Article 6 -

Etendue de la protection garantie par le brevet

Le droit exclusif d'exploitation que confère le brevet au titre de l'article L. 611-1 du code de la propriété intellectuelle représente une protection dont l'étendue est déterminée par la teneur des revendications, qui s'interprètent, en vertu de l'article L. 613-2, à l'aide de la description et des dessins accompagnant la demande de brevet.

L'article 6 a pour objet d'insérer, après cet article L. 613-2, quatre articles dans le code afin de préciser l'étendue de la protection par brevet en matière biologique. Ces précisions répondent aux préoccupations d'ordre éthique et économique que soulève spécifiquement la matière biologique, tant en raison de l'universalité de sa structure -les gènes étant communs à l'ensemble du vivant, du végétal jusqu'à l'humain- qu'en raison de sa capacité à se multiplier.


• Le premier article dont le présent article 6 prévoit l'insertion dans le code est l'article L. 613-2-1 , relatif à l'étendue de la protection par brevet d'une invention impliquant une séquence génique. Il précise que la portée d'une revendication couvrant une séquence génique « est limitée à la partie de cette séquence directement liée à la fonction spécifique concrètement exposée dans la description » . Ceci vise à cantonner la protection apportée par le brevet au couple séquence génique (éventuellement partielle)/ fonction associée.

Le point 3 de l'article 5 de la directive communautaire se trouve ainsi transposé dans un article indépendant de celui exclusivement consacré à l'humain -L. 611-18-, ce qui est plus logique que la solution retenue par la directive, qui intègre cette disposition relative au gène dans l'article 5 dédié à l'humain, alors même que le gène est commun à l'ensemble du vivant : le point 3 de l'article 5 de la directive -comme son considérant 22- exige l'exposé concret de « l'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle de gène » dans la demande de brevet. Cette exigence de description est reprise dans le texte national et même précisée, puisque la description en vient à déterminer l'étendue du brevet, comme le font les revendications dont la description est le support. En effet, le droit commun des brevets, notamment l'article L. 612-6 du code de la propriété intellectuelle, prévoit que les revendications définissent l'objet de la protection demandée et qu'elles doivent être claires et concises et se fonder sur la description.

Ainsi, le texte national limite l'étendue de la protection conférée par le brevet à la seule partie de la séquence génique qui code pour la protéine assurant la fonction spécifique concrètement décrite.

La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique a déjà procédé, aux termes du III du A de son article 17, à l'insertion de ce nouvel article L. 613-2-1 dans le code, en des termes identiques.

Elle a toutefois complété cet article en l'enrichissant d'une deuxième phrase, qui tire explicitement les conséquences de la première et affine encore la lecture de la directive communautaire s'agissant de l'exercice des droits que le brevet confère à son titulaire. En effet, le deuxième alinéa de l'article L. 613-2-1 interdit d'invoquer l'existence d'un brevet incluant une séquence génique « à l'encontre d'une revendication ultérieure portant sur la même séquence si cette revendication satisfait elle-même aux conditions de l'article L. 611-18 et qu'elle expose une autre application particulière de cette séquence. »

Cet ajout confirme que le brevet ne protège pas la séquence génique « en tant que telle » mais bien le binôme qu'elle forme avec l'application précisément identifiée. Il lève ainsi l'ambiguïté que certains avaient pu dénoncer entre les points 1 et 2 de l'article 5 de la directive, le premier assurant que la séquence génique ne peut constituer une invention brevetable, le deuxième prévoyant qu'une séquence génique « isolée » quoique identique peut constituer une invention brevetable.

La biologie moléculaire s'est construite sur un « postulat » fondateur qui associait chaque gène à une protéine et à une fonction unique, dont on sait désormais qu'il est souvent abusivement simplificateur. L'état de la science ne permet pas d'ignorer que plusieurs fonctions peuvent être assurées par une même séquence génique ou une même portion de séquence, l'expression d'une séquence génique étant conditionnée par une multitude de facteurs, et notamment par l'environnement cellulaire dans lequel elle est insérée, par les réseaux de protéines, par les mécanismes de régulation... Alors que la directive semble encore admettre ce dogme en assimilant implicitement, en son article 9, « information génétique » et séquence génique, l'article L. 613-2-1 rédigé par la loi bioéthique prend acte de cette évolution scientifique : afin d'éviter de paralyser l'accès à une séquence génique sous prétexte que celle-ci et l'une de ses fonctions ont fait l'objet d'un brevet, il nie toute dépendance entre deux brevets impliquant la même séquence génique mais exposant des applications distinctes de cette séquence.

Il se démarque ainsi des jurisprudences consacrant un « droit de suite », droit qui peut se justifier en chimie lorsque la synthèse d'une molécule (à laquelle est associée une fonction) a déjà représenté un investissement financier considérable et mérite la protection du brevet. En revanche, pour le vivant, ce droit de suite ne semble pas justifié au plan économique.

En limitant les effets pervers du brevet -possibilité de dérive vers une paralysie de la recherche-, ce dispositif renforce finalement la contribution du brevet à la promotion de l'innovation. Comme le souligne le Conseil d'analyse économique dans son rapport « Propriété industrielle » d'octobre 2002 50 ( * ) , la brevetabilité du vivant peut être analysée en termes d'efficacité : si un brevet sur un gène récompense une innovation amont, il peut aussi bloquer le processus de recherche aval. Toute protection de la propriété intellectuelle implique la privatisation d'une connaissance faisant partie du patrimoine commun de l'humanité : son opportunité doit donc être évaluée par l'analyse des coûts et bénéfices qu'elle engendre.

Le considérant 25 de la directive prévoit que, « pour l'interprétation des droits conférés par un brevet, lorsque des séquences se chevauchent seulement dans les parties qui ne sont pas essentielles à l'invention, le droit des brevets considère chacune d'elles comme une séquence autonome. » Il précise ainsi qu'une même portion de séquence génique -se situant « à cheval » entre deux séquences géniques brevetées- peut faire l'objet de plusieurs brevets si elle appartient à des séquences géniques associées à des fonctions spécifiques et donc à des « inventions » différentes ; il ne dit pas toutefois que cette même partie de séquence génique peut faire l'objet de brevets distincts correspondant à ses différentes applications sans que ces brevets puissent être considérés comme dépendants les uns des autres. C'est cette lacune que tend à combler le deuxième paragraphe de l'article L. 613-2-1 inséré par la loi bioéthique.

Il s'agit ici d'une garantie forte contre la monopolisation de la connaissance du vivant. Son adoption a permis au Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, M. Jean-François Mattei, d'affirmer 51 ( * ) que cette disposition interdirait désormais la répétition d'une affaire comme celle du laboratoire américain Myriad Genetics qui s'est approprié la séquence génique prédisposant au cancer du sein chez la femme et a revendiqué l'exclusivité de toutes les analyses de dépistage de la planète à partir de la méthode qu'il avait mise au point 52 ( * ) .

Selon les propres mots de M. Jean-François Mattei devant le Sénat, « s'agissant de la biotechnologie, si on ne peut pas breveter le « bio », on peut breveter la technologie. Je propose que l'on brevette une méthode, y compris lorsqu'elle inclut un gène, pour autant que ce gène demeure accessible à qui veut y accéder pour mettre au point une autre méthode plus compétitive, plus efficace, et que le brevet de méthode ne permette pas l'appropriation du gène. »

La loi bioéthique ayant donc introduit d'ores et déjà l'article L. 613-2-1 enrichi de dispositions apportant des garanties importantes quant au maintien de l'accès au vivant sous brevet, votre rapporteur propose un amendement de conséquence supprimant, dans le présent texte, l'insertion prévue dans le code de ce même article.

Les trois autres articles que le présent article 6 prévoit d'insérer dans le code n'ont pas été, pour leur part, introduits par la loi bioéthique. Ils transposent des dispositions novatrices de la directive qui répondent aux caractéristiques de la matière biologique, réplicable et susceptible de mutations. Alors que la Convention de Munich sur le brevet européen se limitait aux questions de délivrance des titres, la directive 98/44/CE traite les questions relatives aux droits conférés par ces titres en matière biotechnologique.


L'article L. 613-2-2 transpose l'article 9 de la directive communautaire, qui prévoit que la protection conférée par un brevet à un produit contenant ou consistant en une information génétique « s'étend à toute matière, sous réserve de l'article 5, paragraphe 1, dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l'information génétique est contenue et exerce sa fonction » 53 ( * ) . Le présent projet de loi reprend ces termes de la directive, à deux nuances près :

- d'une part, il caractérise plus précisément la matière bénéficiant de l'extension de la protection du brevet : dans cette matière, l'information génétique doit être contenue et exercer sa fonction ou alors, ce qui représente un ajout par rapport à la directive, procurer son résultat technique. L'objet de cet ajout n'apparaît pas clairement à votre rapporteur : que signifie, pour une information génétique, « procurer son résultat technique » sinon, par le biais de l'exercice de la fonction correspondante, déboucher sur une application industrielle ? C'est pourquoi il en proposera la suppression par amendement ; un autre amendement tend par ailleurs à préciser que la fonction que doit exercer le gène dans la matière protégée est celle indiquée dans la demande de brevet et non une autre. Il n'est en effet pas possible de laisser subsister une rédaction qui laisserait penser qu'à chaque gène correspond une et une seule fonction ;

- d'autre part, il soumet cette extension de protection par brevet aux dispositions de l'article L. 613-2-1, qui circonscrit la portée d'une revendication couvrant une séquence génique, alors que la directive soumet cette extension aux dispositions de son article 5, paragraphe 1, qui consacre la non brevetabilité du corps humain et de la découverte de ses éléments -y compris les gènes- et dont la transposition a été effectuée à l'article L. 611-18 par la loi bioéthique et complétée à l'article L. 613-2-1.

Pour une meilleure conformité du texte national à la directive, votre rapporteur propose un amendement qui complète la référence prévue à l'article L. 613-2-1 par une référence à l'article L. 611-18, ces deux articles pouvant conjointement se lire comme la transposition du point 1 de l'article 5 de la directive : tout détenteur de brevet sur une séquence génique humaine se trouve ainsi empêché d'interdire l'exploitation commerciale de toute matière incorporant une portion de cette séquence génique si elle n'y exerce pas sa fonction brevetée.


L'article L. 613-2-3 transpose, quant à lui, l'article 8 de la directive communautaire, qui prévoit que la protection s'étend aux descendants directs de la matière ou du procédé biologique brevetés.

Le point 1 de l'article 8 de la directive est fidèlement transposé par le premier alinéa de cet article L. 613-2-3 : il étend la protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée de propriétés déterminées à toute matière obtenue à partir de la première par multiplication ou reproduction et dotée de ces mêmes propriétés.

Ainsi, la protection ne se limite pas à la première génération mais s'étend à toute matière biologique obtenue à partir de cette première génération. Dans la mesure où le propre de la matière biologique est d'être reproductible ou de se reproduire elle-même, il apparaît indispensable de prévoir une protection pour les descendants, au risque sinon de vider de son sens la protection initiale, particulièrement dans les cas où le cycle de reproduction est très court (ce qui est notamment le cas pour nombre de végétaux).

A ce sujet, votre rapporteur relève la difficulté que pourrait soulever le contrôle de ces dispositions. La reproduction végétale mais aussi, voire surtout animale, est susceptible d'échapper à la maîtrise de l'homme. Ainsi, la dissémination naturelle -vent, pollinisations croisées...- ne peut être écartée : faut-il alors invoquer une contrefaçon involontaire ? L'affaire Percy Schmeiser/ Monsanto 54 ( * ) au Canada permet d'entrapercevoir les conséquences considérables que de tels litiges ont pu entraîner outre-Atlantique.

Sur ce point, l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle apporte une réponse claire : « l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise dans le commerce d'un produit contrefait, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefait, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause. »

Cet article permet d'éviter de qualifier de contrefaçon la dissémination accidentelle de végétaux ou animaux brevetés.

A l'instar du deuxième alinéa de l'article 8 de la directive communautaire, le deuxième alinéa de l'article L. 613-2-3 concerne la protection des inventions de procédés permettant de produire une matière biologique dotée de propriétés déterminées. Bâti sur le même schéma que le premier alinéa, il étend la protection conférée à un tel procédé à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à ses générations successives.

Le dispositif mis en place par l'article L. 613-2-3 applique aux inventions biotechnologiques le droit commun des brevets, qui figure à l'article L. 613-2 du code de la propriété intellectuelle et qui admet que le produit obtenu directement par un procédé breveté est lui-même couvert par le brevet


• Le troisième article dont le présent article 6 prévoit l'insertion dans le code de la propriété intellectuelle est l'article L. 613-2-4.

L'extension de la protection conférée par brevet qu'opèrent les articles L. 613-2-2 (pour les produits incorporant une information génétique protégée) et L. 613-2-3 (pour les générations successives de matières biologiques protégées ou produites par un procédé protégé) se trouve spécifiquement limitée par l'article L. 613-2-4. Cet article prévoit en effet un régime particulier pour l'espace géographique représenté par la Communauté européenne et par l'Espace économique européen (EEE).

Conformément à l'article 10 de la directive qu'il transpose tout en élargissant le champ d'application de cette dérogation à l'EEE, cet article dispose que la protection du brevet ne peut être étendue à une matière biologique reproduite à partir d'une matière protégée et commercialisée sur le territoire européen en accord avec le titulaire du brevet si cette reproduction de la matière résulte nécessairement de l'utilisation à laquelle est destinée sa commercialisation et si la matière obtenue ne sert pas à en reproduire encore.

Comme le suggère le député Alain Claeys 55 ( * ) , la situation visée pourrait être « par exemple celle d'une levure ou d'une bactérie dépolluante qui se multiplie au fur et à mesure où elle remplit son office. »

Cet article permet donc une certaine tolérance à l'égard des reproductions non maîtrisées de la matière biologique brevetée dans l'environnement géographique de la première mise sur le marché de cette matière. L'extension à l'EEE de cette disposition, prévue dans la directive pour s'appliquer seulement au sein de la Communauté européenne, s'impose pourtant en vertu d'un accord de 1994 liant l'Espace économique européen, l'Union européenne, et les Etats membres. Les informations recueillies par votre rapporteur ne lui permettent pas de s'expliquer l'omission, dans la directive, de l'extension à l'EEE. Cette omission ne saurait en tout cas être reproduite en droit national. Il est à noter, d'ailleurs, que toutes les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives à l'épuisement des droits sont étendues à l'Espace économique européen.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 50 Voir notamment l'article de MM. Claude Henry et Michel Trommetter et de Mme Laurence Tubiana : « Innovations et droits de propriété intellectuelle : quels enjeux pour les biotechnologies ? »

* 51 Lors de la première lecture au Sénat du projet de loi relatif à la bioéthique, le 29 janvier 2003.

* 52 Alors même que l'Institut Curie à Paris, l'Institut Paoli- Calmette, à Marseille, ou l'Institut Gustave- Roussy avaient mis au point des analyses considérées comme plus fiables et largement moins coûteuses.

* 53 La jurisprudence s'accorde à considérer que le brevet d'un produit intermédiaire s'étend au produit fini qui l'inclut.

* 54 Affaire qui opposa un agriculteur, M. Percy Schmeiser, contre la firme Monsanto. Cette dernière accusait l'agriculteur de ne pas s'être pas procuré la licence nécessaire qui lui aurait permis de cultiver du colza génétiquement modifié, ce dernier assurant que ses champs avaient été « contaminés » par des cultures transgéniques situées à proximité de son exploitation. Le 21 mai 2004, après six ans de batailles juridiques, la Cour suprême du Canada, par une décision prise par cinq voix contre quatre, a donné raison à Monsanto.

* 55 Auteur du rapport 2001-2002 « La brevetabilité du vivant » au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques n°160 (Sénat).

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