II. LE PROJET DE LOI : DONNER AUX CORSES LA MAÎTRISE DE LEUR DEVENIR AU SEIN DE LA RÉPUBLIQUE

Assuré d'une base juridique solide depuis la révision constitutionnelle du 28 mars dernier et élaboré au terme d'une large concertation, le présent projet de loi propose aux électeurs de Corse une modification profonde de leurs institutions locales et organise les modalités de leur consultation.

A. LE PRINCIPE DE LA CONSULTATION

Le principe de la consultation des électeurs de Corse fait l'objet d'un large consensus, à la différence des orientations proposées pour modifier l'organisation institutionnelle de l'île sur lesquelles les élus locaux ne sont pas parvenus à un accord.

1. Un fondement constitutionnel

Ce projet de loi n'aurait pu voir le jour sans l'adoption préalable de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.

En premier lieu, et comme on l'a vu, la révision constitutionnelle a inscrit les collectivités à statut particulier - ainsi que les régions - dans la liste des collectivités territoriales de la République reconnues par l'article 72 de la Constitution et a donné à la loi la possibilité de les substituer à une ou plusieurs collectivités dont l'existence était autrefois protégée par la loi fondamentale : communes, départements et, désormais, régions.

En second lieu, la réforme du 28 mars 2003 a inséré un article 72-1 dans la Constitution aux termes duquel, « lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées . »

La consultation doit donc être décidée par la loi. Contrairement aux référendums décisionnels locaux, elle ne revêt que la valeur d'un simple avis , le Parlement restant libre d'élaborer le statut de son choix ultérieurement . Seuls pourront être consultés les électeurs inscrits sur les listes électorales des communes de l'île, et non les « Corses de l'extérieur ».

Enfin, les exigences de clarté et de loyauté de la consultation, dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, seront évidemment applicables à ce scrutin. Elles impliquent, d'une part, que le projet de statut soit suffisamment détaillé pour éclairer l'avis des électeurs, d'autre part, que la valeur purement indicative de la consultation soit explicite.

Assuré d'une base juridique solide, le projet de loi a été élaboré au terme d'une large concertation.

2. Une large concertation préalable

Les réflexions relatives à l'organisation institutionnelle de la Corse ont été engagées au mois de septembre 1999 par le Gouvernement de M. Lionel Jospin, dans le cadre de ce qu'il a été convenu d'appeler le « processus de Matignon ».

Le relevé de conclusions élaboré le 20 juillet 2000, approuvé par l'Assemblée de Corse le 28 juillet 2000 par 44 voix contre 2 et 5 abstentions, préconisait, outre le transfert de nouvelles compétences à la collectivité territoriale, la généralisation de l'enseignement de la langue corse dans les écoles maternelles et primaires, la rénovation du statut fiscal de l'île et l'adoption d'un programme exceptionnel d'investissement, réalisés par la loi du 22 janvier 2002, une simplification de l'organisation administrative de la Corse et la dévolution d'un pouvoir d'adaptation des normes .

Prenant acte de la préférence exprimée par les présidents de groupes de l'Assemblée de Corse en faveur de la suppression des deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud et de la mise en place d'une collectivité unique à l'expiration du mandat de l'actuelle assemblée, en 2004, il soulignait qu'une telle réforme supposait une révision constitutionnelle. Quant à la dévolution à la collectivité territoriale de Corse d'un pouvoir d'adaptation des lois, elle fut, à l'époque, déclarée inconstitutionnelle.

Depuis la nomination de l'actuel Gouvernement, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ont effectué de multiples déplacements en Corse, souvent accompagnés du garde des sceaux et du ministre délégué aux libertés locales, afin d'y rencontrer les élus locaux, les représentants de l'Etat et les acteurs de la société civile.

Des assises des libertés locales se sont déroulées en Corse, comme dans chacune des 26 régions françaises, sous la forme de cinq ateliers organisés à Corte le 15 octobre 2002, à Ajaccio et Calvi le 16 octobre, à Bastia et Sartène le 17 octobre, et de trois tables rondes consacrées à la culture et au patrimoine, le 25 octobre à Porto Vecchio, au développement économique et au dialogue social, le 25 octobre à Bastia, et aux évolutions institutionnelles de l'île, le 26 octobre à Ajaccio.

La réflexion institutionnelle a été approfondie au cours de deux séminaires qui se sont tenus, le premier à Bastia en décembre, et le second à Ajaccio en janvier.

Les trois tables rondes ont chacune réuni environ 400 personnes, en majorité des élus locaux mais également de nombreux représentants de la société civile.

Si le projet de loi s'inscrit dans le droit fil du relevé de conclusions élaboré par le Gouvernement de M. Lionel Jospin le 20 juillet 2000, la démarche a été plus cohérente, la révision constitutionnelle précédant le changement de statut, et le dialogue a été ouvert à l'ensemble de la population de l'île, alors que les accords de Matignon furent le fruit d'un compromis laborieux et ambiguë comme l'avait relevé la commission spéciale du Sénat chargée d'examiner le projet de loi relatif à la Corse 13 ( * ) .

3. L'absence de consensus

Si le principe de la consultation des électeurs de Corse fait l'objet d'un large consensus, la perspective de la création d'une collectivité unique suscite incontestablement certaines réticences, principalement de la part des conseillers généraux, comme votre rapporteur a pu le constater lors de son déplacement dans l'île du 22 au 24 avril derniers.

Dans sa séance du 28 février 2003, par 33 voix contre 13 et 3 abstentions, l' Assemblée de Corse a confirmé son adhésion au relevé de conclusions du 20 juillet 2000, proposé la création d'une collectivité unique décentralisée et déconcentrée et demandé une consultation populaire sur cette réforme.

Le 9 octobre 2002, par 19 voix contre 2, le conseil général de Corse-du-Sud a demandé « résolument » le maintien des deux départements de la Corse, préconisé des mesures propres à clarifier et à simplifier, dans le cadre national, les rapports entre les différents niveaux de l'organisation administrative du pays, et réaffirmé « avec force » sa vocation de relais de proximité des populations, notamment de celles du monde rural.

Le 21 octobre 2002 le conseil général de Haute-Corse a demandé le maintien des deux départements de la Corse, considérant que l'instauration d'une collectivité territoriale unique vers laquelle s'effectuerait le double transfert des compétences de l'Etat et du département aboutirait à une concentration des pouvoirs et à de sérieuses complications de mise en oeuvre. Il a également souligné qu'en Corse plus qu'ailleurs, la faible densité géographique justifiait le maintien des structures de proximité nécessaires aux équilibres géographiques et économiques. A titre personnel, le président du conseil général, M. Paul Giacobbi, s'est exprimé en faveur de la création d'une collectivité territoriale unique.

Le 3 décembre 2002, l' association des maires de Corse-du-Sud a estimé que le développement économique de l'île importait davantage que les évolutions institutionnelles. Elle a exprimé la crainte qu'une consultation des électeurs de Corse n'aggrave les divisions entre élus. Enfin, elle a demandé une clarification des compétences et des simplifications administratives.

Les membres de l' association des maires de Haute-Corse s'avèrent pour le moins partagés puisque, le 8 février 2003, 101 se sont exprimés en faveur de la création d'une « collectivité nouvelle chef de file » et 98 pour le statu quo .

En l'absence de consensus, comme l'avait indiqué M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, le Gouvernement a tracé les grandes lignes d'une nouvelle organisation institutionnelle visant à concilier la double exigence de cohérence et de proximité de l'action publique, et décidé de les soumettre à l'avis des électeurs de Corse.

* 13 Rapport n° 49 (Sénat, 2000-2001) de M. Paul Girod au nom de la commission spéciale du Sénat chargée d'examiner le projet de loi relatif à la Corse, pages 44 et suivantes.

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