B. DES INTERROGATIONS LEVÉES, DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES

Si certaines interrogations soulevées par les projets d'accords ont pu être levées au cours des négociations, des difficultés n'en persistent pas moins, qui justifieraient des modifications de ces projets.

1. Des interrogations levées au cours des négociations

a) La peine de mort aux Etats-Unis

Trente-huit des cinquante Etats des Etats-Unis prévoient la peine de mort pour les crimes les plus graves. Il était donc important que les accords d'entraide judiciaire et d'extradition prévoient des garanties satisfaisantes sur cette question.

En France, en matière d'extradition, les jurisprudences administrative et judiciaire interdisent l'extradition si la personne extradée risque l'application de la peine capitale. Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation admettent cependant que l'extradition soit accordée si « la partie requérante donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne sera pas prononcée ou ne sera pas exécutée » 1 ( * ) .

Le projet d'accord sur l'extradition donne satisfaction à ces exigences. L'article 13 est en effet ainsi rédigé : « lorsque l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée est punissable de la peine de mort aux termes de la loi de l'Etat requérant et ne l'est pas aux termes de la loi de l'Etat requis, l'Etat requis peut accorder l'extradition à condition que la peine de mort ne soit pas prononcée à l'encontre de la personne recherchée ou, si, pour des raisons de procédure, cette condition ne peut être respectée par l'Etat requérant, à condition que la peine de mort, si elle est prononcée, ne soit pas exécutée. Si l'Etat requérant accepte l'extradition sous réserve des conditions énoncées dans le présent paragraphe, il respecte ces conditions. Si l'Etat requérant n'accepte pas les conditions, l'extradition peut être refusée . »

En ce qui concerne le projet d'accord d'entraide judiciaire, les Etats membres de l'Union européenne souhaitaient obtenir des garanties, afin que la transmission d'informations ne soit pas utilisée aux fins de condamner une personne à la peine capitale.

L'article 9 du projet d'accord, qui énumère les usages que pourra faire l'Etat requérant des preuves ou informations reçues de l'Etat requis, permet à ce dernier « d'imposer des conditions supplémentaires dans une affaire donnée lorsqu'il ne pourrait pas, en l'absence de ces conditions, donner suite à la demande d'entraide examinée ».

Les projets d'accords garantissent donc que les Etats membres de l'Union européenne pourront s'opposer à une extradition si la personne concernée risque la peine capitale aux Etats-Unis.

b) La « probable clause »

Aux Etats-Unis, lorsqu'un procureur souhaite procéder à des investigations attentatoires à la liberté individuelle, il doit obtenir préalablement l'accord d'un juge et lui montrer des éléments précis laissant à penser qu'une infraction a pu être commise par la personne concernée.

Cette clause est également applicable en cas de demande d'entraide judiciaire et suscite parfois des difficultés, dans mesure où elle est inconnue dans notre pays.

L'article 11 du projet d'accord d'entraide judiciaire prévoit que, si nécessaire, les parties contractantes se consultent pour permettre une utilisation aussi efficace que possible de l'accord, y compris pour favoriser le règlement de tout différend concernant son interprétation ou son application.

Ce mécanisme de consultation devrait faciliter la résolution des difficultés soulevées par la « probable clause ».

c) la priorité aux demandes d'extradition émises par la cour pénale internationale

Les Etats-Unis, qui n'ont pas ratifié le traité de Rome sur la Cour pénale internationale, étaient très réticents à l'idée d'admettre une priorité pour les demandes d'extradition émises par cette Cour.

Néanmoins, une note insérée à l'article 10 du projet d'accord d'extradition, relatif aux demandes d'extradition présentées par plusieurs Etats, prévoit qu'un échange de notes diplomatiques expliquera que cet article 10 ne remet pas en cause les obligations des Etats parties au traité sur la Cour pénale internationale.

2. Des difficultés en suspens

Le projet d'accord d'extradition soulève encore certaines difficultés, notamment pour la France, en ce qui concerne l'existence de juridictions d'exception aux Etats-Unis et l'absence de priorité donnée au mandat d'arrêt européen.

a) Les juridictions d'exception américaines

Le Gouvernement français a émis une réserve sur le projet d'accord d'extradition, dans la mesure où il ne permet pas de refuser l'extradition dans le cas où une personne risque d'être jugée par une juridiction d'exception .

L'article 16 du projet d'accord d'extradition prévoit que « le présent accord est sans préjudice de la possibilité reconnue à l'Etat requis par un traité d'extradition bilatéral en vigueur entre les Etats-Unis d'Amérique et un Etat membre d'invoquer des motifs de refus se rapportant à une question non régie par le présent accord ».

Ainsi, l'accord d'extradition conclu par la France avec les Etats-Unis continuera à s'appliquer pour toutes les questions qui ne sont pas abordées par le projet d'accord. Néanmoins, cet accord ne fait aucune référence aux juridictions d'exception, qui ont été créées après sa conclusion.

Par un « Military Order » du 13 novembre 2001, le président des Etats-Unis a institué des tribunaux militaires, compétents pour juger toute personne qui n'aurait pas la nationalité américaine et serait impliquée dans des affaires de terrorisme international menaçant les Etats-Unis ou leurs ressortissants. Ces tribunaux, composés de militaires, fonctionnent selon des règles de procédure largement dérogatoires au droit commun et ils peuvent prononcer des condamnations à mort.

Le fonctionnement de ces tribunaux peut susciter des interrogations au regard des principes relatifs au procès équitable posés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or, le projet d'accord d'extradition prévoit seulement que si « les principes constitutionnels de l'Etat requis sont de nature à faire obstacle à l'exécution de son obligation d'extradition et que ni le présent accord ni le traité bilatéral applicable ne permettent de résoudre la question, l'Etat requis et l'Etat requérant procèdent à des consultations ».

Une telle stipulation paraît insuffisante.

La proposition de résolution soumise à votre commission des Lois indique dans ces conditions que le Sénat « partage (...) le souci du Gouvernement d'inclure une référence aux droits fondamentaux parmi les motifs de refus d'extradition ».

Votre commission approuve cette demande. Il est en effet souhaitable que le respect des droits fondamentaux puisse constituer un motif de refus d'extradition.

b) L'absence de prise en compte de l'espace judiciaire européen

La difficulté la plus sérieuse que posent les projets d'accords avec les Etats-Unis est l'absence de prise en compte de la construction d'un espace judiciaire européen .

L'article 10§2 du projet d'accord d'extradition assimile le mandat d'arrêt européen à une demande d'extradition. Dans ces conditions, en cas de demande concurrente des Etats-Unis d'une part, d'un Etat membre de l'Union européenne sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen d'autre part, l'Etat requis devrait se référer aux critères énumérés par l'article 10 du projet d'accord d'extradition pour déterminer à quel Etat la personne sera remise.

Il est vrai que la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen ne prévoit pas elle-même de système de priorité du mandat d'arrêt européen sur toute autre demande.

Toutefois, établir une équivalence entre un mandat d'arrêt européen et une demande d'extradition dans des accords avec des pays tiers pourrait interdire à l'avenir une évolution des instruments relatifs au mandat d'arrêt européen destinée précisément à prévoir une priorité de cet instrument sur les autres demandes.

Le gouvernement français souhaite donc que l'assimilation du mandat d'arrêt européen à une demande d'extradition soit retirée du projet d'accord. Aucune solution n'a jusqu'à présent pu être trouvée.

Les Etats-Unis ont accepté l'insertion d'une clause de réexamen au plus tard cinq ans après l'entrée en vigueur de l'accord, mais celle-ci n'implique en aucune façon que les Etats-Unis renoncent, lors de ce réexamen, à l'assimilation du mandat d'arrêt européen à une demande d'extradition.

Ainsi, la rédaction du projet d'accord risque d'interdire à l'avenir la mise en place d'une priorité du mandat d'arrêt européen, sur les demandes d'extradition.

Or, le mandat d'arrêt européen est d'une autre nature que l'extradition, même s'il ne correspond pas encore à un mandat comparable à ceux qui existent au sein de chaque Etat et qui sont exécutoires par eux-mêmes. Il ne saurait donc être assimilé à une demande d'extradition.

D'une manière générale, les projets d'accords donnent parfois la paradoxale impression d'être en avance sur la construction de l'espace judiciaire européen. Ils prévoient par exemple la mise en place d'équipes communes d'enquête quand celles-ci ne sont toujours pas une réalité entre Etats membres de l'Union européenne.

Le nécessaire renforcement de la coopération judiciaire entre l'Europe et les Etats-Unis ne saurait se faire au détriment de la construction d'un authentique « espace judiciaire européen ».

La proposition de résolution soumise à votre commission des Lois tend donc à souligner que le Sénat :

- considère que le nécessaire renforcement de la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique ne doit pas se faire dans la méconnaissance du processus d'édification de l'espace judiciaire européen, garantie d'un partenariat euro-américain efficace dans la lutte contre la criminalité internationale, en particulier le terrorisme ;

- soutient, sous cette réserve et en l'état, la volonté du Gouvernement de ménager la possibilité de faire prévaloir le mandat d'arrêt européen sur les demandes d'extradition présentées par des pays tiers, afin de ne pas contredire l'idée même d'unification de l'espace judiciaire européen.

Votre commission approuve sans réserve ces observations.

* 1 CE, 1993, Mme Aylor.

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