B. LE SÉNAT DOIT AUJOURD'HUI ADAPTER SON RÉGIME ÉLECTORAL EN VUE DE RENFORCER SA LÉGITIMITÉ

En 1946 et en 1969, les Français ont souligné leur attachement au Sénat, qui est indispensable à l'équilibre des institutions de la Cinquième République.

Toutefois, le régime électoral spécifique des sénateurs, s'il est un fondement essentiel du bicamérisme équilibré, doit être rénové afin de prendre en compte les évolutions sociales et territoriales récentes et de voir sa représentativité confortée.

En effet, « force est de reconnaître (...) que l'appréciation positive des travaux sénatoriaux est altérée, en quelque sorte « brouillée », par le débat récurrent sur le statut électoral des sénateurs et notamment par les critiques lancinantes à l'encontre de la durée du mandat sénatorial et de la représentativité du Sénat » 37 ( * ) .

1. L'affirmation du rôle du Sénat implique la réduction de la durée du mandat et l'abaissement de l'âge d'éligibilité des sénateurs

a) La durée du mandat sénatorial, une exception en sursis

L'article L.O. 275 du code électoral indique que « les sénateurs sont élus pour neuf ans ».

A l'origine, l'article 6 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875 avait fixé une durée de neuf ans pour le mandat sénatorial et le renouvellement du Sénat par tiers tous les trois ans pour encadrer le mandat présidentiel, fixé à sept ans, et pour introduire un élément de continuité dans le bicamérisme français.

La Quatrième République avait fait le choix d'un abaissement de la durée du mandat sénatorial à six ans, du renouvellement du Conseil de la République par moitié tous les trois ans, les sièges étant répartis en deux séries A et B d'importance approximativement égale 38 ( * ) .

En 1958, la Cinquième République est revenue au mandat de neuf ans et au renouvellement triennal par tiers auxquels elle a donné valeur organique.

La longueur de la durée du mandat sénatorial a suscité nombre d'interrogations.

Il est incontestable que cette durée a contribué au rôle stabilisateur de la Haute Assemblée et à son indépendance politique en dépit des remous conjoncturels de l'opinion.

La combinaison du mandat électif le plus long (neuf ans) avec l'intervalle de renouvellement le plus court des élections politiques (trois ans) rend possible une prise en compte, à périodes rapprochées, des changements politiques intervenus aux différentes élections locales, notamment municipales, tout en exerçant un effet de « lissage » des variations brusques qui n'affectent, en raison du renouvellement partiel, que la série soumise à réélection.

Les évolutions de l'opinion publique s'expriment donc sans à-coups au Sénat, assurant un contrepoids aux situations de « raz-de-marée » qui peuvent affecter les élections législatives.

Toutefois, comme le souligne l'exposé des motifs de la présente proposition de loi, le novennat est de moins en moins « audible » auprès de nos concitoyens.

Tout d'abord, avec la réduction du mandat présidentiel à cinq ans 39 ( * ) et la tendance historique à une diminution de la durée des mandats, le mandat sénatorial constitue une exception. C'est aujourd'hui l'unique mandat en France dont la durée excède six ans.

Sa durée est également exceptionnelle au regard du droit parlementaire comparé (voir annexe n° 1) puisqu'elle est aujourd'hui la plus longue d'Europe pour un mandat parlementaire. Seules les membres des secondes chambres du Maroc et du Libéria ont une durée de mandat de neuf ans.

Cette situation est de plus préjudiciable à la représentativité du Sénat : en effet, la durée des mandats locaux (conseillers municipaux, conseillers généraux, conseillers régionaux et conseillers à l'Assemblée de Corse depuis la loi du 11 avril 2003 40 ( * ) ) est harmonisée à six ans.

Or, au cours de leur mandat, certains élus locaux n'ont pas la possibilité de voter pour élire les sénateurs qui les représentent. La différence de durée entre le mandat sénatorial et les mandats locaux apparaît peu justifiée.

De plus, le principe de l'abaissement de la durée du mandat sénatorial semble aujourd'hui être l'objet d'un consensus.

Il faisait partie des propositions du candidat Jacques Chirac en vue de « renouveler le pacte démocratique » lors de la campagne des élections présidentielles de 2002.

Le Sénat lui-même a préparé la réforme par le dépôt de nombreuses propositions de lois organiques (pas moins de sept entre juin et octobre 2000) et par les conclusions de la majorité du groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale 41 ( * ) , qui s'est prononcé pour la conjugaison de l'abaissement de la durée du mandat à six ans et du renouvellement par moitié du Sénat tous les trois ans.

Le Président du Sénat, Christian Poncelet, a quant à lui appelé une telle réforme de ses voeux, le 16 octobre 2001 : « Le Sénat s'honorerait en prenant lui-même l'initiative d'une réduction à six ans de la durée du mandat de ses membres ».

b) Le problème secondaire de l'âge d'éligibilité de sénateurs

Sous la Troisième République, l'âge d'éligibilité des sénateurs était de 40 ans. Depuis, cette particularité du régime électoral sénatorial a évolué puisque l'article L.O. 296 du code électoral indique que « nul ne peut être élu au Sénat s'il n'est âgé de trente cinq ans révolus ».

Ce seuil de trente cinq ans a été parfois dénoncé et des critiques caricaturales ont dépeint le Sénat comme une assemblée d'élus âgés qui serait peu en phase avec la population.

Au-delà des procès en représentativité du Sénat, l'analyse objective de la réalité tend à souligner le caractère en partie artificiel du débat, l'âge d'éligibilité étant une donnée juridique et moins pertinente que la prise en compte de l'âge moyen réel des membres des assemblées, logiquement plus élevée.

Ainsi, l'écart de l'âge moyen des députés et des sénateurs est faible depuis 1959. En 2001, l'âge moyen des sénateurs était de 61 ans contre 57 ans pour les députés.

Cependant, les critiques doivent être considérées car elles nuisent à l'appréciation positive globale portée sur l'action du Sénat.

Par ailleurs, l'abaissement de l'âge d'éligibilité serait un gage d'ouverture de l'institution sénatoriale aux jeunes générations conforme à son objectif de rénovation et à l'évolution de la société.

En revanche, la réforme se devrait de maintenir une différence de durée et d'âge entre le mandat de sénateur et celui de député afin de préserver le bicamérisme différencié.

2. L'inadaptation du nombre de sénateurs et de la répartition des sièges au regard des évolutions démographiques récentes des collectivités territoriales fragilisent la représentativité du Sénat

a) L'augmentation progressive du nombre de sénateurs depuis 1875

En 1875, le Sénat comportait 300 sièges 42 ( * ) .

En 1918, 14 sièges supplémentaires furent créés pour représenter les départements d'Alsace-Moselle.

La Quatrième République n'a pas modifié sensiblement la situation antérieure : l'effectif total du Conseil de la République fixé à 315 en 1946 passa à 320 avec la loi n° 48-1471 du 23 septembre 1948. Celle-ci instaura en revanche une clé de répartition des sièges des départements attribuant à chaque département [...] un siège jusqu'à 154.000 habitants et, ensuite, un siège par tranche de 250.000 habitants ou fraction de tranche de 250.000 habitants.

La Constitution du 4 octobre 1958 a renvoyé à une loi organique le soin de fixer l'effectif de chaque assemblée après avoir procédé par la voie d'ordonnances organiques 43 ( * ) lors de l'installation des nouvelles institutions. L'effectif total du Sénat a été modifié à plusieurs reprises en 1961, 1966 (réorganisation de la région parisienne), 1976 et 1983 (augmentation de la représentation sénatoriale des Français établis hors de France).

La clé de répartition démographique de 1948 a été légèrement modifiée par la loi organique n° 66-504 du 12 juillet 1966 consécutive à la création des départements de la région parisienne (un siège pour 150.000 habitants) et implicitement reconduite par la loi organique n° 76-643 du 16 juillet 1976 qui avait créé 33 nouveaux sièges dans 29 départements.

b) Le nombre de sénateurs et la répartition actuelle des sièges doivent être modifiés pour garantir une représentation fidèle des collectivités territorialités

Depuis 1976, le nombre de sénateurs et la répartition des sièges n'ont pas été modifiés. Les recensements généraux de la population française établis en 1982, 1990 et 1999 ne sont donc pas pris en compte dans la représentation sénatoriale qui s'en trouve affaiblie.

Certains départements ont pourtant connu des évolutions démographiques importantes depuis 1976 (+ 57,82% pour la Seine-et-Marne ; +43, 14% pour le Var ; + 36,8 % pour l'Ain).

La composition actuelle du Sénat, « reflétant la situation démographique de 1975 » 44 ( * ) est la suivante :

Le nombre de sièges de sénateurs s'élève à 322 (dont 321 effectivement pourvus) 45 ( * ) :

304 sénateurs sont élus dans les départements (296 dans les départements métropolitains, 8 pour les départements d'outre-mer) selon le tableau n° 6 annexé au code électoral ;

5 sièges sont attribués aux sénateurs représentant les collectivités d'outre-mer (Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna disposant respectivement d'1 siège) et à la Nouvelle-Calédonie (1 siège) ;

12 sénateurs représentent les Français établis hors de France

Le Sénat se doit de représenter l'ensemble des collectivités territoriales en tant que telles. Aussi, le principe de l'égalité du suffrage de l'article 3 de la Constitution qui impose que l'élection des députés doit reposer sur « des bases essentiellement démographiques » 46 ( * ) doit-il être interprété à la lumière de l'article 24 de la Constitution.

Toutefois, dans sa décision du 6 juillet 2000 précitée, confortée par une décision du 20 septembre 2001, le Conseil constitutionnel a énoncé un principe constitutionnel parfaitement clair : « Les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 4 de la Constitution imposent au législateur de modifier la répartition par département des sièges de sénateurs pour tenir compte des évolutions de la population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation... ».

Cette actualisation de la représentation sénatoriale au regard des résultats du recensement général de 1999 pourrait aboutir à une nouvelle répartition à effectif constant ou à une augmentation du nombre de sénateurs en maintenant la clé de répartition de 1948.

En effet, comme le rappelait Edouard Bonnefous, « le Sénat (...) doit, par sa représentativité, être à l'image des profondes transformations actuelles de la structure démographique du pays » . 47 ( * )

c) Le Sénat doit aujourd'hui se réformer lui-même

Les règles relatives à l'élection des sénateurs relèvent soit de la loi organique, soit de la loi ordinaire.

La Constitution de 1958 a renvoyé la fixation d'un certain nombre de règles à des lois organiques « relatives au Sénat », qui ne peuvent être modifiées sans l'accord des deux assemblées, dont :

le nombre total de sénateurs et leur élection dans une circonscription constituée par le département (article L.O. 274 du code électoral) ;

la durée du mandat (article L.O. 275 du code électoral) ;

le renouvellement par tiers du Sénat (article L.O. 276 du code électoral) ;

les conditions d'éligibilité et le régime des incompatibilités (articles L.O. 296 et L.O. 297 du code électoral) ;

le remplacement des sénateurs (articles 319 à L.O.. 323 du code électoral) ;

la date de début et de fin de mandat, la période d'organisation des élections sénatoriales et le contentieux de l'élection des sénateurs (articles L.O. 277, L.O. 278 et L.O. 325 du code électoral).

Le Sénat, qui pourrait donc s'opposer à une réforme de la durée du mandat sénatorial, de l'âge d'éligibilité, du nombre et de la répartition des Sénateurs, doit au contraire saisir l'opportunité de prendre lui-même l'initiative de la réforme afin de bénéficier d'un régime électoral renouvelé et modernisé.

En 1976 , ce sont des textes d'initiative sénatoriale qui avaient permis la création de 33 nouveaux sièges dans 29 départements afin de prendre en compte les évolutions démographiques des collectivités territoriales.

La proposition de loi organique (accompagnée de deux propositions de lois ordinaires corrélatives) présentée par MM Henri Caillavet, Marcel Champeix, Jacques Duclos, Robert Laucournet, Auguste Pinton, Hector Viron et des membres des groupes communiste et socialiste, avait ainsi été adoptée à l'unanimité 48 ( * ) , répondant aux voeux du Sénat tout entier.

Depuis, les sénateurs ne sont pas restés inactifs. Ainsi que doit le faire tout organe délibératif sous peine d'apparaître en décalage avec l'évolution de la société et des institutions, le Sénat mène un long travail de réflexion sur lui-même, son rôle, ses spécificités électorales et ses méthodes de travail.

Régulièrement, de nombreuses propositions de lois sont déposées pour réformer certains aspects du statut électoral sénatorial.

Une réflexion d'ensemble sur le fonctionnement du Sénat et des propositions de réforme avaient été établis d'octobre 1989 à février 1991 dans les travaux de MM Henri de Raincourt, Guy Allouche, Gérard Larcher et Jean Faure, alors secrétaires du Bureau du Sénat.

De même, le 20 novembre 2001, un groupe de travail pluraliste de réflexion sur l'institution sénatoriale, présidé par M. Daniel Hoeffel , vice-président du Sénat, était constitué afin d'examiner le mandat sénatorial, la fonction législative et la fonction de contrôle, d `évaluation et de prospective de la Haute Assemblée, son rôle de représentant des collectivités territoriales de la République et des Français établis hors de France ainsi que de la dimension européenne de l'action des sénateurs.

Ses conclusions, rendues le 2 juillet 2002, appelaient à une refonte globale du régime électoral des sénateurs en vue de conforter la légitimité d'une institution sénatoriale renouvelée.

Aussi, les conditions semblent réunies pour une réforme sereine, consensuelle, préservant l'esprit du bicamérisme équilibré prévu par la Constitution de la Cinquième République.

* 37 Rapport du groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par M. Daniel Hoeffel, p.6.

* 38 Article 2 de la loi n° 48-1471 du 23 septembre 1948.

* 39 Loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000.

* 40 Loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentant au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.

* 41 Présidé par Daniel Hoeffel, ce groupe de travail pluraliste était composé de MM. Jean-Pierre Bel, Robert Bret, René Garrec, Patrice Gélard, Michel Mercier, Jacques Pelletier (titulaires), de Mme Nicole Borvo et de MM. Jean Arthuis, Jean-Patrick Courtois, Gérard Delfau, Jean-Claude Peyronnet et Henri de Raincourt (suppléants).

* 42 Article 1 er de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l'organisation du Sénat.

* 43 Article 92 de la Constitution (mesures transitoires).

* 44 Rapport n° 427 (1998-1999) de notre collègue Paul Girod, au nom de la commission des Lois, sur le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs et diverses propositions de lois.

* 45 Le siège non pourvu correspond à l'ancien territoire des Afars et des Issas, devenu République de Djibouti lors de son accession à l'indépendance de 1977 et inoccupé depuis la démission de son titulaire en 1980.

* 46 Décision n° 86-218 DC du 18 novembre 1986 - Loi relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés.

* 47 Exposé des motifs de la proposition de loi organique n°55 (Sénat ; 1965-1966) tendant à modifier certains articles du code électoral relatifs à la composition et au renouvellement du Sénat.

* 48 Sénat, compte rendu des débats de la séance publique du 15 avril 1976.

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