EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
Référence à la Charte de l'environnement
dans le préambule de la Constitution

Le préambule de la Constitution s'ouvre ainsi : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».

Aux côtés de la Déclaration de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946, le projet de loi constitutionnelle propose de mentionner les « droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement ».

Depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 « liberté d'association » 28 ( * ) , le préambule de la Constitution a été intégré au « bloc de constitutionnalité » : en conséquence, les principes énoncés par les deux grands textes visés dans ce préambule revêtent une valeur constitutionnelle comparable à tous les articles du dispositif de la Constitution.

En complétant le premier alinéa du préambule de la Constitution par la mention à la Charte de l'environnement, le pouvoir constituant a donc explicitement souhaité conférer une valeur constitutionnelle à ce texte.

Cette formule n'allait pas de soi et deux autres hypothèses avaient d'ailleurs été envisagées par la commission Coppens.

La première aurait tendu à insérer dans la Constitution un droit à un « environnement sain » et le devoir d'en assurer la protection et à faire de la Charte l'exposé des motifs de cette réforme. La Charte aurait ainsi pu guider le Parlement dans son oeuvre législative et le Conseil constitutionnel dans son contrôle mais elle aurait été en elle-même dépourvue de valeur normative. Telle n'était pas cependant l'intention du constituant.

Une autre option visait à assortir la reconnaissance du droit à l'environnement dans la Constitution d'une Charte présentée sous la forme d'une loi organique destinée à préciser les conditions de mise en oeuvre de certains principes. Sans doute, cette solution n'était pas sans mérite. Elle aurait défini, contrairement à une déclaration des droits, vouée à une certaine généralité, les modalités de mise en oeuvre de certains principes. En outre, la loi organique, de par sa valeur supralégislative, aurait marqué l'importance de ces nouveaux principes tout en permettant, au fil du temps, leur éventuelle adaptation car sa modification présente évidemment plus de souplesse qu'une révision constitutionnelle. Cependant, la loi organique a plutôt pour objet l'organisation des pouvoirs publics. En outre, elle aurait conduit, comme l'a rappelé M. Yves Jegouzo lors de son audition par votre rapporteur, à une adoption en deux temps aux dépens de la visibilité politique. Enfin, ces principes n'auraient pas revêtu une force juridique comparable aux dispositions constitutionnelles.

C'est donc la solution la plus ambitieuse qui a prévalu.

La constitutionnalisation d'un droit fondamental à l'initiative du pouvoir constituant par l'insertion dans le préambule de la Constitution d'une référence à un texte séparé de valeur constitutionnelle apparaît inédite dans la Constitution 29 ( * ) .

En effet, ni les rédacteurs de la Déclaration de 1789 ni ceux des préambules des Constitutions de 1946 et 1958 n'avaient manifesté délibérément l'intention d'inscrire les principes énoncés dans le droit positif.

« Le pouvoir constituant est souverain » comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 relative au traité sur l'Union européenne 30 ( * ) .

Dès lors, il est libre d'aménager la Constitution comme il l'entend.

L'Assemblée nationale a, par un amendement adopté à l'initiative de sa commission des Lois et de sa commission des Affaires économiques, actualisé l'année de référence de la Charte.

Votre commission vous propose d' adopter l'article premier sans modification .

Article 2
Charte de l'environnement

Le présent article énonce, précédés par sept considérants, les dix articles de la Charte de l'environnement.

Le terme de « Charte » a parfois éveillé le souvenir de la Charte « octroyée » de 1814. Mais il convient de ne pas céder au tropisme de l'histoire nationale : cette désignation peut se prévaloir d'un précédent prestigieux -la grande Charte de 1215, acte de naissance du Parlement britannique- et de nombreuses références contemporaines - dont, bien sûr, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne adoptée en 2003.

La Charte s'ouvre par la formule solennelle « Le peuple français proclame... » qui figure également dans les préambules des Constitutions de 1946 et 1958.

La formule ne préjuge pas du mode d'adoption définitive de la révision constitutionnelle qui, s'agissant d'un projet de loi constitutionnelle, peut être soumis à l'initiative du président de la République au referendum ou au Parlement convoqué en Congrès. En effet, aux termes de l'article 3 de la Constitution, le peuple peut exercer sa souveraineté par ses représentants ou par la voie du referendum.

Les considérants, très proches de la rédaction proposée par la commission Coppens, traduisent un consensus des autorités scientifiques et des autres représentants de la société civile autour de trois idées-force : l'interdépendance de l'homme et de la nature ; la prise de conscience des atteintes portées par certaines activités humaines à l'environnement et de leurs conséquences sur l'avenir de nos sociétés ; la nécessité, enfin, de promouvoir le développement durable.

Premier et deuxième considérants

Ces deux considérants rappellent le lien étroit entre l'homme et son environnement par le passé (premier considérant), mais aussi pour le présent et l'avenir (deuxième considérant).

Le rapport de la commission Coppens a souligné combien « l'évolution même du milieu naturel des premiers hominidés » avait « conditionné directement l'émergence de l'humanité ». Bien que l'homme, du fait des progrès scientifiques et techniques, ait cru pouvoir s'affranchir de cette dépendance, il continue d'éprouver l'« étendue de sa faiblesse biologique » ; il demeure ainsi tributaire des ressources naturelles (capacité productive des sols, gisements de matières premières...) et de la qualité de l'air et de l'eau.

Troisième considérant

Aux termes du troisième considérant, l'environnement est le « patrimoine commun des êtres humains ». La notion de patrimoine est ici une notion intellectuelle et non juridique. Elle ne se confond pas avec la qualification de « patrimoine commun de l'humanité » reconnue en droit international à l'Antarctique ainsi qu'à l'espace extra-atmosphérique, qui produit des effets de droit.

Elle a d'abord pour objet de recouvrir sous une notion commune les différentes composantes de l'environnement afin de souligner leurs relations d'interdépendance dans le cadre d'écosystèmes.

Envisagé dans sa relation avec l'homme, cet ensemble présente le caractère d'un bien commun qui peut d'ailleurs se décliner de manière différente selon les phénomènes considérés. Si le climat mondial intéresse l'humanité tout entière, l'équilibre de tel bassin hydrographique concernera une communauté humaine évidemment plus réduite. Ainsi, après la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, dite « loi Defferre », selon laquelle « le territoire français est le patrimoine commun de la Nation », la loi Barnier avait reconnu dans les « espaces, ressources et milieux naturels, les sites et les paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques » le « patrimoine commun de la Nation ». Le juge n'a jamais tiré aucune application contentieuse de ces dispositions. La Charte de l'environnement, dans le droit fil de la Déclaration de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946, cherche quant à elle à poser des principes dont la valeur est universelle - comme le confirme le dernier article de la Charte selon lequel celle-ci doit inspirer l'action européenne et internationale de la France.

Quatrième et cinquième considérants

Le quatrième considérant constate que « l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution » et le cinquième considérant, que cette influence peut affecter « la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines ».

Ce considérant n'envisage les risques directs de l'activité humaine sur l'environnement qu'à travers la biodiversité. Les autres types de phénomènes, et en particulier, les altérations climatiques, ne sont pas pris en compte en tant que tels mais à travers leurs conséquences sur l'homme. Ce choix manifeste clairement la préférence pour une « écologie humaniste » contre les partisans de l' « écologie profonde » -« deep ecology »-, selon laquelle la nature disposerait d'une personnalité juridique titulaire de droits.

Il convient d'observer que ces atteintes sont considérées comme le résultat de « certains modes de consommation ou de production » et de « l'exploitation excessive des ressources naturelles ». Seules les dérives d'une économie peu respectueuse de l'environnement sont ainsi mises en cause. Ce considérant ne donne aucun argument à ceux qui souhaiteraient opposer sauvegarde de l'environnement et avancées scientifiques.

Ainsi, contrairement aux craintes exprimées par M. Maurice Tubiana devant votre rapporteur, la Charte ne manifeste pas de défiance vis-à-vis de la science appelée, au contraire, à jouer un rôle déterminant pour éclairer, notamment dans le cadre du principe de précaution, les choix des acteurs politiques.

Sixième et septième considérants

Le sixième considérant souligne que la sauvegarde de l'environnement « doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Il s'adresse ainsi aux autorités publiques appelées à prendre en compte l'environnement dans la définition des politiques nationales. La rédaction retenue n'implique pas de hiérarchisation au sein de ces intérêts mais plutôt la recherche d'un équilibre qu'il appartiendra en particulier au législateur de fixer.

L'environnement figure d'ailleurs déjà au rang des intérêts fondamentaux de la Nation au sens où l'article 410-1 du code pénal le prévoit : « Les intérêts fondamentaux de la Nation s'entendent (...) de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».

L'action publique doit reposer sur le développement durable dont le dernier considérant rappelle la définition : « Les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Article premier de la Charte
Droit de vivre dans un environnement de qualité

L'article premier de la Charte pose le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Ce droit -et son pendant, défini à l'article 2 comme le devoir pour toute personne de participer à la sauvegarde de l'environnement- constitue l'élément fondateur de la Charte dont découlent pour l'essentiel les autres principes énoncés par ce texte : prévention, précaution, participation et information des citoyens...

Un droit nouveau

La reconnaissance d'un tel droit dans notre Constitution répond à une aspiration déjà ancienne mais n'avait reçu qu'une forme législative avec la loi Barnier de 1995. L'article L. 110-2 du code de l'environnement prévoit ainsi que les « lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain ». Ce principe a trouvé notamment sa traduction dans les politiques de l'eau 31 ( * ) et de l'air 32 ( * ) et son application est demeurée spécialisée.

Dans l'ordre juridique international, la convention d'Aarhus (signée en juin 1998 et entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002) sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement a pour objectif (article 10) de « protéger le droit de chacun dans les générations présentes et futures, à vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être ».

Si, à l'échelle communautaire, un droit à l'environnement n'a pas été vraiment reconnu par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne 33 ( * ) , en revanche, dans le cadre du Conseil de l'Europe, le droit de vivre dans un environnement sain a été déduit par la Cour européenne des droits de l'homme 34 ( * ) du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 de la convention ) : « des atteintes graves à l'environnement peuvent affecter le bien-être d'une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la personne de l'intéressé ». Plus récemment, elle s'est appuyée sur le droit à la vie garanti par l'article 2 de la convention européenne des droits de l'homme pour obliger l'Etat partie à la convention à assurer une protection vis-à-vis des menaces environnementales susceptibles de donner lieu à un risque sérieux pour la vie ou les différents aspects du droit à la vie 35 ( * ) .

Actuellement, le droit à l'environnement ne pourrait donc être utilement invoqué, semble-t-il, que devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Un droit aux contours très larges réservé aux personnes physiques

- Le titulaire du droit

Contrairement aux autres dispositions de la Charte qui définit les titulaires des droits ou obligations par l'expression « toute personne » (art. 2, 3, 4 et 7), l'article premier attribue « à chacun » le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Ainsi, ce droit est réservé aux personnes physiques. Cette rédaction s'inscrit d'ailleurs dans la continuité du choix exprimé par le législateur à l'article L. 110-2 du code de l'environnement (« les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain »).

- Le contenu du droit

Le contenu du droit posé à l'article premier comporte un double volet : il vise, d'une part, un environnement « équilibré » et, d'autre part, un environnement « respectueux de la santé ». Le champ en apparaît donc très étendu.

La notion d'« environnement équilibré » recouvre les équilibres « naturels » -bon état des milieux de vie, maintien de la biodiversité, faible niveau de pollution- ainsi que les équilibres issus de l'empreinte de l'homme sur son environnement -en particulier l'« équilibre harmonieux entre les zones urbaines et les zones rurales » évoqué par l'article L. 110-2 du code de l'environnement. Votre rapporteur estime d'ailleurs que le droit constitutionnel à l'environnement doit s'étendre à la protection du patrimoine culturel et historique.

En second lieu, le droit porte également sur un environnement « respectueux de la santé ». La Commission Coppens avait proposé « le droit de toute personne de vivre et de se développer dans un environnement sain et équilibré qui respecte sa dignité et favorise son bien-être ». Néanmoins, comme l'ont d'ailleurs estimé certains membres de la Commission Coppens, la référence à la « dignité » et au « bien-être » dépasserait sans doute le cadre d'une Charte de l'environnement.

Dans sa rédaction initiale, le projet de loi avait retenu le droit pour chacun de vivre dans un « environnement favorable à sa santé ». Jusqu'alors, les références à un tel droit mentionnaient un « environnement sain ». La formulation du projet de loi apparaît plus précise car elle vise explicitement la santé de l'homme, conformément à l'esprit de l'écologie « humaniste » qui anime la Charte.

Néanmoins, il convenait de lever une double ambiguïté.

D'abord, compte tenu des idiosyncrasies de chacun, il est évidemment exclu que l'environnement puisse satisfaire aux exigences particulières de santé des uns et des autres. Comme l'a observé le rapporteur de l'Assemblée nationale, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, « l'effet de l'environnement sur la santé doit être envisagé dans sa dimension épidémiologique ou statistique et non individuelle » 36 ( * ) . En conséquence, l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des Lois, a adopté un amendement tendant à substituer « la » à « sa » santé.

Ensuite, il convient de se défier d'une vision « utilitariste » de l'environnement qui tendrait à assigner à celui-ci une fonction positive sur la santé. Peu fondée, une telle conception risquerait en outre de conduire à des désillusions à la mesure des attentes qu'elle pourrait susciter. Si un environnement préservé n'a pas nécessairement une action favorable sur la santé humaine, en revanche, les atteintes au milieu naturel portent généralement préjudice aux conditions de la vie humaine.

En conséquence, l'Assemblée nationale, à l'initiative de la commission des Affaires économiques, a adopté un amendement tendant à substituer à la notion d'environnement favorable à la santé celle, plus neutre, d'« environnement respectueux de la santé ».

Une mise en oeuvre législative

Il n'est pas précisé -comme tel était le cas à l'article L. 110-2 du code de l'environnement- qu'il appartient aux lois et règlements d'organiser le droit à un environnement équilibré.

Cependant son degré de généralité implique l'intervention du législateur.

En d'autres termes, il s'agit d'un « droit-créance », dont l'application effective requiert comme l'a souligné le doyen Louis Favoreu devant votre commission des Lois une « intervention positive de l'Etat ». Il en va ainsi du droit d'obtenir un emploi, du droit à la protection de la santé ou encore du droit à l'éducation.

Il n'est reste pas moins que la constitutionnalisation de ce droit emporte une double conséquence.

En premier lieu, s'il appartiendra au législateur de déterminer les modalités d'application de ce droit et de le concilier avec d'autres principes constitutionnels, il devra en tout état de cause en garantir l' exercice effectif chaque fois qu'il traitera de questions intéressant l'environnement. Il ne pourrait ainsi en dénaturer la portée ou le vider de tout contenu. En particulier, les nouvelles interventions du législateur dans le domaine de l'environnement devront s'inspirer de ce principe.

Par ailleurs, cette nouvelle disposition devrait également présenter des conséquences dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. En effet, si la protection de l'environnement est d'ores et déjà considérée par le Conseil constitutionnel comme un but d'intérêt général, son inscription dans la Constitution devrait lui conférer un plus grand poids quand le juge procèdera à la conciliation entre cet objectif et les autres droits et libertés reconnus par la déclaration des droits de 1789 et le préambule de 1946.

Article 2 de la Charte
Devoir de préservation et d'amélioration de l'environnement

Le présent article assigne à toute personne le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

L'expression d'un « devoir » : une notion classique dans le cadre d'une déclaration de droits

La notion de « devoir » -pendant du droit affirmé à l'article 1 er - si elle apparaît inhabituelle, n'est pas sans antécédent dans notre droit constitutionnel. Ainsi, le préambule de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 assigne à cette déclaration la fonction de rappeler « sans cesse leurs droits et leurs devoirs » à « tous les membres du corps social ». Par ailleurs, le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ». Si le devoir ainsi entendu présente avant tout un caractère programmatique, il n'en revêt pas moins une valeur constitutionnelle : à ce titre, le législateur ne saurait vider le principe de sa teneur.

L'affirmation d'un « devoir » n'est pas non plus inédite dans le droit de l'environnement. Introduite par la loi Barnier de 1995, elle figure à l'article L. 110-2 du code de l'environnement : « il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement ». Cette disposition pose une obligation à caractère moral et n'a en tout cas donné lieu à aucun contentieux particulier. La commission présidée par Edgar Faure avait déjà eu l'ambition d'inscrire la notion de devoir dans la Constitution - « Tout homme a droit à un environnement équilibré et sain et a le devoir de le défendre ». Elle figure du reste notamment dans les constitutions de l'Espagne (article 45-1) et du Portugal (article 66-1).

Une obligation morale

La référence constitutionnelle à un devoir a soulevé certaines objections. En premier lieu, un droit aurait pour contrepartie une obligation et non un devoir. Néanmoins, une obligation implique une sanction étatique et l'existence d'un créancier déterminé. Or, si en l'espèce une sanction peut être effectivement prévue, l'identification d'un créancier particulier soulève en revanche certaines incertitudes. Il s'agit en effet de protéger l'environnement pour assurer le bien-être des générations présentes mais aussi, dans la perspective du développement durable, de celui des générations futures. Dès lors, l'expression d'un « devoir » paraît plus adaptée.

En second lieu, l'intégration d'un « devoir » dans la Charte ne pourrait-elle pas justifier l'adoption de mesures excessivement contraignantes vis-à-vis des personnes physiques et morales ? Le risque doit en être exclu. En tout état de cause, le principe affirmé à l'article 2 devra être concilié avec les valeurs fondamentales et les libertés constitutionnelles.

La formulation prévue à cet article présente, à dessein, un caractère de grande généralité. En premier lieu, le devoir évoqué incombe à « toute personne » ce qui vise, comme chaque fois que cette expression est employée, tant les personnes physiques que les personnes morales.

Quant à la nature même de ce devoir, il s'agit de « prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ». La notion de participation permet tout à la fois de mettre en exergue la responsabilité partagée liée à la reconnaissance d'un patrimoine commun et le principe d'une contribution nécessairement variable selon les responsabilités et les moyens propres à chacun.

Enfin, l'objectif assigné par cet article apparaît ambitieux car il vise non seulement -comme l'article L. 110-2 du code de l'environnement- la protection de l'environnement mais aussi son amélioration.

L'article 2 fixe d'abord une obligation morale. De même que l'article 1 er forme, sans emporter de conséquences juridiques directes, le socle des autres droits prévus dans la Charte, de même il constitue la matrice des différentes obligations énoncées dans ce texte.

Article 3 de la Charte
Devoir de prévention

L'article 3 de la Charte assigne à toute personne, dans les conditions définies par la loi, le devoir de prévenir les atteintes à l'environnement ou à défaut d'en limiter les conséquences.

La prévention a vocation à s'appliquer à un risque avéré alors que la précaution vise un risque incertain en l'état des connaissances scientifiques.

En l'état du droit actuel : une obligation pour les politiques publiques

Le principe de prévention constitue l'un des principes généraux du droit de l'environnement reconnu par l'article L. 110-1 du code de l'environnement : « le principe d'action préventive à la source des atteintes à l'environnement, en incluant les meilleurs techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ».

En pratique l'obligation de prévention inspire, de longue date, une large part de la législation environnementale.

Elle se traduit d'abord par la recherche d'une meilleure connaissance du risque à travers les études d'impact prévues par la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976 ainsi que par le régime des autorisations préalables pour certaines activités polluantes.

L'obligation de prévention concerne surtout les autorités publiques - en la matière, les obligations des personnes privées reposent sur le respect des mesures édictées par les pouvoirs publics.

La jurisprudence administrative a ainsi été conduite à préciser les obligations des autorités publiques dans ce domaine. Celles-ci ont d'abord l'obligation de se tenir informées des risques liés aux activités industrielles et aux produits. Ainsi, le Conseil d'Etat, dans l'affaire de l'amiante 37 ( * ) , a estimé qu'il incombait aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels « de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter en l'état des connaissances scientifiques, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer un danger ».

Il appartient par la suite aux autorités responsables de prendre les mesures -d'interdiction le cas échéant- qui s'imposent. A défaut, la responsabilité de l'Etat pourrait être engagée sur la base de la faute simple comme l'a décidé le Conseil d'Etat s'agissant de l'exercice des attributions de l'Etat relatives à l'organisation générale du service public de la transfusion sanguine 38 ( * ) . L'obligation ne réside donc pas seulement dans le respect de mesures procédurales liées à l'obligation pour l'administration d'informer mais également dans l'adoption de mesures adaptées.

Dans la Charte : un devoir pour tous mais dépourvu de caractère absolu

Le degré de généralité requis par la norme constitutionnelle a conduit dans la Charte à définir de manière étendue le devoir de prévention. Il n'est pas seulement, comme dans le droit communautaire, un élément déterminant des politiques publiques : il s'impose en effet à « toute personne » physique ou morale.

Par ailleurs, la prévention n'est pas posée comme un « principe » et ne présente pas un caractère absolu . Dans la rédaction retenue par l'Assemblée nationale aux termes d'un amendement rédactionnel, si les atteintes n'ont pu être empêchées, il convient « à défaut », d'« en limiter les conséquences ».

Une protection totale ne serait guère réaliste et risquerait en outre de contredire certaines exigences à caractère constitutionnel comme la liberté d'entreprendre. Les droits reconnus par la Charte, il faut le rappeler, doivent s'accorder avec les autres principes et valeurs fondamentaux et non les supplanter.

En outre, il appartiendra au législateur de définir les conditions d'application du devoir de prévention.

Article 4 de la Charte
Devoir de réparation

L'article 4 de la Charte prévoit que toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement.

Il confère ainsi valeur constitutionnelle au principe de responsabilité dans le domaine de l'environnement.

Le Conseil constitutionnel avait d'ores et déjà « constitutionnalisé », sur le fondement de l'article 4 de la Déclaration de 1789 (« la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »), le principe énoncé à l'article 1382 du code civil selon lequel « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » 39 ( * ) .

L'absence d'un régime de responsabilité commun aux dommages environnementaux

A ce jour, les dommages environnementaux ne relèvent pas d'un régime spécifique de responsabilité.

Les trois principaux régimes de responsabilité civile peuvent leur être appliqués :

- la responsabilité pour faute (articles 1382 et 1383 du code civil) dont la mise en oeuvre suppose l'existence d'un dommage et le fait que ce dommage résulte d'un comportement fautif. En pratique, ce régime est peu utilisé par les victimes de dommages environnementaux auxquelles il incombe de démontrer une faute souvent difficile à établir ;

- la responsabilité sans faute « du fait des choses » (art. 1384-1 du code civil) définie par la jurisprudence comme « responsabilité objective » pour des dommages causés, du fait des choses que l'on a sous sa garde, indépendamment de toute faute ou de tout vice de la chose ;

- la responsabilité sans faute fondée par la jurisprudence sur la théorie des troubles du voisinage . Il y est souvent fait recours en matière d'environnement en particulier lorsque des propriétés foncières peuvent être affectées par des nuisances sonores ou olfactives.

Certaines activités dangereuses pour l'environnement peuvent néanmoins être couvertes par des régimes particuliers de responsabilité , sur la base d'une responsabilité pour risque (régime de responsabilités sans faute) assortie d'une obligation d'assurance. Ces régimes répondent principalement à des engagements internationaux :

- responsabilité civile des dommages résultant d'un accident nucléaire (loi n° 68-943 du 30 octobre 1968 modifiée par la loi n° 90-488 du 16 juin 1990) en application des conventions internationales de Paris (1960) et de Bruxelles (1963) conclues dans le cadre de l'Agence européenne de l'énergie ;

- responsabilité civile pour les dommages causés par le transport maritime d'hydrocarbures (art. L. 218-1 et suivants du code de l'environnement) mettant en oeuvre une convention internationale de l'Organisation maritime internationale (OMI) complétée par une convention instituant un Fonds international d'indemnisation.

Les implications du principe pollueur-payeur dans le domaine de la responsabilité

La responsabilité en matière de dommages environnementaux est souvent rattachée au principe « pollueur-payeur » . Cependant, tel qu'il figure à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, ce principe édicte davantage un devoir de prévention et de réduction de la pollution qu'une obligation de réparation ; il est en effet défini comme le principe selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ».

Ce principe avait d'abord été pris dans une recommandation de l'Organisation de coopération et développement économique (OCDE) de 1972 avec pour objectif de faire prendre en compte par les agents économiques, dans leurs coûts de production, les coûts externes pour la société des atteintes à l'environnement.

Il justifie à ce titre la mise en place d'un dispositif fiscal spécifique -comme en France la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) dont l'assiette est directement liée aux bruits, aux déchets, à la pollution de l'eau, aux huiles usagées. La déclaration de Rio de 1992 (principe 16) reprend cette conception : « les autorités nationales devraient s'efforcer de promouvoir l'internalisation des coûts de protection de l'environnement et l'utilisation d'instruments économiques en vertu du principe selon lequel c'est le pollueur qui doit, en principe, assumer le coût de la pollution, dans le souci de l'intérêt public sans fausser le jeu du commerce international et de l'investissement ».

Le principe « pollueur-payeur » a pris progressivement un sens préventif (incitant le pollueur à réduire la pollution dont il est responsable) 40 ( * ) et curatif (conduisant à la prise en charge du dommage par le pollueur). Ainsi, aux Etats-Unis, sur le fondement du principe « pollueur-payeur », la réparation est mise en oeuvre par l'Agence de protection de l'environnement dotée d'un instrument de mutualisation destiné à mettre en cause la responsabilité des exploitants d'activités ayant provoqué une pollution.

La convention de Paris pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est du 22 septembre 1992 est le seul instrument international auquel la France est partie qui définit le principe « pollueur-payeur » (art. 2,2,b) : « les parties contractantes appliquent : b) le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Cette stipulation qui ne retient pas explicitement la dimension réparatrice du principe a directement inspiré la rédaction de l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

La convention de Lugano négociée sous l'égide du Conseil de l'Europe (1993) établit quant à elle un lien entre le principe pollueur-payeur et sa mise en oeuvre par un régime de responsabilité sans faute.

Elle n'a cependant pas été signée par la France et n'est pas entrée en vigueur.

Il n'en reste pas moins que même si l'obligation de réparation n'est pas explicitement visée par le principe du pollueur-payeur de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, le juge a parfois été conduit à en faire application pour déterminer le responsable de certains dommages environnementaux. Il a ainsi écarté sur ce fondement la disposition réglementaire qui fait peser sur le dernier exploitant d'un site pollué la charge de le remettre en état (décret n°77-1133 du 21 septembre 1977 modifié) 41 ( * ) .

Ainsi, comme l'avait noté Mme Geneviève Viney lors du colloque sur la Charte de l'environnement 42 ( * ) , « le principe pollueur-payeur a été en quelque sorte récupéré par le droit de la responsabilité (...) Il désignerait l'exploitant créateur de la pollution comme civilement responsable de celle-ci, c'est-à-dire comme devant supporter en définitive -au moins en partie- le poids des indemnisations ».

L'adoption de la directive communautaire sur la responsabilité environnementale , le 24 avril 2004, marque incontestablement une nouvelle étape pour la prise en compte de la réparation des dommages environnementaux dans le cadre du principe pollueur-payeur. En effet, elle pose le principe d'actions conjuguées de prévention et de réparation de dommages écologiques. Elle ne concerne cependant qu'un nombre limité de dommages : dommages aux espèces et aux habitats naturels protégés, dommages aux eaux, dommages aux sols. Elle ne s'applique ni aux dommages corporels, ni aux dommages aux biens privés, ni aux pertes économiques.

Un devoir de réparation à caractère général

La commission Coppens s'était partagée sur l'intégration du principe pollueur payeur dans la Charte de l'environnement : certains des membres ont préféré se référer à l'action préventive et de réparation, plus explicite que la formule « pollueur-payeur » parfois interprétée comme un droit à polluer ; d'autres ont souligné au contraire que l'exclusion du principe « pollueur-payeur » marquerait un infléchissement au regard des dispositions législatives.

La première position a prévalu.

Trois raisons plaidaient en ce sens :

- en premier lieu, en effet, le principe « pollueur-payeur » n'implique pas nécessairement la réparation des dommages environnementaux ;

- ensuite, le principe « pollueur-payeur », inscrit dans le code de l'environnement, continue de s'appliquer et n'est en rien remis en cause par la Charte ;

- enfin, au contraire, la Charte intègre de la manière la plus solennelle la double dimension de prévention (à l'article 3) et de réparation (à l'article 4) que les défenseurs du principe de « pollueur-payeur » lui prêtent.

Le devoir de réparation tel qu'il est défini à l'article 4 présente trois caractéristiques :

- d'abord, il concerne « toute personne » -il ne saurait seulement viser les entreprises. Le notion de patrimoine commun implique en effet que toute personne peut affecter ce bien partagé et doit donc être tenue de réparer ;

- en second lieu, le devoir se traduit par une « contribution ». Le principe d'une prise en charge intégrale de la réparation ne saurait prévaloir de manière systématique. En effet, d'une part, le dommage apparaît souvent comme le résultat d'une chaîne de responsabilité où plusieurs intervenants peuvent être impliqués ; d'autre part, il est souhaitable de laisser une place à la possibilité d'une mutualisation d'une partie de la charge liée à la réparation ;

- enfin, il appartiendra au législateur de définir les conditions de mise en oeuvre de l'obligation ainsi fixée.

Le régime de responsabilité sans faute conforté

La constitutionnalisation du devoir de réparation ne devrait pas conduire à révolutionner les conditions d'application des régimes de responsabilité civile dans le domaine de l'environnement.

Elle pourrait cependant, comme l'a confirmé le Garde des sceaux lors de son audition devant votre commission, ouvrir la voie à la réparation du dommage à l'environnement indépendamment des seuls dommages patrimoniaux et combler ainsi une lacune de notre droit. Cependant, cette possibilité ne sera vraiment effective que si le législateur adopte le dispositif nécessaire en précisant notamment les entités habilitées à demander réparation -autorités publiques ou associations privées dotées d'un statut spécifique.

Article 5 de la Charte
Principe de précaution

Cet article définit le principe de précaution comme la mise en oeuvre de procédures d'évaluation et de mesures provisoires et proportionnées pour parer la réalisation d'un dommage qui, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait porter une atteinte grave et irréversible à l'environnement.

Le principe de précaution apparaît comme l'aspect le plus controversé de la Charte. Pour en cerner la portée, il convient cependant de l'apprécier à la lumière de son application actuelle, en particulier dans le cadre de la jurisprudence administrative française, et de porter toute l'attention nécessaire aux éléments qui en définissent précisément les contours dans la Charte de l'environnement.

1. Un principe d'ores et déjà juridiquement contraignant

En droit communautaire

Le principe de précaution a d'abord été formulé pour la première fois en Allemagne à la fin des années soixante sous le nom de « Vorsorgeprinzip » 43 ( * ) avant de devenir une référence essentielle du droit international de l'environnement. La déclaration ministérielle de la deuxième conférence internationale sur la pollution de la mer du Nord en 1987 est ainsi la première à y faire expressément référence. Il a été consacré dans le principe 15 de la Déclaration de Rio de juin 1992 : « En cas de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement ». Depuis lors, il figure dans un grand nombre de conventions internationales 44 ( * ) .

Au niveau communautaire, le principe de précaution a été reconnu pour la première fois par le traité de Maastricht comme l'un des fondements de la politique communautaire en matière d'environnement (art. 174 du traité), mais il n'est pas défini.

Aussi l'interprétation en a-t-elle été fixée dans des textes émanant de la Communauté européenne qui sont cependant dépourvus de force juridique : une communication de la Commission européenne du 2 décembre 2000 puis une résolution du Conseil européen de Nice du 7 décembre 2000. Celle-ci prévoit qu'« il y a lieu de recourir au principe de précaution dès lors que la possibilité d'effets nocifs sur la santé ou l'environnement est identifiée et qu'une évaluation scientifique préliminaire sur la base des données disponible, ne permet pas de conclure avec certitude sur le niveau du risque ».

Si, dans le droit communautaire dérivé, le principe de précaution apparaît rarement explicite (il l'est, par exemple, dans la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés -OGM), il inspire plusieurs procédures spécifiques (santé, alimentation, environnement).

En l'absence d'une procédure réglementaire unique, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes a néanmoins dégagé certains traits communs à la mise en oeuvre du principe de précaution en droit communautaire :

- le risque potentiel ne doit pas reposer sur des considérations purement hypothétiques mais être vérifié au regard des données scientifiques les plus réalistes 45 ( * ) ;

- la détermination du niveau de protection choisi relève des autorités décisionnaires à même d'apprécier le degré d'acceptation du risque par la société 46 ( * ) ;

- l'évaluation du risque doit être opérée au cas par cas ; si elle ne saurait conduire à des interdictions systématiques et générales, elle peut néanmoins justifier de déroger à certains principes du droit communautaire comme la liberté de circulation des produits 47 ( * ) .

Le juge exerce un contrôle minimal sur les mesures prises au titre du principe de précaution, se bornant à censurer l'erreur manifeste d'appréciation.

En droit interne

Le principe de précaution a été intégré dans notre droit par la loi Barnier du 2 février 1995. Il figure ainsi à l'article L. 110-1 du code de l'environnement : « l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ».

Le principe de précaution est donc lié, d'une part, à l'absence de certitude, en l'état des connaissances scientifiques, quant au lien entre l'action en cause et le dommage susceptible d'être provoqué et, d'autre part, à la perspective d'un dommage grave et irréversible. Par ailleurs, il implique la mise en oeuvre de mesures caractérisées par leur effectivité , leur proportionnalité et, enfin, un coût économique acceptable .

Si le Conseil constitutionnel a dénié au principe de précaution valeur d'objectif constitutionnel 48 ( * ) , le Conseil d'Etat a quant à lui fait application du principe de précaution alors même que la formulation retenue à l'article L. 110-1 du code de l'environnement confère au législateur le soin d'en définir la portée.

Jusqu'à présent, le principe de précaution a été invoqué surtout devant les juridictions administratives pour obtenir l'annulation d'une décision administrative et parfois, dans l'intervalle, pour en demander le sursis à exécution.

Aux termes de la jurisprudence administrative, une obligation à caractère procédural

Dans le cadre du contentieux de légalité, le juge examine, d'une part, le respect par l'administration des procédures (contrôle de légalité externe), il exerce alors un contrôle strict et, d'autre part, le bien fondé de la décision et sur laquelle il exerce un contrôle limité à l' erreur manifeste d'appréciation .

L'arrêt « Gaucho » du Conseil d'Etat apparaît à cet égard significatif de la démarche du juge 49 ( * ) qui avait été saisi par l'Union nationale de l'apiculture française du rejet de la demande qu'elle avait formulée auprès du ministre de l'agriculture de retirer l'autorisation de mise sur le marché d'un produit insecticide. Le Conseil d'Etat a annulé le refus implicite de l'administration d'abroger la mise sur le marché du produit contesté car, informée d'éléments nouveaux rendant un risque plausible, elle devait impérativement statuer. En revanche, il s'est borné à imposer à l'administration de statuer dans un délai de trois mois sans lui enjoindre de prendre une décision dans un sens ou dans l'autre. Il a ainsi souhaité préserver la capacité d'appréciation des risques par l'administration. « En imposant à l'autorité administrative de statuer sur un risque plausible et en exigeant un examen complet des faits, le juge traduit parfaitement le caractère procédural du principe de précaution » 50 ( * ) .

Ainsi, le principe de précaution, tel qu'il est aujourd'hui appliqué par le juge (sans qu'il s'y réfère d'ailleurs toujours expressément) a d'abord pour objet d'encadrer le processus décisionnel par le respect notamment du principe de participation impliquant une triple obligation d'information, de débat contradictoire et d'association du public. Il n'a pas vocation en revanche à dicter une solution au fond.

De cette jurisprudence, on peut tirer trois conclusions :

- le principe de précaution implique pour l'administration le respect de certaines obligations procédurales -telles que la nécessité de prendre en compte de nouvelles informations ;

- le juge censure l'inertie de l'administration (dans le cas de l'arrêt « Gaucho », le refus de statuer par exemple) ; d'une manière générale, l'absence de réaction est susceptible d'engager la responsabilité administrative ( à titre d'exemple, la cour administrative d'appel de Nantes a estimé un maire compétent pour enjoindre l'évacuation d'un bâtiment dans lequel étaient entreposées des farines animales ; le commissaire du Gouvernement avait observé à ce sujet que « le maire a fait application du principe de précaution (...) S'il ne l'avait fait et qu'un accident soit survenu, il aurait été critiqué, accusé voire poursuivi pour délit non intentionnel . » 51 ( * ) ) ; le principe de précaution est donc un principe d'action et, en aucun cas, un principe d'abstention ;

- le juge se refuse en principe à contrôler le fond des mesures adoptées sous réserve de l'erreur manifeste d'appréciation.

Ainsi le principe de précaution apparaît avant tout comme une obligation de moyens (obligation de respecter des procédures et de prendre certaines mesures) et non de résultats . Tel qu'il est défini et encadré par la Charte de l'environnement, il conservera ce caractère.

2.  Un principe constitutionnel précisément encadré

Les positions en présence

Les débats qui ont marqué les conditions d'intégration du principe de précaution dans la Charte de l'environnement permettent de rappeler les positions en présence.

La commission Coppens a ainsi été conduite à proposer deux variantes. La première prévoit : « Quand un risque de dommage à l'environnement, grave et difficilement réversible, a été identifié, sans qu'il puisse être établi avec certitude en l'état des connaissances scientifiques, les autorités publiques mettent en oeuvre, par précaution, des procédures d'évaluation et prennent les mesures appropriées. La loi précise les conditions d'application de ces dispositions ».

Les tenants de cette rédaction ont d'abord souhaité éviter la mention du « principe de précaution » au motif que, « sous cette forme substantive, le principe de précaution est un principe de décision ». Or, à leurs yeux, en l'absence de certitude scientifique, il n'est pas possible de privilégier une position plutôt qu'une autre et dans ces conditions, l'affirmation du principe de précaution conduirait à l'abstention et jamais à la prise de risque. Le principe devrait avant tout revêtir une dimension procédurale impliquant « une série de pratiques à observer dans certaines situations d'incertitude ».

En second lieu, la première variante laisse au législateur la responsabilité de préciser les conditions d'application du principe.

Certains auraient même souhaité substituer dans la Charte la notion d'anticipation à celle de précaution en en ouvrant le champ d'application aux citoyens et aux entreprises et pas seulement aux autorités publiques : « anticiper -soulignaient-ils- désigne une démarche active qui consiste à expliciter les risques d'une activité, à les identifier, les évaluer, les surveiller et à adapter notre conduite en conséquence pour une gestion de long terme ».

La seconde variante proposait d'introduire le principe de précaution en tant que tel dans la Charte : « la préservation et la mise en valeur de l'environnement reposent sur les principes suivants : (...) le principe de précaution selon lequel quand un risque de dommage grave ou irréversible à l'environnement ou à la santé a été identifié, sans qu'il puisse être établi avec certitude en l'état des connaissances scientifiques, l'autorité met en oeuvre un programme de recherches et prend les mesures provisoires et proportionnées pour y parer ».

Cette rédaction présente deux différences significatives par rapport à la définition du principe de précaution du code de l'environnement :

- la double condition de la gravité du dommage et de son caractère irréversible n'est plus cumulative mais seulement alternative ;

- le champ d'application du principe est étendu à la santé.

Les tenants de cette variante ont estimé indispensable la référence explicite au terme « principe » dans la Charte. D'abord, selon eux, il ne serait pas souhaitable qu'un texte à valeur constitutionnelle soit en retrait par rapport aux normes communautaires et à la législation nationale actuelle ; ensuite, seule la mention de « principe » pourrait impliquer une force juridiquement contraignante. Par ailleurs, sur le fond, la notion de précaution constituerait bien un principe dans le sens où elle repose sur l'identification d'un nouveau type de risques les risques non plus accidentels, mais graduels ou différés, inséparables du processus d'accumulation se déployant sur une période relativement longue ») et sur la recherche de connaissances nouvelles et de nouveaux modes d'action.

Malgré les différences d'approches, ils s'accordent avec les partisans de la première version pour reconnaître dans le principe de précaution l'instrument d'une procédure (orientée principalement vers l'évaluation) 52 ( * ) .

En définitive, c'est sur la base de cet accord que repose la rédaction du projet de loi constitutionnelle tout en retenant la mention de « principe » conformément à la variante 2 proposée par la commission Coppens mais sans lui donner un champ d'application aussi large.

La référence au principe de précaution

L'article 5 est ainsi le seul article de la Charte à mentionner un « principe ».

La référence au principe de précaution ne traduit pas comme certains ont pu s'en inquiéter le renvoi à une notion qui serait en quelque sorte dotée d'une valeur supra-constitutionnelle aux contours imprécis.

Au contraire, dans la mesure où, aujourd'hui, le principe de précaution est appliqué par le juge à un large champ d'activités, la rédaction retenue par la Charte -« par application du principe de précaution »- a pour objet d'indiquer précisément que la Charte lui reconnaît valeur constitutionnelle dans les seules hypothèses où il concernerait l'environnement.

Champ d'application du principe

Trois critères cumulatifs sont requis pour justifier la mise en oeuvre du principe de précaution : le dommage doit être incertain, concerner l'environnement et présenter un caractère grave et irréversible.

- Le critère de l'incertitude scientifique

Comme l'a rappelé le professeur Jacques-Henri Robert lors de son audition par votre rapporteur, la notion de « précaution » dérive du mot anglais « caution » : l'anticipation de risques virtuels qui n'ont pas été corroborés par l'expérience.

Le critère de l'incertitude scientifique permet de distinguer la précaution de la prévention. En effet, cette dernière s'applique à un risque avéré même s'il apparaît par ailleurs aléatoire (catastrophes naturelles telles que les inondations, les tremblements de terre etc...). L'incertitude scientifique ne se confond pas avec l'incertitude statistique. A contrario, elle ne vaut pas non plus ignorance complète. Le principe de précaution n'a évidemment pas vocation à prendre en compte l'imprévisible et l'inconnaissable : « son domaine d'application pertinent est le danger hypothétique, soupçonné, non encore confirmé scientifiquement, mais identifié dans sa possibilité à partir des connaissances empiriques et scientifiques » 53 ( * ) .

La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes comme celle du Conseil d'Etat se sont d'ailleurs accordées sur ce point : un début de preuve doit être avancé 54 ( * ) .

- Le dommage doit concerner l'environnement

Le principe de précaution n'aurait de fondement constitutionnel que dans le domaine de l'environnement. Appliqué à d'autres domaines et, en particulier, à celui de la santé, il conserverait une valeur jurisprudentielle 55 ( * ) .

En d'autres termes, la loi pourrait en encadrer les conditions de mise en oeuvre alors que, s'agissant de l'environnement, le Parlement pourrait seulement préciser l'application du principe de précaution sans pouvoir le restreindre.

- Des dommages graves et irréversibles

Ces deux critères sont généralement envisagés de manière alternative dans les accords internationaux (ainsi dans la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques dont l'article 3, paragraphe 3, mentionne « un risque de perturbations graves ou irréversibles »). Cette condition cumulative apparaît nécessaire pour encadrer l'évaluation du risque dans un contexte d'incertitude scientifique.

Les conditions de mise en oeuvre : un principe d'action

- Les autorités concernées : les autorités publiques

Le déclenchement du principe de précaution incombe aux autorités publiques, à savoir l'ensemble des personnes publiques dotées d'un pouvoir normatif, législatif ou réglementaire. A ce dernier titre, sont concernés l'Etat et les services déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les autorités indépendantes dotées d'un pouvoir réglementaire.

Comme l'a signalé M. Yves Jégouzo lors de son audition par votre rapporteur, une attention particulière devra être portée dans le cadre de la décentralisation au transfert des pouvoirs de police spéciale de l'Etat vers les collectivités territoriales qui pourrait s'accompagner d'un transfert des responsabilités au regard du principe de précaution.

L'Assemblée nationale a précisé par un amendement adopté à l'initiative de la commission des Affaires économiques que la responsabilité qui revendrait ainsi aux autorités publiques devrait s'exercer « dans leurs domaines d'attributions ».

Si les personnes privées n'ont aucune responsabilité à assumer s'agissant de l'initiative du principe de précaution, elles devront naturellement respecter les obligations fixées par la loi ou le règlement dans ce domaine.

Tel est déjà le cas en droit de l'environnement pour les dispositions particulières qui imposent aux acteurs du secteur privé d'informer l'administration de toute anomalie ou donnée nouvelle sur l'impact de certains produits ou activités sur l'environnement (de sorte que les organismes de veille et de surveillance auxquels ces informations sont transmises soient en mesure de donner aux pouvoirs publics les éléments d'appréciation susceptibles de déclencher le principe de précaution) 56 ( * ) .

- La mise en oeuvre de procédures d'évaluation

L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des Lois, a opportunément décidé par un amendement de mentionner la mise en oeuvre des procédures d'évaluation avant l'adoption des mesures provisoires et proportionnées destinées à parer la réalisation du dommage.

L'évaluation du risque apparaît en effet comme la première modalité de mise en oeuvre du principe de précaution. L'évaluation implique la mise en oeuvre de procédures à caractère contradictoire (fondées notamment sur la diffusion d'informations dans le respect du secret protégé par la loi), mais aussi le recours à l'expertise scientifique . Celle-ci, comme l'indiquait le rapport sur le principe de précaution élaboré par M. Philippe Kourilsky et Mme Geneviève Viney 57 ( * ) , elle apparaît comme la « clef de voûte qui donne toute sa solidité à la prise de décision et qui permettra de trancher, de façon équitable, les litiges que celle-ci peut, à plus ou moins longue échéance, provoquer ».

A ce titre, le principe de précaution, bien loin de ralentir ou de paralyser la recherche, doit être, au contraire, un aiguillon et un moteur susceptibles de favoriser l'approfondissement des connaissances.

Comme l'a indiqué M. Bernard Rousseau, président de France Nature environnement, lors de son audition par votre rapporteur, le principe de précaution permettrait, d'une part, d'encourager des recherches que la seule logique de rentabilité économique ne favorise pas nécessairement et, d'autre part, de susciter et de valoriser une véritable démarche interdisciplinaire .

En définitive, selon M. Olivier Godard, le principe de précaution sert de « filtre et d'accélérateur » -filtre à l'égard des inventions techniques dangereuses, accélérateur pour certaines innovations justifiées par l'intérêt collectif.

Dans ces conditions, l'indépendance et la compétence de l'expert représentent des facteurs essentiels de la qualité de son appréciation et devront à ce titre être garanties par le législateur 58 ( * ) .

Il appartient cependant aux autorités publiques de décider, sur la base de ces évaluations, les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre le principe de précaution. Elles seules en effet, comme la juridiction communautaire l'a d'ailleurs reconnu 59 ( * ) , disposent de la légitimité démocratique pour apprécier le niveau de protection approprié pour la société.

- Les mesures provisoires et proportionnées

Le contexte d' incertitude justifie que les mesures puissent être remises en cause à la lumière de nouvelles connaissances (caractère provisoire des décisions prises), ne revêtent pas un caractère absolu et se fondent sur une analyse objective du rapport coût avantage de chacune d'entre elles (principe de proportionnalité).

Le caractère provisoire des mesures suppose que celles-ci soient revues à échéances régulières et éventuellement modifiées compte tenu des nouvelles informations sur les risques liés à une activité ou un produit donnés.

La proportionnalité implique, comme l'a souligné M. Philippe Kourilsky lors de son audition par votre rapporteur, que chaque mesure procède d'une évaluation de son coût et des avantages attendus. La notion de proportionnalité couvre ainsi la référence au « coût économique acceptable » mentionné à l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

Quelle pourrait être la nature des décisions adoptées dans ce cadre ? Il s'agirait de moratoire ou de suspension mais non d'une interdiction définitive.

Elles justifieraient, le cas échéant, certaines limitations à d'autres principes fondamentaux (comme la liberté d'entreprendre, ainsi que l'a déjà admis la Cour de justice des communautés européennes 60 ( * ) ), mais ces limitations devraient être provisoires et ne pas revêtir un caractère absolu.

En d'autres termes, le principe de précaution n'a aucune vocation à garantir le « risque zéro ». Il appelle à une prise de risque raisonnable dans un contexte jugé encore incertain. En conséquence, il implique non une obligation de résultat mais un devoir d'agir à travers la promotion de la recherche et la prise en compte attentive des nouveaux éléments de connaissance scientifique. Dans cet esprit, les mesures prises au titre du principe de précaution doivent, aux termes d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, « parer » à la réalisation du dommage et non l' « éviter » -formulation plus forte retenue dans la rédaction initiale du projet de loi constitutionnelle mais qui relève davantage de l'obligation de précaution.

3. Un principe d'application directe

L'intervention souhaitable du législateur

La Charte ne subordonne pas à l'intervention du législateur la mise en oeuvre du principe de précaution qu'elle définit par ailleurs précisément. Celui-ci est donc d' application directe face à une situation concrète.

Le caractère d'incertitude rend en effet inimaginable l'intervention du législateur au cas par cas car le principe doit, notamment au regard de la perspective d'un dommage grave et irréversible, être déclenché rapidement. Il convient à cet égard de distinguer deux phases : le déclenchement du principe qui requiert une forte réactivité peu compatible avec le processus législatif et devrait se traduire par la mise en place des procédures nécessaires (débat contradictoire, expertises...) et le déroulement de ces procédures elles-mêmes appelées nécessairement à s'inscrire dans la durée (recherches d'éléments probatoires supplémentaires etc...).

Rien n'interdit en revanche au Parlement de fixer le cadre d'application du principe. Pourraient ainsi être précisées les modalités des procédures d'évaluation engagées, le statut des experts et, s'agissant des mesures à prendre, certains principes généraux tels que leur caractère révisable, à échéance régulière, la prise en compte du rapport coût-avantage etc.

L'intervention du législateur pourrait même s'avérer opportune pour fixer des repères utiles au juge. En effet, en l'absence d'une telle intervention, l'effet direct reconnu au principe de précaution conduirait le juge administratif à contrôler la conformité d'un acte administratif au regard des nouvelles exigences constitutionnelles. En revanche, le juge se refusant de contrôler la conformité des lois à la Constitution en vertu du principe jurisprudentiel dit de la loi écran, l'intervention du législateur lui permettrait de contrôler l'acte administratif conformément aux exigences constitutionnelles telles que définies par la loi .

Ainsi que l'a indiqué le Garde des sceaux lors de son audition devant votre commission des Lois, l'intervention du législateur pourrait se justifier dans certains cas où les risques sont identifiés, en matière d'OGM par exemple, ou dans le cadre de la transposition de directives communautaires.

Quelles seront les conséquences de l'application directe du principe de précaution ?

Dans le contentieux de la légalité , l'application directe du principe de précaution ne modifiera pas la situation présente. Le principe de précaution est d'ores et déjà mis en oeuvre par le juge comme on l'a vu précédemment et, dans ce cadre, il exerce un contrôle entier sur le respect des procédures observées et un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation sur le fond des mesures prises.

Un contentieux de la responsabilité encadré

Le principe de précaution n'est pas susceptible de générer un nouveau régime de responsabilité. Il sera appliqué dans le cadre des régimes actuels.

- La responsabilité pénale

En vertu du principe constitutionnel de légalité des infractions et des peines tiré par le Conseil constitutionnel de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 61 ( * ) (rappelé à l'article 111-3 du code pénal) et de la règle d'interprétation stricte devant être observée par le juge répressif (article 111-4 du code pénal), la responsabilité pénale des décideurs publics ne saurait être mise en cause sur le seul fondement du principe de précaution.

Ainsi, une condamnation pénale ne peut être fondée que sur une incrimination déjà prévue et définie par la loi avant les faits ayant entraîné les poursuites.

En second lieu, les conditions générales dans lesquelles la responsabilité pénale peut être engagée, fixées à l' article 121-3 du code pénal, ne permettent pas de fonder une incrimination pour manquement au principe de précaution.

Art. 121-3.- Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

(L. n° 96-393 du 13 mai 1996) « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. »

(L. n° 2000-647 du 10 juill. 2000) « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

« Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »

Aux termes de la « loi Fauchon », la faute qualifiée est définie selon un double critère :

- la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi et le règlement. En premier lieu, selon la position du Garde des sceaux exprimée devant votre commission, une obligation prévue par la loi constitutionnelle ne peut être assimilée à une obligation prévue par la loi. Ensuite, en tout état de cause, le principe de précaution tel que défini par la Constitution ne présente pas le caractère d'une « obligation particulière » dont le contenu doit être, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, défini précisément 62 ( * ) ;

- une « faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité ». La reconnaissance de la faute caractérisée a été soumise par la jurisprudence à trois conditions : un comportement fautif d'une gravité certaine, l'existence d'un risque d'une particulière gravité (risque mortel ou invalidant s'agissant de dommages corporels) et enfin la prévisibilité du risque évalué in concreto -le juge est appelé, à ce titre, à prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce (missions de la personne, ses compétences, ses pouvoirs, les moyens) pour apprécier le caractère prévisible du risque. Cette dernière condition apparaît difficilement compatible avec le principe de précaution.

Ces dispositions ont en fait vocation à s'appliquer à un manquement au principe de prévention qui impose d'adopter une position prudente face à un risque prévisible .

Le défaut de précaution pourrait-il néanmoins être assimilé au manquement à une obligation de prudence qui figure, quant à lui dans deux séries d'incriminations précises (« homicide et blessures involontaires » et « mise en danger d'autrui ») ? Ces incriminations concernent les dommages aux personnes et non à l'environnement -seuls prévus par la Charte.

Au-delà de cette objection aucune des dispositions particulières propres aux deux séries d'incriminations envisagées ne paraissent compatibles avec la mise en cause de la responsabilité pénale pour manquement au principe de précaution.

- Les articles 221-6 et 222-19 à 21 du code pénal (« atteintes involontaires à la vie » ou « à l'intégrité de la personne ») incriminent « toute maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements » dès lors que ce fait a entraîné soit la mort, soit une incapacité totale de travail, quelle que soit la durée de celle-ci.

Ces infractions peuvent être retenues contre des personnes physiques, mais aussi des personnes morales -sociétés, associations ou groupements privés dotés de la personnalité juridique ou collectivités publiques- à l'exception de l'Etat.

Cependant, pour retenir l'infraction d'homicide ou de blessure involontaire, la caractérisation de la faute suppose au moins l'existence d'un soupçon sérieux de risque suffisamment étayé scientifiquement et dont le prévenu aurait eu connaissance au moment des faits.

En outre, la loi exige la preuve d'un dommage et d'un lien de causalité entre ce dommage et le comportement reproché au prévenu.

- L'article 223-1 du code pénal (mise en danger d'autrui) dispose que « Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15. 000 euros d'amende. »

L'infraction peut être éventuellement retenue contre une personne morale. Elle ne requiert pas par ailleurs la réalisation d'un dommage et a été qualifiée à ce titre d'« infraction de prévention ».

Néanmoins, la loi exige la preuve d'un « risque immédiat de mort ou de blessures » graves -difficilement compatible avec la réalisation incertaine de dommages. En outre, la ou les personnes doivent être exposés « directement » à ce risque par le prévenu. Or, l'autorité publique n'a en principe pas de rapport direct avec le consommateur. Enfin, l'exigence d'une « violation manifestement volontaire d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence » encadre rigoureusement la mise en cause de la responsabilité pénale.

- La responsabilité administrative

Seule la responsabilité administrative peut être envisagée dans la mesure où la mise en oeuvre du principe de précaution incombe aux autorités publiques. En la matière, le régime général de la responsabilité administrative tel qu'il résulte de la jurisprudence s'appliquera.

La responsabilité des autorités publiques pourra être engagée en cas d'insuffisance de précaution quand elle est considérée comme fautive.

La faute simple suffira-t-elle à engager la responsabilité administrative ? L'évolution de la jurisprudence du Conseil d'Etat incline à le penser. Le Conseil d'Etat a ainsi admis la faute simple pour engager la responsabilité de l'Etat à raison de contaminations provoquées par des transmissions de produits sanguins 63 ( * ) ou pour carence fautive à prendre les mesures de prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante 64 ( * ) . Il est vrai qu'un défaut de prévention et non de précaution était en cause dans ces deux affaires.

La responsabilité des autorités publiques pourrait également être engagée en cas d'excès de précaution mais dans ce cas, la faute lourde serait sans doute requise (par analogie avec le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation dans le cadre du contentieux de la légalité sur le contenu même des décisions prises).

Article 6 de la Charte
Promotion du développement durable

Cet article assigne aux politiques publiques le devoir de promouvoir le développement durable et de concilier à cette fin la protection de l'environnement, le développement économique et le progrès social.

Il consacre ainsi, d'une part, le développement durable et, d'autre part, la nécessité d'intégrer la prise en compte de l'environnement dans les politiques publiques.

La notion de développement durable

Le concept de développement durable a été défini en 1987 dans le rapport intitulé « Notre avenir à tous » de la Commission mondiale pour l'environnement et le développement de l'ONU, présidée par le Premier ministre norvégien d'alors, Mme Gro Harlem Brundtland : « Le développement durable permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ».

Le développement durable repose sur trois piliers : économique (objectif de croissance et d'efficacité économique) ; social (recherche de l'équité et de la cohésion sociale) ; écologique (amélioration et valorisation de l'environnement).

La notion a par ailleurs été reprise par le principe 3 de la déclaration de Rio. Elle inspire depuis lors les principales initiatives prises par la communauté internationale dans le domaine de l'environnement ainsi que la politique communautaire. Le projet de traité instituant une constitution pour l'Europe inscrit dans son article 3, troisième paragraphe, le développement durable parmi les objectifs de l'Union : « L'Union oeuvre pour une Europe du développement durable fondée sur une croissance économique équilibrée, une économie sociale de marché hautement compétitive, visant le plein emploi et le progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de l'environnement ».

Le principe a reçu en France une consécration institutionnelle -traduite dans l'intitulé du ministère de l'économie et du développement durable 65 ( * ) - et législative. Il a en effet été repris par la loi Barnier de 1995 et codifié à l'article L. 110-1 du code de l'environnement : « l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs ».

L'intégration de l'environnement dans les politiques publiques

Le principe de l'intégration de l'environnement dans les politiques publiques communes apparaît étroitement lié à la notion de développement durable.

Ainsi, à l'échelle communautaire, le traité d'Amsterdam a prévu l'intégration des exigences environnementales dans les politiques et actions communautaires afin de répondre à l'objectif de développement durable (art. 6 du traité en vigueur).

En droit français, le principe d'intégration se traduit d'abord par la référence désormais récurrente dans la loi au développement durable : ainsi, la loi n° 99-553 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire pose pour principe : « la politique d'aménagement et de développement durable concourt à l'unité de la Nation » tandis que la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain impose aux documents d'urbanisme de respecter « les objectifs de développement durable » 66 ( * ) .

L'intégration des objectifs environnementaux passe en pratique par l'évaluation des effets sur l'environnement de certaines politiques publiques (comme tel est actuellement le cas pour certains projets d'infrastructure obligatoirement précédés d'une étude d'impact) ou par des dispositions fiscales -dissuasives ou incitatives.

La Charte : l'objectif d'une conciliation équilibrée entre les trois dimensions du développement durable

La Charte innove moins qu'elle ne consacre deux principes désormais largement reconnus dans l'ordre juridique international et interne.

Elle invite à une conciliation équilibrée entre les trois éléments moteurs du développement durable. La rédaction du projet de la loi constitutionnelle initial selon laquelle les politiques publiques prenaient en compte la protection de l'environnement et la conciliaient avec le développement économique et social pouvait laisser entendre que l'environnement présentait un caractère second au regard des considérations liées à l'économie et au social. En prévoyant que les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des Lois, a levé toute ambiguïté en établissant une parfaite symétrie entre ces trois catégories de considération. En outre, elle a mieux distingué la dimension sociale des aspects économiques, la référence au « progrès social » paraissant par ailleurs plus appropriée que la celle au « développement économique et social ».

En outre, il convient de remarquer que la Charte de l'environnement aura pour effet, en quelque sorte « collatéral », de conférer valeur constitutionnelle au développement économique.

Une obligation nouvelle pour le législateur et les autorités administratives

L'obligation visée à l'article 6 concerne les politiques publiques et incombe, à ce titre, au pouvoir législatif et au pouvoir réglementaire.

Le législateur ne pourra ignorer l'un des trois « piliers » du développement durable, en particulier dans tous les textes susceptibles de présenter une incidence sur l'environnement mais il lui incombera de définir l'équilibre à réaliser entre ces trois éléments.

La constitutionnalisation du développement durable devrait en tout état de cause conduire le législateur à donner, dans la continuité des orientations prises par le Parlement au cours des dernières années, une pondération plus forte aux considérations liées à l'environnement.

Il pourrait être soumis en la matière au contrôle de l'« erreur manifeste » par le Conseil constitutionnel.

Article 7 de la Charte
Droit à l'information et à la participation

Le présent article pose, d'une part, un droit d'accès aux informations obtenues par les autorités publiques dans le domaine de l'information et, d'autre part, un droit de participation à l'élaboration des décisions publiques susceptibles de présenter un impact sur l'environnement.

Tant dans le domaine de l'information que de la participation, le champ d'action des autorités publiques apparaît déjà très encadré par les normes internationales et internes.

Un engagement international ferme et des normes internes nombreuses

Depuis 2001, date de son entrée en vigueur, la France est engagée par la convention sur l'accès à l'information, la participation du public et l'accès à la justice en matière d'environnement signée le 25 juin 1998 à Aarhus au Danemark. Son objet est défini à l'article 1 er : « afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque Partie garantit les droits d'accès à l'information sur l'environnement, de participation du public au processus décisionnel et d'accès à la justice en matière d'environnement conformément aux dispositions de la présente convention . »

La France est doublement engagée par cette convention en son nom propre d'abord, au titre de son appartenance à l'Union européenne ensuite. En effet, la Communauté européenne est partie à la convention et a préparé sur la base de cet accord deux directives :

- la directive 2003/4/CE concerne l'accès à l'information (elle est appelée à remplacer le 1 er février 2005 la directive 90/313/CE du 7 juin 1990 67 ( * ) dont le champ d'application apparaît en effet plus limité (droit d'information à la demande des citoyens assorti de nombreux motifs de refus de communication) ;

- la directive 2003/35/CE relative à la participation du public aux procédures environnementales.

Enfin, une proposition de directive publiée en octobre 2003 devrait transposer le troisième volet de la convention destiné à garantir l'accès à la justice.

Le principe de participation avait déjà été reconnu par la « loi Barnier » du 2 février 1995 mais il avait alors été limité au seul droit d'accès aux informations relatives à l'environnement.

Cette limite a été levée par l'article 132 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. L'article L. 110-1 (4° du II) a ainsi été complété : « Le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire ». Il reste d'usage d'englober sous le principe de participation l'ensemble des procédures qui concourent à cette participation, des droits d'information au droit de participation proprement dit.

La mise en oeuvre du principe incombe à la loi. Il a été décliné dans de nombreux textes sur trois modes : l'information, la consultation et la concertation.

- L' information : le code de l'environnement a été complété par l'ordonnance n° 2001-321 du 11 avril 2001 créant un nouveau chapitre relatif à la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement (dans ce cadre, l'article L. 124-1 renvoie pour l'essentiel à la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 relative aux relations entre l'administration et le public mais prévoit également des dispositions spécifiques en matière d'informations non communicables). L'information est liée soit aux procédures classiques de participation (enquête publique - loi du 13 juillet 1983 ; étude d'impact - décret du 12 octobre 1977 ; débat public - loi du 2 février 1995), soit à certains risques environnementaux spécifiques tels que les risques majeurs technologiques et naturels prévisibles -prévus à l'article 21 de la loi du 22 juillet 1987 codifié à l'article L. 125-2 du code de l'environnement.

Certains textes assignent aux autorités publiques une obligation active d'information du public comme l'article L. 211-5, alinéa 5, du code de l'environnement selon lequel les maires et les préfets doivent informer par tous les moyens appropriés des effets prévisibles d'un accident présentant un danger pour la qualité ou la conservation des eaux et des mesures prises pour y remédier.

- La consultation , qui vise à recueillir les avis du public , est prévue d'une manière générale sous la forme du referendum communal (art. L. 2142-1 du code général des collectivités territoriales) et de l'enquête publique (loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques).

- La concertation , enfin, niveau le plus avancé des droits de participation car elle suppose la participation du public à l' élaboration de la décision , peut constituer une obligation préalable pour certaines opérations locales d'aménagement (art. L. 300-2 du code de l'urbanisme). Dans d'autres cas, elle demeure une simple faculté pour la conduite des grands projets nationaux d'infrastructures, par exemple selon les termes de la circulaire du 15 décembre 2002.

Tout en sanctionnant l'absence ou l'insuffisance de la participation quand elle est prévue par les textes, la jurisprudence administrative a proposé d'encadrer l'application du principe :

- d'une part, il n'existe aucune obligation générale de consulter les citoyens avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter l'environnement 68 ( * ) ;

- d'autre part, la participation ne s'assimile pas à un mécanisme de co-décision 69 ( * ) et le juge administratif sanctionne toute consultation qui a pour conséquence de conférer un pouvoir de décision à des organes non élus.

Le droit de participation revêt en conséquence, avant tout, le caractère d'une obligation procédurale.

La consécration constitutionnelle : un droit procédural nécessairement encadré par la loi

L'inscription du principe de participation dans la Charte appelle plusieurs observations.

En premier lieu, le législateur est invité non seulement à en définir les conditions comme pour plusieurs des autres droits prévus dans ce texte, mais aussi à en fixer les limites .

En effet, comme le rapport de la commission Coppens l'avait d'ailleurs souligné, les droits d'information et de participation doivent se concilier avec d'autres droits fondamentaux : le secret de la vie privée, le droit de propriété, les intérêts de l'Etat relatifs à la sécurité publique et à la défense nationale.

Ensuite, l'article 7 limite le principe de participation aux informations et aux décisions relevant des autorités publiques , comme le prévoit la convention d'Aarhus. La reconnaissance d'un droit de portée générale aurait pu, en effet, s'avérer difficilement conciliable avec la liberté du commerce et de l'industrie et être source de contentieux. Au demeurant, la loi, comme tel est déjà le cas, pourra fixer des obligations particulières aux personnes privées (en particulier sur la base de la directive du 28 janvier 2003 qui confère à la notion d'« information relative à l'environnement » un sens plus large que celle de « document administratif » lié en droit français à la notion de service public).

Les droits prévus par l'article 7 sont reconnus à « toute personne » - personnes physiques et morales - tandis que l'article L. 110-1 du code de l'environnement à travers l'expression d'un droit reconnu à « chacun » semble ne viser que les particuliers.

La notion de participation à l'« élaboration » de la décision écarte, en accord avec une jurisprudence administrative bien établie, un droit à la décision elle-même.

Le principe de participation a notamment pour fonction de compléter l'article 5. Il détermine en effet certaines des conditions procédurales liées à la mise en oeuvre du principe de précaution .

Article 8 de la Charte
Education et formation à l'environnement

Cet article prévoit que l'éducation et la formation doivent contribuer à l'exercice des droits et des devoirs prévus par la Charte.

Le rôle de l'éducation en matière d'environnement avait fait l'objet d'une déclaration d'intention au sommet de la Terre à Rio en 1992 (chapitre 36 de l'agenda 21) et a trouvé une traduction juridique dans la convention d'Aarhus de 1998 dont l'article 3-3 prévoit que « chaque partie favorise l'éducation écologique du public et sensibilise celui-ci aux problèmes environnementaux afin notamment qu'il sache comment procéder pour avoir accès à l'information, participer au processus décisionnel et saisir la justice en matière d'environnement ».

En droit interne, aucune disposition particulière n'assigne actuellement à l'éducation un rôle dans le domaine de l'environnement. Néanmoins une mission conduite en 2003 par le Professeur Michel Ricard à la demande du Premier ministre a notamment conclu à l'intérêt de mettre en place des dispositifs pédagogiques assurant à une classe d'âge, du primaire à la terminale un horaire minimum d'éducation à l'environnement. Depuis la rentrée 2003, des expérimentations ont été conduites en ce sens dans les établissements scolaires de plusieurs académies 70 ( * ) .

Par ailleurs, les assises territoriales et la consultation nationale organisées en 2003 ont manifesté une réelle aspiration à un renforcement du rôle de l'éducation dans ce domaine.

La Charte répond à cette attente. Elle étend également à la formation la mission de prendre en compte l'environnement car les enjeux d'une plus grande sensibilisation à ces questions dépassent le seul cadre scolaire.

Le principe prévu à l'article 8 s'inscrit dans le cadre plus large du droit d'accès de tous à l'éducation prévu par l'alinéa 13 du préambule de 1946.

Il ne comporte pas en lui-même de valeur obligatoire.

Il ne saurait justifier en particulier, sur le seul fondement de son intégration dans la Constitution, la mise en place d'un enseignement obligatoire dans le domaine de l'environnement -cette problématique devant sans doute être prise en compte dans plusieurs disciplines notamment celles consacrées aux sciences de la nature.

L'article 8 est d'abord l'expression d'une volonté politique forte que les orientations pédagogiques pourront relayer dans l'élaboration des programmes.

Article 9 de la Charte
Concours de la recherche et de l'innovation
à l'environnement

Aux termes de cet article, la recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement.

Cette disposition apparaît novatrice au regard du droit international et du droit communautaire. En revanche, en droit interne, plusieurs lois ont reconnu un lien fort entre la recherche et l'environnement. Ainsi, la « loi littoral » n° 86-2 du 2 janvier 1986 prévoit « la mise en oeuvre d'un effort de recherche et d'innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral ».

La Charte n'a pas vocation à assigner une finalité particulière aux travaux de recherche, incompatible avec la nécessaire liberté des travaux scientifiques - confortée par l'indépendance des professeurs d'universités, principe fondamental reconnu par les lois de la République et à ce titre constitutionnellement protégé 71 ( * ) . L'article 7 prévoit seulement le « concours » de la recherche et de l'innovation. En outre, la rédaction proche de celle de l'article précédent n'emporte aucune valeur impérative.

La mention de la recherche marque d'abord la volonté du constituant de souligner que la recherche, au rebours des craintes parfois exprimées, peut et doit jouer un rôle positif sur l'environnement. Elle apparaît en second lieu indispensable compte tenu de la part dévolue à l'expertise scientifique dans la mise en oeuvre des principes de prévention et de précaution.

Article 10 de la Charte
Prise en compte de la Charte dans l'action européenne
et internationale de la France

Cet article prévoit que la Charte « inspire l'action européenne et internationale de la France ».

Il répond à une double préoccupation. Il rappelle d'abord que la défense de l'environnement ne prend tout son sens que dans le cadre d'une action internationale. Dans plusieurs de ses considérants, la Charte insiste d'ailleurs sur cette dimension : elle évoque en effet l'« l'humanité », et le « patrimoine commun des êtres humains », les « sociétés humaines » et les « autres peuples ». Cette référence constitutionnelle s'accorde d'ailleurs avec la priorité reconnue à la coopération internationale à l'échelle internationale, dans le principe 12 de la déclaration de Rio et, à l'échelle communautaire, dans l'article 174 du traité instituant la communauté européenne : « la politique de la communauté dans le domaine de l'environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants : (...) la promotion sur le plan international de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l'environnement ».

En second lieu, la référence à l'action européenne et internationale de la France traduit également le rôle exemplaire que notre pays entend jouer pour promouvoir les questions liées à l'environnement dans les enceintes internationales. La Charte, par la valeur qu'elle confère à plusieurs principes essentiels du droit de l'environnement, renforcera les positions défendues par notre pays.

L'adoption de la Charte marquerait une avancée par rapport au droit communautaire. En effet, l'article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, intégrée dans le projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe, fixe des objectifs pour la politique de l'environnement en reprenant les dispositions du traité de Maastricht mais sans reconnaître un droit fondamental à l'environnement. En outre, plusieurs des notions mentionnées par la Charte -« patrimoine commun », « droit de vivre dans un environnement équilibré » ainsi que les principes d'éducation et de formation et le rôle de la recherche- ne sont pas encore inscrits dans le droit communautaire.

Ainsi, dans les négociations engagées sur plusieurs textes communautaires, le Gouvernement pourra s'appuyer sur la Charte pour demander la définition d'engagement plus ambitieux.

Hors du cadre communautaire, notre pays sera sans doute également en mesure d'influencer davantage l'élaboration du projet de Charte du Conseil de l'Europe relative aux principes généraux pour la protection de l'environnement et le développement durable.

Au-delà de ces incidences diplomatiques, l'article 10, comme le rappelle l'exposé des motifs, ne présente aucune incidence sur les dispositions relatives aux traités et accords internationaux régis par le titre VI de la Constitution et en particulier les prérogatives du chef de l'Etat pour négocier les accords internationaux.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 2 sans modification .

Article 3
Extension à la préservation de l'environnement du domaine de la loi fixé à l'article 34 de la Constitution

Cet article, introduit dans le projet de loi constitutionnelle par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des Lois, étend les domaines dont la loi « détermine les principes fondamentaux » à la « préservation de l'environnement ».

Il convient de rappeler que l'article 34 de la Constitution définit les matières qui relèvent de la compétence du législateur par opposition aux compétences du pouvoir réglementaire fixées en creux à l'article 37 de la Constitution -le législateur étant appelé, selon les domaines, soit à fixer les règles, soit à déterminer les principes fondamentaux.

Dans notre Constitution, le champ de la loi est entendu de manière très large. D'abord les domaines visés par l'article 34 recouvrent les aspects les plus importants de la vie de la Nation. Ensuite, d'autres articles de la Constitution prévoient l'intervention du législateur et complètent ainsi l'article 34. Par ailleurs la loi organique peut toujours préciser ou compléter le domaine de la loi.

En outre, le Conseil constitutionnel a estimé que la Constitution n'interdit pas l'intervention du législateur dans le domaine du règlement dès lors que le Gouvernement ne s'y oppose pas.

Dès lors, on ne s'étonnera pas que le droit de l'environnement trouve, d'ores et déjà, pour une large part, sa source dans la loi. Rares sont en effet les dispositions en la matière qui n'intéressent pas, à un titre ou un autre, le droit de propriété, les obligations civiles ou encore les compétences des collectivités territoriales.

Par ailleurs, la référence explicite aux articles 3, 4 et 7 de la Charte à l'intervention du législateur ne rendait sans doute pas indispensable le complément apporté par l'Assemblée nationale.

Celui-ci n'en reste pas moins très opportun compte tenu de l'importance prise par la législation dans ce domaine et de la place croissante que l'environnement est appelé à prendre dans la politique de la Nation.

Il a été inséré parmi les domaines dont la loi fixe les principes fondamentaux de préférence à ceux dont la loi fixe les règles afin de permettre comme tel est aujourd'hui le cas l'exercice du pouvoir réglementaire.

La préservation de l'environnement a été introduite après la mention de l'enseignement et permet ainsi de rapprocher opportunément deux questions que la Charte associe dans son article 8.

Cette disposition à caractère général devra être interprétée conformément aux dispositions plus précises de la Charte. Elle ne remet pas en cause le caractère directement applicable de l'article 5 de la Charte, mais conforte la faculté pour le législateur d'intervenir pour préciser le cas échéant les éléments généraux de son application.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 3 sans modification .

*

* *

Votre commission propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle sans modification .

* 28 Conseil constitutionnel, décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 relative à la loi modifiant le régime de déclaration des associations.

* 29 Cependant, le renvoi dans le dispositif même de la Constitution à un texte qui lui est extérieur n'est pas sans précédent. Ainsi, aux termes de la loi constitutionnelle n° 98-610 relative à la Nouvelle-Calédonie, le nouvel article 76 de la Constitution renvoie à l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 auquel il confère ainsi valeur constitutionnelle.

* 30 Conseil constitutionnel, n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, considérant 19 :

« Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision », le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite ».

* 31 Article L. 211-11 du code de l'environnement- La gestion équilibrée [de l'eau] doit permettre de satisfaire ou concilier lors des différents activités ou travaux les exigences :

- de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population (...).

* 32 Les autorités publiques doivent veiller à la « mise en oeuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ».

* 33 La Charte qui devrait former la partie II de la Constitution pour l'Europe comporte un article II-37 - « Protection de l'environnement » aux termes duquel « Un niveau élevé de protection de l'environnement et l'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans la politique de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

* 34 Arrêt Lopez Ostra du 9 décembre 1994 condamnant l'Espagne.

* 35 Arrêt Öneryildis c/Turquie du 18 juin 2002 -qui n'est pas définitif puisque la Turquie a demandé son renvoi en grande Chambre.

* 36 Rapport de l'Assemblée nationale n° 1595, mai 2004.

* 37 Conseil d'Etat, 3 mars 2004, Ministre de l'emploi et de la solidarité c/ consorts Bo.

* 38 Conseil d'Etat, 9 avril 1993, MG.

* 39 Conseil constitutionnel, décision 82-144 DC du 22 octobre 1982 ; il a confirmé sa position dans la décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 sur la loi relative au pacte civil de solidarité : « (...) l'affirmation de la faculté d'agir en responsabilité met en oeuvre l'exigence constitutionnelle posée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont il résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

* 40 Parmi les instruments fiscaux utilisés en France, on peut mentionner l'amortissement exceptionnel permettant de diminuer l'impôt sur les sociétés pour une entreprise qui construit un immeuble très économe en énergie ou le crédit d'impôt pour les particuliers qui acquièrent un véhicule fonctionnant au GPL, à l'énergie électrique ou avec un système de bicarburation.

* 41 Cour administrative d'appel de Nantes, 9 avril 1997, société automobile rezéenne de l'Ouest, req. N° 97NT00009.

* 42 Actes du colloque du 13 mars 2003.

* 43 En Allemagne, le principe de précaution a ainsi justifié dans la lutte contre la pollution de l'air, l'adoption de « mesures nécessaires et raisonnables » en l'absence même de certitudes scientifiques sur la réalité des risques.

* 44 Parmi les accords signés récemment par la France, il convient de mentionner le protocole de Carthagène du 29 janvier 2000 sur la prévention des risques engendrés par les biotechnologies.

* 45 Cour de justice des Communautés européennes, 9 septembre 2003, Mosanto, C-236/01.

* 46 Cour de justice des Communautés européennes, 24 novembre 1993, Mondiet, C-405/92.

* 47 Cour de justice des Communautés européennes, 23 septembre 2003, Com. contre Royaume du Danemark C 192/01.

* 48 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 portant sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Les requérants alléguaient que la modification du délai pendant lequel peut être pratiqué une interruption volontaire de grossesse méconnaissait, en l'absence de consensus médical sur cette question, le principe de précaution, objectif de valeur constitutionnelle dérivé de l'article 4 de la déclaration de 1789 (liberté individuelle) - d'où le Conseil constitutionnel a en effet déjà tiré certaines exigences constitutionnelles relatives à la responsabilité civile. Le Conseil constitutionnel a considéré que « le principe de précaution ne constitue pas un objectif de valeur constitutionnelle ».

* 49 Conseil d'Etat, 9 octobre 2002, Union nationale de l'apiculture française.

* 50 Annulation du refus ministériel d'abroger l'autorisation de mise sur le marché du Gaucho. Commentaire de la décision du Conseil d'Etat du 9 octobre 2002 par Jean-Marc Février, Editions du Juris-Classeur, Environnement, décembre 2002.

* 51 Cour administrative d'appel de Nantes, 30 juin 2000, Société française maritime c/Préfet des côtes d'Armor.

* 52 Selon les partisans de la variante 2 de la Charte proposée par la commission Coppens, « le fait que [le principe de précaution] débouche sur une procédure (...) ne le transforme pas pour autant en autre chose qu'un principe : l'Habeas corpus constitue à la fois un principe et une procédure ».]

* 53 Charte de l'environnement : enjeux et controverses - Dominique Bourg, Olivier Godard, Jean-Charles Hourcade, Futuribles n° 297 - mai 2004.

* 54 Conseil d'Etat, 1 er octobre 2001, Association Greenpeace France, Société Coordination rurale, Union nationale.

* 55 Conseil d'Etat, 30 juin 1999, Mme Germain. Par cette décision, le Conseil d'Etat a confirmé la légalité de l'interdiction par le ministre de la santé des médicaments homéopathiques d'origine humaine et des souches humaines susceptibles de transmettre des virus conventionnels et des agents pathologiques présentés par ces produits.

* 56 A titre d'exemple, article L. 521-5 du code de l'environnement et article 6 du décret n° 85-217 du 13 février 1985 imposant à tout producteur ou importateur de produits chimiques de se tenir informé de l'évolution des connaissances, de l'impact sur l'homme et l'environnement lié à la diffusion de ces substances et d'informer l'autorité administrative de toutes données nouvelles.

* 57 Philippe Kourilsky, Geneviève Viney, Le principe de précaution, rapport au Premier ministre, 2000.

* 58 Le processus de renforcement du statut de l'expertise s'est particulièrement affirmé avec la création, notamment par la loi n° 2001-318 du 9 mai 2001, de l'agence française de sécurité sanitaire environnementale.

* 59 Cour de justice des communautés européennes, 24 novembre 1993, Mondiet, C-405/92.

* 60 Cour de justice des communautés européennes, arrêt précité.

* 61 Conseil constitutionnel, décision n°80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 relative à la loi « sécurité et liberté ».

* 62 Cass. Crim. 25 juin 1996.

* 63 Conseil d'Etat - 9 avril 1993, M.D.

* 64 Conseil d'Etat - 3 mars 2004, ministre de l'emploi et de la solidarité/Botella.

* 65 En outre, un Conseil national du développement durable et un comité interministériel du développement durable ont été créés respectivement par les décrets n° 2003-36 du 13 janvier 2003 et n° 2003-145 du 21 février 2003.

* 66 Des références au développement durable se trouvent également dans la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001, relative à Mayotte, la loi n° 1997-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public RFF en vue du renouveau du transport ferroviaire, la loi n° 2001-609 du 9 juillet 2001 d'orientation sur la forêt.

* 67 Directive 90/313/CE qui vise à « assurer la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement détenue par les autorités publiques, ainsi que sa diffusion, et à fixer les conditions de base dans lesquelles cette information devrait être rendue accessible ».

* 68 Conseil d'Etat, 6 février 1998, Comité de réflexion, d'information et de lutte anti-nucléaire et Anger.

* 69 Conseil d'Etat, 3 décembre 1993, Ville de Paris.

* 70 Aix-en-Provence, Besançon, Bordeaux, Dijon, Orléans, Poitiers et Paris.

* 71 Conseil constitutionnel, décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984.

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