquence un amoindrissement des capacités opérationnelles des forces.

Avec ce budget pour 2003, il y a l'amorce d'une inversion de tendance et le début de la résorption du déséquilibre qui s'était créé entre le titre III et les titres V et VI.

436.000 emplois budgétaires ont été créés en 2002, soit un nombre inférieur de 1 % à peine à la cible fixée par la loi de programmation militaire. Cela serait satisfaisant, si cela ne correspondait qu'à des emplois effectifs ; or, tous les emplois ne sont pas pourvus à tous les niveaux, tant pour les emplois militaires que civils.

Jusqu'à présent, il a été possible de recruter suffisamment de militaires du rang ; mais, il y a tout lieu d'être inquiet en ce qui concerne les spécialistes. Tous les informaticiens, atomiciens, électroniciens, infirmiers et médecins, dont les armées ont de plus en plus besoin, il faut non seulement les attirer mais les retenir pour qu'ils résistent aux sirènes du secteur privé.

Le précédent gouvernement a mis au point, sous la pression directe des intéressés, un plan d'amélioration de la condition militaire. Il faut lui en donner acte, tout comme il faudra attribuer au gouvernement actuel le mérite de l'avoir financé et complété par des mesures ponctuelles, certes, mais importantes surtout pour les personnels civils.

Une armée professionnelle a désormais besoin de civils pour lui fournir à la fois certaines compétences spécialisées ou certaines prestations de service de base. C'est le prix à payer pour la fin de la conscription qui pourvoyait l'armée en spécialistes comme en manoeuvres.

Bref, la professionnalisation est une réussite qui fait honneur à ceux qui l'ont menée à terme, mais elle a coûté plus cher que l'on ne l'imaginait . Elle doit encore être consolidée.

L'on n'a pas fini, en effet, de supporter des augmentations des dotations du titre III, si l'on veut apporter aux armées les compétences dont elles ont besoin -et qu'elles doivent payer au prix du marché- et aux militaires eux-mêmes, l'environnement matériel -à commencer par des habitations convenables- et humain que suppose leur engagement.

A cet égard, même ce qu'il y a de plus positif dans l'héritage laissé par la précédente loi de programmation, à savoir un capital de compétences et de ressources humaines, peut se révéler un facteur de fragilité.

L'équilibre actuel est instable. Il porte en lui le germe d'une poussée supplémentaire des charges de personnel qu'il ne faudrait pas financer, une nouvelle fois, au détriment du titre V et donc des matériels ; au risque d'enclencher un cercle vicieux dans lequel le sacrifice des équipements finira par démobiliser nos soldats.

La dynamique suscitée par les mesures prises en termes de condition militaire, pourrait bien s'inverser, si l'effort entrepris en matière d'activité des forces n'était pas poursuivi ou compromis par des gels ou des annulations de crédits.

Le risque est bien, si l'on cède aux pressions du court terme, de décevoir les attentes, voire de susciter la frustration, de tous ceux qui, au sein de nos armées, auront le sentiment que la Nation ne leur donne pas les moyens d'exercer leur métier de soldat.

Le redressement qu'amorce cette « première marche » de la loi de programmation militaire (2003-2008) s'inscrit dans un temps long qu'illustrent bien la durée des programmes d'armements et les délais de livraison des matériels : les derniers Rafale seront livrés en 2012, soit plus de trente ans après le premier vol, tandis que l'on engage actuellement les travaux de définition du Barracuda, qui remplacera les actuels sous-marins nucléaires d'attaque en 2012.

Les dates d'aboutissement des autres grands programmes sont tout aussi significatives : les NH 90, c'est 2011 pour les 34 exemplaires de l'armée de terre (version antichar) et, à partir de 2005, pour les sept premiers en version navale, les frégates antiaériennes, c'est 2006 et 2008 ; les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération, c'est 2004 pour la mise en service du 3 ème exemplaire et 2010 pour celle du 4 ème ; quant au nouveau porte-avions, il n'est prévu qu'en 2015 ; enfin l'A 400 M n'est attendu, si tout se passe comme prévu, qu'à partir de 2009 et sans doute vers 2011.

Certains matériels arriveront bien tard eu égard à leur importance. Tel est, en particulier, le cas des drones, ces petits avions sans pilote largement utilisés au cours des opérations en Afghanistan, qui ne seront disponibles à raison de 12 drones moyenne altitude longue endurance (MALE) et 40 autres assortis de leur station qu'à partir de 2008/2009 ; tel est aussi le cas des véhicules de l'avant blindé -VAB- destinés au combat d'infanterie, dont la livraison sera retardée jusqu'en 2007 par suite de problèmes de coordination entre GIAT industries et la DGA.

On ne répètera jamais assez, reporter un programme lourd , c'est lui faire perdre son avance technologique, ce qui veut dire des marchés à l'exportation et, donc, le condamner à des durées de fabrication très longue, c'est-à-dire, trop souvent, à la mort lente.

La plupart des équipements en cours de définition ou de fabrication vont couvrir la totalité de la prochaine loi de programmation et une bonne part de celle qui suivra.

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