EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner en première lecture le projet de loi organique n° 314 (2003-2004) pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 18 mai 2004.

Renvoyé à votre commission des Lois pour un examen au fond, il a fait l'objet d'une saisine pour avis de votre commission des Finances, sur le rapport de notre excellent collègue M. Michel Mercier.

La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 a jeté les fondations d'une organisation décentralisée de la République reposant sur cinq piliers : le principe de subsidiarité et de proximité, le droit à la spécificité, le droit à l'expérimentation, l'autonomie financière, la participation populaire. Pour être applicables, plusieurs de ses dispositions devaient être précisées par des lois organiques.

Ainsi, la loi organique n° 2003-704 du 1 er août 2003 relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales , adoptée en application du quatrième alinéa de l'article 72, a déterminé les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent être habilités à déroger, à titre expérimental, pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.

La loi organique n° 2003-705 du 1 er août 2003 relative au référendum local a fixé, conformément au deuxième alinéa de l'article 72-1, les conditions dans lesquelles les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision de ses électeurs. A l'initiative du Sénat, la loi organique a encadré l'organisation des référendums locaux, exclu les projets d'acte individuel de leur champ et subordonné le caractère décisionnel de leurs résultats à une condition de participation minimale, fixée à la moitié des électeurs inscrits.

Le présent projet de loi organique a pour objet exclusif de déterminer les conditions de mise en oeuvre de la règle , posée par le troisième alinéa de l'article 72-2, selon laquelle les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales doivent représenter, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources .

Une autre loi organique, prévue par l'article 73, devra encore déterminer les conditions dans lesquelles les départements et régions d'outre-mer , à l'exception de La Réunion, pourront être habilités par la loi à adapter les lois et règlements , en fonction de leurs caractéristiques et contraintes particulières, dans les matières où s'exercent leurs compétences, ou à fixer eux-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi .

Enfin, aux termes de l'article 74 de la Constitution, les statuts des collectivités d'outre-mer régies par le principe de spécialité législative doivent être fixés par une loi organique. Sont ainsi concernés : Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et, sans doute prochainement, compte tenu des résultats des consultations organisées le 7 décembre 2003, Saint-Martin et Saint-Barthélémy. Le statut de la Polynésie française a d'ores et déjà été actualisé par la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, complétée par la loi n° 2004-193 du 27 février 2004.

Le présent projet de loi organique est particulièrement attendu par les élus locaux en raison, d'une part, de la nécessité de financer les charges induites par les transferts de compétences prévus par la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, en instance de deuxième lecture au Sénat, ou encore le projet de loi portant modernisation de la sécurité civile, d'autre part, de l'annonce par le président de la République d'une réforme de la taxe professionnelle, qui constitue la principale ressource fiscale des collectivités territoriales.

Votre rapporteur montrera qu'après avoir été fragilisée au cours des dernières années, l'autonomie financière des collectivités territoriales devrait, après l'adoption du projet de loi organique et sous réserve des modifications proposées par votre commission, être mieux protégée.

I. UNE AUTONOMIE FINANCIÈRE LOCALE FRAGILISÉE AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES

La France est l'un des pays européens où l'autonomie financière des collectivités territoriales est la mieux assurée. Pour autant, cette dernière n'a reçu une traduction concrète que tardivement et a fait l'objet d'atteintes graves et répétées au cours des dernières années.

A. UNE AFFIRMATION PROGRESSIVE

La charte européenne de l'autonomie locale, élaborée au sein du Conseil de l'Europe, signée le 15 octobre 1985 et actuellement ratifiée par 38 Etats membres, donne de l'autonomie financière des collectivités territoriales une définition commune à l'ensemble des pays européens. Si elle ne l'a pas encore ratifiée, la France apparaît comme l'un des signataires qui respecte le mieux les critères énoncés dans cette convention.

1. Une conception exigeante

L'article 9 de la charte européenne de l'autonomie locale définit en ces termes l'autonomie financière des collectivités territoriales :

« 1 . Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences .

« 2. Les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi .

« 3. Une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux , dans les limites de la loi .

« 4 . Les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible, dans la pratique, l'évolution réelle des coûts de l'exercice de leurs compétences .

« 5. La protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent. De telles procédures ou mesures ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur propre domaine de responsabilité.

« 6. Les collectivités locales doivent être consultées , d'une manière appropriée, sur les modalités de l'attribution à celles-ci des ressources redistribuées .

« 7. Dans la mesure du possible, les subventions accordées aux collectivités locales ne doivent pas être destinées au financement de projets spécifiques . L'octroi de subventions ne doit pas porter atteinte à la liberté fondamentale de la politique des collectivités locales dans leur propre domaine de compétence.

« 8. Afin de financer leurs dépenses d'investissement, les collectivités locales doivent avoir accès , conformément à la loi, au marché national des capitaux . »

L'autonomie financière exige ainsi non seulement que les collectivités territoriales décident librement leurs dépenses mais aussi qu'elles bénéficient de ressources diversifiées et évolutives, dont une partie au moins doit être composée de recettes fiscales modulables.

La recommandation n° 79 (2000) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe sur les ressources financières des autorités locales par rapport à leurs compétences souligne que, « par ressources propres, on entend des ressources financières dérivant de décisions autonomes des collectivités locales, dont elles puissent disposer librement et, s'agissant d'impôts, dont elles puissent fixer les taux elles-mêmes en fonction de leurs besoins et compte tenu du degré d'acceptation de la pression fiscale par les citoyens qui les constituent. [...] Les impôts partagés, qui sont des impôts intégralement perçus par d'autres autorités, ne doivent pas être inclus dans la catégorie de la fiscalité propre des collectivités locales. Ces ressources sont plus proches d'un transfert que d'un impôt . »

La maîtrise de l'assiette ou du taux des impôts locaux accroît la liberté de gestion des collectivités territoriales, en leur permettant de dégager des ressources supplémentaires pour financer des dépenses imprévues, et renforce la responsabilité des élus locaux envers leurs électeurs, qui peuvent mettre en regard du montant des impôts qu'ils acquittent les services dont ils bénéficient. L' autonomie fiscale constitue ainsi un fondement de la démocratie locale et un gage d'efficacité .

Les dotations de l'Etat n'en demeurent pas moins un complément de ressources essentiel lorsqu'elles protègent les collectivités territoriales contre les aléas de la conjoncture économique et compensent, par des mécanismes de péréquation , les fortes inégalités de ressources et de charges qui existent entre collectivités.

M. Patrick Devedjian, en sa qualité de ministre délégué aux libertés locales, a annoncé le vendredi 16 janvier 2004, devant le Conseil des communes et régions d'Europe, que le Gouvernement avait l'intention de soumettre prochainement au Parlement un projet de loi de ratification de cette convention.

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