C. LE DIALOGUE AVEC LES ETATS RECIPIENDAIRES ET L'ACTION EUROPÉENNE

1. La nécessité d'un dialogue structuré et ferme avec les pays partenaires

L'efficacité de la coopération française est largement tributaire de la précision des demandes des pays partenaires et de la volonté et de la rigueur de leurs administrations. Or il faut bien reconnaître que le dialogue avec les récipiendaires peut relever de la maïeutique , dans la mesure où ils sont parfois enclins à accepter toute forme d'aide mais ne parviennent pas à formaliser une stratégie de développement ni à hiérarchiser les secteurs.

La mise en place du processus des Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP), promu par la Banque mondiale et auquel sont censés participer dans chaque pays la société civile et l'ensemble des institutions, constitue un préalable nécessaire et utile à une meilleure affectation de l'APD, mais son application est susceptible de se heurter à l'inertie, à l'autonomie et aux ressources insuffisantes de l'administration. De même, la concertation avec les bailleurs peut voir son efficacité amoindrie par l'absence de ministère chef de file s'agissant du financement du développement, et les donateurs courent ainsi le risque de devoir honorer des demandes éparses, fragmentées, et de conduire des négociations parallèles sans réelle cohérence, voire contre-productives.

Le MAE a indiqué à votre rapporteur spécial que le renforcement du partenariat constituait une préoccupation forte, et que l'insertion de la coopération dans le cadre des CSLP comme le soutien affirmé au NEPAD s'inscrivaient dans cette perspective.

La promotion des processus de décentralisation et de déconcentration , plus ou moins avancés dans les pays où s'est rendu votre rapporteur spécial, mais auxquels la France se montre attachée, peut faire l'objet d'appréciations contrastées. Ces processus sont un choix souverain des partenaires, et il faut donc le respecter (notamment au Mali où il a été initié il y a dix ans). Mais il importe aussi de mettre les gouvernements en garde sur le coût potentiel de la décentralisation, sur la difficulté de mettre en place des ressources locales pérennes et autonomes, et sur la nécessaire modernisation préalable de leurs administrations centrales 14 ( * ) . La décentralisation est sans doute un moyen de renforcer la démocratie et les capacités d'investissement et de développement au plan local, mais elle ne peut pallier les déficiences souvent flagrantes des administrations nationales, dont le caractère pléthorique n'est pas compatible avec la décentralisation et la déconcentration.

Le MAE déclare partager les préoccupations de votre rapporteur spécial et reconnaît avec lui que le renforcement des capacités nationales au niveau des administrations de l'Etat doit précéder et accompagner les processus de décentralisation.

La capacité d'absorption de l'aide doit en outre être mieux appréhendée . Un pays tel que le Sénégal bénéficie de sa position géographique privilégiée et d'un tissu économique plus étoffé que celui de ses voisins. Mais la présence de bailleurs en grand nombre et d'un volume important d'APD fait craindre l'apparition de rentes de situation dont profitent systématiquement les secteurs éternellement déficients de l'administration (douanes, justice).

Votre rapporteur spécial a également constaté une aspiration générale, tant chez les gouvernements qu'au sein de la communauté des bailleurs, à une plus grande utilisation du canal de l'aide budgétaire « affectée » , qui en France sera désormais gérée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Cet instrument est censé offrir les avantages suivants : flexibilité, mobilisation et décaissements plus rapides de l'aide, obtention de la taille critique dans une perspective d'aide-programme, pleine appropriation par l'Etat récipiendaire, vecteur d'harmonisation des procédures entre bailleurs. Sans nier ces avantages potentiels, votre rapporteur spécial ne saurait trop inciter le gouvernement français à ne pas y voir la panacée , car l'aide budgétaire suppose aussi des conditions qui ne sont pas toujours réunies :

- des circuits budgétaires et comptables et des règles de marchés publics fiables et transparents, ainsi que des systèmes d'ordonnancement et de paiement modernes ;

- l'aide versée ne doit pas se traduire par la diminution du budget national et une affectation sur d'autres actions ;

- une réactivité suffisante de la part des bailleurs, pour des versements élevés, ce qui dans le cas de la France n'est pas assuré. A ce titre, les résultats qui seront recueillis d'ici trois ans sur le fonctionnement des C2D, qui participent de cette logique, constitueront un « test » utile dans la perspective d'une extension du principe de l'aide budgétaire ;

- la pleine appropriation par l'Etat récipiendaire suppose qu'une réflexion concertée ait été menée en amont afin de déterminer précisément les axes susceptibles de bénéficier de l'aide-programme, assortis d'objectifs et d'un échéancier.

Votre rapporteur spécial a enfin constaté que le manque d'autorité de nombreux exécutifs sur leur propre administration affecte trop souvent les relations avec les investisseurs privés : jugements perçus comme arbitraires, redressements abusifs, taxes souterraines... Une solution pourrait consister à instituer, dans chaque pays ou avec la zone de l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), une convention bilatérale rendant obligatoire un arbitrage indépendant, accepté par tous les opérateurs privés en cas de litige 15 ( * ) .

* 14 Les projets de type « PAAFIE » (projet d'appui aux administrations financières et économiques) constituent à cet égard des outils très utiles de modernisation administrative et de crédibilisation des structures en charge du budget et de la collecte des impôts. Votre rapporteur spécial a pu constater, en Côte d'Ivoire, que les agents pouvaient également ressentir une certaine fierté d'avoir su mener à bien ce type de projet structurant.

* 15 A cet égard, le MAE relève qu'une application encore incertaine du droit des affaires, promu par l'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), dans certains Etats de la ZSP, ne doit pas masquer les progrès accomplis grâce à la cour commune d'arbitrage créée à Abidjan et qui constitue un recours pour tous les Etats membres de l'organisation.

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