N° 200

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 février 2005

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste sur l' encouragement et la protection réciproques des investissements ,

Par Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert Del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Francis Giraud, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Voir le numéro :

Sénat : 123 (2004-2005)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

En introduction, il convient de rappeler quelques éléments historiques relatifs à la Libye, pays étonnant et très mouvant.

Le 21 novembre 1949, l'Assemblée générale des Nations unies approuva une résolution en faveur de l'indépendance libyenne. Une assemblée nationale, composée d'un nombre égal de délégués de Cyrénaïque, de Tripolitaine et du Fezzan, se réunit à Tripoli en 1950et désigna comme roi l'émir Muhammad Idris as-Sanussi, chef de la confrérie des senoussis. Le 7 octobre 1951 était promulguée une Constitution, instituant une fédération gouvernée selon un régime monarchique parlementaire. Le 24 décembre, le roi Idris Ier proclamait l'indépendance du Royaume de Libye. Des élections parlementaires eurent lieu en février 1952 et le Parlement fut réuni pour la première fois en mars. La Libye rejoignit la Ligue arabe en 1953 et les Nations unies en 1955. En 1963, la Constitution fut amendée afin d'accorder aux femmes le droit de vote ; le système fédéral fut remplacé par un système centralisé.

Le nouvel Etat bénéficia de l'aide économique et technique de la France, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis en contrepartie du maintien des bases militaires qu'avaient établies ces pays en Libye. Toutefois, la découverte des gisements pétroliers, en 1958 et 1959, allait modifier la position libyenne et des négociations pour le retrait des troupes étrangères débutèrent en 1964 (la France se retira du Fezzan dès 1955). La Libye avait établi des relations diplomatiques avec l'URSS en 1956, mais elle repoussa les propositions d'aide économique des Soviétiques.

Les premiers dividendes pétroliers permirent au roi Idris, après la guerre des Six Jours menée, en 1967, contre Israël par les pays arabes et à laquelle la Libye n'avait pas participé, d'apporter une aide financière à la Jordanie et à la République arabe unie, alliance égypto-syrienne, pour reconstruire leur économie.

Le 1 er septembre 1969 s'ouvrit une ère nouvelle dans l'histoire de la Libye, lorsqu'un groupe de jeunes officiers renversa la royauté et proclama la république. Le gouvernement révolutionnaire, dirigé par le colonel Muammar al-Kadhafi, afficha d'emblée un nationalisme intransigeant, exigeant l'évacuation immédiate des bases anglo-saxonnes et expulsant, en 1970, la communauté italienne demeurée en Libye après l'indépendance. L'administration, l'éducation et le domaine culturel furent intégralement arabisés. En 1973, les sociétés pétrolières furent nationalisées.

Le nouveau dirigeant libyen affirma également sa détermination à jouer un rôle plus important dans les affaires du Proche-Orient et del'Afrique du nord. Se posant en rassembleur du monde arabe et musulman, il entama des pourparlers pour une union avec l'Egypte et le Soudan. Celle-ci fut conclue en 1970, mais demeura lettre morte. L'année suivante, une tentative de fédération de l'Egypte, de la Libye et de la Syrie échoua. L'union avec l'Egypte, décidée en 1972, ne se maintint que deux ans. Les alliances, nouées successivement avec la Tunisie, en 1974, puis avec le Tchad, en 1981, devaient connaître le même destin éphémère.

Les interventions de la Libye au Tchad, où Kadhafi revendiquait la bande d'Aozou, riche en uranium et en manganèse, provoquèrent les premiers heurts avec les pays occidentaux : en 1983, l'armée française arrêta les troupes libyennes qui étaient venues en renfort de l'armée de Goukouni Oueddeï et menaçaient N'Djamena. La Libye se maintint cependant dans le nord du territoire tchadien.

En 1977, Kadhafi proclama la Jamahyria, Etat des masses, sous le couvert duquel il renforça son pouvoir personnel. Le régime libyen se radicalisa. La Libye, qui avait été, aux lendemains de la guerre du Kippour, l'un des plus farouches défenseurs de l'embargo pétrolier décrété par les pays arabes exportateurs de pétrole contre Israël et les pays occidentaux qui soutenaient l'Etat hébreu, prit la tête, aux côtés de la Syrie, du « front de la fermeté », rassemblant à partir de 1978 les Etats arabes hostiles à toute négociation avec Israël. En 1980, Kadhafi rompit avec le Fatah, principale branche de l'organisation de libération de la Palestine (OLP), dont il soutint, dès lors, l'aile la plus radicale. D'autres mouvements nationalistes révolutionnaires reçurent l'aide financière et logistique du régime de Kadhafi, au nom d'un anti-impérialisme qui était dirigé en premier lieu contre les Etats-Unis.

La Libye s'est trouvée dans une situation d'isolement international.

L'affrontement entre la Libye et les Etats-Unis, dont l'ambassade de Tripoli avait été saccagée en 1979, devint plus direct dans les années 1980. En 1981, deux avions de chasse libyens furent abattus par l'armée américaine alors qu'ils survolaient le golfe de Syrte, que la Libye considérait comme faisant partie de son territoire. L'année suivante, les Etats-Unis imposèrent un embargo sur les importations de pétrole libyen. En 1985 et 1986, une série d'actes terroristes (détournement d'un paquebot italien, attentats à Vienne, à Rome et à Paris) étaient perpétrés en Europe, dont la Libye fut tenue pour responsable. Après qu'en mars 1986 le golfe de Syrte eut été le théâtre d'un nouvel affrontement entre armée libyenne et marine américaine, les Etats-Unis bombardèrent Tripoli et plusieurs sites militaires que le président Ronald Reagan avait désignés comme des « centres terroristes ».

La Libye fut à nouveau accusée, par les Etats-Unis, par le Royaume Uni et par la France, d'être impliquée dans deux attentats aériens contre des avions de ligne, l'un américain qui explosa en vol, en 1988, au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, l'autre français qui s'écrasa dans le Ténéré en 1989. Des ressortissants libyens furent mis en cause par les institutions judiciaires française et britannique sans que la Libye acceptât de les extrader. En 1992, un embargo aérien et militaire était décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui élargissait ainsi l'embargo décrété unilatéralement par les Etats-Unis en janvier 1986. La même année, les Américains accusaient la Libye de construire une usine de fabrication d'armes chimiques, sous le couvert d'une usine d'engrais.

I. LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DE LA LIBYE

A. LE CONTEXTE ADMINISTRATIF

Si la situation économique de la Libye est prospère grâce à la rente pétrolière, les tentatives de privatisation et de libéralisation sont peu faciles à mettre en oeuvre car l'environnement étatique reste inchangé.

Cependant la levée des sanctions économiques, les revenus pétroliers et la santé économique devraient favoriser les investissements étrangers. Il est vraisemblable que le secteur pétrolier contribuera, par les investissements qu'il induit, à dynamiser l'économie car c'est sur lui que repose essentiellement l'économie libyenne. Celle-ci reste par ailleurs actuellement dominée à 75 % par le secteur public. Sa croissance est soutenue par le niveau du cours du pétrole, aujourd'hui stabilisé à un niveau élevé, et par les projets d'investissements. Certes, les évolutions des projets de libéralisation bénéficiant au secteur privé sont relativement lentes mais des mesures législatives ont récemment accéléré ces processus qui ont pour but de bénéficier également aux investissements étrangers. Notre pays ne peut que souscrire à de telles intentions, d'ailleurs saluées par le FMI dans on dernier rapport.

Certes, l'économie libyenne est encore largement administrée et dépendante de la rente pétrolière. La production de pétrole a sensiblement progressé en 2004, passant (au-dessus du quota fixé par l'OPEP) de 1,4 à 1,7 million de barils par jour.

Compte tenu de sa faible population, 5,8 millions d'habitants, la Libye est l'un des pays les plus riches d'Afrique.

Son économie est solide car une forte croissance de son PIB : 5,6 % en 2003, 3,9 % en 2004 et 4,3 % prévus en 2005 1 ( * ) , succédant à une quasi stagnation de ce PIB en 2001 et 2002 pourra permettre de compenser l'accroissement annuel de sa population qui se situe aujourd'hui à 3 % ainsi qu'à l'accueil de nouveaux travailleurs (taux annuel de près de 4 %).

Sur le plan budgétaire, l'unification des taux de change réalisée en juin 2003 a entraîné une forte progression des recettes pétrolières et l'excédent budgétaire serait ainsi porté à 11,8 % du PIB. Le niveau des réserves en croissance de 37 % sur l'année a atteint un niveau record à la fin de 2003 avec 19,6 milliards USD.

La Libye a entrepris de négocier le règlement de ses arriérés avec tous ses principaux créanciers, dont la France, et la dette publique pourrait être réduite de 9 % fin 2004.

Le commerce extérieur est structurellement excédentaire. Les exportations seraient de 11,9 millions USD en 2003 et les importations de 6,8 milliards USD, dégageant un solde positif de la balance des paiements de 3,3 millions USD, soit 29,3 % du PIB.

Cependant, dans cette économie dirigée, l'Etat administre les prix, les salaires, le crédit, les taux, et contrôle plus de 70 % du PIB ce qui constitue autant d'obstacles au développement. Enfin, la population vit dans un système d'assistanat basé sur la rente pétrolière (gratuité des logements et de beaucoup de services). Le système éducatif devra être adapté pour mieux préparer la diversification économique, en particulier en renforçant la formation professionnelle, dans les postes qualifiés occupés par les expatriés ou subalternes aux immigrés, majoritairement africains.

Par ailleurs, en ce qui concerne les mesures de libéralisation de l'économie, le Premier ministre, M. Shoukri Ghanem, a engagé la libéralisation de l'économie et la privatisation partielle du secteur public libyen en 2003. Au congrès général du peuple de mars 2004, il a annoncé une série de mesures qui comprend une simplification des procédures d'enregistrement des sociétés étrangères, mais une plus grande incitation au recrutement et à la formation de personnel libyen, un plafonnement des impôts sur les sociétés et les personnes physiques, la réforme du droit de propriété et des cessions d'actifs ainsi que la privatisation de 360 sociétés d'Etat avant la création à moyen terme par la Banque centrale d'une bourse des valeurs. La privatisation d'une centaine de petites entreprises a déjà été réalisée localement. Le secteur du ciment est en cours de privatisation auprès d'entreprises étrangères avant la fin 2004 et devrait, en 2005, suivre le secteur agro-alimentaire.

Des réformes de l'administration demandées par le FMI sont en cours de réalisation à la suite de l'acceptation par la Libye des obligations de l'article VIII, sections 2, 3 et 4, comme le contrôle des institutions financières et du crédit, la suppression progressive des exemptions de taxes aux entreprises d'Etat et des subventions aux articles de première nécessité, et enfin, l'abaissement progressif des barrières douanières et tarifaires. Le taux de base bancaire a été réduit au mois de mars de 5 à 4 %, suivant ainsi les recommandations du FMI. Une nouvelle mission du FMI a eu lieu récemment à l'occasion de laquelle le Premier ministre a demandé l'aide des experts de l'institution pour reformer l'administration libyenne et participer à la réforme du secteur bancaire jugée prioritaire.

De nouveaux investissements dans l'exploration pétrolière sont nécessaires afin de maintenir et développer la production d'hydrocarbures que le Premier ministre évalue à 30 milliards de dollars jusqu'en 2010 pour atteindre 3 millions de barils par jour. La première ronde d'attribution aux enchères publiques de 15 champs d'exploration d'hydrocarbures a été lancée avec succès en septembre 2004, permettant la reprise des investissements en 2005.

Il en va de même de la politique des grands travaux où, à l'exception notable de la GMMR (projet de grande rivière artificielle d'un coût de 30 milliards de dollars ont été investis à ce jour), la Libye devra poursuivre son plan de modernisation des infrastructures déjà bien entamé : réseau de lignes à très haute tension, établissement en cours de réseaux téléphoniques fixes et mobiles, transports aériens. A ce jour, la politique d'investissements publics n'a que marginalement bénéficié de l'exceptionnelle progression des recettes budgétaires observée en 2000, 2001 et 2003.

La visite du Président de la République française à Tripoli en novembre 2004 a permis de souligner l'importance des liens qui nous unissent à ce pays, qui a fait l'effort, par l'intermédiaire de la Fondation Kadhafi, d'indemniser les familles des victimes du vol UT772. Auparavant, en juillet 2004, l'Organisation mondiale du commerce avait accepté à l'unanimité de ses membres la candidature à l'adhésion de la Libye.

* 1 Rapport du FMI pour 2003

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