B. LE DISPOSITIF FRANÇAIS DE LUTTE CONTRE LE RACISME

Le dispositif français de lutte contre le racisme et la xénophobie repose essentiellement sur les dispositions de la loi sur la liberté de la presse et sur celles relatives aux discriminations.

1. Les dispositions de la loi sur la liberté de la presse

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse contient plusieurs dispositions sanctionnant notamment la provocation à la haine raciale, les injures et les diffamations à caractère raciste. La rédaction de ces infractions résulte, pour l'essentiel, de la loi n° 72-546 du 1 er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme.

L'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

L'article 24 bis de cette loi, qui résulte de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe loi adoptée à l'initiative de M. Jean-Claude Gayssot), punit d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende ceux qui auront contesté l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg.

La Cour de cassation 1 ( * ) a estimé que cet article n'était pas contraire au principe de la liberté d'expression inscrit dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il sanctionne des comportements attentatoires à l'ordre public et aux droits des

individus et entre en conséquence dans le champ des exceptions prévues par l'article 10 de la Convention européenne 2 ( * ) .

Les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionnent la diffamation et l'injure publique commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

L'article 32 de la loi de 1881 a donné lieu à de nombreuses procédures, généralement à l'initiative d'associations habilitées à exercer les droits de la partie civile. La Cour de cassation a par exemple considéré que l'imputation faite aux juifs américains d'« exploiter la légende de l'Holocauste » entrait dans les prévisions de cet article 3 ( * ) . Elle a fait de même à propos d'imputations visant les communautés chrétiennes des pays de l'Est, en raison de leur obédience catholique et du comportement prêté à leurs membres.

Les délits prévus par les articles 24, 24 bis, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont constitués que s'ils sont commis « soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication audiovisuelle ».

Les diffamations ou injures non publiques commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe par les articles 624-3 et 624-4 du code pénal.

L'article 48-1 de la loi de 1881 permet aux associations de lutte contre le racisme d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales, de diffamation et d'injures publiques à caractère racial. Lorsque l'infraction est commise envers des personnes considérées individuellement, l'association n'est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes.

L'article 48-2 permet pour sa part aux associations défendant les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés d'exercer les droits reconnus à la partie civile, notamment en ce qui concerne l'infraction de contestation de l'existence d'un crime contre l'humanité.

Le tableau suivant retrace l'évolution des condamnations prononcées au cours des dernières années sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.

1997

1998

1999

2000

2001*

Provocation à la discrimination nationale, sociale, religieuse par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 24)

3

7

15

7

15

Contestation de l'existence du crime contre l'humanité par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 24 bis)

1

3

2

3

2

Diffamation en raison de la race, la religion ou l'origine par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 32)

2

1

3

3

9

Injure publique en raison de la race, la religion ou l'origine par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel (art. 33)

83

83

82

98

106

* Provisoire

Source : Casier judiciaire.

En 1996, M. Jacques Toubon, alors garde des Sceaux, avait proposé dans un projet de loi 4 ( * ) de retirer de la loi de 1881 les infractions de provocation, de diffamation et d'injure raciales pour les insérer dans le code pénal.

L'exposé des motifs du projet de loi apportait notamment les précisions suivantes pour justifier cette évolution : « (...) l'exceptio veritatis, qui est normalement prévue en matière de diffamation, n'a aucun sens lorsque des imputations diffamatoires sont formulées à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur ethnie, de leur race ou de leur religion .

« (...) cette insertion des délits en matière de racisme dans la loi sur la presse impose le respect des règles de procédure extrêmement complexes que prévoit cette législation spécifique. Les contraintes procédurales qui en résultent ont pour effet d'amoindrir grandement l'efficacité de la répression .

« Il en va notamment ainsi du délai de prescription de trois mois (alors que la prescription de droit commun est de trois ans pour les délits) qui a souvent pour conséquence, lorsque des écrits racistes ou xénophobes ont été diffusés publiquement mais en faible nombre d'exemplaires, d'empêcher le parquet ou les associations habilitées de réagir en temps utile pour engager des poursuites ».

Ce projet de loi n'a jamais été discuté. Peut-être conviendra-t-il à l'avenir de réexaminer l'opportunité d'exclure de la loi sur la presse les provocations, diffamations et injures raciales afin d'assurer une pleine efficacité de la répression dans cette matière.

2. Les dispositions du code pénal relatives aux discriminations

Plusieurs articles du code pénal sanctionnent les discriminations. L'article 225-1 définit la discrimination comme une distinction opérée entre les personnes « à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

L'article 225-2 du code pénal punit la discrimination de deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende lorsqu'elle consiste à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service, à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque, à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne, à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1, à subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1, à refuser d'accepter une personne à certains stages.

L'article 432-7 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende la discrimination commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public , dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, lorsqu'elle consiste à refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ou à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque.

Le code du travail contient également des dispositions spécifiques destinées à sanctionner les comportements discriminatoires lors d'un recrutement, dans le cadre du pouvoir disciplinaire de l'employeur ou encore dans le cadre du règlement intérieur de l'entreprise ou d'une convention collective . En cas de litige, « le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » (article L. 122-45 du code du travail).

Le tableau suivant retrace les condamnations prononcées au cours des dernières années sur le fondement de l'article 225-2 du code pénal.

1997

1998

1999

2000

2001*

Discrimination dans l'offre ou la fourniture d'un bien ou d'un service à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

1

2

2

4

Discrimination dans l'offre ou la fourniture d'un bien ou d'un service à raison de la race

2

9

0

5

1

Discrimination dans une offre d'emploi à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

1

0

1

1

Discrimination dans une offre d'emploi à raison de la race

1

1

1

7

1

Refus d'embauche à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

2

2

0

2

Refus d'embauche à raison de la race

0

0

1

1

0

Licenciement à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

1

0

0

0

0

Entrave à l'exercice d'une activité économique à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité

0

1

1

0

0

Entrave à `l'exercice d'une activité économique à raison de la race

0

0

0

0

1

* Provisoire

Source : Casier judiciaire

Le dispositif de lutte contre les discriminations a été complété par la mise en place de structures spécifiques de lutte contre le racisme et de soutien aux victimes de discrimination raciales :

- le GELD (Groupement d'études et de lutte contre les discriminations) est un lieu de concertation et de réflexion entre les différents acteurs de la lutte contre le racisme. Sa principale mission est de conduire et de centraliser les études et les données statistiques afin de mieux identifier les phénomènes racistes et d'en combattre les causes. Le GELD s'est également vu confier la gestion du numéro d'appel 114, qui permet aux victimes ou aux témoins de discrimination de signaler des cas ou des pratiques qui leur semblent discriminatoires ;

- les CODAC (commissions départementales d'accès la citoyenneté) ont été créées en janvier 1999. Elles constituent un lieu d'écoute, de conseil et de mise en oeuvre de la politique de soutien des victimes de discriminations ; elles ont pour objectif la mise en place d'un programme départemental de lutte contre les discriminations et l'exclusion.

3. Les autres dispositions pénales

Quelques infractions du code pénal visent explicitement les comportements racistes ou xénophobes.

Le génocide , qui figure parmi les crimes contre l'humanité, est défini comme un « plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

L'article 225-18 punit la profanation de sépultures et l'atteinte à l'intégrité du cadavre . Il s'agit de la seule infraction du code pénal en vigueur pour laquelle une circonstance aggravante est prévue lorsque le délit est commis « à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

L'article R. 645-1 du code pénal punit de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le port ou l'exhibition en public d'un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant ceux portés par les membres d'une organisation déclarée criminelle par le tribunal de Nuremberg ou par toute autre personne reconnue coupable de crime contre l'humanité.

Par ailleurs, comme en matière de délits de presse, les associations de lutte contre le racisme peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour certaines infractions : discriminations, atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne (meurtre, tortures et actes de barbarie, violences, menaces), ainsi que les destructions ou dégradations de biens.

*

Ainsi, certaines infractions de notre droit ont, par nature, un caractère raciste (injures et diffamations publiques à caractère racial, provocation à la haine raciale, discriminations fondées sur la race, l'origine, la nationalité...). En revanche, le droit positif ne prend pas en compte le caractère raciste ou antisémite d'un acte comme élément constitutif d'une infraction de droit commun ou comme une circonstance aggravante de l'infraction commise (sauf en ce qui concerne la profanation de sépulture et l'atteinte à l'intégrité du cadavre). La proposition de loi soumise au Sénat vise à combler cette lacune.

* 1 Cass crim, 23 février 1993.

* 2 Article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

« 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

* 3 Cass crim, 8 octobre 1991.

* 4 Projet de loi n° 3045 (dixième législature) relatif à la lutte contre le racisme.

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