Article 5
(art. L. 331-5 du code de l'organisation judiciaire)
Participation des juges de proximité
aux formations collégiales du tribunal correctionnel

Le présent article modifie l'article L. 331-5 du code de l'organisation judiciaire pour prévoir la participation aux formations collégiales du tribunal correctionnel des juges de proximité .

Actuellement , la collégialité est la règle au sein du tribunal correctionnel à l'exception des délits jugés à juge unique 33 ( * ) . Ce tribunal est composé de trois magistrats du siège : un président 34 ( * ) et deux assesseurs (article 398 du code de procédure pénale).

Le législateur a inscrit dans le code de procédure pénale plusieurs dispositions afin d'assurer le respect de ce principe fortement ancré dans l'histoire judiciaire. Ainsi, lorsqu'un procès « paraît de nature à entraîner de longs débats », des magistrats supplémentaires peuvent siéger à l'audience. De même, l'irrégularité de la composition de la formation de jugement constitue une cause de nullité devant la cour d'appel (article 520 du code de procédure pénale).

Aux termes du présent article, l'article L. 331-5 serait complété par un nouvel alinéa relatif à la faculté pour le juge de proximité d'exercer la fonction d'assesseur au sein de la formation collégiale d'un tribunal correctionnel .

Inséré dans le code de l'organisation judiciaire par la loi du 9 septembre 2002, l' article L. 331-5 précise actuellement le champ des compétences de la juridiction de proximité en matière pénale en renvoyant aux articles 706-72 du code de procédure pénale et 21 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 applicables aux infractions commises respectivement par les personnes majeures et par les mineurs 35 ( * ) .

A la différence des magistrats professionnels, le juge de proximité ne pourrait présider l'audience. Cette précision a toute son importance compte tenu des prérogatives particulières du président de la formation collégiale, lequel joue un rôle prépondérant dans la direction des débats.

La formation collégiale ne pourrait comprendre plus d'un seul juge de proximité . Il serait donc minoritaire au sein de la formation de jugement qui se prononce à la majorité des voix.

La procédure de désignation des juges de proximité au sein des formations collégiales du tribunal correctionnel s'inspirerait des règles existantes. Aux termes de l'article L. 710-1 du code de l'organisation judiciaire, le président du tribunal de grande instance est chargé de fixer, par ordonnance et avant le début de l'année judiciaire, la répartition des magistrats dans les différents services de la juridiction. La liste des juges de proximité susceptibles de siéger au tribunal correctionnel serait déterminée suivant des modalités analogues : par ordonnance du président du tribunal de grande instance prise avant le début de chaque année judiciaire .

Le dispositif proposé aux termes du présent article paraît conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel .

Les modalités prévues respectent en effet « le principe d'égalité des citoyens devant la justice qui est inclus dans le principe d'égalité devant la loi » énoncé dans la décision du Conseil constitutionnel DC n° 75-56 DC du 23 juillet 1975. L'affirmation de ce principe l'avait conduit à censurer le fait que des affaires de même nature puissent être jugées « ou par un tribunal collégial ou par un juge unique, selon la décision du président de la juridiction ». En l'espèce, la proposition de loi n'affecte en rien le principe de la collégialité mais se borne à diversifier la composition de la formation collégiale.

De plus, il ne paraît pas choquant de réserver au président du tribunal de grande instance le soin de désigner les juges de proximité appelés à siéger au sein des formations collégiales correctionnelles. Cette règle s'inspire du droit en vigueur.

En outre, la présente proposition de loi n'a pas pour effet de permettre aux juridictions de proximité de prononcer des peines d'emprisonnement 36 ( * ) . Elle donne aux juges désignés une voix délibérative au sein de la formation collégiale du tribunal correctionnel. Le jugement des délits continuerait de relever de la même juridiction : le tribunal correctionnel et non la juridiction de proximité en tant que telle . Le texte respecte donc la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 sur la loi du 9 septembre 2002, selon laquelle il était possible d'attribuer des compétences en matière pénale à la juridiction de proximité « dès lors que ne lui était pas confié le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté ».

Par ailleurs, la limitation à un du nombre de juges de proximité siégeant en qualité d'assesseur respecte le cadre constitutionnel selon lequel « des personnes qui n'entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire » peuvent exercer des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière, à condition que ce soit « pour une part limitée » (décision n° 94-355 DC du 10 janvier 1995 puis décision n° 2002-461 précitée).

Enfin, le dispositif proposé trouve un précédent validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 94-355 DC du 10 janvier 1995. En effet, la loi organique n° 95-64 du 19 janvier 1995 modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature a autorisé le recrutement de magistrats à titre temporaire. Guidé par le même esprit que celui ayant présidé à l'institution des juges de proximité, le législateur avait souhaité ouvrir l'accès aux fonctions judiciaires à des magistrats non professionnels afin de rapprocher la justice du citoyen. Ces magistrats peuvent exercer les fonctions de juge d'instance ou d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande instance tout en assumant concomitamment une autre activité professionnelle.

Cependant, cette voie d'accès originale et prometteuse n'a pas été utilisée très activement par le ministère de la justice, au grand regret de votre rapporteur. On compte en effet moins d'une quinzaine de magistrats recrutés à titre temporaire depuis 1998.

Du reste, l'organisation judiciaire française connaît déjà des formations de jugement statuant en matière pénale composées à la fois de magistrats professionnels et de juges citoyens.

Il en est ainsi des cours d'assises , composées à la fois de magistrats professionnels et de citoyens sélectionnés par tirage au sort - le jury- (article 240 du code de procédure pénale).

Le caractère original du fonctionnement des tribunaux pour enfants, présidé par le juge des enfants, magistrat professionnel, aux côtés duquel siègent deux assesseurs, qui sont des juges non professionnels, mérite également d'être souligné.

LES ASSESSEURS DU TRIBUNAL POUR ENFANTS

Depuis 1945, une justice spécialisée s'applique aux mineurs. Un juge et un tribunal spécialisés ont été institués : le juge des enfants et le tribunal pour enfants. Dans ce cadre, il a été décidé de faire appel à des citoyens pour assister le juge des enfants lorsqu'il préside le tribunal pour enfants.

? Leur mission

Ces citoyens jugent, au tribunal pour enfants, les mineurs soupçonnés d'avoir commis un délit ou un crime . Chacun des deux assesseurs a un pouvoir de décision égal à celui du juge des enfants. L'assesseur est amené à rencontrer les professionnels avec lesquels le juge des enfants travaille en collaboration étroite : le procureur de la République ou le substitut chargé des affaires des mineurs, les éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et les avocats.

? Leur statut (articles L. 522-2 et suivants du code de l'organisation judiciaire)

Nommé par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, pour une durée de 4 ans renouvelable, l'assesseur est un citoyen français âgé de plus de 30 ans. Choisi sur une liste de candidats présentée par le premier président de la cour d'appel, il doit s'être signalé plus particulièrement par l'intérêt qu'il porte aux questions relatives à l'enfance. Il est soumis à l'obligation de résider dans le ressort du tribunal au sein duquel il souhaite siéger. Le renouvellement des listes s'effectue tous les deux ans le 1 er janvier de chaque année paire.

L'effectif des assesseurs est fixé dans chaque juridiction à deux assesseurs titulaires et quatre suppléants par juge des enfants. Dans la pratique, les juridictions n'opèrent pas de distinction entre les assesseurs titulaires et les assesseurs suppléants, convoqués le plus souvent aux audiences en alternance ou en fonction de leur disponibilité.

Avant d'entrer en fonctions, les assesseurs prêtent serment : « Je remplirai bien et fidèlement mes fonctions et garderai religieusement le secret des délibérations ». Ils perçoivent une indemnité forfaitaire par audience du tribunal pour enfants.

? Leur profil

Les assesseurs sont des citoyens sans formation juridique particulière. En dehors de leur fonction d'assesseur, ils exercent des métiers très variés : 29 % sont soit issus d'une profession libérale, soit cadres ou ingénieurs, 27 % sont employés par l'Education nationale. Ils sont recrutés dans tous les milieux sociaux. 1.600 assesseurs (44 % d'hommes et 56 % de femmes) * exercent leur mission auprès de l'ensemble des tribunaux pour enfants. 54 % d'entre eux sont âgés de plus de 51 ans.

Source : Ministère de la justice
* Statistiques au 1 e avril 2002

La situation en Nouvelle-Calédonie constitue également un exemple intéressant d'échevinage en matière correctionnelle . En application des articles L. 933-1 et L. 933-2 du code de l'organisation judiciaire 37 ( * ) , le tribunal de première instance est composé d'un magistrat professionnel assisté de deux assesseurs- juges non professionnels - ayant voix délibérative. Recrutés pour une durée de deux ans, ces derniers doivent posséder la nationalité française et être âgés de plus de vingt-trois ans. Ils doivent en outre présenter des garanties de compétence et d'impartialité.

Après plusieurs années de pratique, ce dispositif semble donner satisfaction. Une note adressée par le président du tribunal de première instance de Nouméa en 2001 au premier président de la cour d'appel publiée dans les Entretiens de Vendôme en atteste : « Cette présence permet de rapprocher la justice du justiciable dès lors que ce dernier peut se reconnaître dans ces hommes et ces femmes « ordinaires » qui peuvent lui paraître plus accessibles que les magistrats drapés dans leur robe, [...], apporte au juge professionnel une connaissance du monde économique, social ou coutumier dont les assesseurs sont les acteurs permanents permettant ainsi à la juridiction de mieux apprécier le contexte dans lequel les faits délictueux ont été commis, comme de mieux mesurer la portée de ses décisions, [...] contribue à mieux faire connaître l'institution judiciaire, dès lors que chaque assesseur peut, à la lumière de son expérience judiciaire, faire oeuvre de pédagogie auprès de nos concitoyens . »

Enfin, le code de l'organisation judiciaire (article L. 311-9) prévoit la faculté pour les avocats de suppléer les juges judiciaires pour compléter le tribunal de grande instance en matière civile comme en matière pénale . Il est précisé que les avocats sont alors appelés « en suivant l'ordre du tableau ». Selon les informations fournies par la conférence des premiers présidents de cour d'appel, cette disposition est parfois utilisée dans les juridictions de moyenne importance.

De nombreux pays européens tels la Grande-Bretagne ou la Norvège connaissent également l'échevinage.

LA NORVÈGE : UN EXEMPLE D'ÉCHEVINAGE EN MATIÈRE PÉNALE

L'un des principes fondamentaux du système juridique norvégien repose sur la participation des citoyens ordinaires aux instances de jugement. Depuis une réforme entrée en vigueur en 1995, toutes les affaires pénales sont jugées par une formation collégiale composée d'un magistrat professionnel et de deux juges populaires qui ne sont pas des juristes de carrière. Dans certaines affaires, le collège est élargi à deux magistrats professionnels et trois juges populaires. Ils statuent d'abord sur la culpabilité, puis sur la peine.

Pour chaque affaire, les tribunaux tirent au sort un certain nombre d'hommes et de femmes sur une liste de personnes choisies également par tirage au sort. Cette liste est établie tous les quatre ans par les conseils municipaux également. Ces personnes sont tenues de prêter leur concours à la justice, à moins d'un empêchement dûment motivé.

Source : Ministère de la justice - Extrait des « Entretiens de Vendôme » - septembre 2001, p. 18.

La participation des citoyens à la justice française constitue un mouvement déjà ancré au sein de l'institution judiciaire que la présente proposition de loi propose de conforter. Dans le domaine correctionnel , cette idée a été mise en avant depuis plusieurs années comme une piste de modernisation de la justice.

Les principales organisations représentant les magistrats professionnels récusent par principe la participation des juges de proximité au jugement des délits au motif que leurs décisions ne seraient pas revêtues de la légitimité suffisante. Il a pu être reproché aux juges de proximité, de manière paradoxale, à la fois de ne pas être le reflet des citoyens compte tenu de leur profil trop proche des juges professionnels et de ne pas être compétents. En réalité, le recrutement des juges de proximité tente de réaliser un équilibre satisfaisant entre compétence et citoyenneté.

Ce point de vue n'est pas unanime, certains acteurs de l'institution judiciaire ayant exprimé une opinion plus nuancée. En 2001, les contributions adressées au ministère de la justice dans le cadre des Entretiens de Vendôme 38 ( * ) ont fait valoir l'intérêt d'une telle solution : « L'une des vertus de la participation citoyenne aux décisions de justice [réside dans le fait de] constituer un relais d'information envers la société civile, non seulement sur le fonctionnement de l'institution, mais encore sur des sujets de société tels que l'insécurité routière, les violences urbaines et en milieu scolaire, les stupéfiants.... ».

De même, en juin 2002, la mission sénatoriale d'information sur l'évolution des métiers de la justice 39 ( * ) a souhaité associer davantage les citoyens aux décisions de justice, soulignant que l'échevinage pourrait avoir le double avantage d'ouvrir l'institution judiciaire sur le monde extérieur en offrant une vision différente  et de rétablir la collégialité pour le jugement des délits pour lesquels le juge unique avait été institué .

Selon les informations fournies par le ministère de la justice, cette proposition répond à une « demande maintes fois exprimée par les juridictions. ».

En outre, vote commission a toujours défendu avec force l'idée selon laquelle les assesseurs non professionnels permettraient de renforcer utilement les effectifs des juridictions qui souffrent d'un manque de moyens chronique. Ainsi, les magistrats professionnels pourraient se recentrer sur d'autres contentieux notamment en matière civile.

Dans ses conclusions, votre commission vous propose de modifier l'article 5 de la présente proposition de loi en vue :

- d'améliorer la rédaction du présent dispositif ;

- de déplacer une coordination figurant à l'article L. 331-5 prévue à l'article 12 de la proposition de loi pour la faire figurer au sein du présent article.

* 33 Article 398-1 du code de procédure pénale. Près de la moitié des affaires sont jugées à juge unique.

* 34 Lorsque le tribunal correctionnel n'a qu'une seule chambre, le président du tribunal de grande instance préside celui-ci. Lorsqu'il y a plusieurs chambres, la présidence pourra être confiée à un magistrat ayant le grade de vice-président.

* 35 Les compétences actuelles de la juridiction de proximité en matière pénale sont modifiées par les articles 10 à 12 de la présente proposition de loi. Voir infra.

* 36 Le tribunal correctionnel qui est une formation du tribunal de grande instance juge les délits (article 381 du code de procédure pénale). Outre des mesures alternatives à l'emprisonnement (travail d'intérêt général, sursis simple ou avec mise à l'épreuve), des amendes (égale ou supérieure à 3.750 euros) et des peines complémentaires, celui-ci peut prononcer des peines d'emprisonnement : jusqu'à dix ans (vingt ans en cas de récidive), à la différence du tribunal de police ou des juridictions de proximité compétentes en matière de contraventions.

* 37 Cette organisation existe depuis la loi n° 89-378 du 13 juin 1989 désormais codifiée dans le code de l'organisation judiciaire.

* 38 Ces entretiens avaient pour objet de dresser en état des lieux de l'institution judiciaire.

* 39 « Quels métiers pour quelle justice ? »- Rapport n° 345 (Sénat, 2001-2002) de M. Christian Cointat au nom de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice présidée par M. Jean-jacques Hyest - p. 203 et 204.

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