F. L'EXÉCUTION BUDGETAIRE DES CRÉDITS DE COOPÉRATION EN 2002 ET 2003

Il est manifeste que l'aide au développement a largement pâti de l'aléa exogène de la régulation budgétaire au cours de ces deux exercices. De manière général, la régulation, par les obligations de report et les dégels tardifs qu'elle implique, a également conforté une caractéristique budgétaire majeure du ministère comme des crédits de coopération qu'il gère : les crédits ouverts modifient si profondément les dotations initiales 57 ( * ) , eu égard au faible poids des mesures nouvelles votées en LFI, que l'autorisation parlementaire perd une bonne partie de son sens.

1. L'exercice 2002

La régulation budgétaire au cours de l'exercice 2002 s'est révélée d'une ampleur inaccoutumée et a affecté la quasi-totalité des chapitres 58 ( * ) . Elle a connu trois étapes :

- la régulation « républicaine » du 25 février, en fixant des plafonds d'engagement par titre et catégorie de dépense, s' est traduite par le gel de 311,08 millions d'euros de dépenses ordinaires, s oit 23,4 % des crédits des titres III et IV, et 146,05 millions d'euros (soit 47,6 %) d'autorisations de programme ;

- ce dispositif a été levé le 12 août pour être remplacé par une de « mise en réserve » de crédits - nuance essentiellement rhétorique - qui s'est traduite, pour l'ensemble du ministère, par des gels de crédits de paiement à hauteur de 146,5 millions d'euros et des obligations de reports sur 2003 à hauteur de 103,4 millions d'euros. Les chapitres budgétaires les plus concernés par l'APD ont été affectés à hauteur de respectivement 115,1 millions et 41,5 millions d'euros. Des mesures de dégel ont été obtenues par le ministère en novembre, de sorte que le gel effectif s'est finalement élevé à 74,2 millions d'euros pour le ministère, dont 56,1 millions d'euros pour les chapitres de la coopération, et les reports à 101 millions pour le ministère, dont 70,6 millions d'euros au titre de la coopération ;

- la loi de finances rectificative pour 2002 a conduit en fin d'exercice à l'annulation de 121,2 millions d'euros de crédits de paiement et de 24 millions d'euros d'autorisations de programme, ainsi qu'à 98,4 millions d'euros de reports sur 2003 pour l'ensemble du budget. Cette régulation s'est révélée particulièrement sévère pour deux chapitres emblématiques de la coopération. La Cour des comptes, dans une note sur l'exécution du budget du ministère sur l'exercice 2002, relève ainsi que le chapitre 42-15 (coopération internationale et développement) a en particulier subi en 2002 un blocage de 49 millions d'euros et une obligation de reports de 13 millions d'euros, qui ont rendu ses crédits indisponibles à hauteur de 11,4 % de ses ressources (17 % hors crédits affectés aux rémunérations des coopérants) ; ces report ont été intégralement maintenus et l'annulation en fin d'exercice s'est élevée à près de 39 millions d'euros, soit 7,6 % des crédits ouverts en LFI pour 2002. De même, les crédits du chapitre 42-29 (coopération militaire et de défense) ont été rendus indisponibles à hauteur de 21 % des ressources (gel de 8,8 millions d'euros et obligation de reports de 18,5 millions d'euros), et l'annulation finale s'est révélée supérieure au blocage avec 11,8 millions d'euros. Au total, la Cour indique que les gels comme les annulations de crédits de paiement de l'exercice 2002 ont été quatre fois supérieurs à ceux de l'exercice précédent. Cette régulation, si elle apparaît justifiée par le dérapage du déficit budgétaire, a toutefois créé dès l'été de graves difficultés de gestion pour les opérateurs de l'APD que sont le FSP et l'AFD.

Votre rapporteur spécial tient également à souligner la gestion désastreuse des crédits du FED en 2002 : après une dotation notoirement insuffisante en LFI (218,5 millions d'euros) et malgré des reports surabondants à hauteur de 285,7 millions d'euros (donc supérieurs à la dotation initiale), les crédits disponibles n'ont permis de répondre qu'aux deux premiers appels de fonds, et n'ont pas donné les moyens d'honorer la totalité de la troisième tranche du FED, appelée début juillet. La demande de décret d'avance formulée par le ministère n'ayant pas eu de suite, cette défaillance a suscité des intérêts de retard . La situation n'a été rétablie qu'avec la loi de finances rectificative du 6 août 2002 et l'ouverture de 137 millions d'euros de crédits. Les PLF pour 2003 et 2004 ont opportunément évité cet écueil en incluant un calibrage adéquat des crédits du FED.

2. L'exercice 2003

La régulation au titre de l'exercice 2003 a été jusqu'à présent massive et a commencé très tôt, dès début février. Les annulations et gels de crédits ont affecté le budget des affaires étrangères jusqu'à une hauteur de 284 millions d'euros (régulation maximale entre avril et juillet), soit 15 % des crédits hors rémunérations et engagements internationaux. Ce dispositif sans précédent représente en septembre 2003 un surcroît de régulation de plus de 150 millions d'euros par rapport à 2002, et a contribué à désorganiser la gestion de certains chapitres. La régulation a connu jusqu'à présent cinq étapes :

- le 3 février 2003, le ministre du budget a notifié la création d'une « réserve d'innovation » (pour les dépenses ordinaire) de 16,8 millions au titre de l'APD, et d'une « réserve de précaution » pour les dépenses d'investissement de 74,9 millions d'euros, soit 91,7 millions au total. Cette réserve de précaution ne pouvait être mobilisée que pour couvrir des dépenses non prévues au titre de l'APD, et le reliquat après financement de ces éventuelles dépenses non prévues pouvait être librement utilisé. Ces réserves constituaient donc un gel de crédits éventuellement mobilisable. Le ministre du budget précisait également que « le montant global des mises en réserve sera réexaminé, conformément à ce que le Premier Ministre a indiqué, à la fin du premier semestre » et que le ministère des affaires étrangères « aurait la faculté de procéder à des redéploiements de crédits mis en réserve, sans naturellement en réduire le montant ni affecter des dépenses obligatoires ». Le ministère a ainsi procédé en particulier à la mise en réserve de 6 % des crédits de fonctionnement du ministère, en majeure partie sur les moyens de fonctionnement en administration centrale ;

- le 15 mars 2003 a été publié un premier décret d'annulation de crédits de 5,3 millions d'euros en autorisations de programme et de 31,4 millions d'euros en crédits de paiement, essentiellement sur les crédits de fonctionnement ;

- la notification, le 15 avril, d'un gel de 133,8 millions d'euros de crédits de reports , dont 103 millions d'euros d'obligation de reports imposée en 2002, a suscité l'incompréhension du ministère car elle n'avait fait l'objet d'aucun avertissement préalable , y compris lors de la conférence de reconduction quatre semaines plus tôt ôté d'un coup (confer lettre du ministre du Budget, gel suivi d'annulations ou de dégels, renégociés en septembre). Ce durcissement inattendu et précipité, qui englobait de surcroît les crédits figurant à l'état H et un fonds de concours dédié aux catastrophes naturelles), a ôté toute pertinence à la gestion fondée depuis le 3 février sur une double régulation semestrielle. Les effets de ce gel ont été quasiment immédiats sur les chapitres relatifs aux subventions d'investissement pour les actions extérieures (68-80) et aux crédits du FSP (68-91), qui s'est trouvé en cessation de paiement dès le mois de mai . L'effet s'est révélé d'autant plus préjudiciable à la gestion du FSP que ce dernier était structurellement en difficulté depuis 2 ans, compte tenu notamment de la couverture insuffisante des AP par les CP ;

- à partir du mois de juin, la perspective d'une extension des cessations de paiement a motivé un dégel progressif de 37 millions d'euros durant l'été ont progressivement été dégelés (2 notifications de dégel en juillet et août 2003. Cette mesure a permis au FSP d'éviter une « banqueroute », selon les termes du ministère, mais n'a pas concerné le chapitre 42-37 relatif aux autres interventions de politique internationale, dont le gel a été maintenu a hauteur de 60 % ;

- le nouveau décret d'annulation pris le 15 octobre 2003 a porté sur un total de 67 millions d'euros, dont plus de 40 millions d'euros pour l'APD 59 ( * ) . Sur la demande de dégel de 2,4 millions d'euros adressée en octobre 2003 au profit du chapitre 68-80, seuls la moitié ont pu être obtenus.

Au total, la régulation s'est révélée particulièrement sévère pour certains chapitres majoritairement ou intégralement comptabilisés au titre de l'APD : la coopération militaire et de défense (chapitre 42-29) avec près 15 % d'annulations, les contributions volontaires à des fonds multilatéraux (ce qui ne contribuera pas à améliorer la position française au sein des bailleurs), les subventions d'investissement à l'action extérieure et à l'aide au développement. Le FSP et l'AFD sont au final relativement épargnés, mais au prix de difficultés très sérieuses pendant plusieurs mois, et vraisemblablement d'une perte de crédibilité auprès de nos partenaires.

Régulation des crédits d'APD après dégels et annulations à fin octobre

(en millions d'euros)

 

Crédits ouverts en LFI 2003

Total crédits gelés après dégels

Total crédits annulés

Total régulation maximale (gels et annulations)

 

Montant

En % des crédits ouverts

Montant

En % des crédits ouverts

Montant

En % des crédits ouverts

37-95 : établissements culturels, de coopération et de recherche à l'étranger

51,4

1

2 %

4,5

8,7 %

5,5

10,6 %

41-43 : concours financiers

123,5

3,2

2,6 %

0

 

3,2

2,6 %

42-13 : appui à des initiatives privées ou décentralisées

34,1

4,2

12,3 %

0

 

4,2

12,3 %

42-14 : subventions aux opérateurs de l'action audiovisuelle

165,1

0

 

5,2

3,1 %

5,2

3,1 %

42-15 : coopération culturelle, scientifique et au développement

531,7

18,5

3,5 %

32,5

6,1 %

51

9,6 %

42-26 : transport et dépenses diverses au titre de l'aide alimentaire

16,8

1,5

8,6 %

0

 

1,5

8,6 %

42-29 : coopération militaire et de défense

93,5

7

7,5 %

13,8

14,7 %

20,8

22,2 %

42-31 : contributions obligatoires

678,8

6,6

1 %

0

 

6,6

1 %

42-32 : contributions volontaires

85,9

9

10,5 %

5

5,8 %

14

16,3 %

42-37 : autres interventions de politique internationale

25,9

15

58,1 %

0,6

2,4 %

15,7

60,5 %

68-02 : participation de la France au FED

496

50,6

10,2 %

0

 

50,6

10,2 %

68-80 : action extérieure et aide au dvpt - subventions d'investissement AP

4,8

0,5

10,4 %

0

 

0,5

10,4 %

CP

4,4

5

114,1 %

0

 

5

114,1 %

68-91 : Fonds de solidarité prioritaire AP

190

19

10 %

0

 

19

10 %

CP

112

0

 
 
 
 

0 %

68-93 : dons destinés à financer des projets

mis en oeuvre par l'AFD AP

190

19

10 %

0

 

19

10 %

CP

137

13,7

10 %

0

 

13,7

10 %

TOTAL APD AP

384,8

38,5

10 %

0

 

38,5

10 %

CP

2.556,1

135,3

5,3 %

61,6

2,4 %

196,9

7,7 %

TOTAL MAE AP

443,6

50,8

11,5 %

0

 

50,8

11,5 %

CP

4.117,5

151,5

3,7 %

98,4

2,4 %

249,9

6,1 %

Source : ministère des affaires étrangères

N.B : les chapitres mentionnés ne concernent pas intégralement l'APD, mais figurent ceux du budget du ministère qui y contribuent le plus.

* 57 Ainsi les crédits ouverts en 2002 étaient supérieurs de plus de 21,7 % aux dotations initiales, de 16,3 % en 2001 et de 20,1 % en 2000.

* 58 Seuls les chapitres relatifs au transport de l'aide alimentaire, aux aides aux sorties de crise ou à la participation de la France au FED, autrement dit ceux motivés par le caractère urgent ou exceptionnel d'une situation et des engagements internationaux, n'ont pas été touchés par des mesure de gel, report ou annulation de crédits.

* 59 1,8 million d'euros sur le chapitre « établissements culturels, de coopération et de recherche à l'étranger », 3,5 millions d'euros sur les subventions aux opérateurs de l'action audiovisuelle, 21,3 millions sur le chapitre « coopération internationale au développement » et 13,8 millions d'euros sur les crédits de coopération militaire et de défense.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page