Rapport n° 359 (2004-2005) de M. Jean-Marie VANLERENBERGHE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 31 mai 2005

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N° 359

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 mai 2005

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Bernard FRIMAT au nom de la délégation pour l'Union européenne, et la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par MM. Roland MUZEAU, Guy FISCHER, François AUTAIN, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert BRET, Michel BILLOUT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Gérard LE CAM, Yves COQUELLE, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, M. Pierre BIARNÈS, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Annie DAVID, MM. Thierry FOUCAUD, Robert HUE, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA et Jean-François VOGUET sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (E 2704),

Par M. Jean-Marie VANLERENBERGHE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontes, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Jackie Pierre, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, M. Jacques Siffre, Mme Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, André Vézinhet.

Voir le numéro :

Sénat : 255 et 311 ( 2004-2005)

Union européenne.

SOMMAIRE

Pages

AVANT-PROPOS 5

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE : AMÉNAGER LES RÈGLES RELATIVES AU TEMPS DE TRAVAIL 8

A. LA DÉFINITION DU TEMPS DE GARDE 8

B. L'ANNUALISATION DE LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL 11

C. LA CLAUSE DE RENONCIATION À LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL OU CLAUSE « D'OPT-OUT » 12

II. LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION 15

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE 15

1. Assimiler la totalité du temps de garde à du temps de travail 15

2. Offrir des contreparties aux travailleurs en cas d'annualisation de la durée maximale hebdomadaire de travail 15

3. Supprimer, à terme, l'opt-out 16

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN 16

1. Le retrait de la proposition de directive 16

2. L'abolition de l'opt-out 16

3. La demande d'un nouveau projet social 17

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES 18

A. SAUVEGARDER LE RÉGIME DES HEURES D'ÉQUIVALENCE 18

B. PRÉCISER LES CONDITIONS DE PASSAGE À L'ANNUALISATION DE LA PÉRIODE DE RÉFÉRENCE 19

C. DEMANDER LA SUPPRESSION PROGRAMMÉE DE L'OPT-OUT 20

PROPOSITION DE RÉSOLUTION 22

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 23

TRAVAUX DE LA COMMISSION 24

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des Affaires sociales a été saisie de deux propositions de résolution, relatives à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. La première d'entre elles a été adoptée à l'unanimité, le 16 mars 2005, par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, tandis que la seconde émane du groupe communiste républicain et citoyen (CRC).

La directive 2003/88 du 4 novembre 2003, qu'il est aujourd'hui proposé de modifier, n'est qu'une version consolidée d'une précédente directive de 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Elle fixe des normes minimales en matière de temps de pause, de repos quotidien ou hebdomadaire, de congés annuels ou de travail de nuit, mais comporte de nombreuses dérogations, qui permettent aux Etats membres de mettre en oeuvre des règles différentes dans certains secteurs ou pour certaines catégories de salariés, notamment les cadres dirigeants.

La directive de 1993 avait été adoptée sur la base de l'ancien article 118 A du traité instituant la Communauté européenne, qui autorise les États membres à adopter, à la majorité qualifiée , des directives harmonisant les règles protégeant la santé et la sécurité au travail 1 ( * ) .

Son adoption n'avait d'ailleurs pas été sans poser de réelles difficultés politiques, puisque le Royaume-Uni avait déposé à l'époque une requête en annulation du texte devant la Cour de justice des Communautés européennes. Le Royaume-Uni contestait le fondement juridique utilisé, estimant que la durée du travail ne relevait pas d'une logique de protection de la santé et de la sécurité au travail, mais d'une logique de protection de l'emploi, et qu'une telle directive ne pouvait donc être adoptée que sur la base de l'ancien article 100, voire de l'ancien article 235, qui prévoyaient l'un et l'autre une prise de décision à l'unanimité . Il soutenait également que le Conseil n'avait pas respecté le principe de proportionnalité en fixant des normes allant au-delà des « prescriptions minimales » que l'article 118 A l'autorisait à établir.

La Cour de Justice n'a retenu 2 ( * ) aucun de ces griefs. Confirmant l'interprétation du Conseil, elle a estimé que les notions de « santé » et de « sécurité » au travail ne devaient pas être entendues dans un sens restrictif et qu'elles visaient « tous les facteurs physiques ou autres, capables d'affecter la santé et la sécurité du travailleur dans son environnement de travail ». Elle a souligné que l'objet principal de la directive était bien de protéger la santé et la sécurité au travail et que l'emploi, même si le texte peut avoir des conséquences sur celui-ci, restait un objectif secondaire. Rejetant l'interprétation britannique selon laquelle les « prescriptions minimales » correspondraient au « niveau de protection le plus bas établi par les Etats membres », elle a affirmé que l'expression « prescription minimale » figurant à l'article 118 A signifiait simplement que les États membres sont autorisés à adopter des normes plus exigeantes que celles inscrites dans la directive. Enfin, elle a considéré la directive conforme aux principes de proportionnalité et de subsidiarité.

La proposition de modification, présentée par la Commission le 22 septembre 2004, vise à répondre à un double objectif.

En premier lieu, la directive de 1993 avait prévu que le Conseil réexaminerait, sur proposition de la Commission et dans un délai de dix ans, certaines de ses dispositions. La présente proposition de directive permet de satisfaire, avec retard, à cette obligation, qui concerne notamment l'article 22, relatif à la clause d'« opt-out » 3 ( * ) .

En second lieu, la Commission entend revenir sur une jurisprudence, contestée, de la Cour de justice, relative au temps de garde et au temps d'astreinte. En l'absence de définition de ces notions dans la directive initiale, la Cour avait estimé, dans deux arrêts rendus en 2000 et 2003 4 ( * ) , que le temps de garde accompli sur le lieu de travail devait être intégralement comptabilisé comme temps de travail, y compris les périodes d'inactivité ; en revanche, pour les périodes d'astreinte effectuées à domicile, seule la durée correspondant à une prestation de travail effective devait être considérée comme un temps de travail. Cette solution a été critiquée par plusieurs États membres, qui insistent, notamment, sur ses conséquences en termes de recrutement du personnel médical nécessaire pour assurer un fonctionnement continu des hôpitaux.

La Commission a d'abord invité les partenaires sociaux à négocier la modification de la directive, mais ceux-ci ont décliné l'offre, considérant que les divergences entre syndicats et patronat étaient trop importantes pour qu'un accord soit envisageable. Elle a ensuite adopté une proposition de directive, que le Gouvernement a transmise au Sénat sous le numéro E 2704, en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Cette proposition a suscité de vives critiques de la part de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui y voit une régression de la protection des salariés en matière de durée du travail. Elle ne satisfait pas non plus les organisations représentatives des employeurs : l'UNICE (Union des industries des pays de la Communauté européenne) estime que le texte ne répond pas aux besoins des entreprises et qu'il est source de complications bureaucratiques inutiles ; l'UEAPME (Union européenne de l'artisanat et des petites et des moyennes entreprises) regrette que la Commission ait manqué une occasion de démontrer qu'elle soutenait la demande des PME d'obtenir plus de flexibilité.

Le Conseil des ministres européens de l'emploi et des affaires sociales a débattu de la proposition les 6 et 7 décembre 2004, sans parvenir à surmonter tous les motifs de désaccord. Le 11 mai 2005, le Parlement européen a adopté les amendements présentés, au nom de sa commission de l'emploi et des affaires sociales, par le député européen socialiste rapporteur du texte, Alejandro Cercas ; ils tendent à renforcer la protection accordée aux travailleurs, en retenant, sur plusieurs points, des solutions opposées à celles préconisées par la Commission. Le Conseil doit se réunir à nouveau dans le courant du mois de juin, pour adopter une position commune. La Commission a fait savoir qu'elle ne retiendrait que très peu d'amendements du Parlement européen dans la proposition révisée qu'elle est appelée à soumettre au Conseil.

*

Conformément à l'article 73 bis du règlement du Sénat, il appartient à votre commission d'examiner les deux propositions de résolution déposées et d'adopter un texte susceptible de devenir une résolution du Sénat, qui puisse être transmise au Gouvernement et prise en considération au cours des discussions entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission européenne.

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE : AMÉNAGER LES RÈGLES RELATIVES AU TEMPS DE TRAVAIL

Dans l'exposé des motifs de la directive, la Commission affirme s'être efforcée de concilier plusieurs objectifs : l'amélioration de la protection de la santé et de la sécurité au travail, l'accroissement de la flexibilité accordée aux entreprises dans la gestion de leur personnel et le renforcement des garanties en matière de conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Le Parlement européen a considéré que la proposition de la Commission devait cependant être modifiée dans le sens d'une plus grande protection des travailleurs.

Trois questions sont aujourd'hui en débat : la première a trait à la définition du temps de garde ; la deuxième, à l'annualisation de la période de référence prise en compte pour le calcul de la durée maximale hebdomadaire du travail; la troisième, à l'avenir de la clause d'opt-out.

A. LA DÉFINITION DU TEMPS DE GARDE

La jurisprudence SIMAP et Jaeger de la Cour de justice a eu des conséquences importantes sur le fonctionnement de nombreuses entreprises et administrations : l'assimilation du temps de garde à du temps de travail les a contraints en effet à accorder davantage de temps de repos aux travailleurs. Cette obligation n'est pas sans poser des problèmes d'organisation, particulièrement dans les secteurs où les recrutements sont difficiles, ce qui est le cas du secteur de la santé.

C'est pourquoi la Commission propose de revenir sur cette jurisprudence de la Cour pour poser une règle inverse.

La proposition de directive définit d'abord le temps de garde comme la période pendant laquelle le travailleur a l'obligation d'être disponible sur son lieu de travail afin d'intervenir, à la demande de l'employeur, pour exercer son activité ou ses fonctions. Elle distingue ensuite une période inactive durant le temps de garde, qui correspond à celle où le travailleur n'est pas appelé à exercer son activité ou ses fonctions et propose d'assimiler cette période inactive à du temps de repos : en conséquence, seules les périodes d'intervention seraient considérées comme un temps de travail effectif.

Il est cependant précisé que la période inactive ne sera assimilée à du temps de repos que si la législation nationale n'en pas dispose autrement. Les États membres sont donc autorisés à maintenir au profit de leurs travailleurs la solution plus avantageuse aujourd'hui en vigueur.

Les partenaires sociaux européens défendent sur ce point des positions très divergentes : tandis que la CES souhaite le maintien de la jurisprudence de la Cour, l'UNICE soutient la proposition de la Commission.

Pour sa part, le Gouvernement français est favorable à une révision de la position arrêtée par la Cour de justice, car il craint qu'elle ne conduise à une remise en cause du système dit des « heures d'équivalence ». Le Conseil d'État a en effet interrogé la Cour de justice, le 3 décembre 2003, par voie de recours préjudiciel, sur la compatibilité de ce dispositif avec ses décisions SIMAP et Jaeger.

Les heures d'équivalence

L'article L. 212-4 du code du travail prévoit que, dans certaines professions et pour des emplois déterminés, une durée équivalente à la durée légale peut être instituée par voie d'accord collectif ou par décret en Conseil d'État. Cette règle permet de ne pas prendre en compte l'intégralité des périodes de garde dans le calcul du temps de travail effectif.

La rémunération des salariés soumis à un régime d'heures d'équivalence est calculée sur la base de la durée légale du travail, bien que leur horaire de présence, établi sur la base du régime d'équivalence, soit supérieur à celle-ci. Seules les heures se situant au-delà de la durée d'équivalence sont décomptées et rémunérées comme des heures supplémentaires.

Tableau des équivalences d'origine réglementaire (1)

Secteur

Equivalence

Salariés concernés

Batellerie fluviale
(D. 30 juill. 1937, JO 31 juill.)

54 h 15 mn

Navigants

Commerce de détail de denrées alimentaires
(D. 27 avr. 1937, JO 28 avr. Et rect. 29 avr.)

38 h 30 mn

Ensemble du personnel

Commerce de détail fruits et légumes, épicerie et produits laitiers
( D. n° 2003-1194, 15 déc 2003, JO 17 déc.)

38 h

Personnel de vente

Gardiennage
(art. 5 des décrets sectoriels ; dérogation permanente assimilée à une équivalence ; Cass. Soc., 8 nov. 1983, n° 81-40.643)

47 h 15 mn

Gardiens travaillant dans des entreprises non liées par une convention collective réduisant ou supprimant l'équivalence

Gardiens de chantier dans le BTP
(D. 17 nov. 1936, JO 18 nov.)

54 h 15 mn
(payées 48 heures pour les gardiens de nuit assurant six postes par semaine)

Gardiens

Hôpitaux, cliniques, asiles psychiatriques
( D. 22 mars 1937, JO 14 mars et rect. 16 mars)

37 h 37 mn

Ensemble du personnel sauf médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes

Hôtels, cafés, restaurants
(D. n° 2002-1526, 24 déc. 2002, JO 28 déc.)

Entreprises de plus de vingt salariés :
39 h (jusqu'au 31 décembre 2004)
Entreprises de vingt salariés au plus :
41 h (jusqu'au 31 décembre 2003) ;
39 h (du 1er janvier au 31 décembre 2004)

Ensemble du personnel

Services d'incendie
(D. 5 oct. 1956, JO 6 oct. et rect. 17 oct.)

40 h 15 mn

Personnel du service d'incendie

(1) Des conventions collectives réduisent ou suppriment ces équivalences. Source : Lamy social, 2005

Le déroulement des négociations laisse entendre d'ailleurs qu'un accord se dessine au sein du Conseil pour opérer une distinction entre périodes active et inactive du temps de garde, ce qui devrait permettre à la France de préserver son système d'équivalence.

En revanche, le Parlement européen, suivant les propositions de son rapporteur, s'est prononcé, le 11 mai dernier, en faveur du maintien de la règle posée par la Cour de justice, à savoir l'assimilation de la totalité du temps de garde à du temps de travail, tout en admettant que des modalités particulières de décompte de la période inactive du temps de garde puissent être retenues. Les députés européens soulignent que le travailleur demeure séparé de sa famille et de son environnement social pendant son temps de garde et dispose de peu de liberté pour aménager le temps durant lequel ses services professionnels ne sont pas requis.

La Commission européenne a fait savoir qu'elle n'entendait pas retenir cet amendement dans la proposition de directive révisée qu'elle sera amenée à présenter au Conseil.

B. L'ANNUALISATION DE LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL

La directive de 1993 a fixé la durée maximale du travail à quarante-huit heures par semaine. Pour tenir compte du caractère cyclique de l'activité des entreprises, elle permet cependant de calculer cette durée en moyenne sur une période de quatre mois. Ainsi, la durée du travail peut excéder quarante-huit heures certaines semaines, à condition de demeurer en deçà de ce seuil, en moyenne, sur la période de référence considérée.

Considérant que ces dispositions ne répondent pas suffisamment au besoin de flexibilité des entreprises, la Commission propose aujourd'hui de conserver la période de référence de quatre mois comme règle de principe, mais d'autoriser les Etats membres à la porter à douze mois, par voie législative ou réglementaire, « pour des raisons objectives ou techniques ou pour des raisons ayant trait à l'organisation du travail ». Cette mesure doit demeurer compatible avec les « principes généraux concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » et doit s'accompagner d'une « consultation des partenaires sociaux intéressés et d'efforts pour encourager toutes les formes pertinentes de dialogue social, y inclus la concertation si les parties le souhaitent » (article premier, point 3).

La CES doute de l'intérêt de l'assouplissement proposé et note qu'il conduira à des horaires très irréguliers avec des amplitudes importantes pour les salariés. L'UNICE, en revanche, juge la proposition de la Commission encore trop contraignante pour les entreprises et souhaite que la période de référence de principe soit fixée à douze mois, avec une possibilité d'extension supplémentaire par voie d'accord collectif

Le Parlement européen a considéré la proposition acceptable, à condition d'informer et de consulter les travailleurs ou leurs représentants sur les nouveaux rythmes de travail et de prendre les mesures nécessaires pour protéger leur santé et leur sécurité au travail.

Le Conseil approuve la proposition de la Commission, mais a indiqué que ce point ne serait validé que dans le cadre d'un accord global sur l'ensemble de la directive. Le Gouvernement français est disposé à accepter la mesure d'annualisation, si elle est une contrepartie à la suppression de la clause d'opt-out et si elle est suffisamment encadrée.

C. LA CLAUSE DE RENONCIATION À LA DURÉE MAXIMALE DU TRAVAIL OU CLAUSE « D'OPT-OUT »

La Grande-Bretagne a obtenu, lors de la négociation de la directive de 1993, l'insertion d'une clause dite « d'opt-out » : l'article 22 de la directive, dans sa version consolidée, indique que les Etats membres peuvent autoriser les salariés à renoncer à la réglementation relative à la durée maximale hebdomadaire du travail. Les employeurs ont, dans cette hypothèse, pour seule obligation de tenir à la disposition des autorités compétentes un registre contenant la liste des salariés ayant décidé de faire jouer cette clause de renonciation. La directive précise que les salariés ne doivent subir aucun préjudice s'ils refusent l'opt-out.

La Grande-Bretagne est aujourd'hui le seul Etat à faire un usage extensif de cette faculté ; les statistiques indiquent que 20 % des salariés de l'industrie britannique travaillent régulièrement plus de quarante-huit heures par semaine. D'autres Etats y ont cependant recours de manière plus ponctuelle : c'est le cas par exemple de l'Allemagne, de l'Espagne et de la France dans le secteur de la santé ou du Luxembourg, dans le secteur du tourisme. De nouveaux Etats membres, comme la Pologne et la Slovaquie, ont l'intention de l'introduire dans leur législation.

En France, le décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers prévoit, dans son article 30 modifié, que les praticiens hospitaliers peuvent accomplir, sur la base du volontariat, et au-delà de leurs obligations de service hebdomadaire, un temps de travail additionnel. Il leur est proposé, en pratique, d'accomplir une plage de travail complémentaire pouvant aller jusqu'à douze heures, ce qui a alors pour effet de porter la durée hebdomadaire du travail à soixante heures.

La Commission, « soucieuse d'augmenter le niveau de protection des travailleurs, tout en conférant aux entreprises la nécessaire flexibilité en matière d'aménagement du temps de travail » 5 ( * ) , propose d'encadrer plus étroitement les conditions de recours à l'opt-out.

Elle prévoit tout d'abord de subordonner le recours à l'opt-out à la conclusion d'un accord collectif , adopté conformément aux législations et pratiques nationales. Toutefois, lorsque la conclusion d'un tel accord est impossible, du fait de l'absence, dans l'entreprise, de représentant du personnel habilité à le signer, le recours à l'opt-out demeurera possible par accord direct entre l'employeur et le salarié.

L'accord du salarié sera valable pour une durée d' un an renouvelable . Il ne pourra être obtenu au moment de la signature du contrat de travail, afin d'éviter que le salarié ne soit soumis à de fortes pressions au moment de l'embauche.

La Commission propose enfin que la durée du travail ne puisse excéder soixante-cinq heures par semaine , sauf si l'accord collectif en dispose autrement. Des registres devront tenir un décompte précis du nombre d'heures de travail effectuées.

La question de l'opt-out demeure l'une des plus controversées : la CES demande la disparition graduelle, la plus rapide possible, de la clause de renonciation ; les représentants patronaux souhaitent au contraire la maintenir et élargir les clauses dérogatoires existantes.

Le Parlement européen s'est prononcé en faveur de la suppression de l'opt-out dans un délai de trente-six mois. Il a donc suivi en cela les recommandations de son rapporteur qui exprimait une opposition vigoureuse au principe même de l'opt-out : « le recours à cette pratique anéantit le principe de la norme minimale et permet aux Etats membres de disposer d'un droit social européen à la carte, ce qui est contraire aux principes du traité et s'exerce au mépris de toutes les preuves indiquant que les journées de travail sans limitations constituent un grave facteur de risque pour la santé et la sécurité des travailleurs, et la conciliation de la vie familiale et professionnelle. Il ne s'agit pas en fait d'assouplir la norme mais de la supprimer complètement, ce qui est inacceptable » 6 ( * ) .

La porte-parole du commissaire aux affaires sociales, Vladimir Spidla, a toutefois indiqué, après le vote du Parlement, que la position de la Commission sur l'opt-out resterait « inchangée » 7 ( * ) .

La France s'oppose également, au sein du Conseil des ministres, au maintien de l'opt-out. Le ministre délégué aux relations du travail, Gérard Larcher, s'est exprimé en termes très clairs au cours du débat qui s'est tenu au Sénat lors de l'examen de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise : « c'est parce que ce mécanisme est radicalement étranger à nos principes et à nos traditions et qu'il fait peser une pression inacceptable sur les salariés concernés que la France combat vigoureusement sa pérennisation » 8 ( * ) . La France souhaite cependant que la suppression de l'opt-out soit progressive, afin de pouvoir effectuer les recrutements nécessaires dans le secteur de la santé.

La France et les six pays qui soutiennent sa position (Suède, Belgique, Hongrie, Espagne, Chypre et Grèce) disposent d'une minorité de blocage et peuvent donc empêcher l'adoption de la directive si elle prévoit le maintien de l'opt-out ; mais une petite dizaine d'Etats menés par le Royaume-Uni souhaitent faciliter le recours à l'opt-out et constituent une autre minorité de blocage susceptible de bloquer le processus de décision. Face à ces oppositions, la Présidence, actuellement luxembourgeoise, a adopté une approche technique de la question et décidé un recensement des pratiques nationales en la matière.

II. LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION

Votre commission des Affaires sociales a été saisie de deux propositions de résolution, l'une émanant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, l'autre du groupe communiste républicain et citoyen (CRC).

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

Le rapport présenté, au nom de la délégation, par Bernard Frimat, se montre très critique vis-à-vis des propositions de la Commission européenne. Il voit dans la proposition de directive une manifestation de la « faiblesse » de l'Europe en matière sociale, le droit communautaire semblant impuissant à relever le niveau de protection des salariés. Il n'est donc guère surprenant que, sur deux des trois points présentés, la proposition de résolution prenne le contre-pied des propositions de la Commission européenne. Ses positions apparaissent au total très proches de celles adoptées par le Parlement européen.

1. Assimiler la totalité du temps de garde à du temps de travail

La délégation souhaite que l'ensemble du temps de garde soit considéré comme du temps de travail. Elle admet cependant que les législations nationales puissent adapter ce principe, pour des raisons objectives et techniques, comme c'est le cas en France avec le système des équivalences.

2. Offrir des contreparties aux travailleurs en cas d'annualisation de la durée maximale hebdomadaire de travail

La délégation ne rejette pas le principe d'une annualisation de la durée maximale du travail, mais elle souhaite qu'elle soit subordonnée à l'obtention par les salariés de « garanties suffisantes et effectives » en matière de conditions de travail et de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

3. Supprimer, à terme, l'opt-out

La délégation propose que la directive prévoie la disparition « programmée » de la clause d'opt-out. Consciente des difficultés que provoquerait sa suppression immédiate, elle admet ainsi implicitement l'idée d'aménager une période de transition. La délégation souligne que l'opt-out entre en contradiction avec « le droit à une limitation de la durée maximale du travail » figurant à l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux et voit dans sa suppression le préalable indispensable à une harmonisation sociale européenne.

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN

La proposition de résolution du groupe CRC se veut plus radicale que celle de la délégation, puisqu'elle demande le retrait pur et simple de la proposition de directive et l'abolition de l'opt-out.

Son exposé des motifs présente la particularité de lier la critique de la proposition de directive à une dénonciation du projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe, alors que la délégation a plutôt vu dans le projet de traité, et notamment dans la Charte des droits fondamentaux qui en constitue la partie II, un point d'appui pour s'opposer aux propositions de la commission.

1. Le retrait de la proposition de directive

Fermement opposé tant à la distinction entre périodes actives et inactives du temps de garde qu'à l'annualisation de la période de référence pour le calcul de la durée maximale hebdomadaire du travail, le groupe CRC préconise le retrait de la proposition de la directive. Il diverge donc sur ce point de la position de la délégation qui juge le texte amendable. Il insiste sur « l'impact néfaste sur la santé du travailleur » de longues journées de travail. L'absence de référence aux heures d'équivalence laisse supposer que les auteurs de la résolution ne sont pas particulièrement attachés à leur maintien.

2. L'abolition de l'opt-out

Les auteurs de la proposition de résolution ne croient pas que les quelques garde-fous prévus par le texte de la commission soient de nature à protéger les salariés contre le risque d'abus dans l'utilisation de l'opt-out. Ils affirment même, de manière un peu singulière puisqu'on ne voit pas très bien quelles restrictions la directive permettrait de lever, que « la directive généralise l'opt-out ».

En conséquence, la proposition de résolution demande l'abolition de la clause d'opt-out ; elle ne fait pas mention d'un éventuel délai pour la mise en oeuvre de cette mesure, qui serait donc d'application immédiate.

Cette suppression devrait donc conduire à ce qu'une nouvelle proposition de directive soit présentée par la Commission en ce sens.

3. La demande d'un nouveau projet social

De manière plus générale, le groupe CRC souhaite que l'Union européenne, dans le cadre d'un nouveau projet social, élabore des mesures pour combattre la flexibilité, la précarité dans le travail et, notamment, le processus d'annualisation du temps de travail.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Votre rapporteur, après avoir longuement entendu les partenaires sociaux, estime fondées les demandes de la délégation pour l'Union européenne, sous réserve de précisions concernant les conditions de l'annualisation de la période de référence.

A. SAUVEGARDER LE RÉGIME DES HEURES D'ÉQUIVALENCE

Les représentants syndicaux ont fait part, lors des auditions organisées par votre rapporteur, des vives critiques que leur inspirent les propositions de la Commission en matière de temps de garde, estimant que leur adoption marquerait une véritable régression sociale. Ils ont souligné qu'un salarié présent sur son lieu de travail est à la disposition de son employeur et ne peut vaquer librement à ses occupations, ce qui est la définition même du travail effectif en droit français. La CGT et la CGT-FO ont également rappelé leur opposition ancienne au régime des heures d'équivalence.

Le MEDEF a, en revanche, considéré que la période inactive du temps de garde ne devait pas être assimilée à du temps de travail et a défendu le système des équivalences. L'organisation patronale a reproché à la Cour de justice de ne pas avoir respecté la lettre de la directive qui, dans sa définition du temps de travail, fait explicitement référence aux « pratiques et/ou législations nationales ». La CGPME propose, pour sa part, que les salariés perçoivent des contreparties pour les longues périodes inactives passées dans l'entreprise, sans qu'elles soient assimilées à du temps de travail effectif.

Votre commission souhaite confirmer la position médiane retenue par la délégation pour l'Union européenne : assimilation, de principe, de la totalité du temps de garde à du temps de travail ; possibilité de modalités particulières de décompte des périodes inactives, comme le permet, en France, le système des heures d'équivalence.

Sur ce point, elle observe que les heures d'équivalence concernent un nombre de secteurs et de professions de plus en plus réduit : de multiples conventions collectives ont contribué à réduire les effectifs salariés concernés par ce régime. Pour autant, il lui paraît peu réaliste d'imposer la suppression brutale des équivalences, qui s'appliquent dans des secteurs, telles l'hôtellerie-restauration ou la santé, qui sont confrontés à de réelles difficultés de recrutement. Il est certainement préférable de s'en remettre, sur ce point, à la dynamique de la négociation collective, mieux à même d'apprécier, en fonction des situations concrètes, les avancées qu'il est possible de réaliser en matière de durée du travail.

B. PRÉCISER LES CONDITIONS DE PASSAGE À L'ANNUALISATION DE LA PÉRIODE DE RÉFÉRENCE

Les représentants syndicaux auditionnés par votre rapporteur ne se sont pas tous déclarés hostiles à l'annualisation de la période de référence pour le calcul de la durée maximale hebdomadaire du travail. La CFE-CGC a estimé que l'annualisation pouvait répondre aux besoins de certaines entreprises mais qu'elle devait s'accompagner de garanties relatives au droit au repos des salariés. La CFDT a insisté sur le fait que l'annualisation devait résulter d'un accord collectif prévoyant des contreparties pour les salariés, reprenant ainsi la position exprimée par la Confédération européenne des syndicats. En revanche, la CFTC, la CGT et la CGT-FO se sont opposées au projet d'annualisation de la période de référence, soulignant qu'elle rendrait très difficile la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle et doutant que des contreparties satisfaisantes puissent être offertes aux salariés. La CFTC a cependant admis que, dans certains secteurs particuliers, des dérogations limitées puissent être accordées et soumises à la négociation des partenaires sociaux.

Le MEDEF a expliqué que les entreprises françaises n'étaient pas concernées par la mesure proposée, puisqu'elles sont soumises aux dispositions plus restrictives du droit français. L'article L. 212-7 du code du travail dispose en effet que la durée hebdomadaire du travail ne peut excéder quarante-quatre heures calculées en moyenne sur douze semaines. La CGPME a déclaré s'en remettre à la négociation de branche pour définir les conditions de passage à l'annualisation de la période de référence.

Votre commission considère qu'il serait peu judicieux de s'opposer frontalement à la proposition d'annualiser la période de référence. Il faut en effet préserver les conditions d'un éventuel compromis au sein du Conseil des ministres : la France ne peut espérer obtenir gain de cause si elle exige de ses partenaires à la fois l'abandon de l'opt-out et le maintien de la période de référence de quatre mois; en revanche, un compromis pourrait s'esquisser si l'annualisation de la période de référence, important instrument de flexibilité pour les entreprises, était acceptée en contrepartie de la renonciation à l'opt-out.

Toutefois, comme l'ont fait remarquer les représentants de la CGT-FO, une annualisation qui ne serait pas entourée de garanties suffisantes pour les salariés pourrait s'avérer aussi peu protectrice de leur santé et de leur sécurité que le régime de l'opt-out.

C'est pourquoi votre commission demande que l'annualisation de la période de référence soit subordonnée à la conclusion d'un accord collectif , de manière à ce que la négociation entre syndicats et employeurs débouche sur de véritables garanties sociales pour les salariés. Il paraît, de ce point de vue, indispensable que les travailleurs bénéficient d'un délai de prévenance suffisant, afin de pouvoir concilier vie professionnelle et personnelle, et qu'un plafond soit fixé à la durée maximale hebdomadaire du travail.

Votre commission souhaite en outre faire valoir le fait que les salariés doivent pouvoir concilier leur vie professionnelle avec leur « vie personnelle », notion plus large que la seule « vie familiale » visée par la proposition de résolution de la délégation. Des personnes célibataires, qui ont peu de charges de famille, peuvent en effet exercer des responsabilités électives ou associatives qu'il importe de valoriser.

C. DEMANDER LA SUPPRESSION PROGRAMMÉE DE L'OPT-OUT

Les représentants syndicaux auditionnés par votre rapporteur se sont montrés très insatisfaits des propositions de la Commission, auxquelles ils reprochent de conforter la clause d'opt-out, alors qu'ils souhaiteraient sa suppression. Ils jugent largement illusoires les garanties nouvelles qui seraient introduites par la proposition de directive, dans la mesure elles seraient rendues inopérantes par la réalité du lien de subordination existant entre les salariés et l'employeur. Au-delà, la clause d'opt-out est contestée dans son principe même : il paraît contradictoire de fixer dans un texte des prescriptions minimales destinées à garantir la santé et la sécurité au travail tout en autorisant de très importantes dérogations. Des semaines de travail très longues ne seraient, en outre, pas compatibles avec le droit des salariés à la protection de leur vie familiale.

Le MEDEF a souligné que les entreprises privées n'étaient pas autorisées en France à utiliser l'opt-out et a rappelé sa position traditionnelle en matière du durée du travail, qu'il souhaiterait voir négociée au niveau des branches. La CGPME, quoique respectueuse des particularismes nationaux, s'est dite soucieuse de limiter les distorsions de concurrence, ce qui plaide en faveur de la suppression de l'opt-out ; des exceptions pourraient néanmoins être envisagées pour quelques secteurs connaissant des pics d'activité particulièrement importants.

Ces prises de position ont conforté votre rapporteur dans son intention de demander la suppression, dans un délai raisonnable, de l'opt-out . Le maintien de l'opt-out est source de distorsions de concurrence entre les pays européens qui appliquent les règles minimales relatives à la durée du travail et ceux qui font un usage extensif de cette clause. Il semble incompatible avec la notion même de protection de la santé et de la sécurité au travail via l'établissement de normes minimales de durée du travail.

Il est cependant nécessaire de prévoir un délai raisonnable avant la suppression effective de l'opt-out afin de permettre aux pays, dont la France, qui en font un usage ponctuel dans des secteurs confrontés à des difficultés de recrutement, de procéder aux ajustements nécessaires. C'est la raison pour laquelle votre commission a retenu la formulation proposée par la délégation pour l'Union européenne plutôt que celle proposée par le groupe CRC.

*

Compte tenu de ces observations, votre commission a adopté, lors de sa réunion du 31 mai 2005, la proposition de résolution dans la rédaction reproduite ci-après.

Conformément à l'article 73 bis du Règlement du Sénat, cette proposition de résolution de la commission deviendra résolution du Sénat au terme d'un délai de dix jours suivant la publication du présent rapport, sauf s'il est demandé, dans ce délai, que son examen soit inscrit à l'ordre du jour de la séance publique.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(Texte adopté par la commission des Affaires sociales
en application de l'article 73 bis, alinéa 6, du règlement du Sénat)

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (E 2704),

Affirme la nécessité :

- de se conformer à la Charte des droits fondamentaux, et notamment son article 31, qui prévoit que « tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité » et « a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu'à une période annuelle de congés payés » ;

- de doter la construction européenne d'une ambitieuse dimension sociale, pour contrecarrer le dumping et améliorer la sécurité et la santé des travailleurs ;

Propose en conséquence que la directive :

- fixe comme principe que l'ensemble du temps de garde soit considéré comme du temps de travail, tout en permettant aux législations nationales d'adapter ce principe, pour des raisons objectives et techniques, comme c'est le cas en France dans le système dit des équivalences ;

- subordonne le passage à l'annualisation de la période de référence de la durée maximale hebdomadaire du travail à la conclusion d'un accord collectif apportant aux travailleurs des garanties suffisantes et effectives, tant en ce qui concerne les conditions de travail que la possibilité de concilier vie personnelle et professionnelle ;

- prévoie une suppression programmée de la clause dérogatoire (« opt-out »), ce qui permettra d'avancer vers une véritable harmonisation, condition indispensable pour promouvoir le progrès social.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Alain Lecanu , secrétaire national à l'emploi et à la formation, et Mme Isabelle Roussel-Vevet , juriste, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) ;

- M. Yves Veyrier , secrétaire confédéral et Mme Laure Batut, Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) ;

- Mmes Brigitte Favarel et Danièle Rozenblum , Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI) ;

- M. Joseph Thouvenel , secrétaire général adjoint, Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ;

- M. Didier Prono , secrétaire confédéral, Mme Florence Quentier , secrétaire fédérale, Confédération française démocratique du travail (CFDT) ;

- M. Jean-François Veysset , vice-président, Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) ;

- Mme Francine Blanche , membre du bureau confédéral en charge des enjeux européens, Confédération générale du travail (CGT).

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 31 mai 2005 sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Marie Vanlerenberghe sur les propositions de résolution n° 255 (2004-2005), présentée par M. Bernard Frimat au nom de la délégation pour l'Union européenne, et n° 311 (2004-2005), présentée par M. Roland Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ( E. 2704).

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a tout d'abord rappelé que la Communauté européenne avait adopté, en 1993, une directive posant un certain nombre de règles minimales en matière de temps de travail, de repos, de congés et de travail de nuit et que cette directive avait fait l'objet d'une nouvelle publication, sous une forme consolidée, en 2003.

Telle est cette directive consolidée, dans sa version, que la Commission européenne propose aujourd'hui de réviser sur trois points essentiels. Elle souhaite, en premier lieu, revenir sur l'assimilation du temps de garde à du temps de travail, décidée par la Cour de Justice de Luxembourg, afin que, seules, les périodes actives du temps de garde soient désormais considérées comme un temps de travail. Elle envisage en deuxième lieu, pour donner plus de flexibilité aux entreprises, de porter de quatre à douze mois la période de référence retenue pour le calcul de la durée maximale hebdomadaire du travail. Elle entend, en dernier lieu, mieux encadrer les conditions de recours à la clause dite « d'opt-out », qui permet à un salarié, si la législation nationale le prévoit, de renoncer aux règles protectrices relatives à la durée maximale hebdomadaire du travail. Si l'opt-out est couramment utilisé en Grande-Bretagne, il n'est autorisé en France que pour les seuls praticiens hospitaliers.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a ensuite fait état des nombreuses critiques dont font l'objet les propositions de la Commission. Tandis que la confédération européenne des syndicats (CES) dénonce une régression de la protection des salariés en matière de durée du travail, l'Union des industries des pays de la Communauté européenne (UNICE) regrette que la Commission n'ait pas suffisamment tenu compte du besoin de flexibilité des entreprises.

Le Parlement européen s'oppose, sur plusieurs points, aux propositions de la Commission : il souhaite le maintien de la jurisprudence de la Cour relative au temps de garde, demande que l'annualisation de la période de référence soit entourée de garanties effectives pour les salariés, et préconise la suppression de l'opt-out dans un délai de trente-six mois.

Au sein du Conseil des ministres, le Gouvernement français est favorable à une révision des règles en vigueur relatives au temps de garde, car il craint qu'elles ne remettent en cause le régime des heures d'équivalences, qui permet d'instituer, dans certains secteurs, une durée équivalente à la durée légale du travail. Il est en revanche disposé à accepter la mesure d'annualisation, mais seulement dans le cadre d'un accord global qui prévoirait en contrepartie la suppression de l'opt-out. La question du maintien ou non de l'opt-out est celle qui divise le plus profondément le Conseil, la Grande-Bretagne défendant vigoureusement le maintien de cette clause dérogatoire.

Puis M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a présenté les deux propositions de résolution dont la commission des affaires sociales a été saisie.

La première émane de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, qui l'a adoptée à l'unanimité et reprend des positions assez proches de celles arrêtées par le Parlement européen. Elle demande que la totalité du temps de garde soit assimilée à du temps de travail, tout en admettant des adaptations nationales à ce principe, comme le système français des équivalences. Elle se dit prête à accepter l'annualisation de la période de référence, si les salariés bénéficient de garanties suffisantes et effectives, tant en matière de conditions de travail que de conciliation entre vie familiale et professionnelle. Elle se prononce enfin en faveur de la suppression programmée de l'opt-out, qui apparaît comme le préalable indispensable à une harmonisation sociale européenne.

La seconde proposition de résolution est présentée par le groupe communiste, républicain et citoyen, qui défend des positions plus radicales encore. Fermement opposés tant à la distinction entre périodes actives et inactives du temps de garde qu'à l'annualisation de la période de référence, les sénateurs communistes souhaitent le retrait pur et simple de la proposition de directive. Ils demandent l'abolition de l'opt-out et souhaitent, plus généralement, que l'Union européenne définisse un nouveau projet social, comportant des mesures destinées à combattre la flexibilité et la précarité dans le travail.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a ensuite présenté à la commission ses propres conclusions, qui résultent d'un dialogue approfondi avec les partenaires sociaux.

Sur la question du temps de garde, il a proposé de confirmer la position équilibrée retenue par la délégation, qui a notamment pour avantage de préserver le système des équivalences. Concernant l'annualisation de la période de référence, il a jugé cette mesure acceptable, à condition qu'elle soit subordonnée à un accord collectif apportant des garanties suffisantes aux salariés et à condition qu'elle s'accompagne de l'abandon, dans un délai raisonnable, de l'opt-out. Au total, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a proposé à la commission d'adopter une proposition de résolution dont la rédaction est proche de celle retenue par la délégation.

M. Roland Muzeau a indiqué que son groupe ne pourrait approuver la proposition de résolution présentée à la commission. Il a estimé que le vote des Français, lors du référendum du 29 mai, imposait d'affirmer de manière beaucoup plus nette des exigences fortes en matière de droit du travail, notamment pour obtenir la suppression de toutes les clauses dérogatoires. Il a considéré que les variantes proposées par le rapporteur par rapport au texte de la délégation étaient insuffisantes et qu'il convenait d'exiger le retrait de la proposition de directive élaborée par la Commission. Il a jugé inacceptable le marchandage envisagé au sein du Conseil, l'annualisation de la période de référence étant présentée comme une contrepartie à la fin de l'opt-out, et rappelé que les pressions auxquelles étaient soumis les salariés dans les entreprises les empêchaient souvent de résister aux demandes de leur employeur.

M. Dominique Leclerc a regretté l'emploi du terme anglais « opt-out », qu'il a jugé peu explicite.

Mme Marie-Thérèse Hermange s'est félicitée de la convergence de vues entre le rapporteur et la délégation pour l'Union européenne et a souhaité que les commissions permanentes et la délégation coopèrent toujours d'une manière si efficace.

En réponse à M. Roland Muzeau, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a fait valoir que le code du travail était bien plus protecteur que les prescriptions minimales contenues dans la directive et qu'il n'y avait donc pas lieu de craindre, dans notre pays, la remise en cause de droits acquis. Il a ensuite insisté sur l'indépendance d'esprit dont a su faire preuve le Parlement européen par rapport à la Commission et a estimé que les mesures qu'il préconise, proches de celles formulées par la délégation, allaient dans le sens d'une harmonisation sociale européenne, attendue notamment par les nouveaux Etats membres.

En réponse à Mme Isabelle Debré , qui s'interrogeait sur les critères de distinction entre périodes active et inactive du temps de garde, M. Nicolas About, président , a indiqué que les partenaires sociaux étaient les mieux placés pour procéder, par la négociation, à de telles distinctions.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a souligné que la proposition de résolution qu'il présente prévoit d'assimiler la totalité du temps de garde à du temps de travail, sous réserve d'adaptations à ce principe, telles que celles permises par le système français des équivalences.

M. Roland Muzeau a insisté sur le fait que la proposition de la Commission européenne ne prévoit pas l'abandon de l'opt-out et que l'annualisation de la période de référence, qui répond à une demande du patronat européen, pouvait difficilement donner lieu à des compensations satisfaisantes pour les salariés. De plus, la distinction entre périodes active et inactive du temps de garde, même si elle tend à passer au second plan dans la proposition du rapporteur, n'en restera pas moins présente dans les faits. Il a conclu en indiquant que le groupe communiste, républicain et citoyen demanderait, lors de la prochaine conférence des présidents, l'inscription à l'ordre du jour de la séance publique de l'examen de la proposition de résolution.

En réponse à une demande de précision de Mme Françoise Henneron , M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur , a indiqué que l'abandon de l'opt-out permettrait à l'ensemble des salariés de bénéficier des règles protectrices relatives à la durée maximale hebdomadaire du travail, fixée à 48 heures par semaine.

Après que M. Nicolas About, président , eut lu l'intégralité du texte de la proposition de résolution, la commission a approuvé le texte dans sa rédaction proposée par le rapporteur.

* 1 Ces mêmes dispositions figurent actuellement à l'article 137 du traité.

* 2 Arrêt Royaume-Uni contre Conseil du 12 novembre 1996.

* 3 Cette clause autorise un salarié à renoncer aux règles protectrices relatives à la durée maximale hebdomadaire du travail.

* 4 Arrêt Sindicato de Medicos Asistencia Publica (SIMAP) contre Conselleria de Sanidad y Consumo de la Generalidad Valenciana, du 3 octobre 2000, et arrêt Landeshaupstadt Kiel contre Norbert Jaeger, du 9 octobre 2003.

* 5 Cf. exposé des motifs, point 12.

* 6 Cf. exposé des motifs du rapport d'Alejandro Cercas, p.19.

* 7 Déclaration rapportée dans Liaisons sociales, n°14.380, 13 mai 2005, p.2.

* 8 Séance du 1 er mars 2005, JO débats Sénat, p.1077.

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